Il part à Florence où il est documenté en 1321 et en 1327, inscrit à l’Arte dei Medici e Speziali, et où il reçoit des nombreuses commandes.
Simone Martini parti à Avignon, en 1336, pour obtenir plus facilement des commandes, Ambrogio est de nouveau documenté à Sienne en 1337 et en 1340 pour le paiement de travaux au dôme de Sienne et au Palazzo Pubblico où il peint les célèbres fresques des Effets du bon et du mauvais gouvernement, peintes à partir de 1338 dans la Salle des Neuf, sur trois murs.
↑Omar Calabrese : Duccio e Simone Martini. La Maestà come manifesto politico.
↑Daniel Arasse, « la logique d’Ambrogio Lorenzetti » chapitre II in L’Annonciation italienne, une histoire de perspective, Hazan, 1999, et L’Homme en perspective
Giacobbe Giusti, Maître de Calci: Tête de Christ, Avignon, Musée du Petit Palais
Tête de Christ, Avignon, Musée du Petit Palais
Le Maître de Calci (en italien, Maestro di Calci ou Maestro della croce di Calci) est un peintreanonyme, actif à Pise entre 1240 et 1260 environ, de facture essentiellement lucquoise (Berlinghieri), mais influencée par la peinture pisane (Giunta Pisano)1
Ragghianti est à l’origine de sa définition en 19552, le dénommant d’après un fragment de crucifix conservé en l’église paroissiale de Calci, près de Pise.
L’Œuvre
D’abord considéré comme un maître de stricte facture lucquoise3, « personnalité anonyme de l’entourage des Berlinghieri »4, une partie de la critique récente insiste désormais sur le fait que son style tient compte des leçons du pisan Giunta Pisano5,6. Ainsi, pour Burresi-Caleca1, l’œuvre réuni sous son nom se définit à partir d’une interprétation des formes et des modulations lumineuses de Giunta : l’accentuation par des traits lumineux du clair-obscur renforcent ses effets plastiques et expressifs, amenant d’ailleurs des résultats assez similaires aux dernières œuvres de Berlinghiero Berlinghieri (par exemple dans le Crucifix de Fucecchio, lui-même vraisemblablement influencé par Giunta7).
Son traitement du thème traditionnel du Christus triumphans, en particulier celui du visage du Christ, s’appuie sur des procédés caractéristiques, qui ont servi de critères au regroupement effectué par Ragghianti8 : fort contrastes de lumière sur le visage, l’oreille gauche en forme de demi-lune, la barbe finement ondulée en traits fins mais fortement différenciés, les ondulations ligneuses des cheveux, la raie et les petites mèches à la racine de celle-ci…
Crucifix (fragment) – Tête de Christ, Calci
Garrison9 publie pour la première fois cette œuvre en 1949, l’attribuant à un artiste de facture lucquoise du milieu du xiiie siècle. En 1955 elle devient l’œuvre éponyme du maître de Calci, autour de laquelle Ragghianti regroupe des œuvres berlinghiesques similaires.
Carli en 195810 et, plus près de nous, Ferretti en 198711 confirment l’attribution, ainsi que Burresi et Caleca en 19936, ces derniers rapprochant plus précisément l’œuvre de celles de Bonaventura Berlinghieri, le fils de Berlinghiero Berlinghieri.
Tartuferi5 souligne le caractère « indéniablement pisan » de l’œuvre12, qui s’inspire selon lui directement de Giunta Pisano.
Crucifix (fragments d’Avignon et Rio)
Tête de Christ, Avignon, Musée du Petit Palais
Pour E. Garrison13, la Tête de Christd’Avignon est une œuvre lucquoise, ou pisane sous influence lucquoise, de l’école des Berlinghieri, exécutée vers 1245-1255, œuvre que selon une suggestion de Federico Zeri4, il rapproche d’un autre fragment un bras gauche du Christ avec saint Jean, autrefois dans la collection Sterbini à Rome, et aujourd’hui au Museu Nacional de Belas Artes de Rio de Janeiro. Les deux fragments proviennent effectivement d’un même crucifix, très proche de celui signé par Berlinghieri (Pinacothèque de Lucques). Cette attribution sera entérinée par les catalogues successifs du Musée du Petit Palais (1977, 1987, 20054) qui attribuent l’œuvre à l’École des Berlinghieri.
Alors qu’en 1955, Ragghianti8 l’ajoute au corpus du Maître de Calci, E. Carli (1958), quant à lui, y reconnaît la main d’un autre brillant élève de Berlinghiero, maître anonyme dénommé le Maître (du crucifix) de Castelfiorentino d’après le Crucifix de Santa Chiara à Castelfiorentino (aujourd’hui au Musée d’Art sacré de Volterra).
Dans son index des œuvres du duecento, Marques répertorie l’œuvre sous la rubrique « Lucca/Atelier ou entourage local des Berlinghieri »14 et y voit surtout le point de départ d’un deuxième moment « dans la production de cet ensemble d’ateliers lucquois au xiiie siècle […] qui s’affirmerait pleinement avec des œuvres du troisième quart du siècle, parmi lesquelles les diptyques de l’Académie de Florence15, les tabernacles de Cleveland16 et Frick17, les crucifix du palais Barberini à Rome, et du musée Bandini de Fiesole (Garrison no 468)18, la crucifixion du Getty Museum de Malibu19, le triptyque de Bilthoven20, etc. »21.
Ferretti en 198722 réaffirme l’attribution de Ragghianti au Maître de Calci; avis repris depuis par A. Tartuferi23, M. Boskovits24 et Carletti25.
Le Crucifix de San Paolo a Ripa d’Arno
Crucifix de San Paolo Ripa d’Arno
Du crucifix du xiiie siècle n’a été préservée que la tête du Christ, le reste du corps ayant été repeint au xvie siècle ou xviie siècle26. Signalée par Garrison27comme œuvre berlinghiesque, ajoutée par Ragghianti8 au catalogue du Maître de Calci, la restauration de l’œuvre en 1975-77 a permis de reconnaître encore plus nettement l’auteur du Crucifix de Calci26.
SUPINO 1894] (it) I. B. Supino, Catalogo del Museo Civico di Pisa, Pisa,
[BELLINI PIETRI 1906] (it) A. Bellini Pietri (A cura di), Catalogo del Museo Civico di Pisa, Pisa,
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[COLETTI 1941] (it) L. Coletti, I Primitivi. I. Dall’arte benedettina a Giotto,
[LONGHI 1948] (it) R. Longhi, « Giudizio sul Duecento », Proporzioni, vol. II, , p. 5-54
[GARRISON 1949] (en) E. B. Garrison, Italian Romanesque Panel Painting. An Illustrated Index, Firenze,
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[RAGGHIANTI 1955] (it) C. L. Ragghianti, Pittura del Dugento a Firenze, Firenze,
[CARLI 1958] (it) E. Carli, Pittura Medievale pisana, Milano,
[CALECA 1986] (it) « Pittura del duecento e del trecento a Pisa e a Lucca », dans La Pittura in Italia. I. Il duecento e il trecento, p. 233-264
[FERRETTI 1987] (it) P. Ferretti, « Problemei della Pittura pisana del Duecento: un Crocifisso inedito a Pisa e il Maestro della croce Di Calci », Arte Christiana, no LXXV, , p. 307-316
[MARQUES 1987] L. C. Marques, La peinture du Duecento en Italie centrale, Picard, , 287 p.
[BURRESI-CALECA 1993] (it) M. Burresi et A. Caleca, Le Croci dipinte, Pisa,
[BURRESI-CALECA 1999] (it) M. Burresi et A. Caleca, « Le antichità pisane dall’erudizione alla collezione », dans M. Burresi (a cura di), Alla ricerca di un’identita. Le pubbliche collezioni d’arte a Pisa fra Settecento e Novecento, Pontedera, , p. 21-120
[BOSKOVITS 2003] (it) M. Boskovits, A corpus of Florentine painting, Ornamental painting in Italy (1250-1310), Firenze,
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[BAY 2005] (it) C. Bay, « Scheda cat.52 – Dipinto murale, Crocifissione e Santi », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 195
[BURRESI-CALECA 2005] (it) M. Burresi et A. Caleca, Cimabue a Pisa : la pittura pisana del duecento da Giunta a Giotto, Pacini Editore SpA, (ISBN88-7781-665-1)
[BURRESI-CALECA 2005.1] (it) M. Burresi et A. Caleca, « Pittura a Pisa da Giunta a Giotto », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 65-89
[CARLETTI 2005.1] (it) L. Carletti, « Scheda cat.47 – Volto di Cristo [Calci] », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 188
[CARLETTI 2005.2] (it) L. Carletti, « Scheda cat.48 – Christus Triomphans [San Paolo a Ripa d’Arno] », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 189
[CARLETTI 2005.3] (it) L. Carletti, « Scheda cat.49 – Christus Triomphans [San Michele degli Sclazi] », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 190
[CARLETTI 2005.4] (it) L. Carletti, « Scheda cat.50 – Braccio del Cristo e San Giovanni [Rio] », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 191
[CARLETTI 2005.5] (it) L. Carletti, « Scheda cat.51 – Santa Caterina con storie della sua vita », dans Cimabue a Pisa (2005), p. 192-194
[LACLOTTE-MOENCH 2005] (it) M. Laclotte et E. Moench, Peinture italienne Musée du Peti Palais Avignon, RMN, (ISBN2-71184995-3)
↑Diptyque avec Vierge à l’Enfant entre huit saints et la Crucifixion entre deux scènes de la christologie, 103 × 61 cm, Florence, Accademia no 8575/8576; Cf. [Marques 1987], p. 294
↑Triptyque: Madone avec l’Enfant entre l’Annonciation, le Christ à la colonne et la Crucifixion, 33 × 20 cm, Cleveland Museum of Art. Cf. [Marques 1987], p. 294
↑Triptyque: Madone avec l’Enfant entre la Capture du Christ, le Christ à la colonne, la déposition de Croix et la Mise au tombeau, 126 × 101 cm, New York, Frick Collection, Cf. [Marques 1987], p. 294
↑Crucifix, 140 × 110 cm, Fiesole, Museo Bandini, vers 1250-60
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinci et ceux de Michel-Ange.
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes. Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
Giacobbe Giusti, Humanisme
Marcus Tullius Cicero, by Bertel Thorvaldsen as copy from roman original, in Thorvaldsens Museum, Copenhagen
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes.
Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Allégorie de l’humanisme des Lumières, au xviiie siècle, le frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. La Philosophie et la Raison arrachent le voile de la Vérité. À leurs pieds : l’Histoire, l’Astronomie, l’Optique, la Géométrie et différentes sciences.
Gravure de Benoît-Louis Prévostd’après Charles-Nicolas Cochin, 175
Créé à la fin du xviiie siècle et popularisé au début du xixe siècle1, le terme « humanisme » a d’abord et pendant longtemps désigné exclusivement un mouvement culturel prenant naissance au xive siècle en Italie puis se développant dans le reste de l’Europe. Moment de transition du Moyen Âge aux Temps modernes, ce mouvement est tout entier porté par l’esprit de laïcité qui se manifeste alors, point de départ d’une crise de confiance profonde qui affecte l’Église catholique, donc toute la chrétienté.
Les penseurs de la Renaissance se réclamant d’une part des philosophes antiques, n’abjurant pas d’autre part leur foi chrétienne, le mot « humanisme » a fini par désigner un ensemble de valeursconsidérées comme plus ou moins communes à l’ensemble de l’Occident depuis le judéo-christianisme2 et l’Antiquité gréco-romaine et indissociablement liées à l’idéologie du progrès3.
Dans la neuvième édition de leur Dictionnaire (2011), les académiciens définissent ainsi le mot : « doctrine, attitude philosophique, mouvement de pensée qui prend l’Homme pour fin et valeur suprême, qui vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité ».
Le Larousse donne quant à lui cette double définition : « 1) philosophie qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs. 2) Mouvement intellectuel qui s’épanouit surtout dans l’Europe du xvie siècle et qui tire ses méthodes et sa philosophie de l’étude des textes antiques ».
Le mot « humanisme » découle des mots homme, humain et humanité qui ont eux-mêmes des origines latines : homo, humanus, humanitas.
À la fin du Moyen Âge, les esprits érudits utilisent la formule studia humanitatis pour désigner l’étude de « ce qui caractérise l’être humain », puis l’expression litterae humaniores(que l’on peut traduire par « enseignements profanes ») pour distinguer ceux-ci des litterae divinae et sacrae (« enseignements divins et sacrés », relatifs aux Saintes Écritures, donc de caractère théologique, tels que répandus par la scolastique).
Lorsque le français supplante le latin en tant que langue usuelle apparaît le terme humanités, pour désigner les collèges dispensant l’enseignement des arts libéraux.
Selon certaines sources, l’adjectif « humaniste » est attesté en 15394mais selon d’autres, il ne l’est qu’à la fin du xvie siècle, pour désigner tout homme « érudit et lettré », attaché aux humanités5.
En 1580, dans ses Essais, Montaigne utilise à trois reprises le mot « inhumain », notamment pour stigmatiser les jeux du cirque dans la Rome impériale et pour dénoncer la barbarie de la déportation des Juifs du Portugal6.
Le mot « humanisme » n’apparaît qu’en 1765, dans le journal Éphémérides du citoyen7 et signifie « amour de l’humanité ». Il reste toutefois inusité pendant plusieurs décennies car il est concurrencé par le mot « philanthropie », lui-même attesté à partir de 1551 et explicitement défini dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le Dictionnaire de l’Académie française (4e édition en 1762 ; 5e en 1798) définit d’ailleurs l’humanisme comme le « caractère du philanthrope »5.
En 1846, P.-J. Proudhonconfère au mot « humanisme » un sens philosophique.
En 1808, le théologien allemand Niethammer généralise le terme « humanisme » dans un ouvrage intitulé Der Streit des Philanthropinismus und des Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unsrer Zeit(« Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle »), en réaction précisément au concept de philanthropie. Aussitôt, Hegel félicite Niethammer d’avoir opéré la distinction d’avec le terme « philanthropie »8.
Le mot « humanitaire » apparaît dans les années 1830 : il est alors principalement utilisé dans un sens ironique, voire péjoratif9. « Humanitaire veut dire homme croyant à la perfectibilité du genre humain et travaillant de son mieux, pour sa quote-part, au perfectionnement dudit genre humain », ironise le poète Alfred de Musset en 183610 ; Gustave Flaubert se moque de l’« humanitarisme nuageux » de Lamartine en 18419.
En 1846, dans Philosophie de la misère [archive], Proudhon donne pour la première fois au mot « humanisme » un sens philosophique (« doctrine qui prend pour fin la personne humaine ») mais pour critiquer la valeur du terme : « je regrette de le dire, car je sens qu’une telle déclaration me sépare de la partie la plus intelligente du socialisme. Il m’est impossible (…) de souscrire à cette déification de notre espèce, qui n’est au fond, chez les nouveaux athées, qu’un dernier écho des terreurs religieuses ; qui, sous le nom d’humanisme réhabilitant et consacrant le mysticisme, ramène dans la science le préjugé »11. À la même époque, Marx rejoint les positions de Proudhon mais sans utiliser le terme. Comme lui, il conteste l’intérêt de se focaliser sur la nature humaine (ou « essence de l’homme ») et pointe en revanche la nécessité de s’interroger sur sa condition, consécutivement au processus d’industrialisation qui se développe alors. Sous son influence, le terme « humanisme » va donc changer progressivement de sens (lire infra).
A la fin du xixe siècle, les théories de Darwin (ici caricaturé par un journal malveillant) bouleversent le sens du mot « humanisme ».
En 1874, la Revue critique définit le mot ainsi : « théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même »12 mais, la plupart du temps, l’approche philosophique n’est guère relayée ensuite et le terme est de plus en plus être réduit à l’humanisme de la Renaissance. Ainsi en 1877, le Littréle définit comme « la culture des belles-lettres, des humanités » tandis que, la même année, la Revue des deux mondes lui donne le sens de « mouvement intellectuel européen des xve et xvie siècles qui préconisait un retour aux sources antiques par opposition à la scolastique [la tradition universitaire médiévale, méprisée pour son dogmatisme] ». La plupart des ouvrages de vulgarisation ne retiennent aujourd’hui que cette approche du terme.
À la fin du xixe siècle, le développement de la pressecontribue à ce que le concept d’humanité n’interpelle plus seulement les intellectuels mais un nombre croissant d’individus. Les journaux rendant compte aussi bien des théories darwiniennes que d’événements survenant dans le monde entier, le sens du mot « humanisme » se trouve progressivement mais profondément infléchi dans une visée historiciste et matérialiste. En 1882, le supplément du Littré donne au mot une double acception : « 1) la culture des humanités ; 2) une théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même ».
Au début du xxe siècle, le mot « humanité » entre dans le langage courant (en 1904, Jean Jaurèsfonde le journal L’Humanité), le mot « humanisme » se répand également, associé non plus à une théorie débattue par quelques philosophes mais à un sentiment diffus.
En 1939, dans la lignée du saint-simonisme, l’ingénieur français Jean Coutrot invente le terme « transhumanisme » pour promouvoir une économie rationnelle de l’économie14. Ce mot sera brièvement repris à la fin des années 1950 et son usage ne se généralisera qu’à la fin du xxe siècle.
Le terme « antihumanisme » apparaît en 1936 dans un ouvrage du philosophe Jacques Maritainpour désigner les penseurs qui, durant la seconde moitié du xixe siècle et au début du xxe, ont radicalement remis en question la validité du concept d’humanisme (principalement Marx, Nietzsche et Freud)15. Et quand, peu après, les philosophes Sartre et Heideggerdébattent eux aussi de la pertinence du concept, un grand nombre d’intellectuels – aussi bien chrétiensqu’athées – se réclament de l’humanisme (lire infra), ce qui contribue à rendre le concept assez flou.
En 1957, Julian Huxley, biologiste et théoricien de l’eugénismeanglais, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme ». Il définit le « transhumain » comme un « homme qui reste un homme, mais qui se transcende lui-même en déployant de nouvelles possibilités pour sa nature humaine »16. Le concept du « transhumanisme » sera repris dans les années 1980 par plusieurs techniciens de la Silicon Valley pour prôner un nouveau type d’humanité, où la technique serait utilisée non seulement pour remédier aux maladies (médecine) mais pour doter l’homme de capacités dont la nature ne l’a pas pourvues (concept d’ homme augmenté). Par son caractère technophile, le transhumanisme est une philosophie ouvertement optimiste.
En 1980, l’écrivain suisse Freddy Klopfenstein invente le mot « humanitude »17. En 1987, le généticien Albert Jacquard le reprend et le définit comme étant « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être, et qu’ils peuvent se faire encore en un enrichissement sans limites »18.
En 1999, Francis Fukuyama et Peter Sloterdijk développent les concepts « post-humanité » et « post-humanisme » (qui, comme « transhumanisme », renvoie à l’idée que, du fait de la prolifération des « technologies », les concepts d’humanisme et d’homme ne sont plus pertinents), mais cette fois pour s’en inquiéter19,20,21.
Au xxie siècle, les néologismes« transhumanisme » et « post-humanisme » restent peu usités dans le langage courant. En revanche, bien que peu d’intellectuels s’en réclament, le concept d’humanisme donne lieu à de nombreuses publications (lire infra), le succès du mot croît en proportion avec celui des actions d’aide humanitaire. Il inonde la sphère politique, au point d’être revendiqué dans des milieux idéologiquement opposés, aussi bien par des grands chefs d’entreprises s’affichant chrétiens22que par des opposants au système capitaliste se réclamant de l’athéisme23.
À tel point que le terme est aujourd’hui un mot fourre-tout : on trouve ainsi des auteurs pour avancer que Sylvester Stallone(acteur hollywoodien et adepte du body building) est un humaniste24. Le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe va même jusqu’à argumenter que « le nazisme est un humanisme »25. Dans ce contexte de dilution de sens du mot, et dans le but de réactualiser celui-ci, quelques intellectuels tentent d’imposer des néologismes. En 2001, Michel Serres utilise le mot « hominescence »26, « pour désigner ce que vit l’humanité depuis la seconde moitié du xxe siècle : un changement majeur dans notre rapport au temps et à la mort »27. Et en 2016, le prospectiviste français Joël de Rosnay prédit l’émergence d’un hyperhumanisme, « bien préférable selon lui au cauchemar transhumaniste »28.
Les origines de l’humanisme
Considérés comme les premiers propagateurs de la pensée humaniste, les philosophes de la Renaissance (Dante, Pétrarque… puis Marsile Ficin, Pic de la Mirandole et plus tard Montaigne) n’en sont pas pour autant les initiateurs car ils se sont systématiquement référé aux penseurs grecs et romains et n’ont eu de cesse d’en faire l’éloge. Et bien qu’ayant ostensiblement tourné le dos à la pensée scolastiqueérigée par l’Église, ils n’ont jamais renié leur foi chrétienne. C’est pourquoi l’on peut considérer que « la matrice de l’humanisme occidental est double, comme s'(il) avait été enfanté simultanément dans deux ventres » : il y a d’une part l’Antiquité classique, d’autre part le judéo-christianisme29.
Symbole du judaïsme, l’étoile de David, est composée de deux triangles superposés, l’un pointé vers le haut, l’autre vers le bas, évoquant respectivement l’aspiration de l’homme vers Dieu et l’amour de Dieu pour l’homme.
La religion juive trouve son origine au viiie siècle av. J.-C. avec le début de la rédaction du Livre de la Genèse (qui se poursuit jusqu’au iiesiècle av. J.-C.), qui est un récit des originesmythique commençant par celui de la création du monde par Dieu, et par un autre, qui relate la création du premier couple humain, Adam et Ève. Ce récit confère à l’être humain un rôle explicitement supérieur par rapport aux autres espèces, principalement du fait des capacités de sa conscience et du degré de complexité de son langage. L’épisode de l’arbre de la connaissance du bien et du malattribue aux humains une prérogative, la réflexion éthique, et confère à celle-ci une explication précise : l’homme et la femme vivaient dans le jardin d’Éden et Dieu leur avait formellement défendu de manger les fruits de cet arbre ; c’est parce qu’ils lui ont désobéi qu’est née l’humanité et que celle-ci s’est retrouvée de facto empêtrée dans un ensemble de contradictions, qu’elle a ressentie alors comme une imperfection fondamentale : le péché. Selon le judaïsme, donc, la conscience (d’être humain) résulte fondamentalement d’une transgression de la loi divine : la Chute.
Abdennour Bidar fait remarquer qu’il est « apparemment contradictoire » de présenter le monothéismecomme matrice de l’humanisme : « A priori, le principe même du monothéisme semble incompatible avec l’exaltation de l’homme qui fonde tout humanisme ; s’il y a un seul Dieu, il concentre nécessairement en lui-même toutes les qualités, toutes les perfections… et il ne reste pour l’homme que les miettes d’être, des résidus de capacités sans commune mesure avec leur concentration et leur intensité dans le Dieu. Trop de grandeur accordée à Dieu, toute la puissance et la sagesse concentrées en (lui), n’écrasent-ils pas radicalement et définitivement l’être humain ? »30.
Le philosophe Shmuel Triganosouligne à son tour la contradiction : « Comment une croyance focalisée sur un être suprême et unique pourrait-elle s’ouvrir à la reconnaissance d’un autre être, en l’occurrence l’homme ? C’est en posant cette question, en apparence insoluble (…) que l’on a dénié, le plus souvent, toute capacité au monothéisme d’être aussi un humanisme, d’engendrer un monde fait pour l’homme ». Trigano répond alors lui-même à cette question, en se livrant à une analyse du mythebiblique de la création, tel que formulé dans le Livre de la Genèse : « Ce que l’on comprend dans le récit de la création en six jours, (c’est que) le Dieu créateur s’arrête de créer le sixième jour, le jour précisément où il crée l’homme, comme si s’ouvraient alors le temps et l’espace de l’homme, d’où la divinité se serait retirée. (…) Que peut alors signifier cette création qui s’arrête au moment où l’homme est créé ? Que l’homme est l’apothéose de cette création, certes (…) mais aussi que le monde reste inachevé dès le moment où l’homme y apparaît (…). Il y a (donc) l’idée que la création est désormais autant dans les mains de l’homme que (dans celles) du dieu créateur »31.
S’appuyant sur les travaux de C. G. Jung (Réponse à Job(en), 195232), Bidar estime que le texte qui lui paraît le plus significatif de l’orientation humaniste du monothéisme juif est le Livre de Job, au cours duquel un humain (Job) tient tête à Dieu lors d’un long dialogue avec lui et parvient, ce faisant, à ce que Dieu lui-même se métamorphose en devenant plus aimant à l’égard de l’homme »33.
Le christianisme
Bidar avance l’idée qu’avec le christianisme, Dieu lui-même devient « humaniste » : « le Dieu s’humanise en un double sens : il devient homme en s’incarnant, humain en se sacrifiant, comme une mère le fera avec son enfant (…). Dans quelle autre religion le dieu se sacrifie-t-il pour l’homme ? »34.
Mais que disent les sources elles-mêmes ? À ses disciples qui lui demandent de formuler clairement son message, Jésus de Nazarethrépond : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même »35. Mais quand, peu avant, il leur recommande de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César »36, il les invite au contraire à séparer le registre divin et le registre des humains. De même, quand Paul de Tarse, fondateur historique du christianisme, exhorte : « ne vous conformez pas au siècle présent »37, il entend que le chrétien doit s’immerger dans le monde sans jamais en partager les valeurs. Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église combattront ceux qui remettront en cause, par delà « le mystère de l’incarnation », ce que celui-ci recouvre, le caractère indissociable des commandements : aimer Dieu, aimer son prochain, s’aimer soi-même.
Les rapports entre christianisme et humanisme sont complexes du fait de la diversité des interprétations de la formule « aimer son prochain ». De la Renaissance au xxe siècle, bon nombre de penseurs ont été classés « humanistes » et « chrétiens »38, ce qui pose la question : « le christianisme est-il un humanisme ? »39. À cette question, ceux qui – peu ou prou – assimilent « le prochain » (personne concrète) et « les humains » (entité abstraite) ont tendance à répondre par l’affirmative40 ; ceux qui, au contraire, tiennent à établir une différence répondent négativement41, allant jusqu’à reprocher à leurs adversaires de transformer le christianisme « en un lénifiant humanisme philanthropique », « de la soupe compassionnelle », du « bon sentiment dégoulinant d’empathie »42. En 1919, le philosophe Max Scheler qualifiait quant à lui l’« humanisme chrétien » d’humanitarisme : « L’humanitarisme remplace, « le prochain » et « l’individu » (qui seuls expriment vraiment la personnalité profonde de l’homme) par « l’humanité » (…). Il est significatif que la langue chrétienne ignore l’amour de l’humanité. Sa notion fondamentale est l’amour du prochain. L’humanitarisme moderne ne vise directement ni la personne ni certains actes spirituels déterminés (…), ni même cet être visible qu’est « le prochain » ; il ne vise que la somme des individus humains »43.
Le théologien protestant Jacques Ellul interprète ce clivage entre pro- et anti-humanistes en milieu chrétien comme la conséquence d’un événement survenu au début du ive siècle. Jusqu’alors, l’Empire romain faisait preuve de tolérance à l’égard de toutes les positions religieuses, sauf précisément envers les chrétiens, qu’il persécutait (du fait que, fidèles à l’enseignement du Christ, ceux-ci ne voulaient pas prêter allégeance à l’empereur). Mais en 313, l’empereur Constantins’est converti au christianisme (édit de Milan) pour affirmer son autorité dans le domaine religieux (césaropapisme) : dès lors qu’il a demandé aux évêques de devenir ses fonctionnaires et que ceux-ci y ont consenti, le christianisme est devenu une religion d’État et s’est retrouvé subverti par lui44,45. L’humanisme de la Renaissance ne s’oppose donc pas au christianisme mais il résulte de la politisation de celui-ci ; laquelle provoque à son tour la division des chrétiens entre les « pro-humanistes », qui acceptent l’immixtion de l’Église dans les affaires temporelles (ou simplement le fait qu’elle émette des avis à leur sujet) et les « anti-humanistes », qui refusent cette intrication.
L’Antiquité grecque
S’appuyant sur les travaux de Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant46, A. Bidar, estime qu’Homère constitue au viiie siècle av. J.-C. la première grande figure de l’humanisme antique, son personnage d’Ulysse« symbolisant le mieux l’intelligence en mouvement, l’infinie capacité d’adaptation »47. Mais, comme la plupart des commentateurs, il situe au ve siècle av. J.-C. l’acte de naissance de l’humanisme grec, citant les trois grands auteurs tragiques de l’époque, Eschyle, Sophocle et Euripide, qui « célèbrent la grandeur de l’homme dans l’impuissance comme dans la puissance »48.
Une idée répandue tend à faire du sophiste Protagoras le principal initiateur de l’humanisme grec, en raison d’une de ses citations désormais célèbre : « L’homme est la mesure de toute chose ». L’historien de l’art Thomas Golsenne relativise toutefois la portée de celle-ci, faisant valoir d’une part qu’on ne la connaît que par Platon ; d’autre part que, contrairement à ce que bon nombre de manuels scolaires laissent entendre, « les têtes pensantes de la Renaissance n’y font pas référence »49.
Bidar s’attarde surtout sur Socrate, dont la pensée est centrée sur l’être humain, à la différence de celle des penseurs présocratiques qui, eux, se focalisaient sur la nature. N’ayant laissé aucune trace écrite, Socrate est essentiellement connu par Platon, son principal disciple. Il prend pour sienne la sentence écrite sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes « Connais-toi toi-même » ; formule se référant non pas à l’introspection mais avec la place de l’homme dans la cité et dans la nature. Il exerce une influence majeure du fait qu’il use d’une méthode basée sur l’argumentation : il pratique la maïeutique (ou « art d’accoucher ») en interrogeant ses interlocuteurs de sorte qu’au fil du dialogue ceux-ci prennent conscience des motivations de leurs propos, quitte entre-temps à les faire changer d’avis. De la sorte, il démontre la puissance de la raison(logos), sans avoir à recourir aux artifices de la rhétorique à l’inverse des sophistes.
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinciet ceux de Michel-Ange.
Dans sa théorie des Idées, Platon affirme que les concepts et notionsexistent réellement, sont immuables et universels et constituent les « modèles » des choses, qui sont perçues par les sens. La philosophie dépendant en tout premier lieu de présupposés psychologiques50, en postulant que les idées « existent réellement », Platon projette son propre intellect dans un univers transcendant : son idéalisme revient à considérer qu’en concevant les idées, les humains peuvent ne pas se laisser impressionner par le monde sensible et, en revanche, être à même de le comprendre. Ce qu’il entend par « idées » préfigure ce que les modernes entendront plus tard par « raison »51. Au xxe siècle, Martin Heideggeravancera qu’en considérant l’entendement comme « le lieu de la vérité », Platon est un humaniste avant la lettre52.
Élève de Platon, Aristote rompt avec son enseignement. Alors que son maître ne considère le monde sensible qu’avec une certaine condescendance, lui manifeste une soif de tout apprendre, d’où son éclectisme : il aborde en effet presque tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique et même, de façon ponctuelle l’économie.
L’opposition entre l’idéalisme de Platon et le réalisme d’Aristote s’accentue à la charnière des ive et iiie siècles av. J.-C. avec l’apparition de deux mouvements de pensée qui marqueront – eux aussi – les humanistes de la Renaissance et que l’on appellera plus tard l’épicurisme et le stoïcisme :
« Il semble qu’après Platon, et dès Arisote, la philosophie a eu du mal à continuer à parler des capacités métaphysiques de l’homme. (…) L’humanisme antique serait passé d’une enfance métaphysique et de ses rêves d’immortalité à une maturité stoïcienne et épicurienne, où l’on ne tente plus vainement de penser (…) au delà de la mort mais où on s’efforce bien plus modestement de vivre cette vie de façon plus accomplie. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.125.
Tous comme les penseurs grecs, leurs successeurs romains dégagent une vision de l’homme à deux volets, l’une idéaliste, axée sur la valorisation des vertus, l’autre réaliste, qui souligne les caractères communs, voire triviaux, des individus. Comme en Grèce, le théâtre autant que la philosophie expriment cette dualité. Mais alors que la comédie grecque antique est moins connue que la tragédie, les auteurs comiques romains vont marquer sensiblement les penseurs de la fin de Renaissance. Plaute (à la charnière du iiie et du iie siècle av. J.-C.) et surtout Terencey excellent. Le second, à qui l’on doit la citation « rien de ce qui est humain ne m’est étranger », influencera profondément la comédie humaniste au xvie siècle.
Actif au ier siècle av. J.-C., Cicéronsera admiré par les humanistes de la Renaissance, non seulement car il incarne à lui seul un grand nombre de vertus (dignité, sens de la chose publique et de l’intérêt général) mais aussi parce que, grâce à sa ténacité et ses talents d’élocution, il les concrétise dans la vie politique. Bien que n’appartenant pas à la noblesse et alors que rien ne le destinait par conséquent à la vie politique, il est parvenu à exercer la magistrature suprême durant cinq ans tout en se montrant réceptif aux grands philosophes grecs. On lui doit d’avoir forgé le terme humanitas et de l’avoir associé à l’idée de culture53.
De même, un certain nombre de poètes de cette époque ont valeur de modèles, notamment Virgile et Ovide : le premier, dans L’Énéide, raconte comment, à partir de presque rien, Rome s’est élevée jusqu’à devenir un empire; le second, dans les Métamorphosesinvite le lecteur à s’inscrire dans l’Histoire, depuis la création du monde jusqu’à sa propre époque.
Les humanistes de la Renaissance seront marqués par l’aptitude des penseurs romains à approcher l’histoire non seulement par le biais de la fiction mais également de façon détachée, comme Tite-Live, auteur de la monumentale Histoire romaine, et plus tard Tacite. Ils prennent également pour modèles les philosophes s’attachant à développer leur réflexion sur l’homme lui-même et sa façon d’appréhender le monde et lui-même. D’une part les stoïciens des ier et iie siècles, Sénèque, Épictèteou Marc Aurèle mais aussi les héritiers de Platon : Plutarque, au ier siècle, et surtout le néo-platonicienPlotin, au iiie.
Dernier legs de l’antiquité romaine à l’Occident médiéval et moderne, et non le moindre : le sens de l’exégèse. Au début du vie siècle, alors que la chrétienté se structure, Boèce traduit Platon et Aristote en latin avec la volonté affirmée de les réactualiser. Oubliés près sa mort, ses textes seront redécouverts à la fin du viiie siècle.
Le Moyen Âge
Plus de mille ans séparent l’Antiquité de sa « renaissance », plus précisément le moment où le christianisme devient officiellement la religion de l’Orient et de l’Occident, au iiie siècle, et celui où les premiers « intellectuels » expriment l’intention de se dégager explicitement de son emprise (Discours de la dignité de l’homme, Pic de la Mirandole, 1486).
L’historienne Laure Verdon invite toutefois à rejeter l’idée reçue selon laquelle toute la phase intermédiaire, le Moyen Âge, serait une période « obscure » :
« Le terme « humanisme » renvoie, dans la pensée commune, à une culture, celle des hommes du xvie siècle, culture qui s’opposerait dans ses fondements mêmes et son esprit, à la culture du Moyen-Âge. C’est là l’un des éléments qui ont contribué à forger l’image sombre de la période médiévale. Cette définition est à la fois restrictive et manichéenne. L’humanisme est autant qu’une culture, une pratique politique et une façon de concevoir le gouvernement qui privilégie le rôle des conseillers lettrés auprès du prince et s’oppose au mode ancien du pouvoir. En ce sens, le premier humanisme politique est pleinement médiéval, conséquence logique de l’évolution des structures de l’Étatau xvie siècle54. »
De surcroît, durant toute cette période, de nombreux docteurs et hommes d’église se montrent extrêmement ouverts aux sciences et à la philosophie. Tels par exemple Gerbert d’Aurillac (élu pape autour de l’an mille mais qui était également un mathématicien et un érudit, connaissant Virgile, Cicéronet Boèce ainsi que les traductions latines d’Aristote) et Albert le Grand(actif au xiiie siècle, frère dominicain, philosophe et théologien mais aussi naturaliste et chimiste).
Saint Augustin, imaginé vers 1480 par le peintre florentin Sandro Botticelli.
On mentionnera ici deux personnalités parmi les plus influentes, ayant vécu l’une au tout début de cette longue période, à la charnière du ive et ve siècles, donc peu avant la chute de l’Empire romain : Augustin d’Hippone ; l’autre tout à la fin : Thomas d’Aquin, disciple d’Albert Le Grand, au xiiie siècle.
S’opposant au moine Pélage, qui considère que tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces et son libre arbitre, Augustin(354-430) valorise le rôle de la grâce divine. Toutefois, comme Ambroise de Milan, il intègre au christianisme une partie de l’héritage gréco-romain, le néoplatonismeainsi qu’une part substantielle de la tradition de la République romaine. La postérité conserve de lui l’image d’un homme érudit55,56 et s’adressant à toutes les époques, aussi bien à Dante, Pétrarque, Thomas d’Aquin, Luther, Pascal et Kierkegaard… qu’à Heidegger, Arendt, Joyce, Camus, Derrida ou Lyotard (qui, tous, le commenteront)57, cette audience étant due en grande partie au succès de ses Confessions, une longue et rigoureuse autobiographie, l’un des premiers ouvrages du genre.
Durant les huit siècles qui séparent Augustin de Thomas, l’Église se métamorphose au point que l’on ne peut comprendre les débats d’idées qui les jalonnent qu’à la lumière de l’évolution du contexte historique. Après la fin de l’Empire romain, en 476, l’Église s’avère la seule puissance capable d’affronter la « barbarie » et de structurer l’Europe. À la fin du vie siècle, le pape Grégoire le Grand administre les propriétés foncières de l’Église, celle-ci exerce un véritable pouvoir temporel, la quasi totalité des souverains lui prêtant allégeance. L’Europe tout entière est évangélisée, l’unité religieuse est atteinte au viie siècle mais prend fin au xie siècle avec la séparation de l’Église d’Occident et celle d’Orient. La terre constituant la principale source de revenu, l’Église d’Occident, dirigée depuis Rome, devient extrêmement riche, son pouvoir est marqué par la construction d’un grand nombre d’édifices (églises puis cathédrales…) et le financement de croisades visant à libérer Jérusalem de l’emprise des Turcs. Stimulée au xie siècle par la réforme grégorienneet l’émergence d’une classe d’intellectuels manifestant un certain intérêt pour la culture antique (notamment l’École de Chartres), la chrétienté vit, au siècle suivant, une profonde mutation de ses structures culturelles marquée par une intense activité de traduction des auteurs arabes et grecs (par l’intermédiaire des traducteurs arabes). Se développe alors la scolastique, un courant de pensée visant peu à peu à concilier la philosophie grecque avec la théologie chrétienne.
Au début du xiiie siècle, l’Église est une vaste organisation supranationale, influençant sensiblement les élections impériales et fixant le code de conduite de tous les Européens (sauf les Juifs), allant jusqu’à condamner pour hérésie ceux qui contestent son autorité et instituant l’inquisition pour conduire les plus radicaux au supplice et à la mort.
Également pour assurer son impact sur les consciences, et alors que sont traduits de l’arabe les commentaires d’Aristote par Averroès, l’Église crée l’Université de Paris. Sous l’impulsion d’Albert le Grand, celle-ci devient dans les années 1240 un véritable foyer de la pensée d’Aristote. Les débats portent sur une question sensible : « comment articuler la raison et la foi ? ». Suivant la ligne d’Averroès, Siger de Brabant prône pour la suprématie totale de la première sur la seconde. À l’opposé, Thomas d’Aquin (1224-1274) opère une synthèse magistrale entre aristotélisme et augustinisme, entre sciences, philosophie et théologie (Somme contre les Gentils, vers 1260). En le canonisant, cinquante ans après sa mort, l’Église lèvera le tabou sur Aristote, laissant alors le champ libre à ceux qui, pleinement conscients de participer à l’émergence d’un monde nouveau, guidé par la raison, seront rapidement et unanimement désignés d’humanistes. Certains considèrent donc que Thomas d’Aquin en est le précurseur direct58,59 :
« C’est parce qu’il est par excellence un philosophe de l’existence que Saint Thomas est un penseur incomparablement humain et le philosophe par excellence de l’humanisme chrétien. L’humain est en effet caché dans l’existence. A mesure qu’il se dégageait des influence platonicienne, le Moyen-âge chrétien a de mieux en mieux compris qu’un homme n’est pas une idée, c’est une personne (…). L’homme est au cœur de l’existence. »
— Jacques Maritain, L’humanisme de Saint-Thomas, 1941
Maritain oppose toutefois radicalement le mouvement de la scolastique, qu’il appelle humanisme médiéval, et l’humanisme de la Renaissance, qu’il qualifie de classique, en considérant que le premier de théocentrique et le second d’anthropocentrique. Et il avance que cette inversion a des conséquences tragiques, « la personne humaine, rompant ses attaches de créature dépendant essentiellement de son créateur, est livrée à ses propres caprices et aux forces inférieures »60,61.
L’humanisme en tant que phénomène historique s’étend sur trois siècles. Appelée « Renaissance », cette période est celle de profonds bouleversements politiques et culturels. Alors que les humanistes de la première génération sont essentiellement des lettrés traduisant les textes de l’Antiquité gréco-romaine, ceux des générations suivantes sont « modernes », qui s’intéressent aux questions profanes et d’actualité (quand l’Europe découvre et explore les autres continents ou que l’irruption de la Réforme divise les populations) et qui se servent de l’invention de l’imprimerie pour diffuser leurs idées.
Alors qu’une crise de légitimité affecte l’Église, chassée de la Terre sainte par les Ottomans, l’Europe occidentale vit de grands bouleversements économiques et politiques. À la suite de la forte poussée démographique survenue au siècle précédent ainsi qu’à plusieurs années de mauvaises récoltes puis une épidémie de pestequi élimine un tiers de sa population, l’économie est restructurée. La société s’urbanise (plusieurs villes comptent désormais plus de 40000 habitants) et les premières compagnies internationales éclosent, appliquant de nouvelles techniques financières. Les banquiers lombards, qui – dès les années 1250 – avaient institué la pratique du prêt bancaire contre intérêt, implantent des bureaux en Champagne, en Lorraine, en Rhénanie et en Flandre. Leurs débiteurs sont des rois, des seigneurs et des commerçants soucieux de mener à bien différents projets. Ce passage d’une économie féodale au commerce de l’argent (capitalisme) marque la fin du Moyen Âge et l’éclosion des Étatsmodernes62.
Une nouvelle classe sociale apparaît, celle qui pilote la nouvelle économie et en tire directement profit : la bourgeoisie. À la fin du siècle, elle bénéficiera du fait que l’Église est ébranlée par un schismepour imposer ses propres valeurs. Alors qu’auparavant le monde d’ici-bas était associé à l’image de la Chute, il va peu à peu être étudié de façon objective et distanciée.
Les premiers foyers d’humanisme se manifestent dans les cités d’Italie, notamment en Toscane et tout spécialement la ville de Florence. Les hommes de lettres s’expriment non plus en latin mais dans les langues vernaculaires, » pour exprimer des sentiments spécifiquement humains (qui ne se réfèrent aucunement à une transcendance divine). Le premier à utiliser le toscan comme langue littéraire est Dante Alighieri. Composée tout au début du siècle, sa Divine Comédie raconte un voyage à travers les trois règnes supraterrestres imaginés par la chrétienté (enfer, purgatoire et paradis). Tout en recouvrant différentes caractéristiques de la littérature médiévale, l’œuvre innove par le fait qu’elle tend vers « une représentation dramatique de la réalité »63. Deux décennies plus tard, Dante est imité par deux autres poètes. Pétrarque, dont le Canzoniere (chansonnier) composé à partir de 1336 est essentiellement consacré à l’amour courtois et qui aura par la suite un vaste retentissement. Et son ami Boccace, auteur du Décaméron, rédigé entre 1349 et 1353. Tous deux touchent à de nombreux genres (conte, histoire, philosophie, biographie, géographie…).
De même, à la fin du siècle en Angleterre, Geoffrey Chaucer écrit-il dans sa langue les Contes de Canterbury. L’histoire est celle d’un groupe de pèlerins cheminant vers Canterbury pour visiter le sanctuaire de Thomas Becket. Chacun d’eux est typé, représentant un échantillon de la société anglaise.
L’humanisme s’exprime également à travers les arts visuels. Succédant aux « artisans » (anonymes au service exclusif de l’Église), les « artistes » acquièrent une certaine renommée en mettant au point des techniques permettant de conférer à leurs œuvres un certain degré de réalisme. Les premiers d’entre eux sont le siennois Duccio et surtout le florentin Giotto64, dont l’esthétique rompt radicalement avec les traditions, que ce soit celle de l’art byzantin ou celle du gothique international, marquée en effet par une volonté très prononcé d’exprimer la tridimensionnalité de l’existence. Derrière les personnages, placés au premier plan, Giotto dresse des décors naturels (arbres et enrochements) qui tranchent avec le traditionnel fond doré. Il utilise la technique du modelé pour traiter le drapé des vêtements tandis que les visages (y compris ceux des personnages secondaires) sont particulièrement expressifs. Du fait de leur réalisme, ces œuvres exercent immédiatement une influence considérable. À noter aussi, peint à Padoue vers 1306, le cycle des vices et vertus (envie, infidélité, vanité… tempérance, prudence, justice…).
Élève de Duccio, Ambrogio Lorenzetti est l’auteur des fresques des Effets du bon et du mauvais gouvernement. Réalisées à partir de 1338 sur trois murs d’une salle du Palazzo Pubblico de Sienne, elles sont connues comme étant à la fois l’une des premières peintures de paysage (certains bâtiments de Sienne sont reconnaissables) et comme allégorie politique65. Et dans l’Annonciation qu’il peint en 1344, il innove en utilisant la méthode de la perspective de façon certes partielle (tracé du dallage figurant sous les pieds des deux personnages) mais rigoureuse (par l’emploi du point de fuite).
Une pensée inscrite dans la cité
À Florence, les initiatives de Pétrarque et Boccace sont encouragées en haut lieu. Notamment par Coluccio Salutati, chancelier de la République de 1375 à 1406, connu pour ses qualités d’orateur et lui-même écrivain, qui défend les studia humanitatis. Ayant créé la première chaire d’enseignement du grec à Florence, il invite le savant byzantin Manuel Chrysoloras de 1397 à 1400. Les occidentaux parlant ou lisant peu le grec, de nombreuses œuvres grecques antiques étant par ailleurs indisponibles dans la traduction latine, un auteur tel qu’Aristoten’était accessible aux intellectuels du xiiie siècle qu’au travers de traductions en arabe. « Éclairé par une foi inébranlable dans la capacité des hommes à construire rationnellement un bonheur collectif, son attachement à la culture ancienne, à la tradition chrétienne, au droit romain, au patrimoine littéraire florentin, dévoile une ardeur de transmettre, une volonté inquiète de conserver l’intégrité d’un héritage. Inlassable défenseur d’une haute conception de la culture, Salutati la juge (…) indissociable d’une certaine vision de la république »66.
Critique de l’Église
À la fin du siècle s’esquisse un souci de repenser le rapport à la théologie et à l’Église elle-même. Ainsi, de 1376 à sa mort, en 1384, le théologien anglais John Wyclifprêche en faveur d’une réforme générale et préconise la suprématie de l’autorité de la sainteté face à l’autorité de fait. Rejetant l’autorité spirituelle de l’Église institutionnelle, il ne reconnaît pour seule source de la Révélation que la Sainte Écriture (De veritate sacrae Scripturae, 1378).
xve siècle
Dans les mentalités, la référence aux Écritures reste centrale et jamais remise en question. Toutefois la perte d’autorité de la papauté sur un certain nombre de souverains se confirme et s’accentue, accélérée par une crise interne (de 1409 à 1416, la chrétienté ne compte plus seulement deux papes mais trois). Du début du siècle – quand elle envoie sur le bûcher Jean Hus, qui dénonçait le commerce des indulgences – jusqu’à son terme – quand elle fait cette fois brûler Savonarole, qui fustigeait la vie dissolue du pape – l’Église se campe dans une posture dogmatique au sein d’une société qui, elle, est en pleine mutation, du fait de l’éclosion des États-nations. Entre-temps, la prise de Constantinople par les Ottomans(1453) la contraint d’admettre que son influence ne dépasse plus l’Europe.
En revanche se confirme la montée en puissance de la grande bourgeoisie commerçante. Élevée dans les studia humanitatis, elle manifeste un intérêt croissant pour les choses matérielles, que ce soit celles relatives à la vie privée ou celles concernant la gouvernance de la cité ou le négoce avec l’étranger. Dès les années 1420, dans les régions d’Europe les plus avancées au plan économique – la Toscane et la Flandre67 – l’art pictural évolue dans le sens d’un réalisme qui témoigne de l’évolution des élites vers le pragmatisme et le volontarisme, ceci jusque par delà les frontières : la découverte du monde par voie marine s’amorce en 1418 avec la côte occidentale africaine et se poursuit en 1492 avec l’Amérique. Cet esprit de conquête ne se limite pas aux territoires, il vise également les consciences : peu après 1450, Gutenberg met au point la technique de l’imprimerie, qui permettra par la suite de réaliser le rêve des humanistes : diffuser largement les connaissances.
L’historien de l’artAndré Chastelestime que, contrairement à une idée reçue, l’étude des textes anciens par les érudits de l’époque ne traduit pas « un refroidissement progressif du sentiment religieux » mais qu’il existe « entre les notions de profane et de sacré un va-et-vient parfois déconcertant »68. S’appuyant sur les travaux d’Erwin Panofsky69, il insiste sur le fait que cette étude des textes anciens comme celle des ruines antiques à Rome par l’architecte Brunelleschi et le sculpteur Donatello naissent du processus d’autonomisation de la raison par rapport au sentiment religieux et qu’en retour ces recherches contribuent à accroître ce processus. Et il souligne que ce que l’on appelle « humanisme » ne se traduit pas seulement par un renouveau de la pensée philosophique mais tout autant par l’émergence, durant les années 1420, d’une esthétique nouvelle, caractérisée par une activation de la raison et de l’observation visuelle. Ceci de deux façons distinctes : à Florence, Brunelleschi, Donatello et le peintre Masaccio mettent au point le procédé de la perspective, basé sur l’invention du point de fuite et par lequel ils parviennent à rendre leurs représentations de plus en plus cohérentes au plan visuel ; dans les Flandres, Robert Campin, exprime cette volonté de réalisme par un souci de restitution du moindre détail, renforcé chez Jan Van Eyck par l’utilisation d’un médium nouveau, la peinture à l’huile. Chez ces deux peintres, les représentations à contenu religieux sont de surcroît peuplées de personnages, décors et objets contemporains.
Une éthique nouvelle
Dans les Flandres comme en Italie, ce que l’on appelle « humanisme » s’apparente à une véritable éthiquedes nouvelles élites dirigeantes. À Bruges, le portrait du marchand italien Arnolfini et de son épouse par Van Eyck (peint en 1434) symbolise le processus de sécularisation de la société qui s’amorce alors, les nouvelles formes de la vie publiques’appuyant sur la mise en scène de la vie privée de la riche bourgeoisie. À Florence, le De familia de Leon Battista Alberti (publié vers 1435) traite de l’éducation des enfants, de l’amitié, de l’amour et du mariage, de l’administration des richesses et du « bon usage » de l’âme, du corps et du temps. Et le Della vita civile du diplomate Matteo Palmieri (publié vers 1439) prescrit les règles de l’éducation des enfants tout autant que les vertus du citoyen : l’homme y est décrit comme à un être à la fois réfléchi (méditant le rapport entre l’utile et l’honorable) et social(mettant en balance les intérêts individuels et l’intérêt général), ceci en dehors de toute référence religieuse.
Une école de pensée
L’humanisme s’inscrit dans la vie politique en 1434 à Florence quand Cosme de Médicis, un banquier parcourant l’Europe pour inspecter ses filiales, est nommé à la tête de la ville et devient le premier grand mécène privé de l’art (rôle qui était jusqu’alors le privilège de l’Église). Il fait peindre les fresques du couvent San Marco par Fra Angelico et, ayant entendu en 1438 les conférences du philosophe platonicien Gemiste Pléthon, il conçoit l’idée de faire revivre une académie platonicienne dans la ville, qui sera finalement fondée en 1459. Les philosophes Marsile Ficinpuis Jean Pic de la Mirandole et Ange Politien en sont les chevilles ouvrières. Reprenant l’idée selon laquelle le Beau est identique à l’Idée suprême, qui est aussi le Bien, Ficin fond le dogme chrétien dans la pensée platonicienne, contribuant à abolir la limite entre profane et sacré.
À la fin du siècle dans les cours italiennes, la technique de la perspective est totalement maîtrisée. La peinture tend alors parfois à n’être plus qu’un simple agrément : en fonction des commandes qu’il reçoit, un artiste tel que Botticelli peint aussi bien une Annonciation que la naissance de Vénus ou la célébration du printemps. Les thèmes traités importent moins que l’effet visuel produit par la virtuosité. Et quand certains artistes recourent à celle-ci pour représenter une « cité idéale », on n’y voit étrangement aucun personnage : institué en académisme, l’art donne alors l’image d’un humanisme d’où l’homme est absent.
Au plan artistique, au début du siècle, les productions des Italiens Léonard de Vinci (portrait de La Joconde, 1503-1506) et Michel Ange (Plafond de la chapelle Sixtine, entre 1508 et 1512) correspondent à l’apogée du mouvement de la Renaissance en même temps qu’elles en marquent le terme. Celui-ci s’épuise en académismes ou au contraire cède la place à des pratiques revendiquant la rupture avec l’imitation de la nature, telle qu’Alberti la préconisait, pour au contraire mettre en valeur la subjectivité de l’artiste. Entre 1520 et 1580, le maniérisme constitue la principale entorse à cette règle.
Aux plans politique et religieux, l’époque est principalement marquée par la Réforme protestante, impulsée en 1517 par l’Allemand Luther puis en 1537 par le Suisse Calvin, ainsi que par les meurtrières guerres de religions qui en résultent et qui vont diviser la France entre les années 1520 et l’édit de Nantes, en 1598.
Au plan scientifique, la principale découverte est l’œuvre de l’astronome Copernic qui publie en 1543 (quelques jours avant sa mort) une thèse qu’il a commencé à élaborer trente ans plus tôt selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, ainsi qu’il était admis quasi exclusivement en occident.
Aux plan économique et culturel, les échanges marchands s’intensifient au sein de l’Europe et s’amorcent entre l’Europe et le reste de la planète. L’imprimerie permet également aux idées de circuler toujours plus. Ces deux facteurs contribuent à ce que l’humanisme n’est plus tant une tournure d’esprit qu’il faudrait préférer à une autre (comme, lors du siècle précédent, on contestait la scolastique) qu’une conception du monde à part entière, qui tend à se généraliser dans les esprits et d’orientation matérialiste. Et lorsque les Espagnols, en quête d’or et d’autres minerais, entreprennent de coloniser l’Amérique du Sud, c’est au nom des valeurs humanistes, en enjoignant les populations locales d’accepter la prédication de la religion chrétienne70.
Au début du siècle, Nicolas Machiavel, un fonctionnaire de la république de Florence, effectue plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de la papauté et du roi de France. Il observe alors les mécanismes du pouvoir et le jeu des ambitions concurrentes. En 1513, dans son ouvrage Le Prince, premier traité de science politique, il explique que pour se maintenir au pouvoir, un dirigeant doit absolument se défaire de toute considération d’ordre moral, privilégier la défense de ses intérêts et de ceux dont il est le souverain et, à cette fin, faire continuellement preuve d’opportunisme. À l’inverse, alors que les États-nations, à peine émergents, s’affrontent dans des guerres meurtrières, Érasme, un philosophe et théologien venu des Pays-Bas (qui sera plus tard surnommé le « prince des humanistes ») visite plusieurs pays d’Europe, s’y fait des amis (dont l’Anglais Thomas More) et lance en 1516 un vibrant appel à la paix :
« L’Anglais est l’ennemi du Français, uniquement parce qu’il est français, le Breton hait l’Écossais simplement parce qu’il est écossais ; l’Allemand est à couteaux tirés avec le Français, l’Espagnol avec l’un et l’autre. Quelle dépravation ! »
— Erasme, Plaidoyer pour la paix, Arléa, 2005 ; extrait [archive].
De même, témoins des guerres de religions qui divisent la chrétienté, notamment en France, il en appelle à la tolérance.
De la polymathie à la science
Connu surtout pour ses tableaux, Léonard de Vinci aborde également « l’homme » sous un angle physique et fonctionnel : l’anatomie.
Comme Érasme, Léonard de Vincifait partie des personnalités aujourd’hui considérées comme les plus représentatives de l’humanisme. Comme lui et quelques autres, tels Copernic, il visite des régions éloignées de la sienne et, ce faisant, invite au rapprochement des cultures. Sa production invite surtout à gommer d’autres frontières, celles-ci intérieures : celles qui cloisonnent les disciplines. Faisant preuve d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, ses investigations tous azimutstémoignent d’une ouverture au monde sensible par l’entremise de l’expérience et du raisonnement méthodique, démarche que systématisera plus tard l’Anglais Roger Bacon et qui constituera le fondement de la science moderne.
Ce qui caractérise en premier lieu la science, c’est l’approche existentielle du monde, tant le macrocosme (l’univers) que le microcosme (l’être humain). Les dessins d’anatomie, en particulier, attestent une considération du corps humain comme d’un ensemble de mécanismes répondant à des fonctions précises.
Par ses dessins d’anatomie et ceux représentant toutes sortes de machines ainsi que des infrastructures militaires, Léonard de Vinci incarne la deuxième phase de l’humanisme, où l’on n’éprouve plus le besoin de se référer à l’Antiquité pour contourner le conservatisme de l’Église mais où l’on se tourne délibérément vers « son temps », la modernité, et ce qui en sont les fondements : la science et la technique. Après la mort de Léonard, en 1519, plus aucun peintre ne se consacrera à ces deux nouveaux champs et, après la mort de Michel-Ange, en 1564, peu seront peintre et architecte à la fois, pratique inaugurée par Giotto. En revanche, à partir du siècle suivant, différents mathématiciens, physiciens et astronomes se feront connaître par des prises de positions philosophiques (Descartes, Pascal, Newton, Leibniz…).
Au début du siècle, l’Europe du Nordconnait un développement économique spectaculaire, dont l’expansion des villes de Bruges, Anvers et Augsbourg est la meilleure expression. Mais dans le domaine artistique, l’Italie reste le foyer le plus dynamique et le plus significatif. Toutefois, ce n’est plus Florence qui entretient l’impulsion de la conception humaniste du monde mais Rome. La ville est envahie par de nombreux peintres et sculpteurs qui, au contact direct du patrimoine antique, prennent de plus en plus ouvertement comme modèle la civilisation précédant celle du christianisme. Non seulement berceau de la civilisation latine, la ville est aussi la capitale des papes.
Or ceux-ci, pour résister à la montée en puissance et à l’autonomisation des États-nations, attirent les artistes les plus novateurs par une active politique de mécénat. Par là même, ils confèrent une réelle et totale légitimité à l’esprit humaniste, contribuant même à le diffuser en Europe et dans le reste du monde, quand il est occupé par les conquistadores. L’un des symboles les plus significatifs de cette mutation est l’image du Christ, imberbe et musclé, et de la Vierge, prenant la pose, au centre du mur du fond de la Chapelle Sixtine, peint par Michel-Ange à la fin des années 1530 et qui représente le Jugement dernier. Autre grand symbole de la puissance déployée par l’église catholique pour contrer les contestations dont elle est l’objet, la Basilique Saint-Pierre, dont la construction s’étend sur plus d’un siècle (1506-1626) et à laquelle participe à nouveau Michel-Ange.
La critique sociale
Les conflits liés à la religion exposent les esprits réformateurs aux accusations d’hérésie, donc à la condamnation à mort. Certains utilisent alors le récit de fictioncomme moyen d’expression permettant une critique non frontale. En 1516, dans un essai intitulé a posterioriL’utopie,Thomas More(grand ami d’Érasme) prône l’abolition de la propriété privée et de l’argent, la mise en commun de certains biens, la liberté religieuse ainsi que l’égalité des hommes et des femmes. Et il estime que la diffusion des connaissances peut favoriser la création d’une cité dont le but serait le bonheur commun. Mais bien qu’ayant été proche du roi Henri VIII, celui-ci le fait condamner au billot.
Plus prudent, le Français François Rabelaisadopte une posture délibérément déconcertante : libre penseur mais chrétien, anticlérical mais ecclésiastique, médecin mais bon vivant, les multiples facettes de sa personnalité semblent contradictoires et il en joue. Apôtre de la tolérance et de la paix (comme Érasme, dont il est l’admirateur), il n’hésite pas à manier la parodie pour parvenir à ses fins. Son Pantagruel (1532) et son Gargantua(1534), qui tiennent à la fois de la chronique et du conte, annoncent le roman moderne.
De la glorification au constat amer
Alors que les débuts de l’humanisme de la Renaissance donnaient de l’homme une image prometteuse, voire glorieuse, à la fin du siècle, le spectacle tragique des guerres conduit les intellectuels à porter un regard désabusé sur l’humanité. En 1574, dans son Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie (alors âgé de 17 ans) s’interroge sur les raisons qui poussent les individus à miser leur confiance sur les chefs d’état au point de sacrifier leurs vies. Et à la même époque, dans ses Essais, son ami Montaigne, dresse un portrait tout aussi amer :
« Entre Pétrarque et Montaigne, on (est) pass(é) de la mise en scène d’un moi grandiose à celle d’un moi ordinaire, de l’éloge de l’individualité remarquable à la peinture de l’individualité basique. (…) Chez Montaigne, l’humanisme de la Renaissance apparaît désenchanté, désabusé et comme à son crépuscule : l’individualité de l’auteur et le reste de l’humanité y sont décrits avec un excès de scepticisme et de relativisme comme des choses assez ridicules, versatiles et vaines. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.185.
Dans le troisième livre de ses Essais, en 1580, Montaigne dégage le concept d’homme, à la fois unique et universel 71,72.
À la différence de Rabelais ou d’Érasme, confiants dans les capacités de la raison, Montaigne se refuse à la complaisance et répond par le doute : « La reconnaissance de l’ignorance est un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. » L’idée de perfectibilité, lui est ainsi étrangère, il rejette toute idée de progrès, d’ascension lente et graduelle de l’humanité vers un avenir meilleur. Selon lui, l’homme n’est plus le centre de tout, mais un être ondoyant, insaisissable. Il se plait autant à en faire l’éloge qu’à l’abaisser, tout en recourant à l’observation de sa propre personne pour tenter d’en démêler les contradictions. Ce faisant, il pose les bases de ce qui deviendra plus tard la psychologie.
L’humanisme moderne
L’héritage de l’humanisme de la Renaissance s’évalue à trois niveaux, étroitement liés : philosophique, politique et économique et social.
Après la Renaissance, le principe d’autonomisation de la pensée par rapport à la foi n’est plus jamais remis en cause, il constitue par excellence le cadre de référence de l’ensemble de la culture occidentale. L’idée que les humains peuvent évoluer sans s’appuyer sur la religion stimule la démarche scientifique et inversement, celle-ci est vécue comme une émancipation, conduisant progressivement au déisme (croyance en un Dieu créateur abstrait, « grand horloger »), à l’agnosticisme (le doute de l’existence de Dieu), puis finalement à l’athéisme (le rejet même de toute croyance en Dieu) : au xixe siècle, Nietzscheaffirmera que « Dieu est mort ».
Corollaire de cette indépendance à l’égard du divin est la capacité des humains à s’organiser institutionnellement de façon que les idées, mises en débat, servent l’intérêt général. Cet idéal démocratique se concrétise au prix de « révolutions » politiques : d’abord au xviie siècle en Angleterre puis au siècle suivant aux États-Unis et en France. Mais finalement, celles-ci profitent en premier lieu à la classe bourgeoise, qui exerce alors à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique en parvenant à justifier ce cumul au nom de la liberté : c’est le libéralisme.
Les avancées de la science trouvent de nombreux terrains d’application et, progressivement, la techniques’inscrit dans un idéal d’émancipation (bonheur), progrès…). Sous l’effet de ses avancées s’amorce au xviiie siècle un processus économique, qui sera plus tard qualifié de « révolution » – la révolution industrielle – sans toutefois que celui-ci ait été prémédité ni débattu, comme on le dit d’une révolution politique. À tel point qu’au xixe siècle, Marxestime que, désormais, les idées (humanistes ou pas) ne permettent plus aux hommes d’élaborer des projets de société, tant ils sont désormais façonnés, « aliénés », par leurs modes de production ; et ceci d’autant plus qu’ils s’évertuent à croire qu’ils sont « libres ». À ce titre, Marx est fréquemment considéré comme celui qui ouvre la première grande brèche dans l’idéal humaniste. En revanche, en ne remettant pas en cause le productivisme lui-même mais seulement le capitalisme, et en considérant que, pour s’émanciper, les classes ouvrières doivent seulement prendre possession des moyens de production, les successeurs de Marx seront les promoteurs d’un nouveau type d’humanisme : l’humanisme-marxiste.
En 1687, Newtondémontre la capacité des hommes d’analyser la structure de l’univers sur la base de principes mathématiques.
En 1605, l’Anglais Francis Bacondéveloppe une théorie empiriste de la connaissance et, quinze ans plus tard, précise les règles de la méthode expérimentale, ce qui fait aujourd’hui de lui l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne. Celle-ci émerge pourtant dans les pires conditions : en 1618, la thèse de Copernic selon laquelle la terre tourne autour du soleil et non l’inverse (héliocentrisme) est condamnée par l’Église ; et en 1633, cette dernière condamne Galilée, qui ose la défendre (elle ne consentira à infléchir sa position qu’un siècle plus tard).
Dans ce contexte d’ultime et extrême tension entre foi et raison, la philosophie, en tant que « conception du monde », recherche dans la science une caution morale qu’elle n’espère plus trouver de l’Église. Il est alors significatif qu’un certain nombre de philosophes sont également mathématiciens ou astronomes (Descartes, Gassendi, Pascal… ou plus tard Newton et Leibniz) et que des scientifiques émettent des positions fondamentalement philosophiques, tels Galilée qui déclare en 1623 dans L’Essayeur : « La philosophie est écrite dans ce livre immense perpétuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire l’univers), mais on ne peut le comprendre si l’on n’apprend pas d’abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques, sans l’intermédiaire desquels il est humainement impossible d’en comprendre un seul mot ».
En 1637, soit quatre ans seulement après le procès de Galilée, dans son Discours de la méthode, Descartes fonde le rationalisme et affirme que l’homme doit se « rendre comme maître et possesseur de la nature » : la philosophie naturelles’émancipe alors radicalement et définitivement de l’Église, point d’aboutissement de l’idéal humaniste73. Durant la seconde moitié du xviie siècle, avec la probabilité, le calcul infinitésimal et la gravitation universelle, le monde est de plus en plus pensé dans une optique quantitative, matérialiste74, ceci avec l’aide de techniquesdésormais considérées comme indispensables à sa connaissance, telles la machine à calculer ou le télescope.
Philosophe cartésien, Spinozaestime que l’on n’a ne plus à rechercher la vérité dans les Écritures mais dans ses propres ressources (philosophie pratique). Publiée à sa mort, en 1677, son Éthique invite l’homme à dépasser l’état ordinaire de servitude vis-à-vis des affects et des croyances pour atteindre le bonheur au moyen de la « connaissance ». Le titre complet de l’ouvrage (« Éthique démontrée suivant l’ordre des géomètres ») témoigne du fait que la foi en un dieu révélé s’efface au profit d’une « croyance en l’homme », un homme pour le coup totalement rationnel75 ; ceci bien que Spinoza se défende d’être athée : il ne conteste pas l’existence de Dieu mais identifie celui-ci à « la nature ».
À la fin du xviie siècle; la plupart des savants désertent l’université, encore engluée dans la théologie, mais tissent leurs propres réseaux et, par eux, finissent par imposer leurs découvertes et conditionner le terrain même de la philosophie. Avec Galilée puis Huygens, il est possible d’avoir une idée de l’éloignement des étoiles, de la taille de la Terre et des autres planètes ainsi que de leurs positions respectives. L’« homme » sur lequel se focalisaient les humanistes de la Renaissance et l’univers lui-même deviennent des données toutes relatives. Publiés en 1687, les Principes mathématiques de la philosophie naturelle du physicien Isaac Newton sont complétés par lui en 1726 (un an avant sa mort) et traduits en français trente ans plus tard par une maîtresse de Voltaire. Symbolisant la capacité de l’homme à concevoir le monde de façon abstraite (mathématique), cet écrit constitue l’un des fondements de la philosophie des Lumières76.
Conséquence ou effet corollaire de l’émancipation de la raison instrumentale et du développement de la science, certains penseurs vont peu à peu faire l’apologie des « vertus naturelles » (ou « morales »), se démarquant ainsi de l’éthique chrétienne. C’est le cas en particulier du Français La Mothe Le Vayer, un des premiers grands écrivains libertins, auteur en 1641 de son ouvrage le plus célèbre De la Vertu des païens77. « Son analyse affirme l’existence de vertus profanes valables sans le secours de la grâce, et indépendamment de toute inquiétude religieuse. C’est une des premières affirmations d‟une morale existant seule, sans le support de la religion, d’une morale pour ce monde-ci, de la morale laïque qui sera désormais un trait caractéristique de l’humanisme. (…) Cette analyse est pleinement humaniste par sa confiance en la nature et en la raison, et elle fait un grand pas vers celles des Lumières 78.» Coïncidence, c’est également en 1641, dans sa tragédie Cinna, que Pierre Corneille écrit ces mots : « Je suis maître de moi comme de l’univers ».
La Mothe Le Vayer et les libertins sont également à l’origine d’une conception de l’histoire « dégagée de l’emprise scripturaire, religieuse et ecclésiale, une histoire construite sur des bases historiques sûres et non théologiques, une histoire non finalisée, une histoire universelle entendue au sens d‟une collection de l’histoire des diverses nations » (…) « L’histoire de La Mothe Le Vayer ne s’inscrit pas dans un temps théologique orienté d’une création à des fins dernières ; il n’y a pas de téléologie à retrouver dans l’histoire : celle-ci est une lecture philosophique qui n’a rien à faire de l’assise biblique érudite. En évacuant la Bible comme « premier livre d’histoire » et Moïse comme « premier historien », les libertins annulent l’histoire sainte et laïcisentl’histoire. Celle-ci est humaniste en ce qu’elle exclut les contraintes extérieures, le « doigt de Dieu » cher à Bossuet, la Providence, le destin… toutes les formes de déterminisme. On passe d‟une histoire de croyance à une histoire de savoir »79.
L’aspiration à la démocratie
Alors que les scientifiques créent leurs espaces de débat en dehors de toute emprise religieuse, en Angleterre, un soulèvement populaire soutenu par l’armée conduit en 1640 à l’instauration d’une république. Dix ans plus tard, Thomas Hobbes publie Le Léviathan, un ouvrage considéré depuis comme un chef-d’œuvre de philosophie politique. Partant du principe que les individus, à l’état de nature, sont violents et que, par peur d’une mort violente, ils délèguent volontiers leurs responsabilités à un souverain qui leur garantit la paix, le philosophe élabore une théorie de l’organisation politique. En 1660, la monarchie est rétablie en Angleterre mais elle ne sera plus jamais absolue. Principal outil de la démocratie représentative, le parlementsymbolise alors le nouvel esprit du temps, un temps où, de plus en plus nombreux, les hommes éprouvent le sentiment de pouvoir prendre des décisions collectivement, en prenant leur autonomie vis-à-vis de leurs autorités de tutelle, qu’elles soient civiles ou religieuses.
Le siècle est marqué par de profondes mutations dans tous les domaines – économique, politique, social, technique… – lesquelles vont modifier en profondeur le paysage intellectuel. Pour comprendre celui-ci, il importe donc de rappeler brièvement le contexte.
À la suite d’une très forte poussée démographique en Europe, des changements économiques s’avèrent indispensables. L’aristocratie, qui assure les fonctions de gouvernance, doit y faire face. En Angleterre, pays de monarchie parlementaire, les nobles se lancent dans les affaires. En France, où s’exerce encore la monarchie absolue, ils y sont moins enclins : la majorité d’entre eux restent en effet rivés à leurs privilèges de caste et seules quelques quelques familles s’engagent dans les mines, les forges ou le commerce maritime. À des rythmes différents selon les pays, donc, un processus s’enclenche, le capitalisme, qui va profiter (au sens premier du terme) à la classe sociale montante, propriétaire et gérante des moyens de production : la bourgeoisie.
À la différence de l’aristocratie, donc, et dans les capitales comme en province, celle-ci fait travailler les autres, les emploie, les salarie… et se mobilise elle-même : non seulement dans le commerce, l’industrie (qu’elle « révolutionne ») et la finance mais aussi dans l’administration de l’État, à tous ses échelons, du ministre au petit fonctionnaire. Partout en Europe elle cumule alors les pouvoirs : économique, politique et juridique. C’est donc naturellement qu’elle exerce également un pouvoir intellectuel et qu’elle impose ses propres valeurs.
La première de ces valeurs est la liberté80, terme qu’il faut comprendre comme liberté à l’égard des anciennes tutelles : non plus seulement l’Église, comme aux temps de la Renaissance, mais du Prince, lequel, progressivement, va être destitué et remplacé (à chaque fois provisoirement) par « le peuple ». Liberté par conséquent d’ entreprendre quoi que ce soit. L’émancipation ne s’opère plus au niveau strictement philosophique : l’« homme » et son cogito ; mais à un niveau très pratique : les « humains » et leurs capacités à intervenir individuellement sur le monde. L’universalisme (l’idée que les humains sont supérieurs aux autres créatures, grâce à la raison et la parole, et que, grâce à elles, ils peuvent sans cesse mieux s’accorder entre eux) constitue le fondement de ce que l’on appellera l’humanisme des Lumières81. Du moins peut-on dire que les artisans des Lumières (non seulement les philosophes et théoriciens mais les « entrepreneurs » de toutes sortes) incarnent le concept d’humanisme82,83.
Liberté, connaissance, histoire, bonheur
« La philosophie des Lumières s’est élaborée à travers une méthode, le relativisme, et un idéal, l’universalisme »84. La confrontation de cette méthode et de cet idéal contribue à ce qu’au xviiie siècle, l’ensemble du débat philosophique oscille entre deux pôles : l’individu(tel ou tel humain, considéré dans sa singularité) et la société (la totalité des humains).
Cette bipolarité constitue l’axe ce que l’on appellera plus tard la modernité. Quatre idées fortes s’en dégagent.
La principale préoccupation des esprits « éclairés » est la liberté, plus exactement sa conquête. À la question Qu’est-ce que les Lumières ?, Kant répond : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières ». Tout l’effort des philosophes va porter sur les modalités (autrement dit les lois) à mettre en œuvre de sorte que la liberté de chacun ne nuise pas à celle des autres. À la suite de Locke85, Montesquieu86, Rousseau87 et beaucoup d’autres s’y emploient, qui contribuent, avec la Révolution française et la doctrine égalitariste, à promouvoir une conception juridique de la libertéqui mènera elle-même à la doctrine libérale.
Couverture des Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde de Voltaire (1738)
Le xviie siècle a été marqué par un développement très important des sciences ; le nouveau est caractérisé non seulement par le souci de poursuivre ce mouvement mais celui de consigner l’apport des sciences et le faire connaître. Le combat des Lumières contre l’« obscurantisme », c’est la connaissance : connaissance du monde, accrue par les explorations de Cook, La Pérouse et Bougainville ; connaissance de l’Univers, par les dernières découvertes en astronomie ou quand Buffon, dans son Histoire naturelle, affirme que la Terre est âgée de bien plus que les 6 000 ans attribués par l’histoire biblique) ; connaissance du métabolisme des êtres vivants… dont l’homme. Cet idéal trouver sa réalisation dans l’Encyclopédiede Diderot et D’Alembert, publiée entre 1750 et 1770.
Les philosophes focalisent leur intérêt sur « l’histoire ». En 1725, l’Italien Vico publie ses Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations, que Voltaire traduira sous le titre Philosophie de l’histoire en 1765, l’année même où, – coïncidence – le mot « humanisme » fait son apparition dans la langue française7. L’idée centrale de la philosophie de l’histoire est que celle-ci a un sens. Ainsi naît l’historicisme, une doctrine selon laquelle les connaissances et les valeurs d’une société sont liées à son contexte historique.
Autre idée forte, le bonheur, point de départ, là encore, d’une doctrine : l’eudémonisme88. À la fin du siècle, Saint-Just proclame que « le bonheur est une idée neuve en Europe », au xxe siècle, certains intellectuels (Eric Voegelin, Jacques Ellul…) y verront le substitut laïque du salut chrétien : « l’homme » n’a pas à espérer un quelconque et hypothétique salut dans l’au-delà, il doit en revanche rechercher le bonheur ici et maintenant, c’est une obligation(« le but de la société est le bonheur commun », proclame l’article 1er de la Constitution de 1793)89. Ellul précise que c’est parce que le bonheur finit par être assimilé à l’idée de confort matériel et que celui-ci ne peut s’obtenir qu’au prix du travail que la bourgeoisie promeut le travail en valeur et qu’elle engage le processus qui sera plus tard qualifié de « révolution industrielle ». Ce processus ne se serait jamais produit, affirme Ellul si, au préalable, la bourgeoisie n’avait pas réussi à faire croire (et à croire elle-même) que le travail est une valeur du fait qu’il conduit au bonheur.
« Liberté », « connaissance », « histoire », « bonheur » (… puis plus tard « travail », « progrès », « émancipation », « révolution ») : les idées des Lumières prolongent celles de la Renaissance et, comme elles, deviennent des idéaux, au sens où elles véhiculent l’idée optimiste qu’il est possible de définir l’homme. L’Essai sur l’hommed’Alexander Pope (1734 traduit en français cinq ans plus tard par Diderot) est significatif. Mais ces idéaux s’en différencient radicalement au moins sur deux points :
ceux qui portent ces idéaux sont animés par une volonté ferme de les réaliser concrètement et immédiatement : vers 1740, l’Anglais Hume fonde la philosophie sur l’empirisme(Traité de la nature humaine) ; vers 1750, les physiocratesfrançais contribuent à forger la conception moderne de l’économie ; vers 1780, Benthamindexe l’idée de bonheur au concept d’utilité.
Trois grandes orientations
Les idées des Lumières s’expriment par ailleurs différemment selon les pays.
En Grande-Bretagne, les choses se passent surtout de façon pragmatique, afin de théoriser après-coup les premiers effets de l’industrialisation et les justifier philosophiquement.
En France, pays fortement centralisé et de culture cartésienne, l’accent est mis sur le droit, le « contrat social » et la capacité d’organiser rationnellement la société.
En Allemagne, où l’approche métaphysique reste prégnante, la réflexion se focalise sur l’idéed’individu. Les philosophies revendiquent donc leur idéalisme.
Ces trois orientations ont en commun d’être portées par l’optimisme, une confiance en l’homme dans sa capacité à se comporter sereinement grâce à l’exercice de sa raison.
La Révolution industrielles’amorce en Grande-Bretagneet très vite, génère de l’inégalité sociale et de la paupérisation. Pour justifier les efforts à fournir, de nombreux textes sont publiés. En 1714, dans la Fable des abeilles, Bernard Mandevillesoutient l’idée que le vice, qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu parce qu’en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Aussi, il estime que la guerre, le vol, la prostitution, l’alcool, les drogues, la cupidité, etc, contribuent finalement « à l’avantage de la société civile » : « soyez aussi avides, égoïstes, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». Cette approche influence de nombreux intellectuels, notamment le philosophe Adam Smith, au travers de sa métaphore de la main invisible, qu’il reprend à trois reprises pendant vingt ans, notamment en 1759 dans sa Théorie des sentiments morauxet en 1776 dans La Richesse des nations, quand il s’efforce de conférer à l’économie le statut discipline scientifique. Selon lui, l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques (qui sont guidés uniquement par leur intérêt personnel) contribuant à la richesse et au bien commund’une nation, le marché est comparable à un processus se déroulant de façon automatique et harmonieuse dans la mesure où les intérêts des individus se complètent de façon naturelle. Diversement interprétée, la métaphore de la main invisible sera maintes fois reprises pour symboliser le libéralisme économique en tant qu’idéologie.
C’est en Grande-Bretagne, où il séjourne de 1726 à 1729, que le Français Voltaire devient le principal initiateur des Lumières. Dans ses Lettres anglaises, publiées en 1734, il exprime son enthousiasme pour le mode de vie des quakers et leurs valeurs (intégrité, égalité, simplicité…), l’empirisme de Locke, les théories de Newton… La Franceva produire un grand nombre de textes fondateurs de la démocratie moderne. En 1748, dans De l’esprit des lois, Montesquieu (qui, comme Voltaire, a séjourné en Angleterre et a été séduit par la monarchie constitutionnelle et parlementaire) considère les données historiques, sociologiques et climatiques comme déterminantes. Sa théorie de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) fera plus tard autorité, bien au-delà du pays. De 1751 à 1772 paraissent les volumes de l’Encyclopédie, coordonnée par Diderot et d’Alembert, qui donne une vue d’ensemble des réalisations humaines, privilégiant les domaines de la science et de la technique, ce qui lui confère un ton très progressiste. En 1755, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseaudéveloppe une idée qui sonnera bientôt comme un postulat : « l’homme est bon par nature et c’est la société qui le corrompt ». Pour que les hommes se portent mieux, estime Rousseau, il faut améliorer la société… projet assigné à la politique autour d’un concept nouveau, la souveraineté du peuple, et de valeurs étant mises en pratique de façon contractuelle : la liberté, l’égalité et la volonté générale(Du Contrat social, 1762)90. Cette approche aboutit, en France, au concept de droits de l’homme et plus spécialement, en 1789, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui influencera largement les déclarations de droits durant les siècles suivants.
Selon Kant, l’homme « éclairé » est responsable et maître de son destin.
En Allemagne, dans les années 1770, Herder et Goethe initient le mouvement romantique Sturm und Drang (« tempête et passion ») qui exalte la liberté et la sensibilité. À l’inverse, Lessinginvite à la retenue et la tolérance (Nathan le Sage). Dans les deux cas, la subjectivité est fortement valorisée. Kant affirme dans Critique de la raison pure (1781-1787) que le « centre » de la connaissance est le sujet et non une réalité extérieure par rapport à laquelle l’homme serait passif. Ce n’est donc plus l’objet qui oblige le sujet à se conformer à ses règles, c’est le sujet qui donne les siennes à l’objet pour le connaître. Ceci signifie que nous ne pouvons pas connaître la réalité « en soi » mais seulement telle qu’elle nous apparaît sous la forme d’un objet, ou phénomène. En 1784, Kant écrit ces mots : « L’Aufklärung, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. L’état de minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre ».
L’expression « droit de l’homme » fait aujourd’hui consensus, ce qui interroge certains penseurs, dont l’historien du droit français Jacques Ellul : « Je suis toujours étonné que cette formule réunisse un consensus sans faille et semble parfaitement claire et évidente pour tous. La Révolution française parlait des « droits de l’homme et du citoyen ». Les droits du citoyen , j’entends : étant donné tel régime politique, on reconnaît au membre de ce corps politique tel et tel droit. Ceci est clair. De même lorsque les juristes parlent des droits de la mère de famille, ou le droit du mineur envers son tuteur, ou le droit du suspect. Ceci encore est clair. Mais les droits de l’homme ? Cela veut donc dire qu’il est de la « nature » de l’homme d’avoir des « droits » ? Mais qu’est-ce que la nature humaine ? Et que signifie ce mot « droit », car enfin, jusqu’à preuve du contraire, le mot « droit » est un mot juridique. Il a et ne peut avoir qu’un sens juridique. Ce qui implique d’une part qu’il peut être réclamé en justice, et qu’il est également assortie d’une sanction que l’on appliquera à celui qui viole ce droit. Bien plus, le droit a toujours un contenu très précis, c’est tout l’art du juriste que de déterminer avec rigueur le sens, le seul sens possible d’un droit. Or, quand nous confédérons, en vrac, ce que l’on a mis sous cette formule des droits de l’homme, quel est le contenu précis du « droit au bonheur », du « droit à la santé », du « droit à la vie« , du « droit à l’information », du « droit au loisir », du « droit à l’instruction » ? Tout cela n’a aucun contenu rigoureux »91.
À la fin du siècle, les faitscommencent à révéler le caractère utopique des théories des Lumières : l’épisode de la Terreurruine l’idéal rousseauiste de « l’homme naturellement bon » et la montée en puissance des nationalismes, qui s’impose à la fin du siècle, démontre le caractère irréaliste du projet d’émancipation kantien : alors que l’État devient la grande figure d’autorité en lieu et place de l’Église, « l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre » est telle que le « sujet » reste majoritairement « l’objet » de ses propres passions. La pratique de l’esclavage par les chrétiens américains inspire à William Blake l’image d’une humanité violemment écartelée par ses contradictions (Nègre pendu par les côtes à un échafaud, 1792) tandis que l’art halluciné de Füssli(Le Cauchemar, 1781) annonce les tourments et les doutes qui assailliront bientôt « l’homme moderne » et dont l’art romantiquese fera le témoin au xixe siècle. Plus prémonitoire encore est le poème de l’Apprenti sorcier, de Goethe, en 1797, qui décrit un homme démiurge littéralement dépassé par ses créations, incapable de les contrôler.
Encore relativement marginales, ces prises de positions vont se cristalliser, durant les deux siècles suivants, dans un courant parfois qualifié d’Anti-Lumières ou d’anti-humaniste tandis qu’en revanche beaucoup plus important, l’esprit progressiste va constituer l’héritage des Lumières et se justifier par des discours moralisateurs, vantant à la fois les mérites du travail et ceux de l’entr’aide sociale.
Se démarquant des inquiétudes de ces intellectuels, la bourgeoisie réagit par une forme d’activisme social. À la misère générée par l’industrialisation, qui contredit la thèse d’Adam Smith de l’autorégulation du marché, elle réagit par l’action philanthropique. En 1780 naît à Paris la Société philanthropique (toujours active aujourd’hui) qui, sept ans plus tard, définit ainsi sa mission : « Un des principaux devoirs des hommes est (…) de concourir au bien de (leurs) semblables, d’étendre leur bonheur, de diminuer leurs maux. (…) Certainement, un pareil objet entre dans la politique de toutes les nations et le mot philanthrope a paru le plus propre à désigner les membres d’une société particulièrement consacrée à remplir ce premier devoir de citoyen »92. Au xxe siècle, la philosophe Isabel Paterson établit ainsi les liens entre charité chrétienne, philanthropie et humanisme : « Si l’objectif premier du philanthrope, sa raison d’être, est d’aider les autres, son bien ultime requiert que les autres soient demandeurs. Son bonheur est l’avers de leur misère. S’il veut aider l’humanité, l’humanité tout entière doit être dans le besoin. L’humaniste veut être le principal auteur de la vie des autres. Il ne peut admettre ni l’ordre divin, ni le naturel, dans lesquels les hommes trouvent les moyens de s’aider eux-mêmes. L’humaniste se met à la place de Dieu »93.
xixe siècle
Jusqu’au siècle précédent, le travailn’était pas considéré comme une valeur. Il l’est devenu quand, peu à peu, la bourgeoisie a exercé les pouvoirs économique et politique94. Désormais, le travail est fourni « en quantité industrielle » : le nouveau siècle est en tout cas caractérisé par un processus qui, après coup, sera qualifié de « révolution » mais qui – à la différence des révolutions américaine et française, au xviiie siècle – n’est pas un événement politique à proprement parler : la « révolution industrielle ». Né en Grande-Bretagne puis ayant gagné le reste de l’Europe, il se manifeste par la prolifération des machinesdans les usines, dans le but affiché d’accroître la productivité. Mais, comme le démontre Karl Marx à partir de 1848, le système qui en découle, le capitalisme, ne profitequ’à un nombre restreint d’humains, précisément les « bourgeois », tandis que beaucoup d’autres se retrouvent sur-exploités.
Considéré par beaucoup comme un humaniste95, Jules Ferryoppose en 1885 les « races supérieures » aux « races inférieures ».
C’est précisément à cette époque que les milieux bourgeois commencent à répandre le terme « humanisme » : « Le mécanisme de la justification est la pièce centrale de l’œuvre bourgeoise, sa signification, sa motivation » explique Jacques Ellul96. « Pour y arriver, le bourgeois construit un système explicatif du monde par lequel il rend légitime tout ce qu‘il fait. Il lui est difficile de se reconnaître comme l’exploiteur, l’oppresseur d’autrui, et en même temps le défenseur de l’humanisme. En cela, il exprime un souci propre à tout homme, celui d’être à la fois en accord avec son milieu et avec lui-même. Quand il ne veut pas reconnaître les motivations réelles de son action, il n’est donc pas plus hypocrite qu’un autre. Mais parce que, plus que d’autres, il agit sur le monde, il se constitue un argumentaire des plus élaborés visant à légitimer son action. Non seulement aux yeux de tous mais aussi – et d’abord – à lui-même, pour se conforter97.
Dès les années 1840, les critiques commencent à fuser : alors que le xviiie siècle avait proclamé la liberté, les premiers anarchistes affirment que l’État a pris la place de l’Église et du Roi comme source d’autorité. Et alors que la société industrielle se révèle inégalitaire, Proudhon ironise sur le mot « humanisme », inaugurant ce qu’on appellera plus tard « la question sociale » et le socialisme.
De fait, un nouveau type de déférence s’exprime, axé sur « la foi dans le progrès » scientifique et l’étatisme, le tout sur fond de déchristianisation. La situation est d’autant plus paradoxale que, comme ils l’avaient fait en Amérique du Sud au xvie siècle, c’est appuyés par l’Église catholique que les Européens, en quête de minerais et sous prétexte d’apporter la civilisation, s’en vont coloniserl’Afrique et l’Asie du Sud-est. En 1885, Jules Ferry, bien que fervent défenseur de la laïcité, déclare : « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures »98. Le concept de racisme contribuera par la suite à discréditer profondément et durablement celui d’humanisme99,100.
Humanisme = idéalisme
En 1808, F. I. Niethammerdistingue catégoriquement l’humanisme de la philanthropie.
Au début du siècle, certains intellectuels soulignent que la philanthropie n’est qu’un succédané de la charité chrétienne. En 1808, le théologien allemand F. I. Niethammer publie un ouvrage intitulé « Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle », en réaction précisément au concept de philanthropie. Et deux ans plus tard, dans son livre De l’Allemagne, Mme de Staël estime que Diderot« a besoin de suppléer, à force de philanthropie, aux sentiments religieux qui lui manquent »101. Ainsi peu à peu émerge l’idée que, tant qu’elle se réfère à la morale, toute approche de l’homme par l’homme se réduit à un cortège de bons sentiments.
Dans un courrier qu’il adresse à Niethammer, Hegel le félicite d’avoir distingué le « savoir pratique » du « savoir savant » et de s’être démarqué de l’idée de philanthropie pour promouvoir le concept d’humanisme102. Dans son œuvre, Hegel lui-même n’utilise pas le terme « humanisme » mais, l’année précédente, dans sa Phénoménologie de l’Esprit, il s’est efforcé de décrire « l’évolution progressive de la conscience vers la science » dans le but annoncé d’analyser « l’essence de l’homme dans sa totalité ». Selon Bernard Bourgeois, Hegel a développé dix ans plus tôt, vers 1797-1800, une nouvelle conception de l’humanisme : « ce n’est plus l’humanisme kantien de l’universel abstrait mais l’humanisme de l’universel concret, c’est-à-dire de la totalité, l’humanisme qui veut rétablir l’homme dans sa totalité »103.
De l’idéal aux doutes
Dans le Tres de Mayo, Goyarelate en 1814 un crime de guerre : des civils espagnols sont assassinés par des soldats français.
Les premières grandes critiques à l’encontre des idéaux des Lumières s’expriment aux lendemains des conflits nés de la Révolution française puis des guerres napoléoniennes, qui ont fracturé l’Europe pendant quinze ans (1799-1815). Les Désastres de la guerreen font partie, qui sont une série de gravures exécutées entre 1810 et 1815 par Goya. Tout comme son Tres de mayo, réalisé à cette époque, elles dénoncent les crimes de guerre perpétrés tant par les armées françaises sur les populations civiles espagnoles que par les soldats espagnols sur les prisonniers français. Goya ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres : décrivant les atrocités comme le feront plus tard les photo-journalistes, il se livre à une méditation qui relève d’un « humanisme saisissant »104.
Le mouvement romantique participe de cette volonté de critiquer l’universalisme des Lumières105 en mettant en relief les arrières-plans de la psyché, les émotions et pulsions jusqu’alors déconsidérées. Dans le Portrait de l’artiste dans son atelier (1819), Géricault se montre « humaniste plus que simplement romantique »106 en s’exposant seul et mélancolique, un crâne humain posé derrière lui, symbole classique de la vanité.
Quelques philosophes s’attachent à dénoncer le libéralisme, tant politique qu’économique, au motif qu’il entretient une approche de l’existence qu’ils jugent étroitement comptable, au détriment de la sensibilité. Schopenhauer et Kirkegaard, en particulier, développent une vision du mondeouvertement désenchantée, voire pessimiste, qui est une réaction à l’inhumanité de l’époque et, par là même, le témoignage d’un nouveau type d’humanisme107,108.
Alors qu’en France les idéaux révolutionnaires s’éteignent avec l’instauration d’un empire autoritaire et que les effets inégalitaires de l’industrialisation massive deviennent criants, certains penseurs libéraux tentent à la foisde conférer le statut de science à l’économie et d’y infuser un parfum d’humanisme.
En 1817, notamment, dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt, l’Anglais David Ricardos’efforce d’asseoir l’économie politique sur des bases rationnelles mais, contraint par les faits (la poussée démographique, l’urbanisation, la paupérisation…), il veille scrupuleusement à les intégrer dans ses calculs comme des données objectives. Il est le premier économiste libéral à penser la répartition des revenus au sein de la société en prenant en compte « la question sociale ». Au point que certains considèrent qu’il s’est mis « au service du bien public », que « la rigueur de son raisonnement lui permet de trouver les solutions les plus aptes à garantir la prospérité de ses concitoyens » et que, par conséquent, « sa démarche comporte une motivation humaniste incontestable »109,110.
En 1820, dans les Principes de la philosophie du droit, Hegels’inscrit dans le sillage de la doctrinehistoriciste et pose les fondements d’une nouvelle doctrine : l’étatisme. Il écrit : « il faut vénérer l’État comme un être divin-terrestre »111. Il se réfère alors à l’État moderne, dont le Saint-Empire romain germanique, au xiie siècle, est l’archétype dès lors qu’il s’est révélé le concurrent de l’autorité papale (plus de détails) et qui culmine avec la Révolution française(qu’il qualifie de « réconciliation effective du divin avec le monde »112). Hegel voit en Napoléon celui qui a imposé le concept d’État-nation, lequel reste à ce jour le système politique dominant. Selon lui, l’État est la plus haute réalisation de l’idée divine sur terre (il parle d’« esprit enraciné dans le monde »113)114 et le principal moyen utilisé par l’Absolupour se manifester dans l’histoire. Bien plus qu’un simple organe institutionnel, il est « la forme suprême de l’existence », « le produit final de l’évolution de l’humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète »115, le « rationnel en soi et pour soi »114.
Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs intellectuels (principalement Cassirer116 et Popper117) se demanderont si, au lieu de considérer Hegel comme un humaniste, il ne convient pas voir en lui un précurseur du totalitarisme. D’autres sont plus mesurés, tel Voegelin, qui voit en lui un héritier du gnosticisme, un courant de pensée remontant à l’Antiquité et selon lequel les êtres humains sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel118. Plus précisément Voegelin estime que si procès il doit y avoir, ce n’est pas celui d’Hegel qu’il faut ouvrir mais celui de la modernité dans son ensemble, laquelle, selon lui, s’enracine dans la tentative de faire descendre le paradis sur terre et de faire de l’accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique.
Hegel est-il « humaniste » ou « totalitaire » (ou encore « absolutiste »119) ? Cette question divise bon nombre d’intellectuels. Jacques Ellul estime que la divinisation de l’État, telle que formulée par Hegel, ne s’opère pas seulement dans les dictatures militaires, elle s’observe également dans ce que Bergson puis Popperappellent la société ouverte (les États portés par les principes de tolérance, de démocratie et de transparence). Selon lui, tout État est totalitaire : « le mouvement de l’histoire non seulement ne précipite pas la chute de l’État mais il le renforce. C’est ainsi, hélas, que toutes les révolutions ont contribué à rendre l’État plus totalitaire ». Faisant allusion à Hegel, il poursuit : « La bourgeoisie n’a pas seulement fait la révolution pour prendre le pouvoir mais pour instituer le triomphe de la Raison par l’État »120. Et il précise que, dès lors que les humains n’ont pas conscience de s’en remettre à l’État pour tout ce qui concerne leur existence, toute discussion sur l’humanisme est vaine car toutes leurs prétentions à s’émanciper le sont également. Et plutôt que de parler de divinisation (terme qui renvoie à une manière d’être assumée), Ellul parle de sacralisation (qui désigne en revanche une posture inconsciente) : « ce n’est pas l’État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c’est sa transfiguration sacrale »121.
La volonté d’humaniser le capitalisme se traduit également dans les années 1820 par une volonté de le réformer en profondeur, quand l’usage du mot socialisme commence à se généraliser122. Formant ce que l’on appellera plus tard le « socialisme utopique », ses promoteurs s’appellent Robert Owen, en Grande-Bretagne, Charles Fourier, Étienne Cabet et Philippe Buchezen France. On peut les considérer comme « humanistes » au sens où ils « refusent la réduction de l’homme à la marchandise »123 et où ils expriment leur confiance dans l’homme, du fait qu’il peut façonner, transformer, le monde. Ne contestant pas spécialement la pression des machines sur les humains, ils retirent au contraire du phénomène de l’industrialisation un idéal d’émancipation.
Le plus prosélyte d’entre eux est Saint-Simon. Il voit dans l’industrialisation le moteur du progrès social et aspire à un gouvernement exclusivement constitué par des producteurs (industriels, ingénieurs, négociants…) dont le devoir serait d’œuvrer à l’élévation matérielle des ouvriers au nom d’une morale axée sur le travail et la fraternité124. Conçue comme une « science de la production » au service du bien-êtrecollectif, cette approche s’exprime dans un vocabulaire religieux (Catéchisme des industriels, 1824 ; Nouveau christianisme, 1825). En 1848, Auguste Comte fait même du saint-simonisme une église hiérarchisée, l’Église positiviste.
En 1841, Ludwig Feuerbach, ancien disciple de Hegel, en devient le principal critique en publiant L’Essence du christianisme, un ouvrage fondateur d’un véritable courant matérialiste. Selon son auteur, croire en Dieu est un facteur d’aliénation : dans la religion, l’homme perd beaucoup de sa créativité et de sa liberté125. De par sa prise de distance avec le phénomène religieux, l’ouvrage s’inscrit dans sillage de la philosophie humaniste. Il va toutefois inciter Karl Marx et Friedrich Engels à critiquer très sévèrement la part idéaliste de l’humanisme (lire infra).
En 1845, dans la sixième thèse sur Feuerbach, Marx écrit que « l’essence humaine, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Il inaugure ainsi une critique de l’humanisme en tant que conception idéaliste de l’homme126 : « Les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale. Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. »127.
La question de savoir si Marx est humaniste ou non s’est fréquemment posée au xxe siècle128,129. Les avis sont partagés. Lucien Sève, par exemple, estime que c’est le cas mais Louis Althusser pense le contraire. Selon lui :
Avant 1842, Marx est un humaniste traditionnel. Marqué par Kant (qui fait l’apologie du sujet et selon qui celui-ci doit toujours choisir son action de sorte qu’elle devienne « la règle de l’humanité) mais aussi par les libéraux anglais (qui font coïncider l’intérêt de l’individu avec l’intérêt général), il évoque tout comme eux « l’essence de l’homme ».
De 1842 à 1845, Marx ne pense plus à « l’homme » mais aux hommes, dans leur pluralité. Et il estime qu’ils peuvent aussi bien obéir à la déraison qu’à la raison. À la différence de « l’homme », qui n’est qu’une idée abstraite et idéale, les hommes sont des entités concrètes, inscrites dans l’Histoire. Or l’Histoire résulte du conflit entre la raison et la déraison, la liberté et l’aliénation.
À partir de 1845, Marx non seulement rompt avec toute théorie sur « l’essence de l’homme » mais il estime que toutes les théories de ce type (qu’il regroupe sous le terme « humanisme ») forment une idéologie, un moyen plus ou moins conscient pour les individus qui les propagent d’entretenir une forme de domination sur d’autres individus. Il entreprend alors de fonder une théorie de l’Histoire sur autre chose que « l’homme »130.
Jacques Ellul estime que l’analyse d’Althusser est biaisée : si, comme il le prétend, Marx devient un anti-humaniste, c’est parce qu’il taxe l’humanisme d’idéalisme. Mais ce faisant, il appelle de ses vœux un humanisme matérialiste : « il rejette la philosophie humaniste du xixe siècle bourgeois. (…) Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il n’est pas un humaniste. Si « humanisme » signifie donner à l’homme une place privilégiée, dire qu’il est créateur d’Histoire et qu’il peut seul se choisir pour devenir quelque chose de nouveau, alors Marx est parfaitement humaniste »131. Ellul considère par conséquent que Marx incarne à lui seul le passage d’un certain type d’humanisme (que Marx fustige) à un autre type d’humanisme (qui se concrétisera de fait et qu’on appelle aujourd’hui « humanisme-marxiste »).
En 1859, Marx écrit : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. (…) On ne juge pas un individu sur l’idée qu’il a de lui-même. On ne juge pas une époque de révolution d’après la conscience qu’elle a d’elle-même. Cette conscience s’expliquera plutôt par les contrariétés de la vie matérielle. »132. Et il considère que les institutions politiques, les lois, la religion, la philosophie, la morale, l’art, la conscience de soi… (qu’il regroupe sous le terme « superstructures ») sont façonnés, déterminées, par les conditions de production (climat, ressources naturelles), les forces productives (outils, machines) et les rapports de production (classes sociales, domination, aliénation, salariat…), qu’il appelle « infrastructures ».
Dans L’évolution de l’Homme(1879), de Ernst Haeckel, l’homme constitue le point culminant de toute l’évolution.
L’argument selon lequel la science prend le relai de la religion imprègne toute la pensée du xixe siècle et culmine en 1859 quand le paléontologue anglais Charles Darwin publie De l’origine des espèces, ouvrage aujourd’hui considéré comme le texte fondateur de la théorie de l’évolution. Sur la base de recherches scientifiques, il avance l’idée que les espèces vivantes, végétales et animales, descendent d’autres espèces, les plus anciennes ayant disparu, et qu’il est possible d’établir une classification en vue de déterminer leurs « liens de parenté » (thèse de la sélection naturelle).
Accessible au grand public, ce livre fait l’objet de débats intenses et passionnés, qui ne prendront fin que beaucoup plus tard, suscitant notamment l’opposition de l’Église anglicane133 et du Vatican134 car il contredit la théorie religieuse en vigueur à l’époque de la création divine des espèces de manière séparées et leur immutabilité. Cette réaction des Églises leur sera préjudiciable.
En 1866, le naturaliste allemand Ernst Haeckel commence à représenter la filiation des espèces sous la forme d’arbres généalogiques : les arbres phylogénétiques. On notera que, loin de figurer l’homme comme une espèce parmi d’autres, et donc de le déprécier, il le place systématiquement en bout de chaîne, comme constituant le point le plus avancé de l’évolution de la nature. Ce type de représentation s’inscrit dans la pure tradition humaniste135.
L’homme objet, l’argent sujet
En 1867, dans Le Capital, Marxconteste la glorification de l’homme en tant que « sujet », visioninaugurée par Kant et la philosophie des Lumières. Dans le monde capitaliste, explique-t-il, l’économiefaçonne entièrement les modes de vie, la circulation de l’argent joue un rôle « capital » et le fruit du travail des hommes n’étant plus considéré que comme une vulgaire marchandise, les humains, pour se sentir reconnus, en viennent à « fétichiser toute marchandise », ils lui sont aliénés. Aux yeux de Marx, « l’essence » de l’homme et la « nature humaine » sont par conséquent des concepts philosophiques ne présentant plus aucun intérêt. Ellul résume ainsi la position de Marx : « Un nombre croissant d’individus cessent de pouvoir agir sur la société : ils cessent d’être sujets pour être transformés en objets. Et c’est l’argent, qui devrait être objet, qui devient sujet »136.
Si l’on prétend encore s’intéresser à l’homme, explique Marx, c’est vers l’étude de ses « conditions » matérielles qu’il faut désormais se tourner puis, ensuite, vers les modalités selon lesquelles on peut agir pour les abolir et ainsi se désaliéner. Ellul avance la thèse que si les marxistes n’ont jamais réussi à réaliser le projet émancipateur de Marx par la révolution, c’est parce qu’il n’ont pas compris ce que dit Marx à propos de l’argent : le problème majeur n’est pas tant de savoir qui sont ceux qui l’accumulent à leur profit puis de les renverser que l’argent lui-même : celui-ci en effet est devenu
« … le médiateur de toutes les relations. Quelle que soit la relation sociale, elle est médiatisée par l’argent. Au travers de cet intermédiaire, l’homme considère son activité et son rapport aux autres comme indépendants de lui et dépendants de cette grandeur neutre qui s’interpose entre les hommes. Il a extériorisé son activité créatrice, dit Marx, qui ajoute : L’homme n’est plus actif en tant qu’homme dans la société, il s’est perdu. Cessant d’être médiateur, il n’est plus homme dans la relation avec les autres ; il est remplacé dans cette fonction par un objet qu’il a substitué à lui-même. Mais en agissant ainsi en considérant sa propre activité comme indépendante de lui, il accepte sa servitude. (…) Dans la médiation de l’argent, il n’y a plus aucune espèce de relation d’homme à homme ; l’homme est en réalité lié à une chose inerte et les rapports humains sont alors réifiés. »
— Jacques Ellul, La pensée marxiste, La table ronde, coll. « Contretemps », 2003, p. 175.
Reprenant l’argument d’Althusseraffirmant que Marx est un antihumaniste, Ellul rétorque que ce n’est pas Marx qui est antihumaniste mais son époque, dès lors que les relations entre les humains sont totalement dépendantes de l’argent dont ils disposent. alors que cet argent ne devait rester pour eux qu’un vulgaire objet, ils en sont devenus la « chose »137.
« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? (…) La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? »
Ernest Renan souhaite en 1890 que l’humanité soit « organisée scientifiquement ».
Cette formule de Nietzsche et sa théorie du surhomme sont souvent interprétées comme l’expression de la volonté de puissance, l’orgueil prométhéen, l’hybris. Certains138 y voient également la formulation d’une crainte sourde : que la croyance en Dieu s’éteignant, la religiosité n’emprunte d’autres voies139… notamment celle de l’humanisme. Déjà, en 1846, dans Misère de la philosophie, Pierre-Joseph Proudhon voyait dans celui-ci « une religion aussi détestable que les théismes d’antique origine »140.
Nietzsche ne dit pas explicitement que l’humanisme constitue une nouvelle religion mais il avance l’idée qu’une majorité de ses contemporains font du progrès un mythe et qu’à travers celui-ci, ils croient en l’homme comme on croit (ou croyait) en Dieu (lire supra). En 1888, il écrit ces mots :
« L’humanité ne représente nullement une évolution vers le mieux, vers quelque chose de plus fort, de plus élevé au sens où on le croit aujourd’hui. Le progrès n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse. L’Européen d’aujourd’hui reste, en valeur, bien au-dessous de l’Européen de la Renaissance ; le fait de poursuivre son évolution n’a absolument pas comme conséquence nécessaire l’élévation, l’accroissement, le renforcement. »
— L’Antéchrist. Trad. Jean-Jacques Pauvert, 1967, p. 79
De fait, deux ans plus tard, dans L’avenir de la science, Ernest Renanécrit : « organiser scientifiquement l’humanité, tel est le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais légitime prétention »141. Il devient ainsi l’apôtre du scientisme, vision du monde s’inscrivant dans le sillage du rationalisme, du saint-simonisme et du positivisme, selon laquelle la science expérimentale prime sur les formes plus anciennes de référence (notamment religieuses) pour interpréter le monde142.
Pour certains critiques, l’athéismede Nietzsche a donc une conséquence que lui-même redoutait : une mystification de l’humanisme143,144. Pour d’autres, il signifie carrément la mort de l’humanisme : « en déplaçant l’homme de son statut de l’être, de son humanité vers sa nature la plus primitive, Nietzsche (…) déplace l’homme du piédestal de sa conscience pour le remettre sur pieds et sur terre, il le ramène à son corps et à sa biologie »145. S’il est permis d’analyser la pensée de Nietzsche comme une « réduction de l’humain à la biologie », celle-ci préfigure alors des thèses qui fleuriront au xxe siècle (lire infra). En tout cas, quelques années seulement après la mort de Nietzsche, un philosophe marqué par lui, Jules de Gaultier, critique vertement le scientisme : « aucune conception n’est plus contraire à l’esprit scientifique que cette croyance en un finalisme métaphysique. C’est purement et simplement un acte de foi. Le scientisme relève, sous ce jour, d’une croyance idéologique comme les diverses religions relèvent de la croyance théologique »146.
L’idéologie scientiste disparaîtra au début du xxe siècle et Jacques Ellull’expliquera en disant que « l’activité scientifique est (désormais) surclassée par l’activité technique (car) on ne conçoit plus la science sans son aboutissement technique », ses applications147. Stimulé par une quête permanente de confort, l’esprit utilitariste asservit la science à la technique et c’est cette dernière qui, à présent, est sacralisée :
« La technique est sacrée parce qu’elle est l’expression commune de la puissance de l’homme et que, sans elle, il se retrouverait pauvre, seul et nu, sans fard, cessant d’être le héros, le génie, l’archange qu’un moteur lui permet d’être à bon marché. »
Le début du siècle est ébranlé par les Guerres mondiales, les régimes totalitaires et les crises économiques. Chez les intellectuels, ces événements ruinent définitivement l’optimisme fondateur des Lumières152. Pourtant, au sein des populations, le confort domestique et les moyens de transport renforcent la « foi dans le progrès ». Au point que même les chrétiens, qui fustigeaient auparavant l’utilitarisme et le positivisme, participent de cet engouement153. Les avertissements d’un Georges Sorel, en 1908154, restent sans écho. Le progressismeest même célébré dans bon nombre de partis politiques.
Les régimes totalitaires infléchissent le débat sur l’humanisme : peut-on rester soi-même dans un mouvement de masse ? La politique est-elle une religion séculière ?…
Ici, seul contre tous, un homme refuse de faire le salut nazi en 1936.
Apparus au xviiie siècle et rigoureusement constitués à la fin du xixe, ceux-ci passionnent désormais les foules (création en France du Parti radical en 1901 et de la SFIO en 1905). En 1917, la Révolution russe, dont l’objectif proclamé est de concrétiser les analyses de Marx, va peu à peu scinder l’humanité en deux camps, le capitalisme et le socialisme, selon les principes économiques préconisés par le libéralisme ou au contraire le marxisme.
Après la Seconde guerre, Raymond Aron estime que, de par les espoirs qu’elle suscite, la politique est devenue une « religion séculière »155. Pendant plusieurs décennies, les deux blocs vont s’opposer par petites nations interposées et quand, à la fin du siècle, prend fin cette « Guerre froide » et que, partout sur la planète, le marché dicte ses lois et impose ses effets (conflits armés locaux, pauvreté, précarité…) mais que, paradoxalement, on qualifie cette période de « détente », les concepts d’illusion politique156 et de religion politique157 restent marginalement traités.
À la fin du siècle et encore aujourd’hui, le mot « humanisme » est très fréquemment prononcé dans le milieu politique mais deux facteurs concourent à sa relativisation, voire son effacement, chez les intellectuels :
les évolutions de l’électroniqueet de l’informatique sont telles qu’on les rassemble généralement sous le qualificatif de « révolution », la révolution numérique. Certains considèrent que s’ouvre une nouvelle ère. Le débat sur l’humanisme se structure alors sur les promesses du transhumanismeet les inquiétudes du post-humanisme.
Au début du siècle, à l’image des arts plastiques, qui, avec le cubisme, l’abstractionou le dadaïsme, brisent tous les codes de la représentation, les sciences humaines tendent à établir des diagnostics de plus en plus incertains et déstabilisants, tant ils bousculent les critères d’appréciation de la pensée ayant cours jusqu’à présent.
En 1900 parait L’Interprétation du rêve, un ouvrage rédigé par un médecin autrichien, Sigmund Freud. À peine remarqué sur le coup, ce livre va marquer la fondation d’une nouvelle discipline, la psychanalyse. À l’opposé d’un Descartes, qui postulait qu’il n’y a pas de connaissance possible sans une solide conscience de soi, puis d’un Kant, qui surenchérissait en faisant primer le sujet sur l’objet, Freud affirme que le moi ne peut en aucune manière être considéré comme une instance totalement libre : il est au contraire pris en étau, « complexé », entre le « ça » (constitué de toutes sortes de pulsions, essentiellement d’ordre sexuel) et le « surmoi » (ensemble de règles morales édictées par la société). Freud précise que, dès lors que les humains se préoccupent avant tout de répondre aux attentes sociales, ils refoulent leurs pulsions dans l’inconscient, rendant celles-ci toujours plus pressantes. Continuellement en proie au conflit, ils en deviennent chroniquement malades, névrosés. Vu sous cet angle, « l’homme » perd l’autorité naturelle dont l’humanisme de la Renaissance puis celui des Lumières l’avaient d’office auréolé. Bien que contestée par quelques confrères de Freud, cette thèse fera un temps autorité.
En 1917, analysant le processus de recul des croyances religieuses au profit des explications scientifiques, le sociologue allemand Max Weberutilise une expression qui sera ensuite fréquemment commentée : « le désenchantement du monde ». Par cette formule, Weber signifie une rupture traumatisante avec un passé considéré comme harmonieux, une perte de sens et un déclin des valeurs, du fait que le processus de rationalisation dicté par l’économie tend de plus en plus à imposer ses exigences aux humains161.
Dans les pays anglo-saxons, ces positions sont qualifiées d’anti-humanisme(en), car déterministes, accordant aux individus une marge de liberté moindre. L’Allemand Walther Rathenau déplore que le perfectionnement exponentiel des machines et des outils ne s’accompagne pas d’un progrès spirituel162 et le Français Paul Valéry, commentant le bilan meurtrier de la Première Guerre mondiale et décrivant la science comme « atteinte mortellement dans ses ambitions morales » et « déshonorée par la cruauté de ses applications » évoque une « crise de l’esprit »163.
La question du machinisme
Durant les années 1920 et 1930, un grand nombre d’intellectuelsadoptent des positions critiques sur l’emprise des machines sur les humains, notamment dans le monde du travail164.
En 1921, Romain Rolland publie La révolte des machines ou La pensée déchaînée, le scénario d’un film de fiction s’inspirant du mythe de Prométhée165. Et recevant le Prix Nobel de littérature en 1927, Henri Bergson prononce ces mots : « On avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien »166. La même année, Henri Daniel-Rops estime que « le résultat du machinisme est de faire disparaître tout ce qui, en l’homme, indique l’originalité, constitue la marque de l’individu »167. En 1930, dans La Rançon du machinisme, Gina Lombroso voit dans l’industrialisation un symptôme de décadence intellectuelle et morale168. L’année suivante, Oswald Spengler écrit : « La mécanisation du monde est entrée dans une phase d’hyper tension périlleuse à l’extrême. […] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l’empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine »169. Et dans De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale, Nicolas Berdiaev écrit : « si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. (…) La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine »170,171. Et deux ans plus tard, dans L’homme et la machine, il estime que « l’apparition de la machine et le rôle croissant de la technique représentent la plus grande révolution, voire la plus terrible de toute l’histoire humaine ».
En 1932, dans son récit d’anticipationLe meilleur des mondes, Aldous Huxley décrit un univers conditionné par les sciences génétiques. L’année suivante, Georges Duhamel écrit : « La machine manifeste et suppose non pas un accroissement presque illimité de la puissance humaine, mais bien plutôt une délégation ou un transfert de puissance. (…) Je ne vois pas, dans le machinisme, une cause, pour l’homme, de décadence, mais plutôt une chance de démission. (…) Nous demandons à nos machines de nous soulager non seulement des travaux physiques pénibles, mais encore d’un certain nombre de besognes intellectuelles. (…) Notre goût de la perfection, l’une de nos vertus éminentes, nous le reportons sur la machine »172. En 1934, dans Technique et civilisation, Lewis Mumford s’interroge : « En avançant trop vite et trop imprudemment dans le domaine des perfectionnements mécaniques, nous n’avons pas réussi à assimiler la machine et à l’adapter aux capacités et aux besoins humains »173. La même année, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Simone Weildécrit le progrès technique comme n’apportant nullement le bien-être mais la misère physique et morale : « Le travail ne s’accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu’on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort »174. En 1936, dans une scène célèbre de son film Les Temps modernes, montrant un ouvrier pris dans les engrenages d’une gigantesque machine, Charles Chaplin soulève la question de l’aliénation dans le travail mécanisé.
En 1919 et 1920, à la suite du traumatisme causé par la défaite de la Première Guerre mondiale et dans un contexte marqué par le développement du machinisme, l’historien et philologue allemand Werner Jaeger publie deux articles intitulés respectivement Der humanismus als Tradition und Erlebnis (« L’humanisme en tant que tradition et expérience ») et Humanismus und Jugendbildung(« Humanisme et formation de la jeunesse »). Ils conduisent, en 1921, le philosophe Eduard Spranger(de) à appeler de ses vœux un « troisième humanisme », dans la continuité d’un « premier humanisme », auquel il associe Érasme, et d’un « néo-humanisme » (Neuhumanismus) qui fait référence à Goethe et son cercle.
L’expression « troisième humanisme » apparaît chez Jaeger lui-même en 1934, un an après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et deux ans avant qu’il n’émigre aux États-Unis pour fuir le nazisme. Ce concept « participe de l’idée d’un affaiblissement des « valeurs » traditionnelles, accablées par les maux d’une modernité aussi délétère que mal définie. Il se présente (…) comme une tentative de régénération (et) se traduit par l’abandon des certitudes positivisteset historicistes de la fin du xixe siècle. Il se veut une réponse au besoin de « réorientation » dont l’érudition de l’époque weimariennese fait l’écho. Il s’inscrit d’autre part dans la tradition de retour aux Grecs qui, depuis la Goethezeit, n’a cessé d’alimenter la vie intellectuelle allemande175. (…) Les recherches de Jaeger sont en effet guidées par une intuition : celle que l’homme grec fut toujours un homme politique, que l’éducation et la culture, en Grèce ancienne, furent inséparables de l’ordre communautaire de la polis. Aussi le nouvel humanisme ne peut-il être (…) qu’un humanisme politique, tourné vers l’action et ancré dans la vie de la cité »176.
Aux États-Unis, Jaeger poursuivra ses efforts pour promouvoir l’humanisme sur la base des valeurs de l’Antiquité grecque177 mais sans grand succès.
À peine revenus des camps de la mort, auxquels ils ont survécu, l’Italien Primo Leviet le Français Robert Antelme décrivent les souffrances qu’ils y ont enduré et les scènes d’horreur extrême dont ils ont été les témoins178. Des années plus tard, ils seront suivis par le Russe Alexandre Soljenitsyne, survivant des goulags soviétiques179.
Analysant en 2001 ces génocides et celui, plus récent, du Rwanda, l’essayiste Jean-Claude Guillebauds’interroge sur le sentiment d’impuissance qu’ils suscitent au sein des institutions internationales, sur la façon selon lui superficielle dont les médias en rendent compte ainsi que sur la légèreté avec laquelle, dans ce contexte, on ose encore parler d’humanisme :
« On pourrait s’indigner de l’incroyable légèreté du discours médiatique lorsqu’il évoque ce qu’on pourrait appeler « la nouvelle question humaniste ». Dans le babillage de l’époque, l’humanisme est parfois puérilement désigné comme une revendication gentille, désuète, attendrissante, moralisatrice, etc. La référence à l’homme est ingénument ravalée au rang d’un moralisme doux, d’une sorte de scoutisme que la technoscience n’admet plus qu’avec une indulgence agacée. Humanisme et universalisme sont perçus, au fond, comme les survivances respectables mais obsolètes d’un monde ancien180. »
En 1987, le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe trouve cependant à dire que « le nazisme est un humanisme, en tant qu’il repose sur une détermination de l’humanitas à ses yeux plus puissante, c’est-à-dire plus effective, que toute autre. (…) Qu’il manque à ce sujet l’universalité, qui définit apparemment l’humanitas de l’humanisme au sens reçu, ne fait pas pour autant du nazisme un anti-humanisme »25.
Tout aussi virulent à l’encontre de ce qu’on appelle l’« humanisme » mais toutefois plus nuancé en ce qui concerne les accointances de celui-ci avec les systèmes totalitaires, Claude Lévi-Strauss tient ces propos en 1979 :
« Ce contre quoi je me suis insurgé, et dont je ressens profondément la nocivité, c’est cette espèce d’humanisme dévergondé issu, d’une part, de la tradition judéo-chrétienne, et, d’autre part, plus près de nous, de la Renaissance et du cartésianisme, qui fait de l’homme un maître, un seigneur absolu de la création. J’ai le sentiment que toutes les tragédies que nous avons vécues, d’abord avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin les camps d’extermination, cela s’inscrit non en opposition ou en contradiction avec le prétendu humanisme sous la forme où nous le pratiquons depuis des siècles, mais dirais-je, presque dans son prolongement naturel, puisque c’est en quelque sorte d’une seule et même foulée que l’homme a commencé par tracer la frontière de ses droits entre lui-même et les autres espèces vivantes et s’est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l’espèce humaine, ses parents, certaines catégories reconnues seules véritablement humaines, d’autres catégories qui subissent alors une dégradation conçue sur le même modèle qui servait à discriminer entre espèces vivantes humaines et non humaines, véritable pêché originel qui pousse l’humanité à l’autodestruction181. »
Floraison d’humanismes
Tout au long du siècle, des penseurs d’opinions très différentes, voire divergentes, se réclament de l’humanisme182. Cette prolifération contribuant à rendre le concept d’humanisme de plus en plus flou, elle fait l’objet de multiples débats183, notamment lorsque « humanisme » et « politique » sont mis en corrélation. Ainsi, en 1947 Jacques Ellul écrit :
« Sitôt que l’on parle d’humanisme, on est en plein dans le domaine des malentendus. On pense à un certain sentimentalisme, à un certain respect de la personne humaine, qui n’est qu’une faiblesse et un luxe bourgeois et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’un écrivain communiste (…) avait en partie raison quand il écrivait : « la dignité humaine, les droits de l’homme, le respect de la personne, etc, on en a les oreilles rebattues ». Cette réaction est dure, mais je crois qu’elle est légitime en face de tout ce que l’on a appelé « humanisme ». Et, en particulier, l’un des malentendus qu’il faudrait dissiper, c’est (l’idée) que la démocratie serait humaniste et respecterait l’homme et (que) la dictature serait anti-humaniste et mépriserait l’homme. Tout notre temps est absolument subjugué par cette erreur, par cette antinomie au sujet de l’homme, entre démocratie et dictature184. »
L’humanisme chrétien
L’expression « humanisme chrétien » date des années 1930185. Par la suite, certains y voient un phénomène né avec les premiers « intellectuels » chrétiens (Saint Justin, Origène, Clément d’Alexandrie…)186. De façon générale, l’expression est utilisée pour différencier les intellectuels chrétiens du xxe siècle de ceux qui se revendiquent athées.
Il faut rappeler que l’humanisme de la Renaissance a été porté par des penseurs qui étaient « chrétiens » non pas forcément par conversion mais parce que cela allait à l’époque de soi : au sortir du Moyen Âge, il était inconcevable de s’éloigner de la doxa de l’Église sous peine d’être frappé d’hérésie. Et c’est parce qu’au fil du temps les intellectuels se sont affranchis de la tutelle morale de l’Église au point d’adopter des postures ouvertement agnostiques, voire – après Nietzsche – athées, que certains d’entre eux, invoquant leur foi chrétienne, réagissent en manifestant leur volonté d’insuffler une éthique qui sera en définitive qualifiée d’humanisme chrétien.
En France, c’est le cas notamment de Charles Péguy187, Léon Bloy, Georges Bernanos et Emmanuel Mounier ainsi que Jacques Maritain, le seul d’entre eux à prôner, en 1936, un humanisme d’un nouveau type qu’il qualifie d’intégral188, qu’il place sous le signe de la transcendance et de la « dignité transcendante de l’homme » et qu’il oppose à « un humanisme anthropocentrique refermé sur lui-même et excluant Dieu »38. Un certain nombre d’écrivains sont souvent rangés dans la catégorie « humanisme chrétien », dont principalement Julien Green38.
A la fin du siècle, le pape Jean-Paul II se positionne sur la question de l’humanisme en développant une critique de l’utilitarisme et du productivisme : « L’utilitarisme est une civilisation de la production et de la jouissance, une civilisation des “choses” et non des “personnes”, une civilisation dans laquelle les personnes sont utilisées comme des choses »191.
L’humanisme athée
On regroupe généralement sous l’étiquette « humanisme athée » les penseurs qui, dans le sillage de Marx, Nietzsche et Freud(surnommés maîtres du soupçonpar Paul Ricœur) contestent catégoriquement non seulement la religion mais la foi en Dieu.
Théologien catholique, Henri de Lubac déplore en 1944 ce qu’il appelle « le drame de l’humanisme athée », dont il situe les origines au xixe siècle, dans les prises de positions de Feuerbach, Saint-Simon et Comte192. Bien qu’occupant une place majeure dans le clergé (il est cardinal), de Lubac ne taxe pas ceux-ci d’anti-humanistes et ne porte pas sur eux un jugement normatif. Il ne peut d’ailleurs les condamner car l’Église n’exerce plus sur les consciences l’autorité dont elle disposait jusqu’alors. Il considère en revanche l’athéisme comme un fait social, une donnée objective avec laquelle les chrétiens (et pas seulement le clergé) doivent désormais composer. Il prend au sérieux les revendications des athées au libre arbitre et trouve digne et courageuse la position de Dostoïevski quand il pose la question : « mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? »193. Cette position traduit selon lui l’angoisse et le doute que le Christ lui-même a exprimé peu avant de mourir : « Mon dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » (Mc 15,34 et Mt 27,46).
En France, Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont eux aussi considérés fréquemment comme des humanistes athées197. Certains, toutefois, font remarquer que si l’athée est « celui pour qui la question de Dieu ne se pose pas », cet adjectif ne s’applique pas à Camus : non seulement celui-ci n’est pas « indifférent à la question de Dieu » mais il s’efforce de se confronter à elle. Il est donc préférable de qualifier Camus d’agnostique198.
Dans le sillage de l’idéologie scientiste du xixe siècle, quelques intellectuels européens, aussi bien chez les athées que chez les chrétiens, s’efforcent dans les années 1950 de promouvoir un humanisme qui serait basé sur les avancées de la science, notamment les théories de l’évolution, mais formulé dans une rhétorique religieuse assumée. C’est le cas principalement du français Teilhard de Chardin et de l’anglais Julian Huxley, le second traduisant les ouvrages du premier en anglais.
Dans Le Phénomène humain, paru juste après sa mort en 1955 et qu’il qualifie lui-même d’« introduction à une explication du monde », Teilhard établit une relation entre ses recherches en paléontologie et ses positions en tant que théologien. Selon lui, l’univers est en constante évolution vers des degrés toujours plus hauts de complexité et de conscience. Et il appelle « point Oméga » l’aboutissement de cette évolution. Relatant en 1956 l’approche de Teilhard (mais aussi celles d’Huxley et du zoologiste Albert Vandel), l’essayiste André Niel parle d’« humanisme cosmologique »199.
En 1957, Huxley, qui a fondé cinq ans plus tôt l’Union internationale humaniste et éthique et qui est biologiste, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme »200, cette fois pour lui donner le sens qu’on lui donne aujourd’hui : pour promouvoir l’idée que les humains sont désormais capables de dépasser leur condition grâce à la science et aux moyens techniques. Tel Auguste Comte qui voulait ériger le positivisme en église (lire infra), et bien que se réclamant rationalistecomme lui, Huxley souhaiterait que l’humanisme devienne une religion, une « religion de l’homme »201,202,14.
En 1963, Bernard Charbonneauqualifie Teilhard et Huxley de « prophètes d’un âge totalitaire »203.
Quand sont écrasés les trois grands régimes fascistes mondiaux (en Allemagne, en Italie et au Japon), s’ouvre une vaste lutte d’influence (dite Guerre froide) entre les deux grands « blocs », l’URSS et les États-Unis. Les révélations au sujet des massacres en URSS posent la question : humanisme et marxisme sont-ils compatibles ? En France, Maurice Merleau-Ponty ouvre le débat en 1947 avec Humanisme et terreur207, une compilation d’articles parus l’année précédente dans la revue Les Temps Modernes et qui, bien que remettant en cause les allégations de Koestler208, ont alors suscité de violentes polémiques dans les milieux intellectuels, notamment cette phrase : « Il n’y a que des violences, et la violence révolutionnaire doit être préférée parce qu’elle a un avenir d’humanisme […] Nous n’avons pas le choix entre la pureté et la violence, mais entre différentes sortes de violences »209. Cinq ans plus tard, le philosophe rompt finalement avec le marxisme et avec Sartre210, selon qui « le marxisme est l’horizon indépassable de notre temps »211.
Quelques intellectuels communistes défendent le concept d’humanisme-marxiste en évitant de remettre en cause la doctrine marxiste. C’est le cas notamment, en 1957, de Roger Garaudy212, membre actif du PCF, qui, après avoir été ouvertement stalinien, s’ouvre aux théories d’Antonio Gramsci (auxquelles s’oppose alors Althusser) et « qui promeut un matérialisme dans lequel l’homme, en étant ouvert au dialogue avec d’autres visions du monde, notamment chrétiennes, peut se créer lui-même »213.
C’est également le cas, en 1958, de la trostkyste américaine Raya Dunayevskaya214, qui combat le stalinisme sans mettre en cause le léninisme215, et celui, en 1968, d’Adam Schaff, qui représente la fraction la plus conservatrice du communisme polonais et se réclame lui aussi de l’humanisme205,216.
En 2018, le sociologue et philosophe marxiste Michael Löwyvoit en Ernest Mandel (1923-1995) un « humaniste révolutionnaire », au motif qu’il considérait que « le capitalisme est inhumain » et que « l’avenir de l’humanité dépend directement de la lutte de classe des opprimés et des exploités »217.
La psychologie humaniste
L’idéal humaniste gagne également certains secteurs des sciences humaines, notamment la psychologie aux États-Unis. En 1943, l’Américain Abraham Maslowpublie son premier ouvrage218. Son impact est tel que son auteur est considéré dans son pays comme l’initiateur d’un nouveau courant, la psychologie humaniste. Sa théorie de la motivation et du besoin (connue sous le nom de pyramide des besoins de Maslow) postule que le comportement des hommes est régi par la satisfaction de différents besoins : viennent d’abord les besoins physiologiques élémentaires, puis les besoins de sécurité ; ensuite le besoin d’être aimé des autres puis celui d’être reconnu par eux. Chaque besoin assouvi conduit les humains à aspirer à la satisfaction d’un besoin supérieur. Au sommet de la pyramide vient le besoin d’accomplissement de soi.
La psychologie humaniste introduit le postulat de l’autodétermination et s’appuie sur l’expérience consciente du patient : il s’agit de développer chez lui la capacité de faire des choix personnels (volontarisme). Selon les théoriciens de cette approche (outre Maslow, citons Carl Rogers), l’être humain est fondamentalement bon : s’il suit sa propre expérience et se débarrasse des conditionnements qui limitent sa liberté, il évoluera toujours positivement.
À la suite des tragédies de la Seconde Guerre, le courant de la psychologie humaniste est considéré comme exagérément optimiste en Europe. Introduit en France dans les années 1970 par Anne Ancelin Schützenberger219, il reste relativement peu répandu.
Dans leur Dialectique de la Raison, publiée en 1947 (mais seulement traduite en France en 1974222), Theodor W. Adorno et Max Horkheimer se demandent comment il est possible que la raison ait été défaillante au point de ne pas pouvoir anticiper la barbarie puis empêcher qu’elle perdure. Selon eux, une forme d’abêtissement général est à l’œuvre du fait que le monde occidental est structuré par l’industrie culturelle, la publicité et le marketing, qui constituent une forme difficilement perceptible de propagande du capitalisme. Tout cela, donc, non seulement ne provoque pas l’émancipation des individus mais au contraire les assujettit à un fort désir de consommer et génère une uniformisation des modes de vie, un nivellement des consciences. À force de matraquage médiatique, le capitalisme impose dans les consciences une conception du monde qui contribue, disent les philosophes marxistes, à imposer de facto un « anti-humanisme » : toute tentative pour penser et instituer une nouvelle forme d’humanisme s’annonce donc a priori ardue.
Certains critiques estiment toutefois que, contrairement à ce que peut induire a priori le discours d’Adorno, il faut voir en celui-ci un humaniste. Car s’il se livre à une critique radicale de la « vie fausse », cette critique permet en définitive d’envisager en creux la conception d’une « vie juste »223.
En marge du débat sur les effets du progrès techniquesur les humains, mais alors qu’aux lendemains de la tragédie de la Guerre bon nombre d’intellectuels se demandent si le terme « humanisme » a encore un sens, Sartre jette en 1944, dans L’Être et le Néant224, les bases de sa doctrine : l’existentialisme.
Aux marxistes, qui n’y voient qu’une « philosophe de l’impuissance », bourgeoise, contemplative et individualiste, il répond deux ans plus tard, lors d’une conférence à la Sorbonne. Selon lui, malgré le poids des déterminations économiques et sociales identifiées par Marx, mais dès lors qu’il est capable de les identifier, l’homme peut se réaliser, s’épanouir : l’existentialisme est d’autant plus un humanisme que l’homme est athée et que, unique créateur de ses valeurs, il assume courageusement sa solitude et ses responsabilités225. Il existe(matériellement) avant d’être (c’est-à-dire avant de décider d’être ceci ou cela) : « l’existence précède l’essence ».
En 1947, soit un an après la conférence de Sartre, Heidegger est à son tour interrogé : le mot « humanisme » est-il encore approprié ? Dans la Lettre sur l’humanisme, un texte assez court mais dense, le philosophe définit l’humanisme comme « le souci de veiller pensivement à ce que l’homme soit humain et non inhumain, privé de son humanité »226 et il estime que donner du sens à ce mot revient à questionner « l’essence de l’homme » en écartant la définition traditionnelle de « l’homme animal raisonnable ». Considérant que seul un homme est capable d’élaborer une pensée abstraite et que cette capacité tient au caractère subtil, complexe, de son langage, il pense toutefois que les humains auraient tort de se revendiquer « humanistes » de façon inconsidérée, dès lors que, de plus en plus dominés par la technique, ils tendent à devenir étrangers à eux-mêmes. Il conclut qu’on ne peut prendre position sur l’humanisme qu’en s’attelant à cette question.
Heidegger est généralement considéré comme un « anti-humaniste ». L’essayiste Jean-Claude Guillebaud estime que les choses sont plus complexes :
« Pour Heidegger, le désenchantement du monde, son asservissement par la technique, l’assujettissement de l’humanitas à la rationalité marchande ne sont pas des atteintes portées à l’humanisme, mais l’aboutissement de l’humanisme lui-même. C’est-à-dire du projet d’artificialisationcomplète de la nature par la culture humaine, d’un arraisonnement du naturel par le culturel, d’une volonté de maîtrise absolue du réel par la rationalité humaine. (…) Pour Heidegger, la science, la technique, la technoscience, ne constituent en rien un naufrage de l’humanisme traditionnel, mais tout au contraire son étrange triomphe227. »
Guillebaud cite alors le philosophe et juriste Bernard Edelman : « Par là même, l’humanisme révèle sa véritable nature : une alliance coupable de la philosophie et de la science, qui a réduit la philosophie à une pensée technique »228. Puis il poursuit son argumentation :
« L’humanisme n’aurait eu d’autre fin que d’asservir la nature à la rationalité et celle-ci à la technique. Toute l’œuvre de Heidegger peut s’interpréter comme une critique en règle de cet humanisme dévoué à la « facticité », tournant dramatiquement le dos à la nature, désenchantant le monde et finissant par priver peu à peu l’être humain de tout principe d’humanité, de toute humanitas229. »
« L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. »
En marge de ces événements, quelques intellectuels ouvrent un nouveau volet de la réflexion sur l’humain : la technocritique. Certains d’entre eux continuent de questionner le machinisme (c’est le cas notamment du sociologue Georges Friedmann232 et de l’écrivain Georges Bernanos233) mais la plupart tentent d’analyser la rationalité qui sous-tend non seulement la fabrication des machines mais aussi l’organisation du travail et la vie quotidienne. Ils ne parlent plus alors des techniques mais de latechnique, comme on parle de la science.
En 1946, dans La perfection de la technique, Friedrich Georg Jüngerconsidère que ce qu’on appelle « le progrès technique » correspond à un déficit spirituel, que la raison cherche à dissimuler234. En 1948, dans La mécanisation au pouvoir, Siegfried Giedion écrit : « Les relations entre l’homme et son environnement sont en perpétuel changement, d’une génération à l’autre, d’une année à l’autre, d’un instant à l’autre. Notre époque réclame un type d’homme capable de faire renaître l’harmonie entre le monde intérieur et la réalité extérieure »235.
« En dépit de toutes les perversions qu’a pu couvrir le discours humaniste, c’est à un humanisme concretqu’Orwell nous demande de nous tenir, même s’il faut sans cesse le reformuler à cause de ses compromissions historiques. S’il y a un espoir, il n’est pas dans telle catégorie sociale ou idéalisée, dans tel groupe humain sacralisé, encore moins dans tel individu charismatique. S’il y a un espoir, il ne peut être qu’en l’homme et en tout homme, à commencer par soi-même, et par ceux que l’on côtoie ici et maintenant. Parce que la menace antihumaniste est présente au cœur de l’être humain, c’est au cœur de chaque homme que se joue la lutte pour l’humanité. Personne n’a le droit de se reposer sur l’idée qu’il y aura toujours des êtres d’exception, des héros, des « hommes dignes de ce nom » chargés à sa place de perpétuer la dignité de l’espèce237. »
En 1950, le mathématicien américain Norbert Wiener, souvent présenté comme un humaniste238, publie un livre intitulé The Human Use of Human Beings (« l’usage humain des êtres humains ») dans lequel il envisage la « machine à décision »239.
En 1952, dans La Technique ou l’enjeu du siècle, Jacques Ellulpartage en grande partie ce pessimisme car il estime qu’en l’état des choses, la technique est devenue un processus autonome, qui se développe par lui-même, sans véritable contrôle d’ensemble de la part des humains (au sens du dicton populaire « on n’arrête pas le progrès »). Pour enrayer ce processus, explique-t-il, il faudrait d’abord que les humains soient à même de différencier « la technique » de « la machine » (la seconde n’étant à ses yeux qu’un aspect superficiel de la première).
Ellul insiste sur le fait que « le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps, de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace ». Et il ajoute que, s’ils tiennent à conserver un minimum de liberté, c’est à la prise de conscience de cette addiction à l’impératif d’efficacité que les humains doivent s’atteler240.
En 1956, dans L’Obsolescence de l’homme (qui ne sera traduit en France qu’en 2002242), Günther Anders qualifie de « décalage prométhéen » l’écart entre les réalisations techniques de l’homme et ses capacités morales puis de « honte prométhéenne » le sentiment de répulsion qu’il éprouve lorsqu’il est contraint de prendre conscience de cet écart243.
Les trois temps de l’humanisme
En 1956, dans un document produit pour l’Unesco et resté longtemps inédit244,245, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss identifie trois phases de l’humanisme : l’humanisme aristocratique (qui correspond à l’époque de la Renaissance, au cours de laquelle on a redécouvert les textes de l’Antiquité classique), l’humanisme exotique (correspondant au xixe siècle, quand l’Occident s’est ouvert aux civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient) et l’humanisme démocratique, plus récent, grâce à l’apport de l’ethnologie, qui « fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. » Lévi-Strauss précise :
« L’ethnologie et l’histoire nous mettent en présence d’une évolution du même type. (…). L’histoire, comme l’ethnologie, étudie des sociétés qui sont autres que celle où nous vivons. Elles cherchent toutes deux à élargir une expérience particulière aux dimensions d’une expérience générale, ou plus générale, qui devient ainsi accessible à des hommes d’un autre pays ou d’un autre temps. Comme l’histoire, l’ethnologie s’inscrit donc dans la tradition humaniste. (…) L’ethnologie fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. (…) Elle opère simultanément en surface et en profondeur. »
En 1958, le philosophe Gilbert Simondon traite à son tour de la question technique246 mais plaide en faveur d’un nouvel humanisme qui, comme celui des Lumières, serait construit sur l’esprit encyclopédique mais qui, en revanche, « ne régresserait pas au statut d’idéologie européo-centriste et scientiste, (ladite idéologie) ayant pour nom « universalisme de la raison humaine » »247.
Selon Jean-Hugues Barthélémy, exégète de la pensée de Simondon, l’encyclopédisme tel que celui-ci l’envisage « n’a pas vocation à être un système du savoir absolu et définitif », comme cela a été le cas à partir des Lumières, il doit au contraire être « automodifiable ». Simondon appelle de ses vœux un « humanisme difficile », en opposition à l’« humanisme facile » (idéologique et figé) hérité des Lumières248 : « l’humanisme ne peut jamais être une doctrine ni même une attitude qui pourrait se définir une fois pour toutes ; chaque époque doit découvrir son humanisme, en l’orientant vers le danger principal d’aliénation »249.
« Stimulante et originale à plus d’un titre, elle repose néanmoins sur un postulat critiquable : une adhésion de principe à la logique technoscientifique. Pour lui, indiscutablement, la technique est « bonne » en soi puisqu’elle n’est jamais qu’une cristallisation de la pensée humaine. Elle est d’ailleurs, par essence, universaliste et libératrice. C’est elle qui fait éclater les particularismes, les préjugés ou les intolérances du passé. C’est elle qui remet en question les symbolisations normatives d’autrefois et libère l’homme contemporain des anciennes sujétions ou assignations collectives. (…) La démarche est à l’opposé de celle d’Ellul. Là où Ellul prône la résistance critique, Simondon propose au bout du compte le ralliement et même le syncrétisme. Là où Ellul se méfie du « processus sans sujet » incarné par la technoscience, Simondon fait l’éloge de l’universalismetechnoscientifique. Il l’oppose même à l’archaïsme et au particularisme de la culture traditionnelle. Là où Ellul campe sur un principe de transcendance, Simondon sacrifie à un relativisme intégral. Il assigne ipso facto à la philosophie un devoir d’adaptation, plus raisonnable à ses yeux que toute démarche critique ou toute résistance cambrée250. »
Guillebaud avance que l’« humanisme difficile » de Simondon prépare le terrain du transhumanisme (lire infra).
En 1964, dans L’Homme unidimensionnel, le philosophe allemand Herbert Marcuse décrit une humanité entièrement façonnée par les médias ainsi que les techniques de publicité et de marketing, qui créent de faux besoins. Et selon le Canadien Marshall McLuhan, les médias – par leur nature même – façonnent les individus bien plus que les messages qu’ils véhiculent : ils entretiennent l’illusion d’une prise directe avec le réel. En 1966, dans Sept études sur l’homme et la technique, Georges Friedmannestime que la technique tend à devenir un milieu environnant, en lieu et place du milieu naturel, sans même que les humains ne s’en émeuvent251. De même en 1967, dans La Société du spectacle, Guy Debord décrit les humains sous l’emprise des marchandises mais inconscients de cette aliénation. Et les débats de société lui paraissent extrêmement superficiels, glissant sur les événements sans jamais en saisir le sens profond : le monde n’est plus pour lui qu’un « spectacle »252.
« Si la poursuite du développement demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d’amour, d’amitié, de prière et de contemplation. Ainsi pourra s’accomplir en plénitude le vrai développement, qui est le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines à des conditions plus humaines.253. »
Et en 1968, le psychanalystegermano-américain Erich Frommestime lui aussi qu’il est souhaitable et possible d’humaniser la technique254.
En 1969 et 1973, le Français Alain Touraineet l’Américain Daniel Bell introduisent l’idée que les humains évoluent dans une « société post-industrielle » : les éléments matériels (matières premières et machines) qui caractérisaient la société industriellesont désormais subordonnés à un grand nombre d’éléments immatériels (connaissance et information)255. Entretemps, dans La Société de consommation, Jean Baudrillard estime que les relations sociales sont à présent totalement structurées par la consommation.
En 1977, dans Le système technicien, Jacques Ellul avance la thèse que la technique forme désormais un système englobant. Lentement mais sûrement, les humains sont tenus de s’y conformer :
« Toute la formation intellectuelle prépare à entrer de façon positive et efficace dans le monde technicien. Celui-ci est tellement devenu un milieu que c’est à ce milieu que l’on adapte la culture, les méthodes, les connaissances des jeunes. L’humanisme est dépassé au profit de la formation scientifique et technique parce que le milieu dans lequel l’écolier plongera n’est pas d’abord un milieu humain mais un milieu technicien. (…) Lorsqu’on recherche un humanisme pour la société technicienne, c’est toujours sur la base que l’homme en question est avant tout fait pour la technique, le seul grand problème est celui de l’adaptation256. »
En 1988, dans Le bluff technologique, Ellul emprunte à Sartre et Jacquard l’expression « inventer l’homme »257. Mais, faisant référence à la montée de l’anthropotechnie, et comme Jacquard, c’est pour montrer aussitôt le caractère désespéré de cette formule258. Et devant l’émergence de ce que l’on appellera bientôt la « révolution numérique », il lâche ses mots : « le système technicien, exalté par la puissance informatique, a échappé définitivement à la volonté directionnelle de l’homme »259.
« La mort de l’homme »
En 1966, deux intellectuels français émettent des critiques radicales à l’encontre du concept d’humanisme, mais selon des points de vue très différents.
Guy Debordestime que, complètement immergés dans la société de consommation et l’univers des mass media, les humains sont façonnés par eux, « aliénés », au point de devenir des « barbares » :
« Le barbare n’est plus au bout de la Terre, il est là, constitué en barbare précisément par sa participation obligée à la même consommation hiérarchisée. L’humanisme qui couvre cela est le contraire de l’homme, la négation de son activité et de son désir ; c’est l’humanisme de la marchandise, la bienveillance de la marchandise pour l’homme qu’elle parasite. Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets, les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et les manifestations humaines réelles se changent en inconscience animale260. »
Debord développera cette idée l’année suivante dans son livre La société du Spectacle. Le terme « spectacle » ne signifiant pas « un ensemble d’images mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »261.
Michel Foucault, se référant au concept nietzschéen de « la mort de Dieu », annonce « la mort de l’homme », en tant qu’objet d’étude262 :
« Plus que la mort de Dieu (ou plutôt « dans le sillage de cette mort », selon une corrélation profonde avec elle, ce qu’annonce la pensée de Nietzsche), c’est la fin de son meurtrier ; (…) c’est l’identité du Retour du Même et de l’absolue dispersion de l’homme. (…) L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine263. »
Et considérant que toutes les positions morales et culturelles se valent, sont « relatives », il tourne le terme « humanisme » en dérision :
« On croit que l’humanisme est une notion très ancienne qui remonte à Montaigne et bien au-delà. (…) on s’imagine volontiers que l’humanisme a toujours été la grande constante de la culture occidentale. Ainsi, ce qui distinguerait cette culture des autres, des cultures orientales ou islamiques par exemple, ce serait l’humanisme. On s’émeut quand on reconnaît des traces de cet humanisme ailleurs, chez un auteur chinois ou arabe, et on a l’impression alors de communiquer avec l’universalité du genre humain.
Or non seulement l’humanisme n’existe pas dans les autres cultures, mais il est probablement dans la nôtre de l’ordre du mirage.
Dans l’enseignement secondaire, on apprend que le xvie siècle a été l’âge de l’humanisme, que le classicisme a développé les grands thèmes de la nature humaine, que le xviiie siècle a créé les sciences positives et que nous en sommes arrivés enfin à connaître l’homme de façon positive, scientifique et rationnelle avec la biologie, la psychologie et la sociologie. Nous imaginons à la fois que l’humanisme a été la grande force qui animait notre développement historique et qu’il est finalement la récompense de ce développement, bref, qu’il en est le principe et la fin. Ce qui nous émerveille dans notre culture actuelle, c’est qu’elle puisse avoir le souci de l’humain. Et si l’on parle de la barbarie contemporaine, c’est dans la mesure où les machines, ou certaines institutions nous apparaissent comme non humaines.
Tout cela est de l’ordre de l’illusion. Premièrement, le mouvement humaniste date de la fin du xixe siècle. Deuxièmement, quand on regarde d’un peu plus près les cultures des xvie, xviie et xviiie siècles, on s’aperçoit que l’homme n’y tient littéralement aucune place. La culture est alors occupée par Dieu, par le monde, par la ressemblance des choses, par les lois de l’espace, certainement aussi par le corps, par les passions, par l’imagination. Mais l’homme lui-même en est tout à fait absent264. »
L’humanisme contre l’homme
Un an après les positions de Debord et Foucault, Ellul se livre à une critique plus radicale encore :
« Comment nier que l’humanisme a toujours été la grande pensée bourgeoise ? Voyez comme il s’est répandu partout. (…) Maintenant, il est un rassurant thème de devoirs d’école primaire et tout le monde en veut : il s’agit de prouver que le marxisme est un humanisme, que Teilhard est humaniste, que le christianisme est un humanisme, etc. Mais il est toujours le même. Il a toujours été ce mélange de pseudo-connaissance de l’homme au travers desdites humanités, de sentimentalité pleurnicharde sur la grandeur de l’homme, son passé, son avenir, ses pompes et ses œuvres, et sa projection dans l’absolu de l’Homme, titularisé. L’humanisme n’est rien de plus qu’une théorie sur l’homme.
Depuis longtemps, on a dénoncé le fait que, grâce à cette théorie, grâce à cette exaltation, on pouvait éviter de considérer la réalité, le concret, la situation vécue de l’homme. (…) L’humanisme est la plus grande parade contre la réalité. Il s’est présenté comme doctrine pour éviter que, du premier coup, chacun ne voie qu’il était simple discours et idéologie ». (…) Doctrine, certes, mais toujours exposée dans les larmoiements. (…) Le tremolo est la marque du sérieux. Il fallait à tout prix empêcher d’apercevoir le hiatus entre « l’Homme de l’humanisme » et « les hommes menant leur vie concrète ». C’est la sentimentalité qui comble le hiatus. (…) L’unité de l’objet et du sujet se reconstitue dans la sentimentalité. On ne peut plus à ce moment accuser l’humanisme de manquer de sérieux ou de concret. Cette comédie du sérieux à l’état pur fut encore une invention géniale du bourgeois. elle révèle par son existence même ce qu’elle prétendait cacher, à savoir l’éclatement de l’homme, dénoncé par Marx, et non seulement voilé mais provoqué par l’humanisme lui-même. Il suffit de poser la question de la coïncidence historique : « Quand donc l’humanisme fut-il clamé et proclamé ? ». Exactement au moment où, dans ses racines, l’homme commençait à être mis en question par l’homme265. »
Pour expliquer comment et pourquoi « l’humanisme est la plus grande parade contre la réalité », Ellul précise :
« Se justifier soi-mêmeest la plus grande entreprise de l’homme, avec l’esprit de puissance, ou plutôt après la manifestation de cet esprit. Car l’homme ayant agi ou vécu selon cet esprit ne peut pas se contenter d’avoir réalisé sa puissance, il faut encore qu’il se proclame juste266. »
Globalement, il approuve l’analyse de Debord267 mais très partiellement seulement celle de Foucault :
« (Son) radical rejet de presque tout ce qui constitue l’humanisme est bon. Mais (il) a tort de ne pas voir que, ce faisant, il poursuit exactement ce que l’humanisme avait commencé. L’humanisme, système de liquidation de l’homme dans sa période primaire de son asservissement, de sa mise en question, œuvres l’un et l’autre du bourgeois, n’est plus aujourd’hui pour continuer la persévérante néantisation de l’homme. Les moyens (techniques) dépassent infiniment l’idéologie (de l’humanisme). Il fallait mettre en accord la pensée avec la situation268. »
Ellul reproche ainsi à Foucault d’exprimer une « fausse contradiction »269 : compte tenu de la prégnance de l’idéologie technicienne, il est non seulement inutile de critiquer l’humanisme sans critiquer l’idéologie technicienne mais critiquer le premier sans critiquer la seconde revient à alimenter soi-même la seconde.
« Renaissance de l’humanisme » ?
S’opposant à ces prises de positions pour le moins négatives, certains veulent croire en la pertinence du concept d’humanisme. C’est entre autres le cas de deux scientifiques français : l’ethnologueClaude Levi-Strauss, en 1973, puis le neurobiologisteJean-Pierre Changeux, dix ans plus tard.
Tous deux se disent humanistes mais leurs points de vue sont radicalement différents.
Humanisme et ethnologie
Selon Claude Levi-Strauss, « après l’humanisme aristocratique de la Renaissance et l’humanisme bourgeois du xixe siècle », l’ethnologie pourrait marquer l’avènement d’un nouvel humanisme :
« Quand les hommes de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance ont redécouvert l’antiquité gréco-romaine,(…) (ils) reconnaissai(en)t qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de terme de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne (…) le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux. (…) Aux xviie et xixe siècles, l’humanisme s’élargit avec le progrès de l’exploration géographique. (…) En s’intéressant aujourd’hui aux dernières civilisations encore dédaignées – les sociétés dites primitives – l’ethnologie fait parcourir à l’humanisme sa troisième étape. Sans doute sera-t-elle aussi la dernière, puisqu’après cela, l’homme n’aura plus rien à découvrir de lui-même, au moins en extension270,271. »
« L’homme neuronal »
En 1983 parait en FranceL’homme neuronal, de Jean-Pierre Changeux, un ouvrage qui déclenche un grand nombre de réactions, notamment chez les philosophes et les psychanalystes. Portée par les avancées dans le domaine des neurosciences, la thèse développée est biologisante272 : elle s’appuie sur un modèle théorique scientisteet réductionniste qui consiste à appliquer aux phénomènes sociaux une grille de lecture inspirée des sciences de la vie ; autrement dit selon lequel les conditions naturelles et organiques de la vie et de son évolution (gènes, hormones, neurotransmetteurs, lois néodarwiniennes) constituent la base non seulement de la réalité physique des hommes mais aussi de ce qui autrefois était considéré comme « spirituel » : « le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais à quoi bon parler d’esprit ? », résume Changeux. En cela, sa conception de l’homme est l’héritière de la philosophie mécaniste de Descartes (théorie de l’homme-machine, début du xviie siècle) et de La Mettrie (début du xviiie siècle), du transformisme de Lamarck (fin du xviiie siècle) et du darwinisme social d’Herbert Spencer(fin du xixe siècle) ; et plus récemment de la psychologie évolutionniste (début du xxe siècle) et de la sociobiologie (seconde moitié du xxe siècle)273.
Mais Changeux se défend d’être déterministe, plus précisément adaptationniste. Selon lui, le cerveau peut faire preuve d’une plasticité étonnante et, du moment que l’on prend conscience de son fonctionnement, on peut agir sur soi-même, développer les capacités que l’on souhaite et modifier dans une certaine mesure ses comportements. L’homme est « programmé pour être libre ». À la question, « la biologie est-elle un humanisme ? », le sociologue Sébastien Lemerle répond qu’il y voit surtout le signe d’un conformisme extrême au libéralisme économique : « Dès le début des années 1980, Robert Castelobservait que la passion pour la biologie pouvait être une arme de guerre contre la pensée critique. Dans les entreprises, racontait-il, quand les salariés se plaignent d’être dépossédés de leur autonomie par une nouvelle organisation du travail, l’une des réponses des services de gestion du personnel consiste à reformuler les problèmes dans un registre « psychologisant » fondé en partie sur la biologie : « Votre mal-être est un problème relationnel, on peut y remédier en vous aidant à vous reprogrammer et en éliminant les pensées et comportements négatifs », grâce à la programmation neuro-linguistiquepar exemple. Pour le biologisme, plutôt que de changer le monde, il vaut mieux s’y adapter »274.
Toutefois, le mathématicien Jean-Pierre Kahane voit dans la pensée de Changeux la marque d’un « vibrant humanisme »275. De même, les organisateurs du Prix Balzan (prix littéraire pour les neurosciences cognitives) estiment qu’il est « un maître à penser, un humaniste du xxie siècle »276. La journaliste Caroline Delageconsidère qu’il est « le parfait exemple de ce que l’on appelait autrefois un humaniste : un homme pétri d’histoire, de sciences et de beaux-arts »277. Changeux lui-même déclare « désirer faire passer un message humaniste »278.
L’humanisme et les « -ismes »
À partir des années 1970, différents intellectuels estiment qu’il importe d’analyser le mot « humanisme » ainsi que tous ceux auxquels il est le plus souvent associé (christianisme, athéisme, scientisme, marxisme…) afin de déceler : 1°) ce qui les rapproche par delà leur antagonisme apparent ; 2°) inversement, le côté utopique de vouloir les associer ; 3°) l’impossibilité pure et simple de les définir.
En 1979, Jacques Ellul se réfère entre autres à la théologie de la libérationpour démontrer que « christianisme » et « marxisme » ne sont nullement contradictoires, précisément parce qu’ils sont tous deux des idéologies ; terme qu’il définit ainsi : « dégradation sentimentale et vulgarisée d’une doctrine politique ou d’une conception globale du monde »279.
En 1982, Ernesto Grassi, à l’inverse, démontre le caractère aporétique de l’expression « marxisme-humanisme », se référant à la fois à l’humanisme de la Renaissance, aux théories de l’histoire de Vico et aux positions d’Heidegger280,281 (lire infra). Selon lui, « le marxisme a négligé la relation établie par Vico entre travail et imagination. C’est la cœur de la différence entre marxisme et humanisme »282.
En 1995, l’historienne hongroise Mária Ormos estime que, compte tenu des effets de propagande, les mots sont complètement dévalués : la distinction entre l’« humanisme » affiché du stalinisme et l’« anti-humanisme » du nazisme ne peut être la source d’aucun enseignement, elle n’a pas de sens283.
À la fin du siècle, l’idéologie humaniste est entrée dans le moule institutionnel (lire infra) et les expressions ingérence humanitaire et aide humanitaire font partie du langage usuel. Mais au delà des arguments invoqués (entre-aide, générosité…), les critiques fusent.
En 1992, certains militants libertaires rapprochent l’humanitarisme des pratiques de philanthropie mises en place à la fin du xviiie siècle par les cercles libéraux : « les organisations humanitaires ressemblent aux femmes de patrons qui s’occupaient des pauvres pendant que leurs maris les fabriquaient »284.
Les milieux conservateurs ne sont pas non plus avares de critiques. Ainsi, en 1993, Luc Ferry fait remarquer que « l’on reproche volontiers au droit-de-l’hommisme de verser dans un « universalisme abstrait » et désincarné, oublieux des réalités historiques qui, seules, permettent de comprendre le sens véritable des conflits humains. Bien plus, on soupçonne la nouvelle charité de faire trop bon ménage avec le « business » : pour l’essentiel, elle servirait à donner bonne conscience aux téléspectateurs tout en assurant le succès médiatique de ses promoteurs »285.
Selon Marcel Gauchet, une « politique des droits de l’homme » est née en raison d’une « puissante poussée d’individualisme » mais le fait que les droits de l’homme sont précisément érigés en politique révèle « une incapacité à se représenter l’avenir et une impuissance à penser la coexistence de l’individu et de la société »287.
Par ailleurs, tout comme le concept de droit de l’homme, celui d’humanitude est dilué dans les logiques marchandes : alors qu’en 1987, le philosophe Albert Jacquardle définissait comme « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être »18, deux psycho-gériatres le réduisent par la suite à une marque déposée de soins.
Pour un « humanisme paradoxal et tragique »
En 1993, Jean-Michel Besnierpréconise un renouveau de l’humanisme288. Celui-ci, estime-t-il, doit être « paradoxal et tragique » :
« C’est dans la désillusion qu’il faut puiser les armes du renouveau. (…) Ayons le courage d’admettre que l’homme est méchant et naturellement égoïste, que la culture ne le met pas à l’abri des régressions vers la barbarie et que rien jusqu’à présent ne le distingue radicalement des animaux eux-mêmes. (…) L’humanisme désillusionné auquel nous sommes désormais contraints sera forcément non dogmatique : sa force résidera dans le refus qu’il oppose à toute ambition de réduire l’homme à une essence éternelle ou à une définition générique (…). Si l’optimisme ne nous est plus permis, il reste en revanche à accueillir la puissance mobilisatrice du pessimisme : car c’est être humaniste que de dire « non » au monde tel qu’il va et aussi de savoir (…) que l’inhumain est une part nécessaire de l’humain. (…) La ruine des absolus est une chance pour les hommes. (…) Enfin, n’est-il pas bon que l’humanisme se dégage du mol oreiller des consensus ? La bannière ne rassemblera qu’en tenant compte de ce qui divise. (…) Il n’est d’attitude humaniste que dans la sauvegarde des espaces où peuvent se négocier les conflits. (…) Un pessimisme actif vaut mieux qu’un optimisme béat, la régulation des conflits est préférable au confort éphémère des consensus et la charge contre le présent, même dépourvue d’illusions, comporte davantage d’humanité que la fuite en avant vers quelque insoutenable bonheur. Il n’est d’humanisme que paradoxal et tragique289. »
En 1998, Tzvetan Todorovs’éloigne de ses premières analyses structuralistes pour aborder la notion d’humanisme, en la démarquant catégoriquement de ce qu’il appelle l’« humanisme conservateur », l’« humanisme scientiste » et l’« humanisme individualiste »290, mais également de l’« humanisme politique » (notamment sa variante républicaine coloniale) et de l’« humanisme des Droits de l’homme »291. Il considère que, dans toutes ces familles, on veut « continuer à jouir de la liberté sans avoir à en payer le prix »292 et il plaide en définitive pour un humanisme basé sur trois principes qu’il appelle l’« autonomie du je », la « finalité du tu » et l’« universalitédes ils »293.
Commentant son livre, Sophie Ernst, philosophe à l’INRP propose cette typologie :
« Il y aurait l’humanisme comme idéologie, lorsque ne fonctionne qu’un simple schéma engendrant des lieux communs, assez nettement identifiables, et il y aurait l’humanisme comme idéal, ce que Todorov a tenté de reconstruire avec une certaine plausibilité. Mais pour ne pas tomber dans les travers de l’humanisme comme idéologie, cet humanisme comme idéal ouvert et comme matrice créative (…) a besoin de s’enraciner dans l’humanisme comme corpus294. »
En 1998, dans son essai Règles pour le parc humain, sous-titré Une lettre en réponse à la Lettre sur l’humanisme de Heidegger, le philosophe Peter Sloterdijkconsidère que l’humanisme, par l’intermédiaire des livres, a longtemps servi aux hommes à se donner une consistance, une raison d’être, une bonne conscience : cela leur a permis de « se domestiquer ». Mais l’avènement de la culture de masse et la prétendue « révolution » numérique clôturent définitivement cette époque : le temps de l’humanisme est révolu. Il l’est d’autant plus que, malgré les bonnes intentions qu’il affichait, il a dégénéré en bolchévisme ou en fascisme. « Qu’est-ce qui apprivoise encore l’être humain quand l’humanisme échoue dans son rôle d’école de l’apprivoisement ? », conclut le philosophe295.
L’année suivante, l’Américain Francis Fukuyama tire à son tour un signal d’alarme. Dans un article intitulé « Le dernier homme dans une bouteille »296,297 et surtout en 2002, dans son livre Our Posthuman Future (traduit la même année en français par La fin de l’homme)298, il popularise l’expression « post-humanisme ».
On confond souvent les termes « post-humanisme » et « transhumanisme ». Ainsi lorsqu’en 2002 le Français Rémi Sussanécrit :
« Le transhumanisme, c’est l’idée que la technologie donne à l’homme les moyens de s’affranchir de la plupart des limitations qui lui ont été imposées par l’évolution, la mort étant la première d’entre elles. À terme, on pourrait voir naître, au-delà du post-humain, les premières créatures post-biologiques : soit des intelligences artificielles succèderont à leurs géniteurs humains, soit les hommes eux-mêmes fusionnés avec la machine jusqu’à être méconnaissables299. »
La différence entre les deux termes est pourtant essentielle. Le premier désigne le constat quelque peu désabusé (de Sloterdijk et Fukuyama) du dépassement de la condition humaine par les technologies. Le second désigne en revanche un courant de pensée prosélyte, issu d’un milieu d’ingénieurs (pour la plupart originaires de la Silicon Valley) qui, non seulement ne sont pas consternés par la situation mais tendent au contraire à s’en féliciter, tout en reconnaissant les risques et dangers que cette mutation soulève.
xxie siècle
Humanisme et capitalisme
À la fin de la Guerre froide, le libéralisme économique régit l’ensemble de la planète. De plus en plus de services, autrefois gratuits, deviennent payants. Il en va ainsi, notamment, des prises de positions d’un nombre croissant d’économistes, de philosophes et de sociologues. C’est ainsi que, selon l’historien Jean-Pierre Bilski, le concept d’humanisme se trouve régulièrement instrumentalisé, manié de sorte à humaniserl’idéologie capitaliste300.
De tels gains questionnent, sinon la crédibilité de la philosophie, du moins celle du propos : l’humanisme ne sert-il pas de caution morale au capitalisme ? Ferry pose la question311 et Comte-Sponville y répond. Il soutient que le travail est une valeur tout en qualifiant le capitalisme d’amoral. Il refuse en effet de l’évaluer en termes d’éthique au motif que celle-ci ne concerne que les individus. Et arguant que la majorité d’entre eux n’entendent pas changer de système, il cautionne la légitimité de celui-ci312, non sans revendiquer un certain cynisme313.
Chez les patrons22 et les managerseux-mêmes, l’humanisme est fréquemment présenté comme une référence. Ainsi en 2012, Laurence Parisot, cite Érasme (« L’esprit d’entreprise est bien supérieur à l’activité de commerce qu’il engendre »314) pour affirmer « l’ambition humaniste » du Medef, dont elle est présidente. « Quand nous disons « compétitivité », souligne-t-elle, nous voulons dire « compétitivité équitable », ce qui signifie que nous mettons toujours l’homme au cœur de nos projets »315.
« Mettre l’homme au cœur des projets de l’entreprise »… Un an après le discours de Parisot, Jean-Michel Heitz, professeur en management, commente cette formule, après avoir convoqué un grand nombre de philosophes (Aristote, Kant, Hegel, Heidegger, Foucault, Ricœur…) :
« Bien-être et entreprise sont-ils des oxymores ? Seule la considération du profitsemble dominer l’économie, on voit quotidiennement des cas de licenciements abusifs et les drames humains qui s’ensuivent engendrant chômage, précarité et perte d’estime de soi. Paradoxalement le discours ambiant ne cesse de scander son objectif : replacer l’homme au centre. Vœu pieux, utopie ? Lorsque l’on est un manager qui a réfléchi à ce que peut être l’humanisme à notre époque et dans ce cadre, on voit que la première condition pour lui donner un sens nouveau, c’est de créer le bien-être au travail, afin que chacun le vive comme une activité épanouissante et non pas destructrice. (…) Dans ma carrière de manager au sein d’entreprises de caractère international, il m’a fallu peu de temps pour vérifier que le bon management, efficace, ne peut s’appuyer que sur le respect des personnes316. »
L’« humanisme » à l’agonie
En marge à la fois de l’instrumentalisation du discours humaniste dans le monde managérial, ou bien son discrédit par les philosophes postmodernes(dans le sillage de Foucault) ou encore l’utilisation fourre-tout du mot « humanisme », rares sont ceux qui manifestent un questionnement approfondi sur l’humanisme.
En quête permanente d’une issue positive au conflit israélo-palestinien, Edward Saïd lui consacre en 2003 son dernier livre317. Et quelques jours avant sa mort, il précise qu’il croit encore à l’humanisme en tant que valeur : « … (ce) mot que, têtu, je continue à utiliser malgré son rejet méprisant par les critiques postmodernessophistiqués »318. À la fin des années 2000, il arrive que le terme « humanisme » soit utilisé à des fins polémiques, pour alimenter des débats au sein d’une discipline en perte d’audience du fait de la montée en puissance des technologies, par exemple la psychanalyse à la suite de l’impact croissant des sciences cognitivesdans la communauté scientifique. Mais les prises de position sont alors loin de faire l’unanimité319,320,321.
Les bons sentiments
En 2008, Edgar Morin appelle de ses vœux « un humanisme concret » :
« Bien que pendant vingt années la notion d’humanisme a été ridiculisée par la pensée dominante, je crois qu’elle doit être sauvegardée. (…) Cet humanisme a deux visages: l’aspect judéo-chrétien (Dieu qui a fait l’homme à son image dans la Bible le premier visage) et une source grecque (les hommes dirigent leur cité, la capacité des humains à s’autogouverner, par la démocratie, avec cette idée que la raison est ce qui doit nous guider en tant qu’humain). Bien qu’il continue à être irrigué par l’évangélisme, le premier visage s’est laïcisé profondément (…). Je poursuis cet humanisme en rejetant l’autre visage, celui qui veut faire de l’homme le maître et le possesseur de la nature. Descartesl’énonce encore avec prudence en disant que la science doit permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature », mais le message deviendra plus impératif avec Buffon, Marx, avec le développement économique, technique et scientifique moderne qui met en marche la maîtrise du monde. Cet humanisme est non seulement arrogant, mais en plus il est devenu absurde puisque la maîtrise de la nature considérée comme un monde d’objets conduit à la dégradation non seulement de la vie, mais aussi de nous-mêmes. Il était fondé sur la disjonction absolue entre l’humain et le naturel, alors que nous sommes dépendants. Nous devons abandonner l’idée d’un humanisme où l’homme prend la place de Dieu. Il ne faut pas nous diviniser, il faut nous respecter. (…) Je reprends le flambeau de l’humanisme, avec ce qu’il comporte d’universalisme, mais en faisant la rupture avec ce qu’il comporte d’universalisme abstrait. (…) Je pense qu’il faut un humanisme concret, fait de diversités et d’unité, qui reconnaisse les diversités humaines qui sont des formes de richesse322. »
En 2011 à la Basilique Sainte-Marie-des-Anges de Rome et devant le pape Benoit XVI et un parterre d’ecclésiastiques, Julia Kristevarecommande « dix principes pour l’humanisme du XXIe siècle ». Elle clôt son discours par ses mots : « Face aux crises et menaces aggravées, voici venu l’ère du pari. Osons parier sur le renouvellement continu des capacités des hommes et des femmes à croire et à savoir ensemble. Pour que, dans le multivers bordé de vide, l’humanité puisse poursuivre longtemps son destin créatif.»323
En 2015, le pape Françoisconcentre sa réflexion sur le concept d’humanisme chrétien, précisant que ses bases sont l’humilité, le désintéressement et la béatitude et que les « tentations » qui empêchent son développement sont le pélagianisme et le gnosticisme324. Mais peu après, devant les membres de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement catholique italien, il déclare : « parler de l’éducation catholique équivaut à parler de l’humain, de l’humanisme. J’ai exhorté à donner une éducation inclusive, une éducation qui fasse une place à chacun et qui ne sélectionne pas de manière élitiste ceux qui bénéficieront de ses efforts325 ».
En 2016, il appelle les Européens à « un nouvel humanisme », tout en admettant que cette idée relève du « rêve »326 et d’une « utopiesaine »327 : « Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. (…) Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humainsa été sa dernière utopie »328.
De l’humanisme au transhumanisme
Le début de ce siècle est traversé par un certain nombre d’inquiétudes (catastrophe écologique, montée du terrorisme…) et d’incertitudes, toutes liées à la démocratisation des « technologies (elles sont toujours plus accessibles à tout un chacun), à leur montée en puissance incessante (notamment l’intelligence artificielle et les techniques de manipulations du vivant) et au fait que le droit et l’éthique ont de plus en plus de mal à suivre le rythme des innovations. Si bien que le débat sur l’humanisme tend peu à peu à laisser la place à celui sur le post-humanisme et le transhumanisme.
Les questions se multiplient dans la littérature et les médias : les humains sont-ils maîtres de la technologie ou « contraints » d’innover sans cesse329 ? Celle-ci les oblige-t-ils à « se réinventer » sans cesse330 ? Seront-ils un jour « remplacés »331, voire « dépassés » par elle332 ? Dès à présent, sont-ils encore autonomes333 ? Face aux droits de l’homme, faut-il envisager un droit du robot334 ?
Après que l’humanisme de la Renaissance se soit constitué autour de l’idée que la raison peut se développer indépendamment de la foi et que celui des Lumières se soit construit autour de la prétention de la première à se substituer à la seconde, les « technoprophètes »335 affirment que le temps de l’humanisme est clos et qu’en revanche s’ouvre celui du transhumanisme336,337. Leurs prises de position divisent alors ouvertement deux camps : d’un côté les technophiles, qui estiment que « l’innovation résoudra tous nos maux » ; en face, les technophobes, « qui craignent perpétuellement le pire »338 et selon qui, en particulier, l’« intelligence artificielle est contraire à la dignité humaine »339.
H+, un symbole du transhumanisme.
Dans le sillage de l’« humanisme difficile » de Simondon (lire infra), le philosophe belge Gilbert Hottois estime non seulement que le transhumanisme ne contredit pas l’humanisme mais qu’il s’inscrit dans sa lignée :
« Le transhumanisme offre quelque chose à répondre aux religions et aux métaphysiques qui continuent de jouer un rôle considérable de légitimation, souvent implicite voire inconsciente, dans les prises de position éthique et politique pour ou contre les projets de recherche et les innovations. […] Il offre encore quelque chose à dire face au nihilisme, c’est-à-dire au vide laissé par l’effondrement des grandes religions, métaphysiques et idéologies modernes. […] Il promeut rationnellement et délibérément une espérance d’auto-transcendance matérielle de l’espèce humaine, sans limites absolues a priori… […] Son intérêt est aussi critique : il invite à réfléchir à certains préjugés et illusions attachés aux humanismes traditionnels et modernes dont il révèle, par contraste, des aspects généralement peu ou non perçus. […] Pour une part dominante, ces humanismes sont antimatérialistes et spiritualistes. S’ils ne sont plus pré-coperniciens, ils véhiculent des images pré-darwiniennes. Ils reconnaissent l’Histoire, mais guère l’Évolution. Ils ne voient l’avenir de l’homme que sous la forme de l’amélioration de son environnement et de son amélioration propre par des moyens symboliques (éducation, relations humaines, institutions plus justes, plus solidaires, plus égalitaires, etc.). L’humanisme relève d’une image implicite partiellement obsolète de l’homme. […] C’est à l’actualisation de l’image de l’homme et de sa place dans l’univers que le transhumanisme modéré bien compris travaille. Le transhumanisme, c’est l’humanisme, religieux et laïque, assimilant les révolutions technoscientifiques échues et la R&D à venir, capable d’affronter le temps indéfiniment long de l’Évolution et pas simplement la temporalité finalisée de l’Histoire. C’est un humanisme apte à s’étendre, à se diversifier et à s’enrichir indéfiniment. »
— Gilbert Hottois, Le transhumanisme est-il un humanisme ?, Académie Royale de Belgique, 2014, p. 75-77
Jean-Claude Guillebaud fait remarquer qu’Hottois « consent de bonne grâce au nihilismecontemporain dans lequel il voit plus d’avantages que d’inconvénients »340. Et lui-même cite Hottois :
« Nous sommes dans un monde, où l’ontologie, la métaphysique, le fondamentalisme et toutes les notions phares qui en relèvent – tels que Dieu, la vérité, l’être, la nature, l’essence, la valeur en soi, etc. – sont en crise et nous estimons que cette crise n’est pas le mal. Le nihilisme qui s’y associe présente beaucoup d’aspects positifs, émancipateurs, diversificateurs, créativité épanouissante de possibilités et d’espoir. »
— Gilbert Hottois, Essai de philosophie bioéthique et biopolitique, Librairie Vrin, 1999
Le génie génétique est un domaine d’interventions techniques permettant de modifier la constitution d’un organisme en supprimant ou en introduisant de l’ADN. On y recourt par exemple dans le domaine de l’agriculture (on parle alors d’organismes génétiquement modifiés) mais aussi sur les animaux et sur l’homme, à des fins thérapeutiques. La transgénèse est le fait d’implanter un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. Mais dès lors que la nature et l’homme sont modifiés dans leurs fondements biologiques mêmes, ces modifications posent des problèmes d’ordre éthique.
Jusqu’à quel point la technique peut-elle être utilisée par la médecine pour palier des déficiences et anomalies naturelles d’un être humain ? Peut-on, en vertu de principes de prévention et par le biais de manipulations génétiques, doter un individu sain de qualités dont la nature ne l’a pas pourvu (principe de l’homme augmenté, défendu par les penseurs transhumanistes) ? Ainsi se posent deux questions majeures dans le champ de la bioéthique.
Faisant valoir que c’est le principe d’humanité tout entier qui est remis en question par des moyens techniques341, Jean-Claude Guillebaud défend en 1999 un humanisme paradoxal, « aussi éloigné d’un universalismeconquérant que d’un déconstructivisme suicidaire »342 et « consistant à s’ouvrir à l’altérité, mais en faisant preuve d’une fermeté retrouvée quant aux principes qui constituent notre héritage historique »343.
Depuis les origines de la psychologie, la notion d’intelligenceest controversée : en quoi consiste-t-elle, comment la mesure-t-on ? etc. Or, à partir de la seconde moitié du xxe siècle, des ingénieurs anglais et américains se sont efforcés de développer les processus d’automation dans des machines, au point que peu à peu s’est répandue l’expression « intelligence artificielle ». Durant les années 1980a émergé l’idée que celle-ci pourrait un jour se montrer plus performante que l’intelligence humaine. Au début du xxie siècle, quelques futurologuesestiment que, dans bien des domaines, à commencer celui de la logique, cela sera prochainement le cas. Ainsi, en 2005, dans un ouvrage traduit sous le titre Humanité 2.0, l’un d’eux, l’Américain Ray Kurzweil, appelle singularité technologique cet hypothétique moment344.
En 2004, les Américains Ray Siemens et John Unsworth forgent l’expression Digital Humanities345. Les humanités numériques peuvent être définies comme l’application du « savoir-faire des technologies de l’informationaux questions de sciences humaines et sociales »346. Elles se caractérisent par des méthodes et des pratiques liées à l’utilisation et au développement d’outils numériques ainsi que par la volonté de prendre en compte les nouveaux contenus et médias numériques, au même titre que des objets d’étude traditionnels.
En 2001, dans le sillage direct de la pensée de Gilbert Simondon (lire supra), Xavier Guchet se prononce « pour un humanisme technologique », « récusant à la fois les pensées technicistes du social et les doctrines pour lesquelles un humanisme véritable doit commencer par disqualifier les techniques industrielles »347.
En 2011, se basant sur la typologie de Lévi-Strauss, Milad Doueihi, historien des religions français, prône un « humanisme numérique »348,349. Selon lui, l’humanisme numérique vise à repérer ce qui peut être conservé de l’humanisme classique350.
Par delà les prises de position philosophiques, le début du siècle est concrètement marqué par le brouillage des frontières entre l’humain et ses artefacts :
les robots eux-mêmes échangent des informations entre eux (objets connectés) ;
les humains peuvent sinon de changer de sexe, au moins de genre (transidentité) ;
ils peuvent évoluer dans des environnements artificiels se substituant aux environnements naturels (réalité virtuelle) ;
par le biais des réseaux sociauxet de la blogosphère, ils peuvent se faire entendre bien au-delà de leur périmètre naturel et énoncer toutes sortes de propos, vérifiés et argumentés ou non, effaçant ainsi les limites entre fantasmes et vérité (ère post-vérité).
Dans ce contexte de porosité extrême entre la nature et l’artifice, les débats portent moins sur l’humanisme que sur le principe d’humanité, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Guillebaud351 :
« Voilà que la classique querelle de l’humanisme qui tournait autour de Heidegger et de l’héritage des Lumières, change brutalement de nature et de signification. Pourquoi ? Parce que cette fois, le point d’aboutissement de la rationalité humaniste n’est autre que le génie génétique, les biotechnologies, le cognitivisme, etc. Autrement dit, l’humanisme des Lumières débouche in fine sur une folle victoire contre… lui-même. Ce n’est plus la nature qu’il est en mesure d’asservir en la désenchantant, c’est le sujet lui-même. L’héritier de l’humanisme n’est donc plus cet homme rationnel, ce conquérant pressé de soumettre le monde à l’empire de sa raison. Le voilà réduit à une petite chose aléatoire qui n’est plus au centre du monde , à une « fiction » fragile que sa propre science est désormais capable de déconstruire352. »
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The Pomeranian culture, also Pomeranian or Pomerelian Face Urn culture[1] was an Iron Age culture with origins in parts of the area south of the Baltic Sea (which later became Pomerania, part of northern Germany/Poland), from the 7th century BC to the 3rd century BC, which eventually covered most of today’s Poland.
The Pomeranian culture developed in Western Pomerania covering the entire range of the Oder (Odra) and Vistula river basins. It has been sometimes associated with the Bastarnae. The original homeland of the Bastarnae remains uncertain. Babeş and Shchukin argue in favour of an origin in eastern Pomerania on the Baltic coast of northwestern Poland, on the grounds of correspondences in archaeological material e.g. a Pomeranian-style fibula found in a Poieneşti site in Moldavia.[4]
The most characteristic feature was the use of burial urns with faces. The urns were often contained in stone cists. The face-urns have lids in the form of hats, often miniature ear-rings of real bronze are added. The faces are sometimes modelled very naturalistically, and no two urns show the same face. Incised drawings on the urns show hunting scenes, chariot races or riders. Brooches of Certoza-type and necklaces of multiple bronze rings are typical examples of metal work.
The economy was similar to that of the Lusatian culture. Rye was systematically cultivated for the first time, but still formed a minor component of the cereals. There were fewer hill forts than in the area of the Lusatian culture further west. Southern imports were sparse as well.
Related cultures
A related culture of the same age was the House Urn culture in central Germany.[5]
In the later Iron Age, the Pomeranian culture spread southward, into areas formerly belonging to the Lusatian, Wysoko– and Milograd cultures. In Masovia and Poland this mixture led to the development of the group with bell-shaped burials.
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In Old World archaeology, Mesolithic(Greek: μέσος, mesos « middle »; λίθος, lithos« stone ») is the period between the Upper Paleolithic and the Neolithic. The term Epipaleolithic is often used synonymously, especially for outside northern Europe, and for the corresponding period in the Levantand Caucasus. The Mesolithic has different time spans in different parts of Eurasia. It refers to the final period of hunter-gatherercultures in Europe and West Asia, between the end of the Last Glacial Maximum and the Neolithic Revolution. In Europe it spans roughly 15,000 to 5,000 BP, in Southwest Asia (the Epipalaeolithic Near East) roughly 20,000 to 8,000 BP. The term is less used of areas further east, and not all beyond Eurasia and North Africa.
The type of culture associated with the Mesolithic varies between areas, but it is associated with a decline in the group hunting of large animals in favour of a broader hunter-gatherer way of life, and the development of more sophisticated and typically smaller lithic tools and weapons than the heavy chipped equivalents typical of the Paleolithic. Depending on the region, some use of pottery and textiles may be found in sites allocated to the Mesolithic, but generally indications of agriculture are taken as marking transition into the Neolithic. The more permanent settlements tend to be close to the sea or inland waters offering a good supply of food. Mesolithic societies are not seen as very complex, and burials are fairly simple; grandiose burial mounds are another mark of the Neolithic.
The terms « Paleolithic » and « Neolithic » were introduced by John Lubbock in his work Pre-historic Times in 1865. The additional « Mesolithic » category was added as an intermediate category by Hodder Westropp in 1866. Westropp’s suggestion was immediately controversial. A British school led by John Evans denied any need for an intermediate: the ages blended together like the colors of a rainbow, he said. A European school led by Louis Laurent Gabriel de Mortillet asserted that there was a gap between the earlier and later.
Edouard Piette claimed to have filled the gap with his naming of the Azilian Culture. Knut Stjerna offered an alternative in the « Epipaleolithic », suggesting a final phase of the Paleolithic rather than an intermediate age in its own right inserted between the Paleolithic and Neolithic.
By the time of Vere Gordon Childe‘s work, The Dawn of Europe (1947), which affirms the Mesolithic, sufficient data had been collected to determine that a transitional period between the Paleolithic and the Neolithic was indeed a useful concept.[1]However, the terms « Mesolithic » and « Epipalaeolitic » remain in competition, with varying conventions of usage. In the archaeology of Northern Europe, for example for archaeological sites in Great Britain, Germany, Scandinavia, Ukraine, and Russia, the term « Mesolithic » is almost always used. In the archaeology of other areas, the term « Epipaleolithic » may be preferred by most authors, or there may be divergences between authors over which term to use or what meaning to assign to each. In the New World, neither term is used (except provisionally in the Arctic).
« Epipaleolithic » is sometimes also used alongside « Mesolithic » for the final end of the Upper Paleolithic immediately followed by the Mesolithic.[2] As « Mesolithic » suggests an intermediate period, followed by the Neolithic, some authors prefer the term « Epipaleolithic » for hunter-gatherer cultures who are not succeeded by agricultural traditions, reserving « Mesolithic » for cultures who are clearly succeeded by the Neolithic Revolution, such as the Natufian culture. Other authors use « Mesolithic » as a generic term for post-LGM hunter-gatherer cultures, whether they are transitional towards agriculture or not. In addition, terminology appears to differ between archaeological sub-disciplines, with « Mesolithic » being widely used in European archaeology, while « Epipalaeolithic » is more common in Near Eastern archaeology.
Two skeletons of women aged between 25 and 35 years, dated between 6740 and 5680 BP, both of whom died a violent death. Found at Téviec, France in 1938.
The Mesolithic began with the Holocene warm period around 11,660 BP and ended with the introduction of farming, the date of which varied in each geographical region. Regions that experienced greater environmental effects as the last glacial period ended have a much more apparent Mesolithic era, lasting millennia.[3] In northern Europe, for example, societies were able to live well on rich food supplies from the marshlands created by the warmer climate. Such conditions produced distinctive human behaviors that are preserved in the material record, such as the Maglemosian and Azilian cultures. Such conditions also delayed the coming of the Neolithic until as late as 5000–4000 BCE in northern Europe.
Animated image showing the sequence of engravings on a pendant excavated from the Mesolithic archaeological site of Starr Carr in 2015[4]
The type of stone toolkit remains one of the most diagnostic features: the Mesolithic used a microlithic technology – composite devices manufactured with Mode V chipped stone tools (microliths), while the Paleolithic had utilized Modes I–IV. In some areas, however, such as Ireland, parts of Portugal, the Isle of Man and the Tyrrhenian Islands, a macrolithic technology was used in the Mesolithic.[5] In the Neolithic, the microlithic technology was replaced by a macrolithic technology, with an increased use of polished stone tools such as stone axes.
There is some evidence for the beginning of construction at sites with a ritual or astronomical significance, including Stonehenge, with a short row of large post holes aligned east-west, and a possible « lunar calendar » at Warren Field in Scotland, with pits of post holes of varying sizes, thought to reflect the lunar phases. Both are dated to around 8,000 BCE.[6]
As the « Neolithic package » (including farming, herding, polished stone axes, timber longhouses and pottery) spread into Europe, the Mesolithic way of life was marginalized and eventually disappeared. Mesolithic adaptations such as sedentism, population size and use of plant foods are cited as evidence of the transition to agriculture.[7] In one sample from the Blätterhöhle in Hagen, it seems that the descendants of Mesolithic people maintained a foraging lifestyle for more than 2000 years after the arrival of farming societies in the area;[8] such societies may be called « Subneolithic« . In north-Eastern Europe, the hunting and fishing lifestyle continued into the Medieval period in regions less suited to agriculture, and in Scandinavia no Mesolithic period may be accepted, with the locally preferred « Older Stone Age » moving into the « Younger Stone Age ».[9]
Compared to the preceding Upper Paleolithic and the following Neolithic, there is rather less surviving art from the Mesolithic. The Rock art of the Iberian Mediterranean Basin, which probably spreads across from the Upper Paleolithic, is a widespread phenomenon, much less well known than the cave-paintings of the Upper Paleolithic, with which it makes an interesting contrast. The sites are now mostly cliff faces in the open air, and the subjects are now mostly human rather than animal, with large groups of small figures; there are 45 figures at Roca dels Moros. Clothing is shown, and scenes of dancing, fighting, hunting and food-gathering. The figures are much smaller than the animals of Paleolithic art, and depicted much more schematically, though often in energetic poses.[10] A few small engraved pendants with suspension holes and simple engraved designs are known, some from northern Europe in amber, and one from Starr Carr in Britain in shale.[11] The Elk’s Head of Huittinen is a rare Mesolithic animal carving in soapstone from Finland.
The rock art in the Urals appears to show similar changes after the Paleolithic, and the wooden Shigir Idol is a rare survival of what may well have been a very common material for sculpture. It is a plank of larch carved with geometric motifs, but topped with a human head. Now in fragments, it would apparently have been over 5 metres tall when made.[12] The Ain Sakhri Lovers from modern Israel, are a Natufian carving in calcite.
Ceramic Mesolithic
In North-Eastern Europe, Siberia, and certain southern European and North African sites, a « ceramic Mesolithic » can be distinguished between 7000-3850 BCE. Russian archaeologists prefer to describe such pottery-making cultures as Neolithic, even though farming is absent. This pottery-making Mesolithic culture can be found peripheral to the sedentary Neolithic cultures. It created a distinctive type of pottery, with point or knob base and flared rims, manufactured by methods not used by the Neolithic farmers. Though each area of Mesolithic ceramic developed an individual style, common features suggest a single point of origin.[13][citation needed] The earliest manifestation of this type of pottery may be in the region around Lake Baikal in Siberia. It appears in the Elshan or Yelshanka or Samara culture on the Volga in Russia c. 7000 BCE,[14][15] and from there spread via the Dnieper-Donets culture to the Narva culture of the Eastern Baltic. Spreading westward along the coastline it is found in the Ertebølle culture of Denmark and Ellerbek of Northern Germany, and the related Swifterbant culture of the Low Countries.[16]
The first period, known as Mesolithic 1 (Kebarian culture; from 20,000–18,000 BCE until 12,150 BCE), followed the Aurignacian or Levantine Upper Paleolithic periods throughout the Levant. By the end of the Aurignacian, gradual changes took place in stone industries. Small stone tools called microliths and retouched bladelets can be found for the first time. The microliths of this culture period differ greatly from the Aurignacian artifacts. This period is more properly called Epipaleolithic.
By 20,000–18,000 BCE the climate and environment had changed, starting a period of transition. The Levant became more arid and the forest vegetation retreated, to be replaced by steppe. The cool and dry period ended at the beginning of Mesolithic 1. The hunter-gatherers of the Aurignacian would have had to modify their way of living and their pattern of settlement to adapt to the changing conditions. The crystallization of these new patterns resulted in Mesolithic 1. New types of settlements and new stone industries developed.
The inhabitants of a small Mesolithic 1 site in the Levant left little more than their chipped stone tools behind. The industry was of small tools made of bladelets struck off single-platform cores. Besides bladelets, burins and end-scrapers were found. A few bone tools and some ground stone have also been found. These so-called Mesolithic sites of Asia are far less numerous than those of the Neolithic and the archeological remains are very poor. The second period, Mesolithic 2, is also called the Natufian culture. The change from Mesolithic 1 to Natufian culture can be dated more closely. The latest date from a Mesolithic 1 site in the Levant is 12,150 BCE. The earliest date from a Natufian site is 11,140 BCE.[citation needed] This period is characterized by the early rise of agriculture that would later emerge into the Neolithic period. Radiocarbon dating places the Natufian culture between 12,500 and 9500 BCE, just before the end of the Pleistocene.[21] This period is characterised by the beginning of agriculture.[22] The earliest known battle occurred during the Mesolithic period at a site in Sudan known as Cemetery 117.
Natufian culture is commonly split into two subperiods: Early Natufian (12,500–10,800 BCE) (Christopher Delage gives c. 13,000–11,500 BP uncalibrated, equivalent to c. 13,700–11,500 BCE)[23] and Late Natufian (10,800–9500 BCE). The Late Natufian most likely occurred in tandem with the Younger Dryas. The following period is often called the Pre-Pottery Neolithic; in the Levant, unlike elsewhere, « Mesolithic pottery » is not talked of.
While Paleolithic and Neolithic have been found useful terms and concepts in the archaeology of China, and can be mostly regarded as happily naturalized, Mesolithic was introduced later, mostly after 1945, and does not appear to be a necessary or useful term in the context of China. Chinese sites that have been regarded as Mesolithic are better considered as « Early Neolithic ».[24]
In the archaeology of India, the Mesolithic, dated roughly between 12,000 and 8,000 BP, remains a concept in use.[25]
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Ce dessin de moyenne dimension est un portraiten buste d’une jeune femme anonyme. Il est établi qu’il constitue l’étude préparatoire à la tête de l’ange Uriel présent sur la version de La Vierge aux rochers, conservé au musée du Louvre, dont le commanditaire est la Confrérie de l’Immaculée Conception. Donc vraisemblablement réalisé entre 1483 et 1485, il appartient probablement aux trois dernières études conservées se rapportant à ce tableau.
Cette étude marque une étape importante de la vie artistique du peintre puisqu’elle constitue à la fois une synthèse de son apprentissage chez Verrocchio et la mise en place de ses codifications futures concernant le portrait. C’est ainsi qu’on en retrouve l’influence dans nombre de compositions futures du peintre lui-même mais aussi, indirectement, chez Titien, Raphaël ou Vermeer.
Reconnue pour ses qualités techniques, esthétiques et psychologiques, l’œuvre fait l’objet d’un intérêt soutenu, allant jusqu’à l’admiration, de la part des historiens de l’art qui le tiennent pour l’« un des plus beaux dessins du monde ».
Description
Le dessin de la Tête de jeune femme a pour support une feuille de papier préparée avec de l’ocre clair ; celle-ci est rectangulaire et de dimensions 18,1 × 15,9 cm. Il est réalisé à la pointe d’argent et comporte de légères touches de blanc de céruse1,2. Au dos de la feuille se trouve un petit croquis de la même main qui pourrait constituer l’ornement pour la couverture d’un projet d’ouvrage2,3.
Il présente le portrait d’une jeune femme en busteP 1. Seuls les traits de son visage sont clairement tracés, celui-ci présentant une expression faite à la fois d’intensité et de grâceN 1,P 1. Le haut de son buste et sa chevelure sont seulement esquissés : ses cheveux semblent couverts d’un chapeau et sa poitrine, son épaule gauche et l’arrière de son bras droit se laissent deviner par quelques lignes succinctement tracées2,P 3. Les épaules tournées vers la gauche du cadre, la jeune femme est montrée de trois quarts dos : sa tête effectue une rotation vers la gauche, ce qui découvre son visage de trois quarts face. Son regard est légèrement incliné vers le bas2 et elle amorce un début de sourire5.
L’artiste utilise la technique de la hachure pour marquer les ombres et modeler les volumes. Seul le visage, notamment la mâchoire et la joue, comporte les hachures les plus précisément tracées et est porteur de blanc de céruse. De la même manière que leurs contours ne sont qu’esquissés, les autres parties du corps portent des hachures plus rapidement marquéesN 2,3.
Attribution
L’attribution du dessin à Léonard de Vinci fait l’objet d’un large consensus parmi la communauté scientifique depuis le xixe siècle, et plus particulièrement à partir de sa première attribution par Giovanni Rosini en 1843 dans son ouvrage Storia della pittura italiana esposta coi monumentiP 4 puis de l’établissement de son lien avec La Vierge aux rochers par l’historien de l’artallemand Jean-Paul Richter en 18837,P 5. Cette attribution s’affermit sans guère de résistance au siècle suivant grâce, notamment, aux expertises de deux des plus éminents spécialistes de l’œuvre du peintre florentin, Bernard Berenson et Carlo PedrettiP 6.
La première indication de l’aspect autographe du dessin tient au caractère tout à fait léonardesque du visage, avec « [l’]accentuation des globes oculaires, entre l’ovale et le triangle renversé, [le] long nez, [les] lèvres charnues et légèrement souriantes, [le] menton arrondi et proéminent », typiques des visages féminins du peintreN 2. Par ailleurs, l’artiste use d’un sfumato qui lui est caractéristiqueN 2,N 3. De plus, les pérégrinations de l’œuvre, bien qu’elles soient documentées de façon lacunaire, tendent à remonter à LéonardP 4. Enfin, l’identification du dessin comme étude préparatoire du visage de l’ange dans la version de La Vierge aux rochers conservée au musée du Louvre constitue un indicateur décisif7,N 4.
Contexte dans la vie de Léonard de Vinci et datation
Même si la date de création du dessin varie selon les auteurs entre le début ou la fin de la décennie 1480, il est établi qu’il est postérieur à l’installation de Léonard de Vinci à Milan en 1482. Celui-ci a environ trente ans. Il est alors un artiste reconnu : il reçoit d’importantes commandes, établit son atelier10 et bénéficie de l’appui de Laurent le Magnifique11. Sachant que quelques années plus tôt, en 1478, il quitte l’atelier florentin de Verrocchio dont il est l’élève depuis 146912. L’historien de l’art et biographe Giorgio Vasarinote que le maître s’emble s’arrêter de peindre, considérant que son élève le surpasse dans le domaineN 5. Créé à l’issue de cette période florentine et au début de sa première période milanaise, le dessin de la Tête de jeune femmeconstitue ainsi la synthèse de l’ensemble des expériences techniques et stylistiques issues de la formation du peintre chez Verrocchio2,P 8.
La quasi totalité des chercheurs contemporains voient dans le dessin une étude préparatoire à la tête de l’ange dans La Vierge aux rochers. Ils situent donc sa création à « environ 1483 », date de signature du contrat de commande entre Léonard et la Confrérie de l’Immaculée Conception14,15,16,N 6. Certains comme Carlo Pedretti estiment cette création « entre 1483 et 1485 », soit selon une limite finale d’un an avant la date d’achèvement présumée du tableauP 9. Une théorie ancienne et désormais rarement soutenue avance que le dessin constitue une étude pour le portrait de Cecilia Gallerani dans La Dame à l’hermine peint entre 1489 et 1490. Ceci date donc le dessin de ces mêmes années18,16. Mais cette hypothèse demeure largement minoritaire parmi les membres de la communauté scientifique qui considèrent que La Dame à l’hermine est plutôt un réemploi par Léonard de ses procédés développés des années plus tôt, notamment dans le dessin de la Tête de jeune femme19.
Pérégrinations de l’œuvre
L’œuvre semble avoir subi les mêmes pérégrinations que l’Autoportrait de Léonard : à la mort de ce dernier, le 2 mai 1519, son élève Francesco Melzi en hérite, au même titre que la quasi-totalité de ses manuscrits et dessins20. À la mort de Melzi en 1570, l’ensemble est dispersé par son fils Orazio21. En 1707, le collectionneur de dessins et moine Sebastiano Resta indique avoir en sa possession ce qui semble être le dessin de la Tête de jeune femmeN 7. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, le graveur, antiquaire et collectionneur Giovanni Volpato(1735 – 1803) redécouvre puis réunit un ensemble de treize dessins de Léonard, dont fait partie la Tête de jeune femme1. En 1839, Charles-Albert de Sardaigne se porte acquéreur de la collection de Volpato en vue d’enrichir sa bibliothèque royale23. Depuis, le dessin est conservé à la bibliothèque royale de Turin sous le numéro d’inventaire 15572 D.C.; Dis. It. 1/191.
Création : une étude pour La Vierge aux rochers
Les études subsistantes de la création de la version de La Vierge aux rochers.
Si ce lien est fait entre le dessin et le tableau depuis 1883 et les travaux de l’historien de l’art allemand Jean-Paul Richter7, il demeure ténu et sujet à débats. Léonard de Vinci réutilise en effet volontiers ses trouvailles techniques et esthétiques d’un dessin sur l’autre ; ce que confirme Frank Zöllner, pour qui, chez le peintre, « des études de figures individuelles […] sont infiniment plus difficiles à rapprocher d’une peinture particulière que les dessins à plusieurs figures, qui souvent représentent des actions complètes19 ». Permettant de dépasser cette difficulté, les points de correspondance entre dessin et peinture sont néanmoins suffisamment nombreux et précis pour asseoir la conviction : même pose « par-dessus l’épaule »P 11, visages quasiment identiques19 — ce sont en particulier son sourire et la rotation de sa tête qui servent de modèle au peintre5 — et mêmes regards dirigés vers le spectateur29.
Les chercheurs considèrent que les deux œuvres — dessin et portrait peint — forment l’exemple de la « coloration florentine dans la finesse des traits du visage, le mouvement de la tête et dans la longue chevelure bouclée » telle que Léonard l’a apprise auprès de Verrocchio et telle que l’attendent les commanditaires de La Vierge aux rochers30,P 12. De fait, le tableau constitue une mise en œuvre fidèle de l’étude malgré les tâtonnements du peintre dans les autres parties de l’œuvre29. En outre, cette fidélité trahit un choix précoce de contrevenir dans la forme et dans l’esprit aux demandes des commanditaires de l’œuvreN 8. La décision de Léonard d’abandonner le regard direct de son étude dans la version plus tardive de Londres (datée entre 1507 et 1508) est à ce titre éloquente3.
Néanmoins, Léonard de Vinci introduit entre le dessin et le tableau des différences de détails qui apportent une dimension nouvelle à l’œuvre finale. Ainsi, si le visage sur le dessin est identifié par tous les observateurs avec celui d’une femme, celui du tableau devient clairement androgyne32. Constitutive de l’œuvre du peintre, cette ambiguïté est identifiée par de nombreux observateurs comme le reflet de sa propre sexualité, et notamment d’une homosexualité cachée33. D’autre part, l’historienne et théoricienne des arts Frédérique Villemurconstate que l’androgynie est « porteuse d’une virtualité figurative et que son efficacité tient chez Léonard de Vinci à la puissance de l’indistinct, à une fusion des genres jusque dans le neutre34 »N 9. Autre élément du devenir du dessin dans l’œuvre peinte, le regard du personnage qui est également un point commun fascinant : si l’intensité de ce regard vers le spectateur invite efficacement ce dernier à pénétrer dans l’œuvre, son « expression [devient] quelque peu cruelle »dans le tableau, ce qui induit un double mouvement d’attirance-répulsion absent auparavantP 3.
Analyse
Léonard de Vinci, étude de dix-huit positions du buste d’une femme (vers 1478-1480, Château de Windsor, Royal Collection, inv. RCIN 912513).
L’historien de l’art spécialiste de l’œuvre de Léonard de Vinci Carlo Pedrettirecommande, pour analyser le dessin, de le considérer dans le cadre technique et temporel d’une étude pour l’ange de La Vierge aux rochersP 5.
La Tête de jeune femme est volontiers décrit comme une synthèse de l’apprentissage de Léonard de Vinci chez Verrocchio ainsi que de ses expérimentations techniques et artistiques16,P 13. Ainsi, en premier lieu, il présente une capacité du peintre à tourner autour de son modèle, tel un sculpteur. En cela, l’œuvre évoque un autre dessin, l’étude de dix-huit positions du buste d’une femme daté de la même période (1478-1480) et présentant le buste et la tête d’un même modèle sous une grande variété de points de vueP 12. Par ailleurs, le dessin atteste de l’aptitude du jeune Léonard à saisir le mouvement ; celui-ci est induit par la posture dynamique de son modèle, dite « par-dessus l’épaule », dans laquelle le spectateur voit le personnage de trois quarts dos et, à la suite d’une rotation, son visage de trois quarts faceP 7. Ces éléments confirment un apprentissage chez un maître, Verrocchio, certes connu pour son travail de peintre mais célébré surtout pour son talent de sculpteur2,16.
Cette capacité à saisir le mouvement explique ainsi la confusion passée de certains observateurs entre le dessin et le portrait de Cecilia Gallerani dit La Dame à l’hermine (portrait daté entre 1488 et 1490) dont il aurait constitué une étude : ce tableau présente en effet une jeune femme en buste qui adopte une pose similaire au modèle de la Tête de jeune femmeN 10. Or il n’est qu’une variation du dessin puisqu’il ne fait que résulter d’un changement de point de vue du peintre autour d’un modèle ayant conservé une pose identique. Mais les chercheurs s’accordent désormais pour voir plutôt dans ce portrait une réutilisation de solutions techniques mises au point notamment avec la Tête d’une jeune femme19,P 7.
Ombres et lumières
La Tête de jeune femme convoque tout un jeu sur les ombres et la lumière sur lequel il s’interroge et qui fait l’objet de questionnements de la part des artistes d’alors. Ainsi, l’œuvre est le lieu où s’appliquent les préceptes qu’énonce le théoricien des artsLeon Battista Alberti dans son De pictura(1435) concernant la transition « insensible » que doit exposer le peintre entre zone éclairée et zone ombragée16 :
« Mais de telle figure qui aura ses superficies attachées de façon que de douces lumières s’y convertissent insensiblement en ombres suaves, qui n’aura aucune aspérité anguleuse, nous dirons avec raison qu’elle est belle et pleine de charme36. »
De même, la Tête d’une jeune femme applique les préceptes que Léonard définit lui-même dans son Traité de la peinture concernant l’opposition forte de luminosité qu’il convient de donner entre les zones du visage16,N 11 :
« La force des ombres et des lumières contribue beaucoup à la grâce des visages des personnes qui sont assises aux portes des maisons obscures, parce que celui qui les regarde voit que le côté du visage qui est ombré se trouve encore obscurci de l’ombre du lieu, et l’autre côté du même visage qui est éclairé du jour reçoit aussi la clarté qui vient de la lumière de l’air, par lequel accroissement d’ombre et de lumière le visage prend un grand relief, et vers le côté du jour les ombres y sont presque insensibles, tellement que par cette représentation et accroissement d’ombre et de lumière le visage acquiert une grâce et une beauté particulière37. »
Afin de restituer les effets de demi-teintes, Léonard de Vinci utilise la technique de la hachure, un ensemble de lignes parallèles dont l’espacement varie en fonction de la tonalité désirée : il est considéré avec Domenico Ghirlandaio comme un des artistes maîtrisant le mieux le procédé3. Néanmoins, la technique ne permet pas de rendre parfaitement toutes les nuances que le dessin porte — question qui ne se pose évidemment pas sur la figure du tableau achevé dont les dégradés de tons sont obtenus par glacis. Bien qu’il la résolve en partie par l’ajout de blanc de céruse, la solution n’est que partielle. Or, même à l’époque de la conception de la version de Londres de La Vierge aux rochers(1507 – 1508), il ne parvient pas à trouver de solution pleinement satisfaisante38.
La technique au service de l’expression artistique
Le sourire comme élément d’ambiguïté psychologique
dans les œuvres de Léonard de Vinci.
Le dessin Tête de jeune femme s’impose comme une œuvre à part entière malgré son caractère d’étude préparatoire à un tableau. En effet, au moyen d’une parfaite connaissance des faits physiques et d’une grande maîtrise technique, Léonard de Vinci offre au spectateur « un être plein de grâce et de vie N 1 » et compose ainsi une œuvre poétique16.
Or une grande part de cette expérience poétique tient à la capacité du peintre à faire émerger la vérité psychologique de son sujet où se mêlent grâce, maliceN 1 et « noblesse »P 13. Les chercheurs ajoutent à cette description un élément de complexité : la douceur du visage est rendue ambigüe par la présence d’un sourire qui deviendra par la suite propre aux portraits du peintreN 12.
La mise en place de codifications futures
Pour nombre d’observateurs, le dessin de la Tête d’une jeune femme constitue une transition dans l’œuvre du peintre, entre un style et une technique issues d’une expérience passée dans l’atelier d’un peintre renommé, Verrocchio, et l’établissement d’une codification16. L’œuvre inaugure donc un point de départ pour le peintre en ce qu’il est possible d’en retrouver les codifications dans des œuvres plus tardives comme dans le tableau de La Madone aux fuseaux (dont il ne subsiste que des copies, dont une, conservée à New York, est datée vers 1501)P 12. C’est ce qui conduit ainsi les historiens de l’art Frank Zöllner et Johannes Nathan à qualifier le dessin de « prototype »19.
La création du portrait « par-dessus l’épaule »
Le dessin présente une vue « par-dessus l’épaule » c’est-à-dire une pose obtenue par la « torsion du buste observée depuis l’arrière et accompagnée d’un mouvement de la tête tournée vers le spectateur »P 7. Cette pose est caractéristique du lien fait par Léonard entre son apprentissage chez Verrocchio et les créations qu’il peut en tirer : c’est parce que Verrocchio lui enseigne la représentation du mouvement et du corps selon différents points de vue qu’il peut concevoir cette vue1,2,19. Léonard propose ainsi dès 1475 les prémisses d’un tel procédé dans le Baptême du Christ, un tableau de Verrocchio (dont il est encore élève) sur lequel il conçoit et peint la pose de l’ange le plus à gauche : le personnage est figuré selon une vue de dos et une rotation de la tête ; cette rotation demeure néanmoins partielle car la tête est encore orientée vers le centre de la scène40,41. Dans le dessin de la Tête de jeune femme, la rotation est complète et la vue « par-dessus l’épaule » est désormais techniquement installée. Cette création dans le dessin donne lieu à des expérimentations que Léonard conduit dans le reste de sa carrière, et notamment lors de sa première période milanaise. C’est ainsi qu’on peut la retrouver dans un autre dessin plus tardif et intitulé Tête du Christ portant sa Croix (1495-1497, Venise, Gallerie dell’Accademia)16.
Andrea del Verrocchio, le Baptême du Christ, 1475, Florence, musée des Offices. L’ange de gauche est de la main de Léonard de Vinci et porte les prémisses de la création de la vue « par-dessus l’épaule ».
Un exemple plus tardif d’expérimentation de « portrait par-dessus l’épaule » par le peintre (Tête du Christ portant sa Croix, 1495-1497, Venise, Gallerie dell’Accademia).
Le succès de l’œuvre tient en premier lieu à la beauté intrinsèque du modèle représenté, avant toute considération technique, qu’elle concerne la composition de l’œuvre ou la technique purement graphique par exempleP 14. De fait, Léonard de Vinci établit avec ce dessin un canon d’une beauté féminine idéalisée même s’il est fait ici d’après nature19.
Le portrait se construit donc selon un agencement des parties du visage tout à fait codifié : « un front presque aussi haut que le sommet de la têteP 13 », de longs cheveux ondulés, hérités des représentations de Verrocchio30, de grands yeux « emplis de maliceN 1 », « [un] long nez, [des] lèvres charnues et légèrement souriantes, [un] menton arrondi et proéminentN 2 ».
C’est pourquoi il n’est guère étonnant de retrouver ces caractéristiques des années plus tard dans des œuvres comme La dame à l’hermine (1489-1490) : la rencontre entre Léonard de Vinci et Cecilia Gallerani constitue de fait la rencontre entre un artiste, un type de visage dont il a construit les caractéristiques et un modèle qui rassemble ces dernières et auquel le peintre ne peut donc qu’être sensible19.
Exemples d’études plus tardives de têtes féminines.
L’œuvre constitue une source d’influence certaine pour Léonard de Vinci lui-même qui n’a de cesse que de s’en inspirer dans nombre de ses portraits futurs19. S’il n’est pas avéré que les prédécesseurs de Léonard aient vu le dessin, il est établi que les découvertes qu’il a induites les ont influencés : ainsi, la vue dite « par-dessus l’épaule » est volontiers reprise par Giorgione et, à sa suite, par Titien comme dans son Portrait d’homme (vers 1512)P 12 puis, certainement parRaphaël comme dans son Portrait de Bindo Altoviti (vers 1515). Puis il est possible de poursuivre ce cheminement par Johannes Vermeer qui l’emprunte à ces deux derniers dans son tableau La Jeune Fille à la perle (vers 1665)42,43.
Une filiation technique de la Tête de jeune femme de Léonard
jusqu’à La jeune fille à la perle de Vermeer
Le dessin fait l’objet de l’admiration de la part de spécialistes de Léonard de Vinci, à tel point que l’historien de l’art Carlo Pedretti s’en émeut et reproche à nombre d’entre-eux de finir par ignorer toute méthodologie scientifique pour ne se consacrer qu’à une étude située à un niveau esthétiqueP 9. Cette réflexion est ainsi l’occasion pour lui d’affirmer que c’est au contraire l’observation scientifique qui permet d’analyser et de comprendre la beauté d’une œuvreP 13.
Dès le xixe siècle, les chercheurs expriment leur admiration. Ainsi, l’historien de l’art français Eugène Müntz dans son ouvrage consacré au peintre considère cette étude « plus belle que la partie correspondante du tableau du Louvre29 ». De son côté, Adolfo Venturi affirme dans son ouvrage Leonardo e la sua scuola paru en 1942 que « la tête, modelée en traits rapides et vibrants, tient son caractère ensorcelant de la pâle phosphorescence des yeux, de la lueur perlée qui, dans la pénombre de leur orbite, irradie de leurs iris44. » En 1952, Giulia Brunetti le juge, dans le catalogue de l’exposition consacrée à Michel-Ange et organisée dans la Biblioteca Medicea Laurenziana, « comme l’une des créations les plus réussies de Leonard45 ».
De façon significative, en 1952, à l’occasion des cinq cents ans de la naissance du peintre, l’historien de l’artaméricain, spécialiste de la Renaissance italienne, Bernard Berenson, est réputé avoir affirmé lors d’une conférence que la Tête de jeune femme est « le plus beau dessin du monde »1,15,46,2. Mais Carlo Pedretti y voit une attribution erronée par un journaliste trop enthousiasteP 9. Bernard Berenson affirme néanmoins que la Tête de jeune femme est « un des fruits les plus remarquables de l’art du dessinN 13 ».
Au final, la Tête de jeune femme est le plus célèbre des dessins de Léonard possédés par la bibliothèque royale de Turin — conjointement avec son Autoportrait — à tel point que le musée en a fait son logo officiel2.
Expositions
La Tête de jeune Femme fait partie des collections permanentes de la bibliothèque où elle est exposée aux côtés de l’ Autoportrait de Léonard de Vinci. Dans la bibliothèque même est organisée, entre le et le , l’exposition intitulée Léonard et le trésor du roi (en italien : Leonardo e i tesori del re) 47,48. À cette occasion, un catalogue paraît, Leonardo e i tesori del re, sous la direction d’Angela Griseri49.
C’est à partir du milieu du xxe siècle que l’œuvre fait aussi l’objet d’expositions en-dehors de Turin. Parmi les plus récentes, l’exposition intitulée Léonard de Vinci : dessins de la bibliothèque royale de Turin (en anglais : Leonardo da Vinci : drawings from the Biblioteca Reale in Turin) est l’occasion de la présenter parmi un groupe de onze dessins et le Codex sur le vol des oiseauxdans plusieurs villes aux États-Unis : elle s’ouvre le au Birmingham Museum and Art Gallery en Alabama, passe par le musée d’Art du Nevada à Reno, puis se termine à San Francisco, au Legion of Honor, où elle demeure du au 50,51. Elle fait ensuite partie de l’exposition itinérante intitulée Léonard de Vinci et l’idée de la beauté(en italien : Leonardo da Vinci : E L’idea Della Bellezza) qui se déroule de mars à au musée du Bunkamura à Tokyo52 puis au Musée des beaux-arts de Boston aux États-Unis du au . À cette occasion, un catalogue est édité sous la direction de l’historien d’art spécialiste de la Renaissance italienne John T. Spike53,54. Entre-temps, l’œuvre est présentée du au à New Yorkdans le Morgan Library and Museum lors d’une exposition intitulée Léonard de Vinci : les trésors de la bibliothèque royale de Turin (en anglais : Leonardo da Vinci : Treasures from the Biblioteca Reale, Turin)55.
↑ a, b, c et dÉcrits rapportésP 2 d’Osvald Sirén4.
↑ a, b, c et dÉcrits rapportésP 2 de Marco Rosci6.
↑Le sfumato, appelé aussi « fumée de Léonard », est une technique picturale que Léonard de Vinci théorise ainsi dans ses écrits : « Veille à ce que tes ombres et lumières se fondent sans traits ni lignes, comme une fumée8. »
Bien que convaincus du caractère autographe de l’œuvre, certains chercheurs invitent toutefois à la prudence car le dessin peut ne pas être entièrement de la main du maître : entamé par Léonard, il peut être achevé par un de ses élèves sous sa supervision, à l’exemple du dessin Tête et buste de jeune femme (ca. 1485-1490, Windsor, Royal Collection, RCIN 912512)9,P 7.
↑« Ainsi [ Andrea del Verrocchio ] peignit […] un Baptême du Christ. Son élève, Léonard de Vinci, alors très jeune, y fit un ange tellement supérieur à toutes les autres figures, qu’Andrea, honteux d’être surpassé par un enfant, ne voulut plus jamais toucher à ses pinceaux13. »
↑Le contrat est signé devant le notaire Antonio di Captini le 17.
↑« The Leonardo drawings he [Sebastiano Resta] mentions in his possession include […] a finished study for the angel head of the angel that Vasari records as having been added by leonardo to that painting22. »
↑Le contrat de commande signé devant notaire stipulait la représentation d’une vierge à l’enfant, entourée de deux anges et deux prophètes mais sans saint Jean Baptiste30,31.
↑Le modèle n’y est en effet plus présenté selon une pose de trois-quarts dos (dite « par-dessus l’épaule ») et avec visage de face, mais de trois-quarts face avec le visage tourné selon un même angle par rapport au buste.
↑Le Traité de la peinture consiste dans la compilation d’écrits de Léonard de Vinci sur la peinture réunis et organisés par son ami Francesco Melzi. Il n’a donc d’existence réelle qu’après la mort du peintre.
↑Écrits rapportésP 14 de Bernard Berenson in(it)Bernard Berenson, Nicky Mariano et Luisa Vertova Nicolson, I designi dei pittori fiorentini [« Le dessin des peintres florentins »], vol. 1, Milan, Electa, , p. 252.
Références
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Saint Catherine of Alexandria, or Saint Catharine of Alexandria, also known as Saint Catherine of the Wheel and The Great Martyr Saint Catherine (Coptic: Ϯⲁⲅⲓⲁ Ⲕⲁⲧⲧⲣⲓⲛ, Greek: ἡ Ἁγία Αἰκατερίνη ἡ Μεγαλομάρτυς – translation: Holy Catherine the Great Martyr) is, according to tradition, a Christiansaint and virgin, who was martyred in the early 4th century at the hands of the pagan emperor Maxentius. According to her hagiography, she was both a princess and a noted scholar, who became a Christian around the age of 14, converted hundreds of people to Christianity, and was martyred around the age of 18. More than 1,100 years following her martyrdom, Saint Joan of Arc identified Catherine as one of the Saints who appeared to her and counselled her.[4]
According to modern scholarship, the legend of Catherine was probably based on the life and murder of the Greek philosopher Hypatia, with reversed roles of Christians and pagans.[7]
Legend
According to the traditional narrative, Catherine was the daughter of Constus, the governor of Egyptian Alexandria during the reign of the emperor Maximian (286–305).[8] From a young age she devoted herself to study. A vision of the Madonna and Child persuaded her to become a Christian. When the persecutions began under Maxentius, she went to the emperor and rebuked him for his cruelty. The emperor summoned 50 of the best paganphilosophers and orators to dispute with her, hoping that they would refute her pro-Christian arguments, but Catherine won the debate. Several of her adversaries, conquered by her eloquence, declared themselves Christians and were at once put to death.[9]
Torture and martyrdom
Giacobbe Giusti, Catherine of Alexandria
Icon of Saint Catherine of Alexandria, with scenes from her martyrdom
Catherine was then scourged and imprisoned. She was scourged so cruelly and for so long, that her whole body was covered with wounds, from which the blood flowed in streams. The spectators wept with pity; but Catherine, strengthened by God, stood with her eyes raised to heaven, without giving a sign of suffering or fear. He ordered her to be imprisoned without food, so she would starve to death. During the confinement, angels tended her wounds with salve. Catherine was fed daily by a dove from Heaven and Christ also visited her, encouraging her to fight bravely, and promised her the crown of everlasting glory.
During her imprisonment, over 200 people came to see her, including Maxentius’ wife, Valeria Maximilla; all converted to Christianity and were subsequently martyred.[10] Twelve days later, when the dungeon was opened, a bright light and fragrant perfume filled it, and Catherine came forth even more radiant and beautiful.
Upon the failure of Maxentius to make Catherine yield by way of torture, he tried to win the beautiful and wise princess over by proposing marriage. The saint refused, declaring that her spouse was Jesus Christ, to whom she had consecrated her virginity.
The furious emperor condemned Catherine to death on a spiked breaking wheel, but, at her touch, it shattered.[9] Maxentius ordered her to be beheaded. Catherine herself ordered the execution to commence. A milk-like substance rather than blood flowed from her neck.
Burial
Angels transported her body to the highest mountain (now called Mt. Saint Catherine) next to Mount Sinai, where God gave His Law. In 850, her incorrupt body was discovered by monks from the Sinai Monastery. The monks found on the surface of the granite on which her body lay, an impression of the form of her body. Her hair still growing, and a constant stream of the most heavenly fragranced healing oil issuing from her body. This oil produced countless miracles.
In the 6th century, the Eastern Emperor Justinian had established what is now Saint Catherine’s Monastery in Egypt (which is in fact dedicated to the Transfiguration of Christ). Her relics include her left hand, often warm to the touch and her head. Her incorrupt body is not publicly displayed. Countless people make the pilgrimage to the Monastery to receive miracle healing from Saint Catherine. [11]
Pietro Aretino, Vita di santa Caterina vergine e martire, 1636.
Donald Attwater dismisses what he calls the « legend » of Saint Catherine, arguing for a lack of any « positive evidence that she ever existed outside the mind of some Greek writer who first composed what he intended to be simply an edifying romance. »[12] Harold Davis writes that « assiduous research has failed to identify Catherine with any historical personage » and has theorized that Catherine was an invention inspired to provide a counterpart to the story of the slightly later pagan philosopher Hypatia of Alexandria (c. 350–370 – March 415 CE).[13][14]
Modern scholarship supports Davis’ assumption that the legend of Catherine of Alexandria was probably based on the life and murder of Hypatia, with the roles of Christians and pagans reversed.[15]
Hypatia was a Greekmathematician, astronomer, and philosopher, who was brutally murdered by a Christian mob after being accused of exacerbating a conflict between two prominent figures in Alexandria, the governor, Orestes, and the bishop, Cyril of Alexandria.[16][17]
Sometimes cited as a possible inspiration of Saint Catherine, the writer Eusebius wrote, around the year 320, that the Emperor had ordered a young Christian woman to come to his palace to become his mistress, and when she refused, he had her punished, by having her banished and her estates confiscated.[18] Although Eusebius did not name the woman, she had been identified with Dorothea of Alexandria.[citation needed]
The earliest surviving account of Saint Catherine’s life comes around 600 years after the traditional date of her martyrdom, in the menologium a document compiled for Emperor Basil II (976), although the rediscovery of her relics at Saint Catherine’s Monastery at the foot of Mount Sinaiwas about 800,[19] and presumably implies an existing cult at that date (the common name of the monastery developed after the discovery). The monastery was built by order of Emperor Justinian I (reigned 527–565), enclosing the Chapel of the Burning Bush ordered to be built by Helena, the mother of Constantine I, at the site where Moses is supposed to have seen the burning bush; the living bush on the grounds is purportedly the original. It is also referred to as « Saint Helen’s Chapel ». The main church was built between 548 and 565, and the monastery became a major pilgrimage site for devotees of Catherine and the other relics and sacred sites there. Saint Catherine’s Monastery survives, and is a famous repository of early Christian art, architecture and illuminated manuscripts that remains open to tourists and visiting scholars. The site is sacred to Christianity and Islam.[citation needed]
In her book The Cult of St Katherine of Alexandria in Early Medieval Europe, Christine Walsh discusses « the historical Katherine »:
« As we have seen, the cult of St Katherine of Alexandria probably originated in oral traditions from the 4th-century Diocletianic Persecutions of Christians in Alexandria. There is no evidence that Katherine herself was a historical figure and she may well have been a composite drawn from memories of women persecuted for their faith. Many aspects of her Passio are clearly legendary and conform to well-known hagiographical topoi. »[20]
Name
Rufinus states that her first name was Dorothea (Greek: Δωροθέα), and that at her christening she acquired the name Aikaterina (Αικατερίνα), a name that signifies her pure, clean and uncontaminated nature (from Greek αιέν καθαρινά ‘ever clean’).
Saint Catherine was one of the most important saints in the religious culture of the late Middle Ages, and arguably considered the most important of the virgin martyrs, a group including Saint Agnes, Margaret of Antioch, Saint Barbara, Saint Lucy, Valerie of Limoges and many others. Her power as an intercessor was renowned and firmly established in most versions of her hagiography, in which she specifically entreats Christ at the moment of her death to answer the prayers of those who remember her martyrdom and invoke her name.
The development of her medieval cult was spurred by the reported rediscovery of her body around the year 800 at Mount Sinai, with hair still growing and a constant stream of healing oil issuing from her body.[19]There are several pilgrimage narratives that chronicle the journey to Mount Sinai, most notably those of John Mandeville and Friar Felix Fabri.[21] However, the monastery at Mount Sinai was the best-known site of Catherine pilgrimage, but was also the most difficult to reach. The most prominent Western shrine was the monastery in Rouen that claimed to house Catherine’s fingers. It was not alone in the west, however, accompanied by many, scattered shrines and altars dedicated to Catherine, which existed throughout France and England. Some were better known sites, such as Canterbury and Westminster, which claimed a phial of her oil, brought back from Mount Sinai by Edward the Confessor.[22][23] Other shrines, such as St. Catherine’s Hill, Hampshire were the focus of generally local pilgrimage, many of which are only identified by brief mentions in various texts, rather than by physical evidence.[24]
St. Catharine’s College, Cambridge was founded on St Catharine’s Day (25 November) 1473 by Robert Woodlark (the then-provost of King’s College Cambridge) who sought to create a small community of scholars who would study exclusively theology and philosophy. Wodelarke may have chosen the name in homage to Catherine of Valois, mother of Henry VI of England, although it is more likely that it was named as part of the Renaissance cult of Saint Catharine, who was a patron saint of learning. At any rate, the college was ready for habitation and formally founded on Saint Catharine’s Day, 1473.
Saint Catherine also had a large female following, whose devotion was less likely to be expressed through pilgrimage. The importance of the virgin martyrs as the focus of devotion and models for proper feminine behavior increased during the Late Middle Ages.[25] Among these, St. Catherine in particular was used as an exemplarfor women, a status which at times superseded her intercessory role.[26] Both Christine de Pizan and Geoffrey de la Tour Landry point to Catherine as a paragon for young women, emphasizing her model of virginity and « wifely chastity. »[27] From the early 14th century the Mystic marriage of Saint Catherine first appears in hagiographical literature and, soon after, in art. In the Western church, the popularity of her cult began to reduce in the 18th century.[28]
Veneration
Her principal symbol is the spiked wheel, which has become known as the Catherine wheel, and her feast day is celebrated on 25 November by most Christian churches. However, the Russian Orthodox Church celebrates it on 24 November. The exact origin of this tradition is not known. In 11th-century Kyivan-Rus, the feast day was celebrated on 25 November. Saint Dimitry of Rostov in his Kniga zhyttia sviatykh(Book of the Lives of the Saints), T.1 (1689) places the date of celebration on 24 November. A story that Empress Catherine the Great did not wish to share her patronal feast with the Leavetaking of the feast of the Presentation of the Theotokosand hence changed the date is not supported by historical evidence. One of the first Roman Catholic churches to be built in Russia, the Catholic Church of St. Catherine, was named after Catherine of Alexandria because she was Catherine the Great’s patron.
In many places her feast was celebrated with the utmost solemnity, servile work being suppressed and the devotions attended by great numbers of people. In several dioceses of France it was observed as a Holy Day of Obligation up to the beginning of the 17th century, the splendour of its ceremonial eclipsing that of the feasts of some of the Apostles. Numberless chapels were placed under her patronage and her statue was found in nearly all churches, representing her according to medieval iconography with a wheel, her instrument of torture.
In France, unwed women who have attained the age of 25 wear richly decorated bonnets on the day of her feast. This custom gave rise to the French idiom coiffer Sainte-Catherine (‘don St. Catherine’s bonnet’), to describe an unmarried woman between the ages of 25 and 30.[29]
In memory of her sacrifice in some homes, Egyptian and other Middle Eastern foods are offered for her feast, such as hummus or tabbouleh salads. Favorites also are melons cut into circles with sherbet « hubs, » or cookies shaped as spiked wheels with icing.
Meanwhile, owing to several circumstances in his life, Saint Nicholas of Myra was considered the patron of young bachelors and students, and Saint Catherine became the patroness of young maidens and female students. Looked upon as the holiest and most illustrious of the virgins of Christ after the Blessed Virgin Mary, it was natural that she, of all others, should be worthy to watch over the virgins of the cloister and the young women of the world. The spiked wheel having become emblematic of the saint, wheelwrights and mechanics placed themselves under her patronage. Finally, as according to tradition, she not only remained a virgin by governing her passions and conquered her executioners by wearying their patience, but triumphed in science by closing the mouths of sophists, her intercession was implored by theologians, apologists, pulpitorators, and philosophers. Before studying, writing, or preaching, they besought her to illumine their minds, guide their pens, and impart eloquence to their words. This devotion to Saint Catherine which assumed such vast proportions in Europe after the Crusades,[11] received additional éclat in France in the beginning of the 15th century, when it was rumoured that she had spoken to Joan of Arc and, together with Saint Margaret, had been divinely appointed Joan’s adviser.[9]
Devotion to Saint Catherine remains strong amongst Eastern Catholics and Eastern Orthodox Christians. With the relative ease of travel in the modern age, pilgrimages to Saint Catherine’s Monastery at Mount Sinai have increased. Pilgrims to her monastery on Mt Sinai are given a ring, which has been placed on the relics of the saint as an evlogia (blessing) in remembrance of their visit.
Legacy
The pyrotechnic Catherine wheel, from which sparks fly off in all directions, took its name from the saint’s wheel of martyrdom.[18]
In art
Scenes from the Life of Saint Catherine of Alexandria, Germany, ca. 15th century, Walters Art Museum
Countless images of Saint Catherine are depicted in art, especially in the late Middle Ages, which is also the time that the account of Saint Catherine’s Mystical Marriagemakes its first literary appearance. She can usually be easily recognised as she is richly dressed and crowned, as befits her rank as a princess, and often holds or stands next to a segment of her wheel as an attribute. She also often carries either a martyr’s palm or the sword with which she was actually executed. She often has long unbound blonde or reddish hair (unbound as she is unmarried). The vision of Saint Catherine of Alexandria usually shows the Infant Christ, held by the Virgin, placing a ring (one of her attributes) on her finger, following some literary accounts, although in the version in the Golden Legend he appears to be adult, and the marriage takes place among a great crowd of angels and « all the celestial court »,[30] and these may also be shown.
Jump up^See Christine Walsh: The Cult of St Katherine of Alexandria in Early Medieval Europe, Aldershot 2007, p. 3–26; Michael A. B. Deakin: Hypatia of Alexandria, Mathematician and Martyr, Amherst (New York) 2007, p. 135, 202; Maria Dzielska: Hypatia of Alexandria, Cambridge (Massachusetts) 1995, p. 21; Christian Lacombrade: Hypatia. In: Reallexikon für Antike und Christentum, Bd. 16, Stuttgart 1994, Sp. 956–967, here: 966; Gustave Bardy: Catherine d’Alexandrie. In: Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques, Bd. 11, Paris 1949, Sp. 1503–1505, here: 1504.
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^ Jump up to:abS. R. T. O d’Ardeene and E. J. Dobson, Seinte Katerine: Re-Edited from MS Bodley 34 and other Manuscripts (Oxford: Oxford University Press, 1981), xiv.
Jump up^John Mandeville, The Travels of Sir John Mandeville (New York: Dover Publications Inc., 1964); Felix Fabri, The Wanderings of Felix Fabri (New York: AMS Press, 1971), 217.
Jump up^Walsh, Christine. « The Role of the Normans in the Development of the Cult of St. Katherine », St. Katherine of Alexandria: Texts and Contexts in Western Medieval Europe (eds. Jacqueline Jenkins and Katherine J. Lewis) (Turnhout, Belgium: Brepols, 2003), p.31
Jump up^Lewis, Katherine J., Pilgrimage and the Cult of St. Katherine of Alexandria in Late Medieval England, St. Katherine of Alexandria: Texts and Contexts in Western Medieval Europe (eds. Jacqueline Jenkins and Katherine J. Lewis) (Turnhout, Belgium: Brepols, 2003),p.44
Jump up^Lewis, Pilgrimage and the Cult of St. Katherine, 49–51.
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Jump up^Katherine J. Lewis, « Model Girls? Virgin-Martyrs and the Training of Young Women in Late Medieval England » in Young Medieval Women eds. Katherine J. Lewis, Noel James Menuge and Kim M. Phillips (New York: St. Martin’s PRess, 1999).
Jump up^Christine de Pizan, The Treasure of the City of Ladies trans. by Sarah Lawson (New York: Penguin Books, 2003), 146; Christine de Pizan, The Book of the City of Ladiestrans. by Rosalind Brown-Grant (New York: Penguin Books, 1999), 203; Rebecca Barnhouse, The Book of the Knight of the Tower (New York: Palgrave Macmillan, 2006), 126, 193.
Giacobbe Giusti, Fresque de la Tombe du Plongeur, Paestum
Le « plongeur » (détail du couvercle).
La fresquede la Tombe du Plongeur est composée d’une série de scènes peintes dans une tombe à caisson datant de la Grande-Grèce, découverte le par l’archéologue Mario Napoli, pendant les fouilles d’une petite nécropolesituée à 1,5 km au sud de Paestum (Poseidonia, Italie), cité fondée par des colons de Sybaris.
L’appellation générique « tombe du plongeur » (en italien : tomba del tuffatore) provient de la scène peinte sur la face interne de la dalle de couverture de la tombe. Cette scène représente un athlèteplongeant dans l’eau.
Cette tombe à caisson comporte en réalité une série de cinq fresques.
Certaines des interprétations qui en ont été faites sont sujettes à caution. En revanche, les hypothèses les plus probantes énoncées par les archéologues et les spécialistes de la Grèce antique révèlent que, dans cette série de fresques, les cinq scènes représentées présentent une unité stylistique et sémantique ; il est probable qu’elles soient en lien avec la personnalité du défunt mais rien n’est sûr ; les thèmes renvoient probablement aux valeurs pythagoriciennes et orphiques1. « Pour l’homme [grec] qui n’échappe pas à sa condition, le séjour des morts est nostalgie fondamentale, regret de la vie, et c’est uniquement en ce sens qu’il importe de considérer la religion grecque, les croyances grecques de l’au-delà, sous un aspect métaphorique », rappelle Pascal Torres2.
La dalle : le motif du plongeur
La dalle de la tombe, brisée en son centre.
Ce motif, situé sur la voûte céleste et face au mort, peut éventuellement symboliser le saut vers l’inconnu3. On notera que l’homme plonge vers une étendue d’eau à surface convexe, représentant la mer (Okéanos). On remarque également la récurrence du chiffre 7, présent dans la représentation du jeu de colonnes d’où saute le plongeur ainsi que dans les branches des arbres, qui sont des oliviers. Ce chiffre symbolise la régénération. Les branches des arbres peuvent aussi témoigner d’une possible amélioration de la vie une fois le défunt dans « l’au-delà » (l’Hadès, « l’invisible ») : on peut observer que l’arbre situé à droite et localisé derrière le plongeur, connaît par endroits des cassures au niveau de ses branches tandis que l’autre arbre, situé à gauche, est entièrement redressé. Par ce saut situé sur la face intérieure du couvercle du caisson, l’artiste a voulu peut-être tout à la fois rendre hommage aux qualités athlétiques du défunt et symboliser dans un même geste le passage du temps et le changement d’état, la vie donc. L’au-delà, le monde de l’Hadès, est possiblement représenté par ce qui est sous l’eau (où est le non-visible, l’inconnu), la limite entre le monde des vivants et celui des morts étant représentée par cette colonne d’où plonge le personnage.
Les parois latérales représentent un banquet rassemblant dix personnages : elles renvoient aux joies terrestres (poésie, musique, chère, philia) et convoquent la nostalgie de ce qui a été et n’est plus. La lecture doit se faire de droite à gauche.
La paroi latérale sud : le banquet (1)
Paroi latérale côté sud.
Cette peinture représente un banquet rassemblant cinq convives masculins (les comastes) disposés en klinai (un homme seul et deux couples), buvant, se prélassant et jouant de la musique. Il s’agit plus précisément d’un symposion4. Le couple de gauche joue de l’aulos (double hautbois) et du barbitos (lyre), tandis que les deux convives du centre s’adonnent au jeu du cottabe (kottabos). On remarque que les deux visages des personnages situés à gauche convergent vers un personnage situé au centre, tandis que les deux convives de droite sont pris par la musique (on parle ici d’enthousiasme et non d’ivresse). Enfin, le personnage situé à gauche, assis seul sur un klinè, tient une lyre dans une main et de l’autre, entre le pouce et l’index, un œuf. C’est ce personnage « qui se trouve au plus près de la tête du mort » (M. Napoli). « L’œuf, offrande funéraire omniprésente [dans les tombes] symbolise non seulement la fécondité, mais plus encore la puissance vitale dans la mort et la résurrection »5.
La paroi latérale est
Paroi côté est.
Côté est, la peinture, en partie abimée, représente une scène de libation dans laquelle un éphèbeéchanson, l’œnochoé en main, tourne le dos à un cratère et s’en va servir un convive : c’est vers ce motif que la tête du défunt était tournée, le contenu du cratère symbolisant l’élixir de jouvence ou tout simplement la jeunesse et le commencement de la vie.
La paroi latérale nord : le banquet (2)
Paroi latérale côté nord.
Comme sur la paroi latérale sud, on peut voir ici cinq convives disposés en klinai et qui se distinguent des cinq précédents. Le couple situé à droite, pris dans une « scène amoureuse », renvoie peut-être à la paideia ou aux joutes érotiques. Ce couple est observé par un des personnages situés au centre, tandis que les deux autres, à gauche, s’amusent au jeu du cottabe dont le signifiant est également érotique6. C’est le « couple amoureux » qui est situé au plus près de la tête du défunt et qui s’apprête à être servi par l’œnochoé. Napoli et Rouveret notent que le dessin préparatoire est beaucoup plus soigné ici que pour la paroi latérale sud. Le jeune homme tenu par la nuque et dont l’habit est particulièrement soigné (ceinture rouge, motifs ondulés) occupe la place d’honneur selon l’ordonnancement du symposium7. On y a vu une représentation du défunt.
La paroi latérale ouest
Paroi côté ouest.
Côté ouest, un cortège d’influence étrusque montre trois personnages : un homme barbu habillé d’un manteau et s’avançant avec un bâton noueux, un éphèbeportant une chlamyde bleue et enfin l’aulétride, une jeune femme jouant de l’aulos ; elle est de petite taille, le visage pâle et habillée d’un chitonblanc8. Il pourrait également s’agir d’un jeune garçon, la scène symbolisant les trois âges de la vie. Cette scène est jugée comme la plus difficile à interpréter. Les spécialistes s’accordent pour une représentation d’un kômos, par la présence au centre du trio de l’éphèbe esquissant un pas de danse et saluant l’un des convives situés sur la paroi Nord. Selon Daisy Warland, « le cortège illustrerait l’intégration du défunt à sa nouvelle vie, après sa régénération par la mer, figurée sur le couvercle »9.
Ainsi, les cinq fresques de la tombe s’inscriraient bien à l’intérieur d’une même unité.
Constat
La fresque de la Tombe du Plongeur doit son importance au fait d’être, à ce jour, l’unique exemple de peinture pariétale décorative à sujet figuratif et humain, datée de l’époque archaïque et classique qui nous soit parvenu dans son intégrité. Cette tombe est exceptionnelle et tend à démontrer que les Grecs se sont inspirés de la civilisation étrusque et de ses tombes parées de fresques. On retrouve en effet le motif du plongeur dans la fresque de la chasse et de la pêche située dans la Nécropole de Monterozzi, proche de la ville de Tarquinia en Étrurie méridionale et datée du dernier quart du vie siècle av. J.-C.10.
Descriptions techniques
L’excavation, qui fait suite à une campagne de fouille menée dans le golfe de Salerne, date de juin 1968 et eut lieu dans une petite nécropoleutilisée entre vie siècle av. J.-C. et ive siècle av. J.-C. sur un terrain appelé « Tempa del Prete ». Les cinq fresques de cette tombe dite « à caisson » ont été peintes sur du tuf calcaired’origine locale. En 1969, après une première communication11, une étude fut publiée par l’inventeur, le professeur Mario Napoli, intitulée Le pitture greche della tomba del tuffatore12, laquelle offre une approche descriptive circonstanciée.
Les dimensions de la tombe sont de 215 × 100 × 80 cm.
Des traces de cordage à même la peinture fraîche furent découvertes par Napoli : elles prouvent qu’il s’agit là d’un travail de commande, ce qui tend à relier la personnalité du défunt et les motifs représentés. Napoli signale également que la dalle du couvercle a été brisée intentionnellement en son centre au moment de l’inhumation et donc avant le scellement des parois entre elles.
Les restes du défunt étaient majoritairement à l’état pulvérulent, transformés en poudre du fait de la sécheresse mais la tête avait été visiblement orientée vers l’est.
Dans le mobilier funéraire, on a trouvé des récipients d’offrandes qui ont permis la datation : deux aryballes et un lécythe d’époque attique vernis dans le style melanomorpha (à figures noires), tous deux servant à contenir de l’huile parfumée pour oindre le corps des athlètes. Des fragments métalliques et de carapace de tortueont été également identifiés. L’analyse des vases permet de donner un intervalle de datation situé entre 480 et 470 av. J.-C.
L’ensemble pèse plusieurs tonnes : la tombe, une fois le corps du défunt installé, était scellée et les peintures soustraites au regard.
Il ne faut pas confondre cette fresque, exemplaire à ce jour unique dans les représentations funéraires de la Grande-Grèce, avec les nombreuses fresques (plus d’une quarantaine à ce jour) découvertes dans cette même nécropole mais datant de la fin ve siècle av. J.-C. et du début du ive siècle av. J.-C., et exécutées par les Lucains13.
Représentations contemporaines
Depuis leur découvertes, certains motifs de cette tombe, dont la « scène amoureuse » du banquet mais aussi le saut du plongeur, ont été largement reprises pour illustrer le thème de l’homosexualité.
Sur les dix hommes installés en banquet, on trouve quatre couples et deux hommes seuls. Selon Daisy Warland, il y a là « une répétition des couples éraste–éromène » (trois fois), à savoir, l’adjonction d’un jeune homme (présence du duvet sur les joues) et d’un homme plus âgé (pilosité faciale avancée). Cette conjonction manifeste évoque « l’initiation sexuelle dans les sociétés d’hommes archaïques et, plus généralement, la puissance vitale »14. Il ne s’agit pas d’homosexualité au sens contemporain du terme, mais d’une sexualité ritualisée et codifiée entre hommes, qui n’exclut en rien la femme15.
Galerie
Giacobbe Giusti, Fresque de la Tombe du Plongeur, Paestum
« Scène amoureuse »
Vue générale
Références
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↑« Grèce ancienne » in Dictionnaire de la mortsous la direction de Philippe Di Folco, coll. « In Extenso », Paris, Larousse, 2010, p. 500.
↑Ce saut n’a rien à voir avec les Jeux olympiquesantiques, cette discipline n’y étant pas reconnue.
↑La troisième représentation de plongeur datant de cette époque est celle trouvée sur le cratère apulien en calice à figures rouges dit « du Soleil et des Heures » exposé au British Museum (D. Warland, 1999, 199).
↑Daisy Warland (1999, 196) signale cette publication : M. Napoli, « L’attività arcbeologica nelle provincie di Avellino, Benevento e Salerno », in La Magna Crecia e Roma nell’età arcaica. Atti dell’ottavo Convegno di Studi sulla Magna Crecia,Taranto, 6-11 ottobre 1968, Naples, 1969, p. 139-152.
↑(it) « Le pitture greche della tomba del tuffatore » in Le Scienze, 2, 1969, n. 8, p. 9-19.
(en) R. Ross Holloway, « The Tomb of the Diver » in American Journal of Archeology, Vol. 110, n. 3, juillet 2006 (p. 365-388) (en)(Lire en ligne (PDF) [archive]) [lien introuvable].
(it)Mario Napoli, La Tomba del Tuffatore. La Scoperta della grande pittura greca, coll. « Spazio e tempo », Bari, De Donato, 1970.
[version française] Angela Pontrandolfo – Agnès Rouveret – Marina Cipriani, Les tombes peintes de Paestum, Paestum, Éditions Pandemos, 2004 (ISBN88-87744-13-0).
Agnès Rouveret, « La Tombe du Plongeur et les fresques étrusques : témoignages sur la peinture grecque » in Revue Archéologique, 1974, Fascicule 1, p. 15-32.
Pierre Somville, « La Tombe du Plongeur à Paestum » in Revue de l’histoire de Religions, Paris, PUF, Tome 196, fascicule 1, juillet 1979, p. 41-51.
Daisy Warland, « La Tombe du Plongeur : étude de la relation entre le symposion et le plongeon » in Revue de l’histoire de Religions, Paris, PUF, Tome 213, fascicule 2, 1996, p. 143–60.
[PDF]Daisy Warland, « Que représente la fresque de la paroi Ouest de la tombe au plongeur de Poseidonia ? »] in Kernos, 1999, n. 12, p. 195-206.
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Giacobbe Giusti, Roman villa of Camino de Albalate