Giacobbe Giusti, GUIDO of Siena, painter in a Byzantine style
Enthroned Madonna of Guido of Siena, c. 1270-80.
Guido of Siena, was an Italian painter, active during the 13th-century in Siena, and painting in a Byzantine style.
Biography
The name Guido is known from the large panel in the church of San Domenico, Siena of the Virgin and Child Enthroned. The rhymed Latininscription gives the painter’s name as Guido de Senis, with the date 1221. However, this date cannot relate to the painting of the panel, which is usually dated on the basis of style to the 1270s. The faces of the Virgin and Child were scraped and repainted in the early 14th century in the manner of Duccio and so are not representative of Guido’s original. A dossal featuring the Virgin and Child with four saints (accession No. 7) in the Siena Pinacotecahas an identical inscription, but unfortunately the name before « de Senis » has been cut off. It is very often assumed that the missing name is Guido, and gives us some indication of the original appearance of the Madonna at San Domenico.
Beyond this, little is known of Guido da Siena and his place in Sienese painting before Duccio. Because he is the only Sienese painter of the time to have surviving works on panel with a signature, he is often viewed as the most important artistic personality at the time and the first master of the great Sienese school of painting. However, Bellosi has attempted to associate some « Guidesque » works with the names Dietsalvi di Speme and Guido di Graziano, who are documented with the painting of Biccherna book covers for the Sienese commune in the 1270s. Some equate Guido as the father of Meo di Siena.
Gallery
Selections from a series depicting the life of Christ
Giacobbe Giusti, GUIDO of Siena, painter in a Byzantine style
Joanna Cannon. « Guido da Siena. » Grove Art Online. Oxford Art Online. [1]
Hayden Maginnis « Everything in a name? Or the Classification of Sienese Duecento Painting » in Italian Panel Painting of the Duecento and Trecento V.M. Schmidt (ed.) (New Haven and London, 2002) pp. 471–485
Luciano Bellosi « Per un contesto cimabuesco senese a) Guido da Siena e il probabile Dietisalvi » Propsettiva 61, 1991 pp. 6–20 and « Per un contesto cimabuesco senese b) Rinaldo da Siena e Guido di Graziano » Propsettiva 61, 1991, pp. 15–28
Le Rêve du Pape Innocent III, basilique supérieure d’Assise
Questione giottesca (en français : « question giottesque ») est un terme italien soulevant un problème des études sur l’histoire de l’art, problème mis en évidence par l’attribution (ou non) à Giotto des fresques de l’église supérieure de la basilique d’Assise, et dans quelle mesure par rapport à ses collaborateurs qui sont intervenus dans une œuvre aussi importante.
Cette interrogation concerne divers aspects : l’organisation des chantiers artistiques à partir du Moyen Âge ; le rôle des maîtres et les tâches effectuées par les aides ; la validité de l’attribution de grandes œuvres à un seul maître.
La question concerne aussi bien la peinture antique que celle de la Renaissance.
Problèmes soulevés
Partant du principe qu’en l’absence de documents précis, rien ne peut être affirmé avec une certitude il s’agit néanmoins d’établir quelles œuvres, ou partie d’œuvre du peintre peuvent lui être attribuées avec une certitude raisonnable au peintre à l’auteur ou à ses aides ou même serait d’une autre main ou atelier.
En ce qui concerne Assise en particulier, la critique n’est pas unanime sur le fait que Giotto aurait collaboré avec Cimabue dans l’église inférieure de la basilique d’Assise et éventuellement dans quelles parties dans la partie haute des fresques de l’église supérieure.
En ce qui concerne la partie inférieure des fresques de la Basilique qui représentent la Vie de saint François, la tradition les attribue à Giotto, et cette attribution est la plus accréditée par les historiens de l’art, mais certains ont évoqué le nom de Pietro Cavallini, peintre actif à Rome où il a réalisé les fresques de la basilique Santa Cecilia in Trastevere), plus âgé que Giotto, et que celui-ci a probablement rencontré à Rome.
Termes de la Questione Giottesca
Giotto, jusqu’à l’obtention du statut juridique de magister, ne pouvait avoir une autonomie artistique et d’entrepreneur ; en effet, seul le magister signait comme entrepreneur tous les contrats de l’atelier.
Par leur nature, les grandes fresques nécessitaient le concours de nombreux intervenants, dont les rôles étaient divers allant des plus humbles et à ceux hautement artistiques.
Les grands chantiers nécessitaient de nombreuses « mains » et parfois, partagés commercialement en plusieurs lots, divers ateliers réalisaient simultanément les commandes.
La grande aura que Dante a attribuée à Giotto déjà en 1300, année du premier jubilé, provenait probablement du fait que celui-ci avait été appelé par Boniface VIII à Rome justement à l’occasion de cet important évènement ; ce qui expliquerait l’abandon du cycle d’Assise, terminé probablement par un groupe de peintres différent de celui qui l’avait entrepris.
Selon certains, Giotto était trop jeune pour avoir une responsabilité aussi importante, mais selon d’autres, à cette époque où à cinquante ans la personne était déjà vieille, à l’âge de vingt-cinq/trente ans, la personne avait atteint sa maturité.
Il faut noter que dans le même cycle de fresques d’Assise, saint François est représenté imberbe dans les trois premiers épisodes, quand il était un peu plus qu’adolescent et vieux grisonnant, plié sous le poids des ans dans les derniers ; on sait que saint François est mort à l’âge de 44/45 ans.
La conception générale du cycle d’Assise est plutôt uniforme dans le message et dans le style faisant logiquement penser à une seule tête organisatrice.
Les caractéristiques de Cavallini, font penser qu’il restait attaché à la tradition pour pouvoir prendre en charge des « cose nuove » (nouveautés) aussi bien du point de vue iconographique que dans le style. La nouveauté, chez Giotto était dans la façon de voir les choses, réunies dans un espace et dans un temps toujours plus précis.
Giotto pourrait avoir demandé à Cavallini ou un maître de son atelier de l’aider sur ce chantier.
La hiérarchie des chantiers
Grâce à un document sur Giotto, se rapportant aux travaux près de Castel Nuovo à Naples, et à d’autres documents et témoignages relatifs à d’autres maîtres, il a été possible de reconstituer l’organigramme des chantiers de peinture.
L’existence du prothomagister, une sorte de chef de maîtres qui s’occupait d’opérations particulières, dans le cas des peintures ; il s’occupait du projet et de l’organisation et pouvait intervenir contemporainement sur trois chantiers (comme à Naples).
Sous le prothomagister existait une structure organisée hiérarchiquement de nombreux maîtres-peintres, maîtres -manœuvres et simples aides qui travaillaient sur la planification pendant la période nécessaire à leur intervention (parfois quelques jours).
L’activité « manuelle » du chef-maître était présente uniquement pendant quelques phases, particulièrement lors de la création artistique : son rôle était celui d’un « normalisateur » afin que le résultat final soit homogène grâce au nivellement des variables d’exécution des différents intervenants. Il existe une mention explicite de cette fonction dans un document relatif de Lippo di Benivieni de 1313.
En ce qui concerne la présence du maître et des collaborateurs sur le chantier, un document de 1347 concernant la décoration à fresque du Palais des Papes d’Avignon, par le maître Matteo Giovannetti : sur vingt-cinq travailleurs, trois ont le titre de maître (en incluant Giovannetti), mais seul le prothomagister est présent tous les jours tandis que les deux autres sont présents par intermittence et sont payés huit sous par jour. Les autres ouvriers qui sont payés de six à deux sous par jour ne sont présents qu’à des moments déterminés ou seulement lors de la phase initiale (montage des échafaudages) ou finale (démontage, finition, nettoyage des salles) ou occasionnellement pour des tâches ciblées.
Le maître en chef est présent depuis la création artistique (projet), puis pendant tout le travail il surveille et corrige le travail des autres et enfin comme auteur direct, il intervient dans la décoration en particulier dans la peinture des détails difficiles comme les figures humaines et les visages en particulier.
Un autre personnage parfois mentionné est le sollicitator fabricae, une sorte de contrôleur des travaux finalisant la conclusion du chantier.
La réalisation des grandes œuvres à fresque nécessitait donc un grand nombre d’intervenants et de compétences diverses.
Partage des tâches
Déjà à l’époque de Dioclétien (243-313), dans l’Édit du Maximum(Edictum De Pretiis Rerum Venalium– 301), où sont énumérés les divers travaux et les salaires respectifs pour tout l’Empire, concernant la peinture murale est évoqué un pictor parietarius payé 75 danari et d’un pictor imaginarius payé 150, correspondant probablement respectivement à l’exécuteur manuel des peintures et le projeteur ou dessinateur.
Cennino Cennini dans son Libro dell’arte parle de « maestrio » qui enseigne aux autres hommes comment devenir maîtres, à prendre dans le contexte comme le titulaire d’un atelier ou d’un chantier ayant de simples peintres sous ses ordres.
« [Pinturicchio] sia tenuto a fare tutti li disegni delle istorie di sua mano in cartoni et in muro, fare le teste di sua mano tutte in fresco, et in secho ritocchare et finire infino a la perfectione sua »
— Commentario alla vita di Bernardino Pintoricchio, Gaetano Milanesi.
Les termes de ce document sont confirmés dans de nombreux comptes-rendus de chantiers antérieurs jusqu’à l’époque de Giotto, ce qui laisse présager que les procès et les organisations des chantiers soient restés figés.
Un compte rendu contenu dans une lettre datée du 6 juin 1572 de Giorgio Vasari adressée à Cosme Ierde’ Medici, détaille les dépenses et le personnel nécessaires pour les fresques de la coupole de Santa Maria del Fiore. Sur ce document, Vasari demande outre le maître et personnel annexe, onze hommes pour le déroulement des travaux parmi lesquels :
Au moins trois manœuvres et maçons pour l’enduit ;
un maestro d’inportanza, picttore praticho, qui dirige le chantier tandis que Vasari reste in terra à faire les cartons
trois maestri picttori pour faire les drapés, paysages, modèles en cire et en terre (pour l’étude des ombres par Vasari pendant le dessin des cartons)
deux maestri picttori pour le décorations abstraites, décors, ciels et nuages et pour reporter les dessins sur les murs à partir des cartons (jusqu’au xve siècle par les sinopie, ensuite par d’autres moyens comme lespolvero ou la gravure)
deux manœuvres pour moudreles couleurs.
Il ne restait au maître que la réalisation du projet général, des cartons, la supervision, la normalisation des travaux des autres peintres et probablement la peinture des détails difficiles, surtout les figures humaines.
Une telle organisation, que Vasari indique être commune et se pratiquant dans d’autres villes, avait pour objectif la rapidité d’exécution des travaux avec le partage des tâches de façon que plusieurs opérations puissent être exécutées simultanément, mais surtout de ne pas perdre de temps lors de la pose de l’« intonaco a fresco » pendant lequel la peinture devait être étalée sans erreurs avant qu’elle ne sèche.
Les dessins préparatoires
Giacobbe Giusti, Questione giottesca
La Divina Commedia de Dante , fresque de Domenico di Michelino de la nef de Santa Maria del Fiore, sur un carton d’Alesso Baldovinetti.
Les dessins sur papier ou parchemin ou sur tout autre support antérieurs au xve siècle sont pratiquement inexistants ce qui pose question quant à leur usage par les maîtres au cours de cette époque.
À ce propos, Cennino Cennini, écrivait qu’il était normal de faire usage de dessins à échelle réelle pour réaliser des casamenti, tandis que Giorgio Vasari, en décrivant une fresque inachevée de Simone Martini, cite comme nostri maestri vecchi avaient l’habitude de faire un dessin de l’œuvre qui, par la suite, était agrandi au carré en sinopia.
Les dessins préparatoires avaient pour but de présenter le travail au client et étaient destinés à l’organisation du travail, servant à estimer la quantité en personnel et matériel nécessaire ainsi que le coût et le temps d’exécution.
Sur la disparition de ces dessins, il faut tenir comte que ceux-ci avaient uniquement une fonction de projet et devenaient inutiles une fois le fresque terminée, souvent coupés et tachés et abîmés par leur manutention sur le chantier. Les dessins étaient enfin calqués sur les parois afin de réaliser la sinopia, parachevée par le maître.
Parfois, le maître faisait un croquis puis le donnait à quelqu’un d’autre pour réaliser le dessin. Ce cas est évoque par Vasari dans Le Vitequand il décrit la façon par laquelle Andrea Pisano avait reçu un disegno bellissimo de Giotto pour réaliser la décoration sculpturale de la porte du campanile de Santa Maria del Fiore.
Il ne reste que peu de témoignages de ces pratiques mais il est probable qu’elles aient été largement pratiquées : En effet, récemment il a été découvert que les fresques de Palazzo Trinci à Foligno ont été payées à Gentile da Fabriano, cette hypothèse avait déjà été évoquée par certains historiens d’art en étudiant la composition générale des peintures, mais suivie avec perplexité à cause de la médiocre technique de peinture, expliquée par la création des seuls dessins préparatoires de la part du maître.
À la lumière de ces exemples, qui mettent en évidence de larges collaborations entre les divers maîtres, le concept de paternité et d’attribution est à manier avec précaution.
Travail en série : l’usage des « patrons »
Il problème de la « normalisation » était parfois résolu grâce à des artifices particuliers dont l’existence n’a été découverte que récemment.
Dans les documents des archives du xive et xve siècle on trouve souvent la mention patrones, qui ont été interprétés comme des figures modelées et dessins sur papier huilé ou cirée servent à la réalisation des divers dessins : figures humaines, éléments architecturaux, parties décoratives.
Ces patroni apparaissent à diverses reprises dans des documents servant d’ordres d’achats pour le matériel servant à leur réalisation ou à recruter le personnel pour les réaliser.
Cennino Cennini et certains prescripteurs dédient des chapitres entiers à la création du papier huilé transparent.
Parfois, lors de travaux de restauration, on découvre des feuilles de papier anciennes laissées dans des trous de boulin(Abbaye de Pomposa et Cappellone di San Nicola à Tolentino entre 1959-1964). Souvent l’absence de valeur de telles pièces, souvent usées et endommagées par les travaux, a fait passer sous silence de telles retrouvailles provoquant leur disparition.
En étudiant les fresques d’Assise, il est apparu des détails de certaines figures humaines ayant exactement les mêmes formes et dimensions, avec uniquement des variations dans l’inclinaison et parfois par un renversement recto/verso qui peut être expliqué uniquement par l’usage du compas ou par l’usage de pochoirs ou modèles transparents. Il existe une figure de guerrier et une de berger dont les éléments (veste supérieure, plis de l’habit qui couvre les jambes, bras et jambes) ont des dimensions identiques mais tournées de différentes manières afin de percevoir deux figures bien distinctes.
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La peinture provient ducouvent San Giorgio alla Costa en Oltrarno à Florence, en cohérence avec toutes les peintures de la vie monastique de Paolo Uccello (Scènes de la vie monastiqueau cloître de San Miniato al Monte). Il fut retrouvé ensuite dans les fonds des Offices. Malgré plusieurs hésitations le tableau fut finalement bien attribué, comme il le fut à l’origine, à Paolo Uccello, appuyé par les comparaisons stylistiques du Miracle de l’hostie profanée, la prédelle du retable du Corpus Domini d’Urbino.
Thème
La Thébaïde est, dans l’acception chrétienne, la région désertique de Thèbes, en Égypte, une image du lieu où se retirèrent des hommes pieux, solitaires, ceux-là mêmes qui ont donné naissance au monachisme.
Le tableau de 83 × 118 cm (ratio de 1,4, soit celui de la « porte d’harmonie ») permet de reconnaître plusieurs scènes :
Saint François recevant les stigmates du Christ en séraphin (au milieu du haut),
Saint Jérôme dans sa grotte adorant le crucifix dans sa grotte (au centre),
L’Apparition de la Vierge à saint Bernard de Clairvaux (en bas à gauche),
Saint Benoit prêchant à ses moines (en bas à droite),
D’autres éléments sont à distinguer :
des flagellants autour du Christ en croix (en haut à gauche),
deux jeunes hommes à la porte d’un couvent avec un moine qui les accueille (à droite de la précédente scène),
deux moines et une nonne dans une grotte (sous la précédente scène),
plusieurs moines montant le chemin de prière taillé dans la roche (émergeant aux flagellants et au Christ en croix),
un moine portant bâton et houe près d’un âne portant sa charge et broutant l’herbe (au centre bas),
Le séraphin dans le ciel tourmenté surmonte un paysage de ville fortifiée, d’églises, de champs régulièrement cultivés, d’un monastère avec, devant, deux moines en contemplation (en haut à droite).
Analyse
La tradition gothique se fait encore sentir dans ce tableau avec ces scènes toutes rassemblées, non dans un espace cohérent, mais dans un rassemblement historique (privilégiant la storia), la somme des lieux d’événements temporellement distants1. La schématisation des arbres, les roches très stylisées (comme chez Fra Angelico), la perspective de chacun des lieux trouant le décor, la palette terne seulement ponctuée, égayée de rouge (couleur de la Passion) tous éléments qui renforcent cette inscription gothique,
Franco et Stefano Borsi, Paolo Uccello, trad. française Hazan, 1992
(it)Annarita Paolieri, Paolo Uccello, Domenico Veneziano, Andrea del Castagno, Scala, Florence, 1991. (ISBN88-8117-017-5)
Anecdote
Cette œuvre a connu ces dernières années un regain d’intérêt insolite, une certaine littérature affirmant qu’il renfermait la représentation d’un objet volant non identifié. Les historiens de l’art eurent tôt fait de démontrer que l’objet en question n’était qu’une simple coiffe de cardinal, le chapeau cardinalice, le galero rouge à houppes au pied du saint Jérôme en prière.
* Descriptif officiel UNESCO
** Classification géographique UNESCO
Delphes (en grec : Δελφοί, ancien : Delphoí, moderne : Delfí) est le site d’un sanctuaire panhellénique, situé au pied du mont Parnasse, en Phocide, où parle l’oracle d’Apollon à travers sa prophétesse, la Pythie ; il abrite également l’Omphalos ou « nombril du monde ». Investie d’une signification sacrée, Delphes est du vie au ive siècle av. J.-C. le véritable centre et le symbole de l’unité du monde grec.
Les sanctuaires panhelléniques sont des complexes architecturaux extérieurs aux cités. Ils constituent les seuls lieux où tous les anciens Grecs, et certains barbares (Lydiens et Étrusques) prennent part à des célébrations religieuses communes.
Histoire du site
Localisation de Delphes.
Le nom de Delphes (pluriel Δελφοί / Delphoí) vient du mot « dauphin » (δελφίς / delphís) : dans la poésiehomérique, Apollon aurait pris la forme de cet animal pour attirer les marins crétois chargés d’instaurer son culte sur le site.
Les traces les plus anciennes d’une occupation humaine dans la région de Delphes (dans une grotte du plateau du Parnasse) remontent au néolithique. Le philosophe péripatéticienPhanias d’Érèse dit qu’avant le règne du roi Gygès de Lydie, Apollon Pythien n’avait ni or, ni argent1. Sur le site du sanctuaire, un village modeste de 1400 av. J.-C. environ a été reconnu : ce site, nommé Pythô (Πυθώ, οῦς (ἡ) et Πυθών, ῶνος (ἡ)) dans l’Iliade (cf. II, 519 et IX, 405) et dans l’Odyssée (cf. VIII, 80), est abandonné entre 1100 av. J.-C.environ et 800 av. J.-C. Le sanctuaire se développe probablement à partir de cette date, avec l’apparition d’un premier autel et d’un premier temple, que la tradition delphique et la tradition antique placent sur une pente où se serait trouvée une fissure naturelle exhalant des vapeurs (notamment Strabon, IX, 3, 5).
C’est surtout entre le milieu du viiie siècle av. J.-C. et le milieu du viie siècle av. J.-C., qu’Apollon Pythien gagne une notoriété importante : il est le patron des entreprises coloniales effectuées durant cette période.
On attribue la destruction du temple au tremblement de terre de 373 av. J.-C., mais la catastrophe, provoquée par un glissement de terrain, fut assez limitée. Perdant son importance politique et surtout son autonomie à partir du ive siècle av. J.-C., le site entame un long déclin, marqué par les troubles politiques qui agitent la Grèce. Le iiie siècle av. J.-C. est celui de la mainmise de la Confédération étolienne, dont les troupes repoussent près de Delphes les envahisseurs Galates en 279 av. J.-C.
Après la conquête de la Grèce par Rome (le pilier de Paul-Émilecommémore la défaite du dernier roi macédonien Persée), peu d’édifices importants sont construits, si ce n’est le stade refait par Hérode Atticus.
En 392, l’interdiction des cultes païens dans l’empire romain par l’Édit de Théodose marque la fin officielle du culte d’Apollon Pythien. Une ville chrétienne s’installe alors dans le sanctuaire (églises, villas importantes), puis disparaît probablement au viie ou viiie siècle. Le site est provisoirement abandonné et les ruines sont progressivement recouvertes. Le site est ensuite occupé jusqu’à la fin du xixe siècle par un village du nom de Kastri. Cyriaque d’Ancône visite Delphes au xve siècle.
Oreste à Delphes, la Pythie, le trépied. Cratère à figures rouges, vers 330 av. J.-C.
Apollon lui-même aurait fondé le sanctuaire de Delphes après avoir construit le temple de Délos. Le temple était alors gardé par un serpent nommé « Python », fils de Gaïa (la Terre) et gardien d’un oracle consacré à Gaïa. Apollon, désireux d’établir un oracle pour guider les hommes, tua Python (il le laissa pourrir au soleil par la suite) avec son arc et s’appropria l’oracle. (cf. Hymnes homériques) Pour faire venir ses prêtres, il détourna un bateau crétois (cf. section supérieure).
Ce mythe, qui fait d’Apollon Pythien un conquérant fondateur, explique son patronage de la fondation de colonies grecques et l’expansion de son culte dans l’ensemble des colonies. Il place aussi l’oracle au cœur du sanctuaire.
Selon une autre tradition, que suit Eschyle et dont la musique a été gravée sur un mur du Trésor des Athéniens à Delphes, l’oracle a d’abord été celui de la Terre, puis celui de divinités féminines successives pour être enfin transmis à Apollon.
Le sanctuaire de Delphes, en effet, est « oraculaire » : la parole du dieu y est transmise aux hommes par l’intermédiaire de la Pythie, dont la tradition antique fait une jeune vierge inculte, installée sur un trépied sacrificiel placé dans une fosse oraculaire, l’adyton, juste au-dessus d’une fissure d’où les Anciens pensaient qu’émanaient des vapeurs toxiques ; la Pythie tient une branche de laurier, l’arbre du dieu Apollon, et une phiale, récipient plat dépourvu d’anses, servant aux libations.
25 litrai en électrum représentant un trépied delphien ainsi que la tête laurée d’Apollon.
La consultation de l’oracle était au départ annuelle : elle avait lieu le sept du mois Byzios (février-mars), jour de la fête d’Apollon. Elle se fit ensuite le sept de chaque mois durant la période de neuf mois où Apollon était censé occuper le site : ce jour fut nommé polyphthoos(πολύφθοος, « jour où l’on offre de multiples gâteaux sacrés »).
Des rites précédaient la consultation : ils étaient accomplis en fonction de la prophétesse et requéraient la présence de deux prêtres. Ces derniers exerçaient leur charge à vie et étaient secondés par cinq hosioi (ὅσιοι) qui maintenaient le culte, et deux prophètes. L’un de ces derniers assistait la Pythie, notamment en traduisant ses paroles afin que l’oracle rendu soit compréhensible. Les réponses du dieu étaient transmises en prose, et en vers sous forme d’hexamètres.
Dans le détail, on ignore si la Pythie était visible, aucun témoignage digne de confiance n’étant explicite sur la question. La tradition la plus courante rapporte cependant que la Pythie aurait été cachée par un voile et que le consultant ne pouvait la voir.
L’historiographie moderne a cherché, à la suite de la tradition antique probablement d’origine delphique, à expliquer les transes et les paroles incompréhensibles prêtées à la Pythie lors des séances de l’oracle. L’explication qui en a longtemps été donnée était l’inhalation par la prophétesse de vapeurs s’échappant des entrailles de la terre (cause physique) ; au xxe siècle, les spécialistes étaient nombreux à considérer une telle explication comme fausse, en se basant sur les fouilles des soubassements du temple d’Apollon menées par l’École française d’Athènes, car aucune fissure n’a été trouvée et la nature du sol de schiste. Or, en 2001, des fouilles menées par Jelle de Boer de la Wesleyan University ont montré que le marbre travertin formant les murs de l’adyton contient des résidus de méthane et d’éthane, deux composés gazeux qui proviennent probablement du calcaire bitumineux contenu dans les fondements du site. Cela indique que l’adyton était rempli de gaz dans le passé. En outre, dans les sources voisines, on a trouvé de l’éthylène, un gaz de la même famille2.
Il est certain que le déroulement même de l’oracle dut subir des changements notables au fil du temps. Parmi les témoins les plus proches, Plutarque, qui a été prêtre d’Apollon à Delphes, a transmis de nombreuses considérations sur le culte : il relate qu’à son époque (au ier siècle) une unique Pythie ne recevait plus qu’une fois par mois alors que trois prophétesses devaient se relayer dans le passé. Dans un autre sanctuaire d’Apollon, l’oracle se passait mentalement : celui qui venait consulter l’oracle conversait seul avec le dieu et recevait les réponses à ses questions directement dans son esprit (ce qui autorisait une plus libre interprétation).
Il n’y avait pas d’oracle en l’absence d’Apollon, et de nombreux fidèles attendaient son retour. Dès lors, la « promantie » (ordre de passage déterminé par les prêtres) fut instaurée. Des cadeaux étaient faits à la divinité, puis les prêtres jetaient des gouttes d’eau sur une chèvre qui, si elle ne tremblait pas, faisait perdre son tour au pèlerin. Ce dernier, en cas d’acceptation, entrait dans l’adyton où il pouvait poser sa question : celle-ci entraînait une réponse de la Pythie ou non, selon la volonté du dieu.
À l’époque chrétienne, la figure de la Pythie fut associée à celle d’une femme possédée par le démon (Jean Chrysostome)[réf. nécessaire] ; ce dernier entrait dans le corps de la prophétesse depuis les profondeurs de la terre au-dessus desquelles le trépied était censé être installé.
L’omphalos du temple d’Apollon
Delphes était, selon la mythologie grecque, le centre du monde (dans la période contemporaine, c’est Larissa qui est reconnu comme étant le centre de la Grèce, bien que Delphes conserve un magistère mythologique important3). Aussi, l’« omphalos » (ὀμφαλός, littéralement le « nombril ») y était-il représenté par une pierre de forme conique, directement placée dans l’adyton du temple, entourée d’un réseau enchevêtré, peut-être des bandelettes ou des fils de laine formant un filet, et surmontée de deux aigles en or4. Dans la mythologie grecque, en effet, Zeus avait fait partir deux aigles, chacun d’un côté du disque terrestre et ces oiseaux de proie s’étaient rencontrés au centre du monde. La forme même de cet omphalos a suscité plusieurs remarques : Marie Delcourt5 ne veut pas y voir le nombril du monde car « le nombril de l’homme adulte est une cicatrice déprimée ». Or l’omphalos de Delphes est bombé, ce qui en fait, selon elle, la représentation de l’ombilic de la femme enceinte à la fin de la grossesse ou celui du nouveau-né, donc un symbole de fécondité et de naissance. Jean Richer, rejoignant René Guénon, fait sienne cette observation et affirme que « l’omphalos représente le nombril d’une femme enceinte qui a nom Gé »6. La signification de l’omphalos delphique serait ainsi la même que celle de l’œuf du monde et le réseau du filet sculpté à la surface de la pierre trouvée à Delphes pourrait bien représenter le rôle de centre générateur joué par ce sanctuaire, et son expansion dans plusieurs directions (son réseau), spécialement en ce qui concerne le culte de la Terre associé à celui d’Apollon.
Une autre légende raconte que la pierre serait celle donnée par Rhéa, femme du roi des TitansCronos à la place de son fils Zeus qui allait être mangé comme ses autres frères et sœurs avant lui, afin d’empêcher une prophétie annonçant le renversement de Cronos par un de ses enfants. Recrachée à l’initiative de la vengeance de Zeus, elle serait ensuite tombée sur Delphes3.
Pendant les mois d’hiver, Apollon était réputé quitter le sanctuaire de Delphes pour aller se purifier en Hyperborée. Il était alors remplacé à Delphes par Dionysos. Ce dernier était présent durant trois mois et faisait l’objet d’un culte rendu sur le Parnasse (les libations des Thyades omophages). Dans l’adyton se trouvait la tombe de Dionysos.
Le statut de ce dernier changea peu à peu en raison de son rapport avec l’Apollon Pythien : il était inférieur au dieu solaire, mais grâce à son rôle d’opposé, il devint progressivement indissociable de la divinité apollinienne ; ainsi, le culte de Dionysos profita probablement de la renommée de Delphes dans l’ensemble du monde grec.
Le sanctuaire panhellénique
Le théâtre de Delphes
Vue sur les gradins depuis la scène
Dans un sanctuaire, l’élément le plus important pour le culte est l’autel (bômos) sur lequel on procède aux sacrifices.
Le temple abrite la statue de la divinité : le dieu est réputé l’habiter, au moins par moments. À Delphes, le temple d’Apollon revêt une importance particulière, puisqu’il abrite l’oracle. Il est construit, selon la tradition, sur une faille volcanique qui plonge dans les entrailles de la terre et met les hommes en communication avec le dieu Apollon, par l’intermédiaire de la Pythie.
Le meilleur emplacement possible est d’abord recherché pour établir le temple de manière qu’il soit bien en vue aux yeux de tous ceux qui visitent le sanctuaire : c’est l’« epiphanestatos topos ». Le temple d’Apollon à Delphes est situé sur les flancs du mont Parnasse, sommet qui culmine à 2 459 mètres d’altitude et domine la Grèce centrale. Il se trouve implanté sur une pente très raide. Un peu plus bas, un autre temple est dédié à Athéna Pronaia, divinité qui « protège » ou « précède » le sanctuaire.
Les visiteurs peuvent entrer dans le sanctuaire de Delphes par plusieurs portes, dont la principale est tournée vers l’Est. Abusivement appelée « Voie sacrée », une voie bordée de monuments divers offerts au dieu mène jusqu’à l’esplanade du temple: une vingtaine de bâtiments, dont la plupart sont des « trésors », servent à présenter les offrandes faites au dieu, soit par piété, soit pour des raisons politiques. Ces chapelles votives contiennent généralement des dépôts d’objets offerts par les ressortissants de la cité qui a offert le bâtiment.
Le stade
Le stade, l’hippodrome (non retrouvé) et le gymnase sont des annexes du sanctuaire : ils sont les lieux où se déroulent les célébrations panhelléniques dédiées au dieu, selon un calendrierreligieux très précis : ces compétitions de gymnastique, de lutte ou de chant correspondent aux jeux olympiques dont la célébrité a aujourd’hui éclipsé celle du sanctuaire éponyme d’Olympie.
Pour ce qui est de l’organisation de ces fêtes et, plus généralement, de l’administration du sanctuaire panhellénique, les Grecs sont regroupés en « amphictionie », c’est-à-dire une association de cités, de peuples autour du sanctuaire. Celle de Delphes, nommée « amphictionie pylaio-delphique » regroupe, à partir de 590 av. J.-C., une douzaine de cités. C’est cette amphictionie qui finance les travaux par souscription et supervise les éventuelles reconstructions du temple, comme à la fin du vie siècle av. J.-C.
Autour du sanctuaire se trouve la ville de Delphes, qui vivait principalement grâce aux visiteurs du sanctuaire, à partir du vie siècle av. J.-C..
Le temple d’Apollon Pythien
Temple d’Apollon.
Temple d’Apollon.
Pausanias mentionne que six temples dédiés au dieu Apollon se succédèrent au cours du temps : le premier d’entre eux put être une hutte de laurier. L’archéologie en ignore tout, comme des deux suivants construits par des abeilles du Parnasse avec de la cire et des plumes d’oiseau, pour le second et par Héphaïstos, en bronze pour le troisième.
Le quatrième temple, dont la structure était en stuc, fut construit par Trophonios et Agamède et détruit lors d’un incendie en 538 av. J.-C.
Les cinquième et sixième temples, de plan similaire, sont les plus connus : du premier d’entre eux subsistent des fragments de la sculpture trouvés dans une fosse et de nombreux blocs d’architecture réemployés dans les soubassements du sixième temple.
C’est ce dernier temple, daté du ive siècle av. J.-C., qui subsiste aujourd’hui. Il est rectangulaire, de forme allongée, et mesure 23,82 mètres sur 60,32 mètres de côté, soit six colonnes doriques à l’avant et à l’arrière et quinze colonnes doriques sur chaque côté. Son architecte est Spintharos de Corinthe qui se contenta dans une large mesure de rebâtir l’édifice précédent. La construction de ce sixième temple fut longue, en raison des événements politiques et militaires (troisième guerre sacrée); on possède une partie des comptes de construction (« les comptes des Naopes »), gravés sur des plaques de terre.
L’autel sur lequel étaient pratiqués les sacrifices, était situé devant le temple. Le socle a fait l’objet de restaurations (1920, Replat; 1956, Stikas). Hérodote signale qu’il a été offert par les habitants de Chios, ce que confirme l’inscription gravée sur son socle.
Autres monuments
La Tholos, rotonde anonyme du 4es. av. J.-C.
Le site du sanctuaire dénombre d’autres monuments, qui ont fait considérablement évoluer son aspect entre la période archaïque et l’époque hellénistique : la plupart d’entre eux avaient un caractère votif ou commémoratif. En revanche l’époque romaine se caractérise par un certain abandon, et même un pillage organisé comme sous l’empereur Néron. Comme l’occupation du site fut extrêmement longue, les nombreux monuments révélés par les fouilles ne furent pas toujours présents en même temps. Sur la plupart des représentations modernes, c’est l’aspect le plus récent qui est figuré.
L’évolution de l’occupation du site dépend étroitement de la topographie qui dicta l’aménagement du sanctuaire en trois étages (théâtre, temple, autres monuments), mais aussi des cataclysmes (incendies, tremblement de terre, etc.) et des événements politiques qui modelèrent l’espace delphique au gré des offrandes et des (re)constructions.
La répartition des édifices sur le site est hétérogène : certaines zones sont densément construites, d’autres laissées presque vides ; et encore, la taille même de ces édifices varie considérablement avec une prédominance des monuments de taille modeste, en raison de leur coût moins élevé et de problèmes d’espace.
Un calendrier quasi-liturgique déterminait, à travers un certain nombre de célébrations communes (les « Panégyries »), l’occupation de l’espace : rites, concours musicaux et théâtraux peuvent expliquer, aussi, dans une certaine mesure l’implantation des monuments.
Dépôt votif de l’« Aire »
Tête de statue chryséléphantine masculine trouvée dans les fosses de l’Aire
Tête de statue chryséléphantine féminine provenant des fosses de l’Aire
Dans l’espace sacré appelé « Aire », devant le grand mur polygonal, les archéologues français ont retrouvé deux fosses (favissae) dans lesquelles avaient été enfouis de nombreux objets endommagés vraisemblablement lors d’un incendie. Parmi ces objets, restaurés et exposés au musée archéologique de Delphes, un grand taureau en argent, de nombreuses représentations miniatures en ivoire provenant d’un décor de mobilier, des statues de dieu ou déesse chrysélephantines (or et ivoire) et des objets plus récents (ve – ive siècle av. J.-C.) dont un très beau brûle-parfum.
Statuettes de bronze
Tête de griffon en bronze
Les statuettes en bronze du ixe et viiie siècle av. J.-C.s ont été réalisées à la cire perdue : cette technique encore utilisée en bijouterie consiste à fabriquer un modèle en ciresur lequel le moule en argile est enduit ; le moule est vidé de sa cire par chauffage ; le bronze en fusion y est coulé et le moule est enfin brisé pour extraire la statuette ; ce dernier n’est donc utilisable qu’une fois, faisant de chaque œuvre un produit unique. Ces statuettes révèlent qu’il n’y a pas, à cette époque, de représentations des divinités, mais seulement d’hommes, de femmes et de guerriers : c’est ainsi qu’on interprète la présence de statuettes d’hommes sur des chars et de chevaux ; leurs formes sont parfois très proches des représentations picturales.
Trépieds de bronze
Trépieds de bronze.
On retrouve aussi de nombreuses offrandes de trépieds en bronze : la Pythie était assise sur un trépied. À l’origine, le trépied portait un chaudron utilisé pour faire de la cuisine de prestige : il a une image très symbolique. Parfois le trépied et le chaudron sont offerts ensemble, parfois séparément. Les chaudrons peuvent être munis d’anses appelées « protomés », en forme de parties avant d’animaux fantastiques, comme des griffons. Ces éléments fantastiques sont des images orientales venant de Babylone : elles sont reproduites par les artisans grecs, dans une démarche « orientalisante ».
Autres offrandes du dépôt
Statue en ivoire d’Apollon
Une statue en ivoire d’une divinité masculine (Apollon ?) de stature droite, tenant une lance, et l’autre main posée sur la tête d’un fauve qu’il domine. Ce thème est emprunté à l’iconographie orientale. Le dieu est d’une taille très importante ; en partie basse, une petite ceinture où l’on retrouve un décor typiquement grec : le « méandre » (viie siècle av. J.-C.).
une représentation de « kouros » (pluriel kouroi : garçon) : jeune homme représenté dans une nudité absolue, debout avec le pied gauche légèrement avancé (en mouvement).
Statues chryséléphantines
Les statues chryséléphantines sont constituées d’un noyau de boisrecouvert de plaques d’or et d’ivoire :
des griffons (tête et ailes de rapace, corps de félin) ;
une sphinge : le Sphinx existe dans la tradition orientale, mais c’est la figure sous sa forme féminine qui est adoptée par les Grecs. Elle comporte une tête de femme, des ailes et un corps de félin. On lui prête généralement des vertus divinatoires.
Les offrandes les plus récentes (à partir du ve siècle av. J.-C.) offrent un rendu des traits physiques et des vêtements plus réaliste.
Monuments commémoratifs et votifs
Dans la partie basse du sanctuaire, un chemin permet d’accéder à la terrasse du temple : de part et d’autre de ce chemin étroit (la « Voie sacrée ») se trouvent des monuments de types divers conçus pour abriter des offrandes au dieu, pour lui exprimer des remerciements ou pour commémorer un événement heureux.
Ces monuments sont soit des édifices (en général des trésors mais aussi des portiques), soit des bases de statues, simples ou élaborées : colonnes (simples ou doubles), piliers (triangulaires ou rectangulaires).
Les trésors
Les trésors sont des édifices de taille généralement modeste, implantés sur le site selon les emplacements disponibles ou en raison d’un voisinage significatif. Érigés par les cités à l’occasion d’un événement important, ils servaient de « chapelles votives » en présentant des offrandes ou en glorifiant un exploit. Particulièrement nombreux à Delphes qui en comptait au moins une vingtaine, des trésors existaient dans d’autres grands sanctuaires grecs, notamment à Olympie. Si les offrandes qu’ils contenaient ont généralement été perdues, ils valent surtout aujourd’hui par leur architecture et, quelquefois, la sculpture architecturale (Athéniens, Siphniens).
Trésor de Siphnos : combat des dieux et des Géants. Le char de Cybèle est tiré par des lions qui dévorent les Géants équipés en hoplites.
Trésor des Corinthiens
Le plus ancien trésor connu est celui des Corinthiens, érigé à l’initiative du tyran Cypsélos vers 600 av. J.-C.; Le trésor est tourné vers l’Aire, le plus ancien espace sacré, où était vénérée Gâ, la Terre, première gardienne de l’Oracle. C’est dans ce trésor que l’on déposa certaines des offrandes de Crésus après l’incendie du temple en 546 av. J.-C. (Hdt. I, 50). Mais de nombreuses fondations enfouies attestent la présence d’autres trésors archaïques.
Trésor de Siphnos
Détail de l’assemblée des Dieux représentée sur la frise du trésor de Siphnos.
Le trésor de l’île de Siphnos(vers 525 av. J.-C.) élevé par les habitants de l’île, véritable écrin architectural où le goût de l’ordre ionique pour le décor ornemental et sculpté est porté à son comble : la frise est continue, chaque côté de l’édifice étant consacré à un épisode : l’un des plus vivants montre les Olympiens décidant du sort de Troie, assis, bavardant, gesticulant, tandis que, devant eux, les Grecs et leurs ennemis se battent furieusement. Mentionné par Hérodote puis par Pausanias dans sa Périégèse, il fut redécouvert lors des fouilles de l’École française d’Athènes en 1893.
Trésor des Athéniens
Trésor des Athéniens
Le trésor des Athéniens (érigé probablement vers 490–480 av. J.-C.) a fait l’objet d’une recherche du meilleur emplacement : il se trouve dans un virage de la montée vers le temple d’Apollon, précédé de la base de Marathon qui supportait les statues des héros éponymes d’Athènes. Il mesure 6,5 m × 9,5 m et commémore, selon Pausanias, la victoire de Marathon. Le décor est composé de métopes d’ordre dorique représentant, entre autres, les exploits du demi-dieu Héraclès et de Thésée. Sur l’avant, il présente une « amazonomachie » (combat de Grecs contre le peuple des Amazones). Sur la gauche, une « théséide » (scène renvoyant au mythe de Thésée : héros spécifiquement athénien, puisqu’il est considéré comme le fondateur de cette cité). Sur la droite, une « héracléide » (scène renvoyant au mythe d’Héraclès et aux combats de ce dernier contre la sauvagerie : héros péloponnésien); à l’arrière, enfin, se trouve la « géryonide » (épisode du mythe d’Héraclès dans lequel le héros ramène les bœufs de Géryon à leur propriétaire). Ainsi, le monument proclame que les Athéniens ont sauvé la Grèce de la sauvagerie : c’est une motivation politique placée sous l’égide d’Apollon. La démesure du propos est à la limite de l’« hybris » (fait de dépasser son statut d’homme et de se substituer aux dieux).
Trésors de Thèbes et de Cyrène
Les trésors les plus récents étaient le trésor de Thèbes (vers 370 av. J.-C.), des Thessaliens (dans lequel fut découvert le groupe offert par Daochos) et le trésor de Cyrène (330 av. J.-C.). Par la suite, les offrandes reflètent plus la puissance des princes que celle des cités; ainsi les trésors disparaissent au profit des bases de statues.
Colonnes et piliers votifs
À partir du ive siècle av. J.-C., une autre forme d’offrandes devient populaire, en raison du changement de nature des dédicants: il s’agit des nombreux piliers et colonnes votives.
Des colonnes (simples ou doubles) et des piliers étaient dressées pour mettre en valeur une offrande qui les surmontait : souvent des statues en bronze représentant des souverains, mais aussi des groupes familiaux, notamment étoliens.
Le sphinx des Naxiens
Sphinx des Naxiens
La colonne offerte par les habitants de Naxos vers 575 av. J.-C. est le plus ancien de ces monuments : très élevé, son sommet atteint le niveau de la terrasse du temple d’Apollon, alors qu’elle est située au pied de cette dernière dans la zone des cultes chthoniens primitifs. Pour être visible de tous côtés, elle est constituée d’un fût et d’un imposant chapiteau d’ordre ionique, lui-même surmonté par une sphinge de deux mètres de haut (le « Sphinx des Naxiens »). Peut-être ce monstre gardait-il la tombe de Dionysos, patron des Naxiens. Une inscription secondaire témoigne du fait que les Naxiens ont reçu, sans doute en remerciement de cette offrande, le privilège de promantie, c’est-à-dire le droit de consulter l’oracle en priorité.
Pilier des Messéniens
Semblable à celui qui fut érigé à Olympie, le pilier triangulaire en marbre blanc des Messéniens était surmonté d’une statue de victoire. Son pendant en calcaire sombre est peut-être également une offrande des Messéniens alors réfugiés à Naupacte.
Colonne des danseuses
Colonne des danseuses
La colonne dite des danseuses est datée d’environ 330 av. J.-C. Elle est ornée de feuilles d’acanthe et offre un couronnement original : trois jeunes filles dont l’identité reste sujette à discussion supportaient la cuve d’un trépied dans laquelle était posé l’omphalos, « nombril du monde » et symbole de Delphes.
Le pilier des Rhodiens est un monument offert par Rhodes entre 325et 300 av. J.-C. Ce pilier supporte un groupe sculpté comprenant un quadrige, c’est-à-dire un char tiré par quatre chevaux, supportant une statue d’Hélios (le soleil) au milieu d’un décor marin (vagues et dauphins). La composition, qui est peut-être le groupe réalisé par Lysippe dont parle Pline, fait face au temple d’Apollon.
Piliers hellénistiques
À partir de l’époque hellénistique, les piliers quadrangulaires se multiplient, en général pour honorer des princes. Les rois de Pergame Attale 1er et Eumène II ont leur effigie dressée sur des piliers marquant l’angle de la terrasse attalide. Le roi Persée, dont la défaite marque le début de l’hégémonie romaine en Grèce, avait érigé un pilier que son vainqueur le général Paul-Émile s’appropria : la frise qui décorait ce pilier figurait des épisodes de la bataille de Pydna qui vit la victoire de Paul-Emile. Un seul de ces piliers est visible sur le site : celui qui portait la statue équestre de Prusias II, roi de Bithynie. Plutarque, prêtre à Delphes au iie siècle de notre ère, déplore cette surenchère à la gloire des princes qui s’entredéchirèrent à l’époque hellénistique.
Groupes de statues
Dans la partie basse du sanctuaire de Delphes, à gauche de l’entrée, était présente une imposante statuaire commémorative aujourd’hui disparue : celle-ci était répartie en plusieurs ensembles, dressés par les cités rivales au gré des événements. Deux monuments symboliques débutaient cette série : le monument de Miltiade et le monument de Lysandre (ou monument des Navarques).
Monument de Miltiade
Le monument de Miltiade, offert par Athènes, commémorait lui aussi la bataille de Marathon, célèbre victoire des Grecs sur les Perses : il était composé de seize statues réalisées par Phidias (architecte et sculpteur rendu célèbre par l’attribution du Parthénon) qui représentaient Athéna, Apollon et Miltiade sur le même plan, ainsi que dix héros victorieux et trois héros éponymes d’Athènes ajoutés ultérieurement.
Monument de Lysandre
Lysandre était quant à lui un Spartiate qui se distingua en 405 av. J.-C.lors de la bataille navale d’Aigos Potamos qui ruina la puissance navale athénienne, menée près du détroit du Bosphore ; il était l’un des dirigeants de la flotte spartiate et fit ériger à l’occasion de cette victoire un monument à sa gloire personnelle à l’entrée du sanctuaire, à côté du groupe de Miltiade.
Le monument de Lysandre (ou monument des Navarques) était constitué d’un socle sur lequel reposait un ensemble de statues en bronze : vingt-huit ou vingt-neuf statues à l’arrière représentaient l’ensemble des hommes qui avaient contribué à la bataille et dix statues à l’avant représentaient les Dioscures : ensemble mythologique réunissant Castor et Pollux, Zeus, Apollon, Artémis, et Poséidon, représenté couronnant Lysandre, un héraut et le pilote du vaisseau amiral.
La répartition des statues est éminemment politique et se veut supérieure à celle du monument de Miltiade, dont le propos est pourtant similaire. En se faisant représenter sur le même plan que les dieux, Lysandre ouvre la voie à la déification des héros historiques, qui deviendra courante à partir d’Alexandre le Grand.
Jumelage
Tivoli (Italie) depuis le 8 octobre 2011, en raison du patrimoine archéologique commun aux deux villes antiques et inscrit au patrimoine de l’humanité7.
J.-Fr. Bommelaer, D. Laroche, Guide de Delphes, De Boccard, Paris, 1991, I. « Le Site »
École Française d’Athènes, Guide de Delphes, De Boccard, Paris, 1991, II. « Le Musée ».
Louise Bruit Zaidman, Pauline Schmitt Pantel, La religion grecque dans les cités à l’époque classique, Paris, Armand Colin, 2011, 215p.
Anne Jacquemin, Offrandes monumentales à Delphes, Paris, Ecole Française d’Athènes, 1991, 278p.
F. Lefèvre, L’amphictionie pyléodelphique : histoire et institutions, Paris, 1998.
(en) H. Parke et D. E. W. Wormell, The Delphic Oracle, Oxford, 1956, 2 vol.
Jean Richer, Géographie sacrée du monde grec, Guy Trédaniel, Éditions de La Maisnie, Paris (1983).
Jean Richer, Delphes, Délos et Cumes, Julliard, Paris (1970).
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Jean Pouilloux, Fouilles de Delphes, tome III, Épigraphie, fascicule IV, Les inscriptions de la terrasse du temple et de la région nord du sanctuaire no 351 à 516, éditions E. de Boccard, Paris, 1976 (lire en ligne) [archive]
Jean Pouilloux, Marie-José Chavane, Thérèse Oziol, Fouilles de Delphes, tome III, Épigraphie, fascicule IV, Les inscriptions de la terrasse du temple et de la région nord du sanctuaire. Index no 87 à 516, diffusion de Boccard, Paris, 1985 (lire en ligne) [archive]
Giacobbe Giusti, Theodosius II, Augustus of the Eastern Roman Empire
Bust of Byzantine Empreror Theodosius II (reigned 408–450 AD). Marble, 5th century AD, Louvre
Giacobbe Giusti, Theodosius II, Augustus of the Eastern Roman Empire
The Colossus of Barletta is a large bronze statue of an Eastern Roman Emperor, nearly three times life size (5.11 meters, or about 16 feet 7 inches) and currently located in Barletta, Italy.
Giacobbe Giusti, Theodosius II, Augustus of the Eastern Roman Empire
Theodosius II (Latin: Flavius Theodosius Junior Augustus;[1]Greek: Θεοδόσιος Βʹ; 10 April 401 – 28 July 450),[2] commonly surnamed Theodosius the Younger,[3] or Theodosius the Calligrapher, was the Eastern Roman Emperorfor most of his life, taking the throne as an infant in 402 and ruling as the Eastern Empire’s sole emperor after the death of his father Arcadius in 408. He is mostly known for promulgating the Theodosian law code, and for the construction of the Theodosian Wallsof Constantinople. He also presided over the outbreak of two great Christological controversies, Nestorianism and Eutychianism.
Life
Giacobbe Giusti, Theodosius II, Augustus of the Eastern Roman Empire
Theodosius was born in 401 as the only son of Emperor Arcadius and his Frankish-born wife Aelia Eudoxia. Already in January 402 he was proclaimed co-Augustus by his father, thus becoming the youngest person ever to bear this title in Roman history.[4] In 408, his father died and the seven-year-old boy became Emperor of the Eastern half of the Roman Empire.
According to Procopius, the Sasanian king Yazdegerd I (399-420) was appointed by Arcadius as the guardian of Theodosius, whom Yazdegerd treated as his own child, sending a tutor to raise him and warning that enmity toward him would be taken as enmity toward Persia.[5]
In 414, Theodosius’ older sister Pulcheria was proclaimed Augusta and assumed the regency. By 416 Theodosius was declared Augustus in his own right and the regency ended, but his sister remained a strong influence on him. In June 421, Theodosius married Aelia Eudocia, a woman of Greek origin.[6][7][8][9][10] The two had a daughter named Licinia Eudoxia. A separation ultimately occurred between the imperial couple, with Eudocia’s establishment in Jerusalem where she favoured monastic Monophysitism and Pulcheria reassuming an influential role with the support of the eunuch Chrysaphius.
Theodosius’ increasing interest in Christianity, fuelled by the influence of Pulcheria, led him to go to war against the Sassanids (421–422), who were persecuting Christians; the war ended in a stalemate, when the Romans were forced to accept peace as the Huns menaced Constantinople.[11]
In 423, the Western Emperor Honorius, Theodosius’ uncle, died and the primicerius notariorumJoannes was proclaimed Emperor. Honorius’ sister Galla Placidia and her young son Valentinian fled to Constantinople to seek Eastern assistance and after some deliberation in 424 Theodosius opened the war against Joannes. On 23 October 425, Valentinian III was installed as Emperor of the West with the assistance of the magister officiorumHelion, with his mother acting as regent. To strengthen the ties between the two parts of the Empire, Theodosius’ daughter Licinia Eudoxia was betrothed to Valentinian.
University and Law Code
In 425, Theodosius founded the University of Constantinople with 31 chairs (15 in Latin and 16 in Greek). Among subjects were law, philosophy, medicine, arithmetic, geometry, astronomy, music and rhetoric.
In 429, Theodosius appointed a commission to collect all of the laws since the reign of Constantine I, and create a fully formalized system of law. This plan was left unfinished, but the work of a second commission that met in Constantinople, assigned to collect all of the general legislations and bring them up to date was completed, and their collection published as the Codex Theodosianus in 438. The law code of Theodosius II, summarizing edicts promulgated since Constantine, formed a basis for the law code of Emperor Justinian I, the Corpus Juris Civilis, in the following century.
Wars with the Huns, Vandals, and Persians
The war with Persia proved indecisive, and a peace was arranged in 422 without changes to the status quo. The later wars of Theodosius were generally less successful.
The Eastern Empire was plagued by raids by the Huns. Early in Theodosius II’s reign Romans used internal Hun discord to overcome Uldin‘s invasion of the Balkans. The Romans strengthened their fortifications and in 424 agreed to pay 350 pounds of gold to encourage the Huns to remain at peace with the Romans. In 433 with the rise of Attila and Bleda to unify the Huns, the payment was doubled to 700 pounds.
When Roman Africa fell to the Vandals in 439, both Eastern and Western Emperors sent forces to Sicily, intending to launch an attack on the Vandals at Carthage, but this project failed. Seeing the Imperial borders without significant forces, the Huns and Sassanid Persia both attacked and the expeditionary force had to be recalled. During 443 two Roman armies were defeated and destroyed by the Huns. Anatolius negotiated a peace agreement; the Huns withdrew in exchange for humiliating concessions, including an annual tribute of 2,100 Roman pounds (ca. 687 kg) of gold.[12] In 447 the Huns went through the Balkans, destroying among others the city of Serdica(Sofia) and reaching Athyra (Büyükçekmece) on the outskirts of Constantinople.
Theological disputes
Giacobbe Giusti, Theodosius II, Augustus of the Eastern Roman Empire
Theodosius welcomes the relics of John Chrysostom. Miniature from the early 11th century.
During a visit to Syria, Theodosius met the monk Nestorius, who was a renowned preacher. He appointed Nestorius Archbishop of Constantinople in 428. Nestorius quickly became involved in the disputes of two theological factions, which differed in their Christology. Nestorius tried to find a middle ground between those who, emphasizing the fact that in Christ God had been born as a man, insisted on calling the Virgin MaryTheotokos (« birth-giver of God »), and those who rejected that title because God, as an eternal being, could not have been born. Nestorius suggested the title Christotokos (« birth-giver of Christ ») as a compromise, but it did not find acceptance with either faction. He was accused of separating Christ’s divine and human natures, resulting in « two Christs », a heresy later called Nestorianism. Though initially supported by the emperor, Nestorius found a forceful opponent in Archbishop Cyril of Alexandria. At the request of Nestorius, the emperor called a council, which convened in Ephesus in 431. This council affirmed the title Theotokosand condemned Nestorius, who returned to his monastery in Syria and was eventually exiled to a remote monastery in Egypt.
Almost twenty years later, the theological dispute broke out again, this time caused by the Constantinopolitan abbot Eutyches, whose Christology was understood by some to mingle Christ’s divine and human nature into one. Eutyches was condemned by Archbishop Flavian of Constantinople but found a powerful friend in Cyril’s successor Dioscurus of Alexandria. Another council was convoked in Ephesus in 449, later deemed a « robber synod » by Pope Leo Ibecause of its tumultuous circumstances. This council restored Eutyches and deposed Flavian, who was mistreated and died shortly afterwards. Leo of Rome and many other bishops protested against the outcome, but the emperor supported it. Only after his death in 450 would the decisions be reversed at the Council of Chalcedon.
Death
Theodosius died in 450 as the result of a riding accident. In the ensuing power struggle, his sister Pulcheria, who had recently returned to court, won out against the eunuchChrysaphius. She married the general Marcian, thereby making him Emperor.
Jump up^Duncan, Alistair (1974). The noble heritage: Jerusalem and Christianity, a portrait of the Church of the Resurrection. Longman. p. 28. ISBN0-582-78039-X. In 438 the Empress Eudocia, wife of Theodosius II, visited Jerusalem. On her return to Constantinople, after donating towards the building of new churches, she was displaced in court circles by her sister-in-law because of her Greek origin. Only one part of her churches remains.
Jump up^Morgan, Robin (1996). Sisterhood is global: the international women’s movement anthology. Feminist Press. p. 270. ISBN1-55861-160-6. Greek women also were visible during the Byzantine period. In 421, Emperor Theodosius II married a pagan Athenian woman, Athenais; after baptism she became Eudocia.
Jump up^Mahler, Helen A. (1952). Empress of Byzantium. Coward-McCann. p. 106. OCLC331435. Athenais, daughter of the Athenian scholar, Leontius. Before the wedding she would receive in holy baptism the name of his mother, the exalted Empress Eudoxia but because of Athenais’ Greek origin the name would be pronounced Eudocia.
Jump up^Cheetham, Nicolas (1981). Mediaeval Greece. Yale University Press. p. 12. ISBN0-300-10539-8. Immensely proud of her Hellenic ancestry and culture, Eudocia dominated her…
Jump up^Cuming, G. J.; Baker, Derek; Ecclesiastical History Society (1972). Popular belief and practice: Volume 8 of Studies in church history. CUP Archive. p. 13. ISBN0-521-08220-X. Eudocia herself, the daughter of a pagan Athenian philosopher, embraced the new faith in a mood of total acceptance. Very conscious of her Hellenic heritage, as her famous address to the citizens of Antioch showed,
Jump up^Warren T. Treadgold, A history of the Byzantine state and society, Stanford University Press, 1997, ISBN0-8047-2630-2, p. 90.
Jump up^Bury, J.B., History of the Later Roman Empire vol. 1, Dover, New York, 1958, p. 271f
S. Crogiez-Pétrequin, P. Jaillette, J.-M. Poinsotte (eds.), Codex Theodosianus V. Texte latin d’après l’édition de Mommsen. Traduction, introduction et notes, Brepols Publishers, 2009, ISBN978-2-503-51722-3
Fergus Miller: A Greek Roman Empire: Power and Belief Under Theodosius II. University of California Press, Berkeley 2006.
Vasiliki Limberis, Divine Heiress: The Virgin Mary and the Creation of Christian Constantinople (London: Routledge, 1994) has a significant section about Theodosius II and his sister Pulcheria.
Hugh Elton, « Imperial politics at the court of Theodosius II, » in Andrew Cain (ed), The Power of Religion in Late Antiquity: The Power of Religion in Late Antiquity (Aldershot, Ashgate, 2009), 133–142.
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinci et ceux de Michel-Ange.
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes. Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
Giacobbe Giusti, Humanisme
Marcus Tullius Cicero, by Bertel Thorvaldsen as copy from roman original, in Thorvaldsens Museum, Copenhagen
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes.
Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Allégorie de l’humanisme des Lumières, au xviiie siècle, le frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. La Philosophie et la Raison arrachent le voile de la Vérité. À leurs pieds : l’Histoire, l’Astronomie, l’Optique, la Géométrie et différentes sciences.
Gravure de Benoît-Louis Prévostd’après Charles-Nicolas Cochin, 175
Créé à la fin du xviiie siècle et popularisé au début du xixe siècle1, le terme « humanisme » a d’abord et pendant longtemps désigné exclusivement un mouvement culturel prenant naissance au xive siècle en Italie puis se développant dans le reste de l’Europe. Moment de transition du Moyen Âge aux Temps modernes, ce mouvement est tout entier porté par l’esprit de laïcité qui se manifeste alors, point de départ d’une crise de confiance profonde qui affecte l’Église catholique, donc toute la chrétienté.
Les penseurs de la Renaissance se réclamant d’une part des philosophes antiques, n’abjurant pas d’autre part leur foi chrétienne, le mot « humanisme » a fini par désigner un ensemble de valeursconsidérées comme plus ou moins communes à l’ensemble de l’Occident depuis le judéo-christianisme2 et l’Antiquité gréco-romaine et indissociablement liées à l’idéologie du progrès3.
Dans la neuvième édition de leur Dictionnaire (2011), les académiciens définissent ainsi le mot : « doctrine, attitude philosophique, mouvement de pensée qui prend l’Homme pour fin et valeur suprême, qui vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité ».
Le Larousse donne quant à lui cette double définition : « 1) philosophie qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs. 2) Mouvement intellectuel qui s’épanouit surtout dans l’Europe du xvie siècle et qui tire ses méthodes et sa philosophie de l’étude des textes antiques ».
Le mot « humanisme » découle des mots homme, humain et humanité qui ont eux-mêmes des origines latines : homo, humanus, humanitas.
À la fin du Moyen Âge, les esprits érudits utilisent la formule studia humanitatis pour désigner l’étude de « ce qui caractérise l’être humain », puis l’expression litterae humaniores(que l’on peut traduire par « enseignements profanes ») pour distinguer ceux-ci des litterae divinae et sacrae (« enseignements divins et sacrés », relatifs aux Saintes Écritures, donc de caractère théologique, tels que répandus par la scolastique).
Lorsque le français supplante le latin en tant que langue usuelle apparaît le terme humanités, pour désigner les collèges dispensant l’enseignement des arts libéraux.
Selon certaines sources, l’adjectif « humaniste » est attesté en 15394mais selon d’autres, il ne l’est qu’à la fin du xvie siècle, pour désigner tout homme « érudit et lettré », attaché aux humanités5.
En 1580, dans ses Essais, Montaigne utilise à trois reprises le mot « inhumain », notamment pour stigmatiser les jeux du cirque dans la Rome impériale et pour dénoncer la barbarie de la déportation des Juifs du Portugal6.
Le mot « humanisme » n’apparaît qu’en 1765, dans le journal Éphémérides du citoyen7 et signifie « amour de l’humanité ». Il reste toutefois inusité pendant plusieurs décennies car il est concurrencé par le mot « philanthropie », lui-même attesté à partir de 1551 et explicitement défini dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le Dictionnaire de l’Académie française (4e édition en 1762 ; 5e en 1798) définit d’ailleurs l’humanisme comme le « caractère du philanthrope »5.
En 1846, P.-J. Proudhonconfère au mot « humanisme » un sens philosophique.
En 1808, le théologien allemand Niethammer généralise le terme « humanisme » dans un ouvrage intitulé Der Streit des Philanthropinismus und des Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unsrer Zeit(« Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle »), en réaction précisément au concept de philanthropie. Aussitôt, Hegel félicite Niethammer d’avoir opéré la distinction d’avec le terme « philanthropie »8.
Le mot « humanitaire » apparaît dans les années 1830 : il est alors principalement utilisé dans un sens ironique, voire péjoratif9. « Humanitaire veut dire homme croyant à la perfectibilité du genre humain et travaillant de son mieux, pour sa quote-part, au perfectionnement dudit genre humain », ironise le poète Alfred de Musset en 183610 ; Gustave Flaubert se moque de l’« humanitarisme nuageux » de Lamartine en 18419.
En 1846, dans Philosophie de la misère [archive], Proudhon donne pour la première fois au mot « humanisme » un sens philosophique (« doctrine qui prend pour fin la personne humaine ») mais pour critiquer la valeur du terme : « je regrette de le dire, car je sens qu’une telle déclaration me sépare de la partie la plus intelligente du socialisme. Il m’est impossible (…) de souscrire à cette déification de notre espèce, qui n’est au fond, chez les nouveaux athées, qu’un dernier écho des terreurs religieuses ; qui, sous le nom d’humanisme réhabilitant et consacrant le mysticisme, ramène dans la science le préjugé »11. À la même époque, Marx rejoint les positions de Proudhon mais sans utiliser le terme. Comme lui, il conteste l’intérêt de se focaliser sur la nature humaine (ou « essence de l’homme ») et pointe en revanche la nécessité de s’interroger sur sa condition, consécutivement au processus d’industrialisation qui se développe alors. Sous son influence, le terme « humanisme » va donc changer progressivement de sens (lire infra).
A la fin du xixe siècle, les théories de Darwin (ici caricaturé par un journal malveillant) bouleversent le sens du mot « humanisme ».
En 1874, la Revue critique définit le mot ainsi : « théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même »12 mais, la plupart du temps, l’approche philosophique n’est guère relayée ensuite et le terme est de plus en plus être réduit à l’humanisme de la Renaissance. Ainsi en 1877, le Littréle définit comme « la culture des belles-lettres, des humanités » tandis que, la même année, la Revue des deux mondes lui donne le sens de « mouvement intellectuel européen des xve et xvie siècles qui préconisait un retour aux sources antiques par opposition à la scolastique [la tradition universitaire médiévale, méprisée pour son dogmatisme] ». La plupart des ouvrages de vulgarisation ne retiennent aujourd’hui que cette approche du terme.
À la fin du xixe siècle, le développement de la pressecontribue à ce que le concept d’humanité n’interpelle plus seulement les intellectuels mais un nombre croissant d’individus. Les journaux rendant compte aussi bien des théories darwiniennes que d’événements survenant dans le monde entier, le sens du mot « humanisme » se trouve progressivement mais profondément infléchi dans une visée historiciste et matérialiste. En 1882, le supplément du Littré donne au mot une double acception : « 1) la culture des humanités ; 2) une théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même ».
Au début du xxe siècle, le mot « humanité » entre dans le langage courant (en 1904, Jean Jaurèsfonde le journal L’Humanité), le mot « humanisme » se répand également, associé non plus à une théorie débattue par quelques philosophes mais à un sentiment diffus.
En 1939, dans la lignée du saint-simonisme, l’ingénieur français Jean Coutrot invente le terme « transhumanisme » pour promouvoir une économie rationnelle de l’économie14. Ce mot sera brièvement repris à la fin des années 1950 et son usage ne se généralisera qu’à la fin du xxe siècle.
Le terme « antihumanisme » apparaît en 1936 dans un ouvrage du philosophe Jacques Maritainpour désigner les penseurs qui, durant la seconde moitié du xixe siècle et au début du xxe, ont radicalement remis en question la validité du concept d’humanisme (principalement Marx, Nietzsche et Freud)15. Et quand, peu après, les philosophes Sartre et Heideggerdébattent eux aussi de la pertinence du concept, un grand nombre d’intellectuels – aussi bien chrétiensqu’athées – se réclament de l’humanisme (lire infra), ce qui contribue à rendre le concept assez flou.
En 1957, Julian Huxley, biologiste et théoricien de l’eugénismeanglais, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme ». Il définit le « transhumain » comme un « homme qui reste un homme, mais qui se transcende lui-même en déployant de nouvelles possibilités pour sa nature humaine »16. Le concept du « transhumanisme » sera repris dans les années 1980 par plusieurs techniciens de la Silicon Valley pour prôner un nouveau type d’humanité, où la technique serait utilisée non seulement pour remédier aux maladies (médecine) mais pour doter l’homme de capacités dont la nature ne l’a pas pourvues (concept d’ homme augmenté). Par son caractère technophile, le transhumanisme est une philosophie ouvertement optimiste.
En 1980, l’écrivain suisse Freddy Klopfenstein invente le mot « humanitude »17. En 1987, le généticien Albert Jacquard le reprend et le définit comme étant « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être, et qu’ils peuvent se faire encore en un enrichissement sans limites »18.
En 1999, Francis Fukuyama et Peter Sloterdijk développent les concepts « post-humanité » et « post-humanisme » (qui, comme « transhumanisme », renvoie à l’idée que, du fait de la prolifération des « technologies », les concepts d’humanisme et d’homme ne sont plus pertinents), mais cette fois pour s’en inquiéter19,20,21.
Au xxie siècle, les néologismes« transhumanisme » et « post-humanisme » restent peu usités dans le langage courant. En revanche, bien que peu d’intellectuels s’en réclament, le concept d’humanisme donne lieu à de nombreuses publications (lire infra), le succès du mot croît en proportion avec celui des actions d’aide humanitaire. Il inonde la sphère politique, au point d’être revendiqué dans des milieux idéologiquement opposés, aussi bien par des grands chefs d’entreprises s’affichant chrétiens22que par des opposants au système capitaliste se réclamant de l’athéisme23.
À tel point que le terme est aujourd’hui un mot fourre-tout : on trouve ainsi des auteurs pour avancer que Sylvester Stallone(acteur hollywoodien et adepte du body building) est un humaniste24. Le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe va même jusqu’à argumenter que « le nazisme est un humanisme »25. Dans ce contexte de dilution de sens du mot, et dans le but de réactualiser celui-ci, quelques intellectuels tentent d’imposer des néologismes. En 2001, Michel Serres utilise le mot « hominescence »26, « pour désigner ce que vit l’humanité depuis la seconde moitié du xxe siècle : un changement majeur dans notre rapport au temps et à la mort »27. Et en 2016, le prospectiviste français Joël de Rosnay prédit l’émergence d’un hyperhumanisme, « bien préférable selon lui au cauchemar transhumaniste »28.
Les origines de l’humanisme
Considérés comme les premiers propagateurs de la pensée humaniste, les philosophes de la Renaissance (Dante, Pétrarque… puis Marsile Ficin, Pic de la Mirandole et plus tard Montaigne) n’en sont pas pour autant les initiateurs car ils se sont systématiquement référé aux penseurs grecs et romains et n’ont eu de cesse d’en faire l’éloge. Et bien qu’ayant ostensiblement tourné le dos à la pensée scolastiqueérigée par l’Église, ils n’ont jamais renié leur foi chrétienne. C’est pourquoi l’on peut considérer que « la matrice de l’humanisme occidental est double, comme s'(il) avait été enfanté simultanément dans deux ventres » : il y a d’une part l’Antiquité classique, d’autre part le judéo-christianisme29.
Symbole du judaïsme, l’étoile de David, est composée de deux triangles superposés, l’un pointé vers le haut, l’autre vers le bas, évoquant respectivement l’aspiration de l’homme vers Dieu et l’amour de Dieu pour l’homme.
La religion juive trouve son origine au viiie siècle av. J.-C. avec le début de la rédaction du Livre de la Genèse (qui se poursuit jusqu’au iiesiècle av. J.-C.), qui est un récit des originesmythique commençant par celui de la création du monde par Dieu, et par un autre, qui relate la création du premier couple humain, Adam et Ève. Ce récit confère à l’être humain un rôle explicitement supérieur par rapport aux autres espèces, principalement du fait des capacités de sa conscience et du degré de complexité de son langage. L’épisode de l’arbre de la connaissance du bien et du malattribue aux humains une prérogative, la réflexion éthique, et confère à celle-ci une explication précise : l’homme et la femme vivaient dans le jardin d’Éden et Dieu leur avait formellement défendu de manger les fruits de cet arbre ; c’est parce qu’ils lui ont désobéi qu’est née l’humanité et que celle-ci s’est retrouvée de facto empêtrée dans un ensemble de contradictions, qu’elle a ressentie alors comme une imperfection fondamentale : le péché. Selon le judaïsme, donc, la conscience (d’être humain) résulte fondamentalement d’une transgression de la loi divine : la Chute.
Abdennour Bidar fait remarquer qu’il est « apparemment contradictoire » de présenter le monothéismecomme matrice de l’humanisme : « A priori, le principe même du monothéisme semble incompatible avec l’exaltation de l’homme qui fonde tout humanisme ; s’il y a un seul Dieu, il concentre nécessairement en lui-même toutes les qualités, toutes les perfections… et il ne reste pour l’homme que les miettes d’être, des résidus de capacités sans commune mesure avec leur concentration et leur intensité dans le Dieu. Trop de grandeur accordée à Dieu, toute la puissance et la sagesse concentrées en (lui), n’écrasent-ils pas radicalement et définitivement l’être humain ? »30.
Le philosophe Shmuel Triganosouligne à son tour la contradiction : « Comment une croyance focalisée sur un être suprême et unique pourrait-elle s’ouvrir à la reconnaissance d’un autre être, en l’occurrence l’homme ? C’est en posant cette question, en apparence insoluble (…) que l’on a dénié, le plus souvent, toute capacité au monothéisme d’être aussi un humanisme, d’engendrer un monde fait pour l’homme ». Trigano répond alors lui-même à cette question, en se livrant à une analyse du mythebiblique de la création, tel que formulé dans le Livre de la Genèse : « Ce que l’on comprend dans le récit de la création en six jours, (c’est que) le Dieu créateur s’arrête de créer le sixième jour, le jour précisément où il crée l’homme, comme si s’ouvraient alors le temps et l’espace de l’homme, d’où la divinité se serait retirée. (…) Que peut alors signifier cette création qui s’arrête au moment où l’homme est créé ? Que l’homme est l’apothéose de cette création, certes (…) mais aussi que le monde reste inachevé dès le moment où l’homme y apparaît (…). Il y a (donc) l’idée que la création est désormais autant dans les mains de l’homme que (dans celles) du dieu créateur »31.
S’appuyant sur les travaux de C. G. Jung (Réponse à Job(en), 195232), Bidar estime que le texte qui lui paraît le plus significatif de l’orientation humaniste du monothéisme juif est le Livre de Job, au cours duquel un humain (Job) tient tête à Dieu lors d’un long dialogue avec lui et parvient, ce faisant, à ce que Dieu lui-même se métamorphose en devenant plus aimant à l’égard de l’homme »33.
Le christianisme
Bidar avance l’idée qu’avec le christianisme, Dieu lui-même devient « humaniste » : « le Dieu s’humanise en un double sens : il devient homme en s’incarnant, humain en se sacrifiant, comme une mère le fera avec son enfant (…). Dans quelle autre religion le dieu se sacrifie-t-il pour l’homme ? »34.
Mais que disent les sources elles-mêmes ? À ses disciples qui lui demandent de formuler clairement son message, Jésus de Nazarethrépond : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même »35. Mais quand, peu avant, il leur recommande de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César »36, il les invite au contraire à séparer le registre divin et le registre des humains. De même, quand Paul de Tarse, fondateur historique du christianisme, exhorte : « ne vous conformez pas au siècle présent »37, il entend que le chrétien doit s’immerger dans le monde sans jamais en partager les valeurs. Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église combattront ceux qui remettront en cause, par delà « le mystère de l’incarnation », ce que celui-ci recouvre, le caractère indissociable des commandements : aimer Dieu, aimer son prochain, s’aimer soi-même.
Les rapports entre christianisme et humanisme sont complexes du fait de la diversité des interprétations de la formule « aimer son prochain ». De la Renaissance au xxe siècle, bon nombre de penseurs ont été classés « humanistes » et « chrétiens »38, ce qui pose la question : « le christianisme est-il un humanisme ? »39. À cette question, ceux qui – peu ou prou – assimilent « le prochain » (personne concrète) et « les humains » (entité abstraite) ont tendance à répondre par l’affirmative40 ; ceux qui, au contraire, tiennent à établir une différence répondent négativement41, allant jusqu’à reprocher à leurs adversaires de transformer le christianisme « en un lénifiant humanisme philanthropique », « de la soupe compassionnelle », du « bon sentiment dégoulinant d’empathie »42. En 1919, le philosophe Max Scheler qualifiait quant à lui l’« humanisme chrétien » d’humanitarisme : « L’humanitarisme remplace, « le prochain » et « l’individu » (qui seuls expriment vraiment la personnalité profonde de l’homme) par « l’humanité » (…). Il est significatif que la langue chrétienne ignore l’amour de l’humanité. Sa notion fondamentale est l’amour du prochain. L’humanitarisme moderne ne vise directement ni la personne ni certains actes spirituels déterminés (…), ni même cet être visible qu’est « le prochain » ; il ne vise que la somme des individus humains »43.
Le théologien protestant Jacques Ellul interprète ce clivage entre pro- et anti-humanistes en milieu chrétien comme la conséquence d’un événement survenu au début du ive siècle. Jusqu’alors, l’Empire romain faisait preuve de tolérance à l’égard de toutes les positions religieuses, sauf précisément envers les chrétiens, qu’il persécutait (du fait que, fidèles à l’enseignement du Christ, ceux-ci ne voulaient pas prêter allégeance à l’empereur). Mais en 313, l’empereur Constantins’est converti au christianisme (édit de Milan) pour affirmer son autorité dans le domaine religieux (césaropapisme) : dès lors qu’il a demandé aux évêques de devenir ses fonctionnaires et que ceux-ci y ont consenti, le christianisme est devenu une religion d’État et s’est retrouvé subverti par lui44,45. L’humanisme de la Renaissance ne s’oppose donc pas au christianisme mais il résulte de la politisation de celui-ci ; laquelle provoque à son tour la division des chrétiens entre les « pro-humanistes », qui acceptent l’immixtion de l’Église dans les affaires temporelles (ou simplement le fait qu’elle émette des avis à leur sujet) et les « anti-humanistes », qui refusent cette intrication.
L’Antiquité grecque
S’appuyant sur les travaux de Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant46, A. Bidar, estime qu’Homère constitue au viiie siècle av. J.-C. la première grande figure de l’humanisme antique, son personnage d’Ulysse« symbolisant le mieux l’intelligence en mouvement, l’infinie capacité d’adaptation »47. Mais, comme la plupart des commentateurs, il situe au ve siècle av. J.-C. l’acte de naissance de l’humanisme grec, citant les trois grands auteurs tragiques de l’époque, Eschyle, Sophocle et Euripide, qui « célèbrent la grandeur de l’homme dans l’impuissance comme dans la puissance »48.
Une idée répandue tend à faire du sophiste Protagoras le principal initiateur de l’humanisme grec, en raison d’une de ses citations désormais célèbre : « L’homme est la mesure de toute chose ». L’historien de l’art Thomas Golsenne relativise toutefois la portée de celle-ci, faisant valoir d’une part qu’on ne la connaît que par Platon ; d’autre part que, contrairement à ce que bon nombre de manuels scolaires laissent entendre, « les têtes pensantes de la Renaissance n’y font pas référence »49.
Bidar s’attarde surtout sur Socrate, dont la pensée est centrée sur l’être humain, à la différence de celle des penseurs présocratiques qui, eux, se focalisaient sur la nature. N’ayant laissé aucune trace écrite, Socrate est essentiellement connu par Platon, son principal disciple. Il prend pour sienne la sentence écrite sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes « Connais-toi toi-même » ; formule se référant non pas à l’introspection mais avec la place de l’homme dans la cité et dans la nature. Il exerce une influence majeure du fait qu’il use d’une méthode basée sur l’argumentation : il pratique la maïeutique (ou « art d’accoucher ») en interrogeant ses interlocuteurs de sorte qu’au fil du dialogue ceux-ci prennent conscience des motivations de leurs propos, quitte entre-temps à les faire changer d’avis. De la sorte, il démontre la puissance de la raison(logos), sans avoir à recourir aux artifices de la rhétorique à l’inverse des sophistes.
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinciet ceux de Michel-Ange.
Dans sa théorie des Idées, Platon affirme que les concepts et notionsexistent réellement, sont immuables et universels et constituent les « modèles » des choses, qui sont perçues par les sens. La philosophie dépendant en tout premier lieu de présupposés psychologiques50, en postulant que les idées « existent réellement », Platon projette son propre intellect dans un univers transcendant : son idéalisme revient à considérer qu’en concevant les idées, les humains peuvent ne pas se laisser impressionner par le monde sensible et, en revanche, être à même de le comprendre. Ce qu’il entend par « idées » préfigure ce que les modernes entendront plus tard par « raison »51. Au xxe siècle, Martin Heideggeravancera qu’en considérant l’entendement comme « le lieu de la vérité », Platon est un humaniste avant la lettre52.
Élève de Platon, Aristote rompt avec son enseignement. Alors que son maître ne considère le monde sensible qu’avec une certaine condescendance, lui manifeste une soif de tout apprendre, d’où son éclectisme : il aborde en effet presque tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique et même, de façon ponctuelle l’économie.
L’opposition entre l’idéalisme de Platon et le réalisme d’Aristote s’accentue à la charnière des ive et iiie siècles av. J.-C. avec l’apparition de deux mouvements de pensée qui marqueront – eux aussi – les humanistes de la Renaissance et que l’on appellera plus tard l’épicurisme et le stoïcisme :
« Il semble qu’après Platon, et dès Arisote, la philosophie a eu du mal à continuer à parler des capacités métaphysiques de l’homme. (…) L’humanisme antique serait passé d’une enfance métaphysique et de ses rêves d’immortalité à une maturité stoïcienne et épicurienne, où l’on ne tente plus vainement de penser (…) au delà de la mort mais où on s’efforce bien plus modestement de vivre cette vie de façon plus accomplie. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.125.
Tous comme les penseurs grecs, leurs successeurs romains dégagent une vision de l’homme à deux volets, l’une idéaliste, axée sur la valorisation des vertus, l’autre réaliste, qui souligne les caractères communs, voire triviaux, des individus. Comme en Grèce, le théâtre autant que la philosophie expriment cette dualité. Mais alors que la comédie grecque antique est moins connue que la tragédie, les auteurs comiques romains vont marquer sensiblement les penseurs de la fin de Renaissance. Plaute (à la charnière du iiie et du iie siècle av. J.-C.) et surtout Terencey excellent. Le second, à qui l’on doit la citation « rien de ce qui est humain ne m’est étranger », influencera profondément la comédie humaniste au xvie siècle.
Actif au ier siècle av. J.-C., Cicéronsera admiré par les humanistes de la Renaissance, non seulement car il incarne à lui seul un grand nombre de vertus (dignité, sens de la chose publique et de l’intérêt général) mais aussi parce que, grâce à sa ténacité et ses talents d’élocution, il les concrétise dans la vie politique. Bien que n’appartenant pas à la noblesse et alors que rien ne le destinait par conséquent à la vie politique, il est parvenu à exercer la magistrature suprême durant cinq ans tout en se montrant réceptif aux grands philosophes grecs. On lui doit d’avoir forgé le terme humanitas et de l’avoir associé à l’idée de culture53.
De même, un certain nombre de poètes de cette époque ont valeur de modèles, notamment Virgile et Ovide : le premier, dans L’Énéide, raconte comment, à partir de presque rien, Rome s’est élevée jusqu’à devenir un empire; le second, dans les Métamorphosesinvite le lecteur à s’inscrire dans l’Histoire, depuis la création du monde jusqu’à sa propre époque.
Les humanistes de la Renaissance seront marqués par l’aptitude des penseurs romains à approcher l’histoire non seulement par le biais de la fiction mais également de façon détachée, comme Tite-Live, auteur de la monumentale Histoire romaine, et plus tard Tacite. Ils prennent également pour modèles les philosophes s’attachant à développer leur réflexion sur l’homme lui-même et sa façon d’appréhender le monde et lui-même. D’une part les stoïciens des ier et iie siècles, Sénèque, Épictèteou Marc Aurèle mais aussi les héritiers de Platon : Plutarque, au ier siècle, et surtout le néo-platonicienPlotin, au iiie.
Dernier legs de l’antiquité romaine à l’Occident médiéval et moderne, et non le moindre : le sens de l’exégèse. Au début du vie siècle, alors que la chrétienté se structure, Boèce traduit Platon et Aristote en latin avec la volonté affirmée de les réactualiser. Oubliés près sa mort, ses textes seront redécouverts à la fin du viiie siècle.
Le Moyen Âge
Plus de mille ans séparent l’Antiquité de sa « renaissance », plus précisément le moment où le christianisme devient officiellement la religion de l’Orient et de l’Occident, au iiie siècle, et celui où les premiers « intellectuels » expriment l’intention de se dégager explicitement de son emprise (Discours de la dignité de l’homme, Pic de la Mirandole, 1486).
L’historienne Laure Verdon invite toutefois à rejeter l’idée reçue selon laquelle toute la phase intermédiaire, le Moyen Âge, serait une période « obscure » :
« Le terme « humanisme » renvoie, dans la pensée commune, à une culture, celle des hommes du xvie siècle, culture qui s’opposerait dans ses fondements mêmes et son esprit, à la culture du Moyen-Âge. C’est là l’un des éléments qui ont contribué à forger l’image sombre de la période médiévale. Cette définition est à la fois restrictive et manichéenne. L’humanisme est autant qu’une culture, une pratique politique et une façon de concevoir le gouvernement qui privilégie le rôle des conseillers lettrés auprès du prince et s’oppose au mode ancien du pouvoir. En ce sens, le premier humanisme politique est pleinement médiéval, conséquence logique de l’évolution des structures de l’Étatau xvie siècle54. »
De surcroît, durant toute cette période, de nombreux docteurs et hommes d’église se montrent extrêmement ouverts aux sciences et à la philosophie. Tels par exemple Gerbert d’Aurillac (élu pape autour de l’an mille mais qui était également un mathématicien et un érudit, connaissant Virgile, Cicéronet Boèce ainsi que les traductions latines d’Aristote) et Albert le Grand(actif au xiiie siècle, frère dominicain, philosophe et théologien mais aussi naturaliste et chimiste).
Saint Augustin, imaginé vers 1480 par le peintre florentin Sandro Botticelli.
On mentionnera ici deux personnalités parmi les plus influentes, ayant vécu l’une au tout début de cette longue période, à la charnière du ive et ve siècles, donc peu avant la chute de l’Empire romain : Augustin d’Hippone ; l’autre tout à la fin : Thomas d’Aquin, disciple d’Albert Le Grand, au xiiie siècle.
S’opposant au moine Pélage, qui considère que tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces et son libre arbitre, Augustin(354-430) valorise le rôle de la grâce divine. Toutefois, comme Ambroise de Milan, il intègre au christianisme une partie de l’héritage gréco-romain, le néoplatonismeainsi qu’une part substantielle de la tradition de la République romaine. La postérité conserve de lui l’image d’un homme érudit55,56 et s’adressant à toutes les époques, aussi bien à Dante, Pétrarque, Thomas d’Aquin, Luther, Pascal et Kierkegaard… qu’à Heidegger, Arendt, Joyce, Camus, Derrida ou Lyotard (qui, tous, le commenteront)57, cette audience étant due en grande partie au succès de ses Confessions, une longue et rigoureuse autobiographie, l’un des premiers ouvrages du genre.
Durant les huit siècles qui séparent Augustin de Thomas, l’Église se métamorphose au point que l’on ne peut comprendre les débats d’idées qui les jalonnent qu’à la lumière de l’évolution du contexte historique. Après la fin de l’Empire romain, en 476, l’Église s’avère la seule puissance capable d’affronter la « barbarie » et de structurer l’Europe. À la fin du vie siècle, le pape Grégoire le Grand administre les propriétés foncières de l’Église, celle-ci exerce un véritable pouvoir temporel, la quasi totalité des souverains lui prêtant allégeance. L’Europe tout entière est évangélisée, l’unité religieuse est atteinte au viie siècle mais prend fin au xie siècle avec la séparation de l’Église d’Occident et celle d’Orient. La terre constituant la principale source de revenu, l’Église d’Occident, dirigée depuis Rome, devient extrêmement riche, son pouvoir est marqué par la construction d’un grand nombre d’édifices (églises puis cathédrales…) et le financement de croisades visant à libérer Jérusalem de l’emprise des Turcs. Stimulée au xie siècle par la réforme grégorienneet l’émergence d’une classe d’intellectuels manifestant un certain intérêt pour la culture antique (notamment l’École de Chartres), la chrétienté vit, au siècle suivant, une profonde mutation de ses structures culturelles marquée par une intense activité de traduction des auteurs arabes et grecs (par l’intermédiaire des traducteurs arabes). Se développe alors la scolastique, un courant de pensée visant peu à peu à concilier la philosophie grecque avec la théologie chrétienne.
Au début du xiiie siècle, l’Église est une vaste organisation supranationale, influençant sensiblement les élections impériales et fixant le code de conduite de tous les Européens (sauf les Juifs), allant jusqu’à condamner pour hérésie ceux qui contestent son autorité et instituant l’inquisition pour conduire les plus radicaux au supplice et à la mort.
Également pour assurer son impact sur les consciences, et alors que sont traduits de l’arabe les commentaires d’Aristote par Averroès, l’Église crée l’Université de Paris. Sous l’impulsion d’Albert le Grand, celle-ci devient dans les années 1240 un véritable foyer de la pensée d’Aristote. Les débats portent sur une question sensible : « comment articuler la raison et la foi ? ». Suivant la ligne d’Averroès, Siger de Brabant prône pour la suprématie totale de la première sur la seconde. À l’opposé, Thomas d’Aquin (1224-1274) opère une synthèse magistrale entre aristotélisme et augustinisme, entre sciences, philosophie et théologie (Somme contre les Gentils, vers 1260). En le canonisant, cinquante ans après sa mort, l’Église lèvera le tabou sur Aristote, laissant alors le champ libre à ceux qui, pleinement conscients de participer à l’émergence d’un monde nouveau, guidé par la raison, seront rapidement et unanimement désignés d’humanistes. Certains considèrent donc que Thomas d’Aquin en est le précurseur direct58,59 :
« C’est parce qu’il est par excellence un philosophe de l’existence que Saint Thomas est un penseur incomparablement humain et le philosophe par excellence de l’humanisme chrétien. L’humain est en effet caché dans l’existence. A mesure qu’il se dégageait des influence platonicienne, le Moyen-âge chrétien a de mieux en mieux compris qu’un homme n’est pas une idée, c’est une personne (…). L’homme est au cœur de l’existence. »
— Jacques Maritain, L’humanisme de Saint-Thomas, 1941
Maritain oppose toutefois radicalement le mouvement de la scolastique, qu’il appelle humanisme médiéval, et l’humanisme de la Renaissance, qu’il qualifie de classique, en considérant que le premier de théocentrique et le second d’anthropocentrique. Et il avance que cette inversion a des conséquences tragiques, « la personne humaine, rompant ses attaches de créature dépendant essentiellement de son créateur, est livrée à ses propres caprices et aux forces inférieures »60,61.
L’humanisme en tant que phénomène historique s’étend sur trois siècles. Appelée « Renaissance », cette période est celle de profonds bouleversements politiques et culturels. Alors que les humanistes de la première génération sont essentiellement des lettrés traduisant les textes de l’Antiquité gréco-romaine, ceux des générations suivantes sont « modernes », qui s’intéressent aux questions profanes et d’actualité (quand l’Europe découvre et explore les autres continents ou que l’irruption de la Réforme divise les populations) et qui se servent de l’invention de l’imprimerie pour diffuser leurs idées.
Alors qu’une crise de légitimité affecte l’Église, chassée de la Terre sainte par les Ottomans, l’Europe occidentale vit de grands bouleversements économiques et politiques. À la suite de la forte poussée démographique survenue au siècle précédent ainsi qu’à plusieurs années de mauvaises récoltes puis une épidémie de pestequi élimine un tiers de sa population, l’économie est restructurée. La société s’urbanise (plusieurs villes comptent désormais plus de 40000 habitants) et les premières compagnies internationales éclosent, appliquant de nouvelles techniques financières. Les banquiers lombards, qui – dès les années 1250 – avaient institué la pratique du prêt bancaire contre intérêt, implantent des bureaux en Champagne, en Lorraine, en Rhénanie et en Flandre. Leurs débiteurs sont des rois, des seigneurs et des commerçants soucieux de mener à bien différents projets. Ce passage d’une économie féodale au commerce de l’argent (capitalisme) marque la fin du Moyen Âge et l’éclosion des Étatsmodernes62.
Une nouvelle classe sociale apparaît, celle qui pilote la nouvelle économie et en tire directement profit : la bourgeoisie. À la fin du siècle, elle bénéficiera du fait que l’Église est ébranlée par un schismepour imposer ses propres valeurs. Alors qu’auparavant le monde d’ici-bas était associé à l’image de la Chute, il va peu à peu être étudié de façon objective et distanciée.
Les premiers foyers d’humanisme se manifestent dans les cités d’Italie, notamment en Toscane et tout spécialement la ville de Florence. Les hommes de lettres s’expriment non plus en latin mais dans les langues vernaculaires, » pour exprimer des sentiments spécifiquement humains (qui ne se réfèrent aucunement à une transcendance divine). Le premier à utiliser le toscan comme langue littéraire est Dante Alighieri. Composée tout au début du siècle, sa Divine Comédie raconte un voyage à travers les trois règnes supraterrestres imaginés par la chrétienté (enfer, purgatoire et paradis). Tout en recouvrant différentes caractéristiques de la littérature médiévale, l’œuvre innove par le fait qu’elle tend vers « une représentation dramatique de la réalité »63. Deux décennies plus tard, Dante est imité par deux autres poètes. Pétrarque, dont le Canzoniere (chansonnier) composé à partir de 1336 est essentiellement consacré à l’amour courtois et qui aura par la suite un vaste retentissement. Et son ami Boccace, auteur du Décaméron, rédigé entre 1349 et 1353. Tous deux touchent à de nombreux genres (conte, histoire, philosophie, biographie, géographie…).
De même, à la fin du siècle en Angleterre, Geoffrey Chaucer écrit-il dans sa langue les Contes de Canterbury. L’histoire est celle d’un groupe de pèlerins cheminant vers Canterbury pour visiter le sanctuaire de Thomas Becket. Chacun d’eux est typé, représentant un échantillon de la société anglaise.
L’humanisme s’exprime également à travers les arts visuels. Succédant aux « artisans » (anonymes au service exclusif de l’Église), les « artistes » acquièrent une certaine renommée en mettant au point des techniques permettant de conférer à leurs œuvres un certain degré de réalisme. Les premiers d’entre eux sont le siennois Duccio et surtout le florentin Giotto64, dont l’esthétique rompt radicalement avec les traditions, que ce soit celle de l’art byzantin ou celle du gothique international, marquée en effet par une volonté très prononcé d’exprimer la tridimensionnalité de l’existence. Derrière les personnages, placés au premier plan, Giotto dresse des décors naturels (arbres et enrochements) qui tranchent avec le traditionnel fond doré. Il utilise la technique du modelé pour traiter le drapé des vêtements tandis que les visages (y compris ceux des personnages secondaires) sont particulièrement expressifs. Du fait de leur réalisme, ces œuvres exercent immédiatement une influence considérable. À noter aussi, peint à Padoue vers 1306, le cycle des vices et vertus (envie, infidélité, vanité… tempérance, prudence, justice…).
Élève de Duccio, Ambrogio Lorenzetti est l’auteur des fresques des Effets du bon et du mauvais gouvernement. Réalisées à partir de 1338 sur trois murs d’une salle du Palazzo Pubblico de Sienne, elles sont connues comme étant à la fois l’une des premières peintures de paysage (certains bâtiments de Sienne sont reconnaissables) et comme allégorie politique65. Et dans l’Annonciation qu’il peint en 1344, il innove en utilisant la méthode de la perspective de façon certes partielle (tracé du dallage figurant sous les pieds des deux personnages) mais rigoureuse (par l’emploi du point de fuite).
Une pensée inscrite dans la cité
À Florence, les initiatives de Pétrarque et Boccace sont encouragées en haut lieu. Notamment par Coluccio Salutati, chancelier de la République de 1375 à 1406, connu pour ses qualités d’orateur et lui-même écrivain, qui défend les studia humanitatis. Ayant créé la première chaire d’enseignement du grec à Florence, il invite le savant byzantin Manuel Chrysoloras de 1397 à 1400. Les occidentaux parlant ou lisant peu le grec, de nombreuses œuvres grecques antiques étant par ailleurs indisponibles dans la traduction latine, un auteur tel qu’Aristoten’était accessible aux intellectuels du xiiie siècle qu’au travers de traductions en arabe. « Éclairé par une foi inébranlable dans la capacité des hommes à construire rationnellement un bonheur collectif, son attachement à la culture ancienne, à la tradition chrétienne, au droit romain, au patrimoine littéraire florentin, dévoile une ardeur de transmettre, une volonté inquiète de conserver l’intégrité d’un héritage. Inlassable défenseur d’une haute conception de la culture, Salutati la juge (…) indissociable d’une certaine vision de la république »66.
Critique de l’Église
À la fin du siècle s’esquisse un souci de repenser le rapport à la théologie et à l’Église elle-même. Ainsi, de 1376 à sa mort, en 1384, le théologien anglais John Wyclifprêche en faveur d’une réforme générale et préconise la suprématie de l’autorité de la sainteté face à l’autorité de fait. Rejetant l’autorité spirituelle de l’Église institutionnelle, il ne reconnaît pour seule source de la Révélation que la Sainte Écriture (De veritate sacrae Scripturae, 1378).
xve siècle
Dans les mentalités, la référence aux Écritures reste centrale et jamais remise en question. Toutefois la perte d’autorité de la papauté sur un certain nombre de souverains se confirme et s’accentue, accélérée par une crise interne (de 1409 à 1416, la chrétienté ne compte plus seulement deux papes mais trois). Du début du siècle – quand elle envoie sur le bûcher Jean Hus, qui dénonçait le commerce des indulgences – jusqu’à son terme – quand elle fait cette fois brûler Savonarole, qui fustigeait la vie dissolue du pape – l’Église se campe dans une posture dogmatique au sein d’une société qui, elle, est en pleine mutation, du fait de l’éclosion des États-nations. Entre-temps, la prise de Constantinople par les Ottomans(1453) la contraint d’admettre que son influence ne dépasse plus l’Europe.
En revanche se confirme la montée en puissance de la grande bourgeoisie commerçante. Élevée dans les studia humanitatis, elle manifeste un intérêt croissant pour les choses matérielles, que ce soit celles relatives à la vie privée ou celles concernant la gouvernance de la cité ou le négoce avec l’étranger. Dès les années 1420, dans les régions d’Europe les plus avancées au plan économique – la Toscane et la Flandre67 – l’art pictural évolue dans le sens d’un réalisme qui témoigne de l’évolution des élites vers le pragmatisme et le volontarisme, ceci jusque par delà les frontières : la découverte du monde par voie marine s’amorce en 1418 avec la côte occidentale africaine et se poursuit en 1492 avec l’Amérique. Cet esprit de conquête ne se limite pas aux territoires, il vise également les consciences : peu après 1450, Gutenberg met au point la technique de l’imprimerie, qui permettra par la suite de réaliser le rêve des humanistes : diffuser largement les connaissances.
L’historien de l’artAndré Chastelestime que, contrairement à une idée reçue, l’étude des textes anciens par les érudits de l’époque ne traduit pas « un refroidissement progressif du sentiment religieux » mais qu’il existe « entre les notions de profane et de sacré un va-et-vient parfois déconcertant »68. S’appuyant sur les travaux d’Erwin Panofsky69, il insiste sur le fait que cette étude des textes anciens comme celle des ruines antiques à Rome par l’architecte Brunelleschi et le sculpteur Donatello naissent du processus d’autonomisation de la raison par rapport au sentiment religieux et qu’en retour ces recherches contribuent à accroître ce processus. Et il souligne que ce que l’on appelle « humanisme » ne se traduit pas seulement par un renouveau de la pensée philosophique mais tout autant par l’émergence, durant les années 1420, d’une esthétique nouvelle, caractérisée par une activation de la raison et de l’observation visuelle. Ceci de deux façons distinctes : à Florence, Brunelleschi, Donatello et le peintre Masaccio mettent au point le procédé de la perspective, basé sur l’invention du point de fuite et par lequel ils parviennent à rendre leurs représentations de plus en plus cohérentes au plan visuel ; dans les Flandres, Robert Campin, exprime cette volonté de réalisme par un souci de restitution du moindre détail, renforcé chez Jan Van Eyck par l’utilisation d’un médium nouveau, la peinture à l’huile. Chez ces deux peintres, les représentations à contenu religieux sont de surcroît peuplées de personnages, décors et objets contemporains.
Une éthique nouvelle
Dans les Flandres comme en Italie, ce que l’on appelle « humanisme » s’apparente à une véritable éthiquedes nouvelles élites dirigeantes. À Bruges, le portrait du marchand italien Arnolfini et de son épouse par Van Eyck (peint en 1434) symbolise le processus de sécularisation de la société qui s’amorce alors, les nouvelles formes de la vie publiques’appuyant sur la mise en scène de la vie privée de la riche bourgeoisie. À Florence, le De familia de Leon Battista Alberti (publié vers 1435) traite de l’éducation des enfants, de l’amitié, de l’amour et du mariage, de l’administration des richesses et du « bon usage » de l’âme, du corps et du temps. Et le Della vita civile du diplomate Matteo Palmieri (publié vers 1439) prescrit les règles de l’éducation des enfants tout autant que les vertus du citoyen : l’homme y est décrit comme à un être à la fois réfléchi (méditant le rapport entre l’utile et l’honorable) et social(mettant en balance les intérêts individuels et l’intérêt général), ceci en dehors de toute référence religieuse.
Une école de pensée
L’humanisme s’inscrit dans la vie politique en 1434 à Florence quand Cosme de Médicis, un banquier parcourant l’Europe pour inspecter ses filiales, est nommé à la tête de la ville et devient le premier grand mécène privé de l’art (rôle qui était jusqu’alors le privilège de l’Église). Il fait peindre les fresques du couvent San Marco par Fra Angelico et, ayant entendu en 1438 les conférences du philosophe platonicien Gemiste Pléthon, il conçoit l’idée de faire revivre une académie platonicienne dans la ville, qui sera finalement fondée en 1459. Les philosophes Marsile Ficinpuis Jean Pic de la Mirandole et Ange Politien en sont les chevilles ouvrières. Reprenant l’idée selon laquelle le Beau est identique à l’Idée suprême, qui est aussi le Bien, Ficin fond le dogme chrétien dans la pensée platonicienne, contribuant à abolir la limite entre profane et sacré.
À la fin du siècle dans les cours italiennes, la technique de la perspective est totalement maîtrisée. La peinture tend alors parfois à n’être plus qu’un simple agrément : en fonction des commandes qu’il reçoit, un artiste tel que Botticelli peint aussi bien une Annonciation que la naissance de Vénus ou la célébration du printemps. Les thèmes traités importent moins que l’effet visuel produit par la virtuosité. Et quand certains artistes recourent à celle-ci pour représenter une « cité idéale », on n’y voit étrangement aucun personnage : institué en académisme, l’art donne alors l’image d’un humanisme d’où l’homme est absent.
Au plan artistique, au début du siècle, les productions des Italiens Léonard de Vinci (portrait de La Joconde, 1503-1506) et Michel Ange (Plafond de la chapelle Sixtine, entre 1508 et 1512) correspondent à l’apogée du mouvement de la Renaissance en même temps qu’elles en marquent le terme. Celui-ci s’épuise en académismes ou au contraire cède la place à des pratiques revendiquant la rupture avec l’imitation de la nature, telle qu’Alberti la préconisait, pour au contraire mettre en valeur la subjectivité de l’artiste. Entre 1520 et 1580, le maniérisme constitue la principale entorse à cette règle.
Aux plans politique et religieux, l’époque est principalement marquée par la Réforme protestante, impulsée en 1517 par l’Allemand Luther puis en 1537 par le Suisse Calvin, ainsi que par les meurtrières guerres de religions qui en résultent et qui vont diviser la France entre les années 1520 et l’édit de Nantes, en 1598.
Au plan scientifique, la principale découverte est l’œuvre de l’astronome Copernic qui publie en 1543 (quelques jours avant sa mort) une thèse qu’il a commencé à élaborer trente ans plus tôt selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, ainsi qu’il était admis quasi exclusivement en occident.
Aux plan économique et culturel, les échanges marchands s’intensifient au sein de l’Europe et s’amorcent entre l’Europe et le reste de la planète. L’imprimerie permet également aux idées de circuler toujours plus. Ces deux facteurs contribuent à ce que l’humanisme n’est plus tant une tournure d’esprit qu’il faudrait préférer à une autre (comme, lors du siècle précédent, on contestait la scolastique) qu’une conception du monde à part entière, qui tend à se généraliser dans les esprits et d’orientation matérialiste. Et lorsque les Espagnols, en quête d’or et d’autres minerais, entreprennent de coloniser l’Amérique du Sud, c’est au nom des valeurs humanistes, en enjoignant les populations locales d’accepter la prédication de la religion chrétienne70.
Au début du siècle, Nicolas Machiavel, un fonctionnaire de la république de Florence, effectue plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de la papauté et du roi de France. Il observe alors les mécanismes du pouvoir et le jeu des ambitions concurrentes. En 1513, dans son ouvrage Le Prince, premier traité de science politique, il explique que pour se maintenir au pouvoir, un dirigeant doit absolument se défaire de toute considération d’ordre moral, privilégier la défense de ses intérêts et de ceux dont il est le souverain et, à cette fin, faire continuellement preuve d’opportunisme. À l’inverse, alors que les États-nations, à peine émergents, s’affrontent dans des guerres meurtrières, Érasme, un philosophe et théologien venu des Pays-Bas (qui sera plus tard surnommé le « prince des humanistes ») visite plusieurs pays d’Europe, s’y fait des amis (dont l’Anglais Thomas More) et lance en 1516 un vibrant appel à la paix :
« L’Anglais est l’ennemi du Français, uniquement parce qu’il est français, le Breton hait l’Écossais simplement parce qu’il est écossais ; l’Allemand est à couteaux tirés avec le Français, l’Espagnol avec l’un et l’autre. Quelle dépravation ! »
— Erasme, Plaidoyer pour la paix, Arléa, 2005 ; extrait [archive].
De même, témoins des guerres de religions qui divisent la chrétienté, notamment en France, il en appelle à la tolérance.
De la polymathie à la science
Connu surtout pour ses tableaux, Léonard de Vinci aborde également « l’homme » sous un angle physique et fonctionnel : l’anatomie.
Comme Érasme, Léonard de Vincifait partie des personnalités aujourd’hui considérées comme les plus représentatives de l’humanisme. Comme lui et quelques autres, tels Copernic, il visite des régions éloignées de la sienne et, ce faisant, invite au rapprochement des cultures. Sa production invite surtout à gommer d’autres frontières, celles-ci intérieures : celles qui cloisonnent les disciplines. Faisant preuve d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, ses investigations tous azimutstémoignent d’une ouverture au monde sensible par l’entremise de l’expérience et du raisonnement méthodique, démarche que systématisera plus tard l’Anglais Roger Bacon et qui constituera le fondement de la science moderne.
Ce qui caractérise en premier lieu la science, c’est l’approche existentielle du monde, tant le macrocosme (l’univers) que le microcosme (l’être humain). Les dessins d’anatomie, en particulier, attestent une considération du corps humain comme d’un ensemble de mécanismes répondant à des fonctions précises.
Par ses dessins d’anatomie et ceux représentant toutes sortes de machines ainsi que des infrastructures militaires, Léonard de Vinci incarne la deuxième phase de l’humanisme, où l’on n’éprouve plus le besoin de se référer à l’Antiquité pour contourner le conservatisme de l’Église mais où l’on se tourne délibérément vers « son temps », la modernité, et ce qui en sont les fondements : la science et la technique. Après la mort de Léonard, en 1519, plus aucun peintre ne se consacrera à ces deux nouveaux champs et, après la mort de Michel-Ange, en 1564, peu seront peintre et architecte à la fois, pratique inaugurée par Giotto. En revanche, à partir du siècle suivant, différents mathématiciens, physiciens et astronomes se feront connaître par des prises de positions philosophiques (Descartes, Pascal, Newton, Leibniz…).
Au début du siècle, l’Europe du Nordconnait un développement économique spectaculaire, dont l’expansion des villes de Bruges, Anvers et Augsbourg est la meilleure expression. Mais dans le domaine artistique, l’Italie reste le foyer le plus dynamique et le plus significatif. Toutefois, ce n’est plus Florence qui entretient l’impulsion de la conception humaniste du monde mais Rome. La ville est envahie par de nombreux peintres et sculpteurs qui, au contact direct du patrimoine antique, prennent de plus en plus ouvertement comme modèle la civilisation précédant celle du christianisme. Non seulement berceau de la civilisation latine, la ville est aussi la capitale des papes.
Or ceux-ci, pour résister à la montée en puissance et à l’autonomisation des États-nations, attirent les artistes les plus novateurs par une active politique de mécénat. Par là même, ils confèrent une réelle et totale légitimité à l’esprit humaniste, contribuant même à le diffuser en Europe et dans le reste du monde, quand il est occupé par les conquistadores. L’un des symboles les plus significatifs de cette mutation est l’image du Christ, imberbe et musclé, et de la Vierge, prenant la pose, au centre du mur du fond de la Chapelle Sixtine, peint par Michel-Ange à la fin des années 1530 et qui représente le Jugement dernier. Autre grand symbole de la puissance déployée par l’église catholique pour contrer les contestations dont elle est l’objet, la Basilique Saint-Pierre, dont la construction s’étend sur plus d’un siècle (1506-1626) et à laquelle participe à nouveau Michel-Ange.
La critique sociale
Les conflits liés à la religion exposent les esprits réformateurs aux accusations d’hérésie, donc à la condamnation à mort. Certains utilisent alors le récit de fictioncomme moyen d’expression permettant une critique non frontale. En 1516, dans un essai intitulé a posterioriL’utopie,Thomas More(grand ami d’Érasme) prône l’abolition de la propriété privée et de l’argent, la mise en commun de certains biens, la liberté religieuse ainsi que l’égalité des hommes et des femmes. Et il estime que la diffusion des connaissances peut favoriser la création d’une cité dont le but serait le bonheur commun. Mais bien qu’ayant été proche du roi Henri VIII, celui-ci le fait condamner au billot.
Plus prudent, le Français François Rabelaisadopte une posture délibérément déconcertante : libre penseur mais chrétien, anticlérical mais ecclésiastique, médecin mais bon vivant, les multiples facettes de sa personnalité semblent contradictoires et il en joue. Apôtre de la tolérance et de la paix (comme Érasme, dont il est l’admirateur), il n’hésite pas à manier la parodie pour parvenir à ses fins. Son Pantagruel (1532) et son Gargantua(1534), qui tiennent à la fois de la chronique et du conte, annoncent le roman moderne.
De la glorification au constat amer
Alors que les débuts de l’humanisme de la Renaissance donnaient de l’homme une image prometteuse, voire glorieuse, à la fin du siècle, le spectacle tragique des guerres conduit les intellectuels à porter un regard désabusé sur l’humanité. En 1574, dans son Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie (alors âgé de 17 ans) s’interroge sur les raisons qui poussent les individus à miser leur confiance sur les chefs d’état au point de sacrifier leurs vies. Et à la même époque, dans ses Essais, son ami Montaigne, dresse un portrait tout aussi amer :
« Entre Pétrarque et Montaigne, on (est) pass(é) de la mise en scène d’un moi grandiose à celle d’un moi ordinaire, de l’éloge de l’individualité remarquable à la peinture de l’individualité basique. (…) Chez Montaigne, l’humanisme de la Renaissance apparaît désenchanté, désabusé et comme à son crépuscule : l’individualité de l’auteur et le reste de l’humanité y sont décrits avec un excès de scepticisme et de relativisme comme des choses assez ridicules, versatiles et vaines. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.185.
Dans le troisième livre de ses Essais, en 1580, Montaigne dégage le concept d’homme, à la fois unique et universel 71,72.
À la différence de Rabelais ou d’Érasme, confiants dans les capacités de la raison, Montaigne se refuse à la complaisance et répond par le doute : « La reconnaissance de l’ignorance est un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. » L’idée de perfectibilité, lui est ainsi étrangère, il rejette toute idée de progrès, d’ascension lente et graduelle de l’humanité vers un avenir meilleur. Selon lui, l’homme n’est plus le centre de tout, mais un être ondoyant, insaisissable. Il se plait autant à en faire l’éloge qu’à l’abaisser, tout en recourant à l’observation de sa propre personne pour tenter d’en démêler les contradictions. Ce faisant, il pose les bases de ce qui deviendra plus tard la psychologie.
L’humanisme moderne
L’héritage de l’humanisme de la Renaissance s’évalue à trois niveaux, étroitement liés : philosophique, politique et économique et social.
Après la Renaissance, le principe d’autonomisation de la pensée par rapport à la foi n’est plus jamais remis en cause, il constitue par excellence le cadre de référence de l’ensemble de la culture occidentale. L’idée que les humains peuvent évoluer sans s’appuyer sur la religion stimule la démarche scientifique et inversement, celle-ci est vécue comme une émancipation, conduisant progressivement au déisme (croyance en un Dieu créateur abstrait, « grand horloger »), à l’agnosticisme (le doute de l’existence de Dieu), puis finalement à l’athéisme (le rejet même de toute croyance en Dieu) : au xixe siècle, Nietzscheaffirmera que « Dieu est mort ».
Corollaire de cette indépendance à l’égard du divin est la capacité des humains à s’organiser institutionnellement de façon que les idées, mises en débat, servent l’intérêt général. Cet idéal démocratique se concrétise au prix de « révolutions » politiques : d’abord au xviie siècle en Angleterre puis au siècle suivant aux États-Unis et en France. Mais finalement, celles-ci profitent en premier lieu à la classe bourgeoise, qui exerce alors à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique en parvenant à justifier ce cumul au nom de la liberté : c’est le libéralisme.
Les avancées de la science trouvent de nombreux terrains d’application et, progressivement, la techniques’inscrit dans un idéal d’émancipation (bonheur), progrès…). Sous l’effet de ses avancées s’amorce au xviiie siècle un processus économique, qui sera plus tard qualifié de « révolution » – la révolution industrielle – sans toutefois que celui-ci ait été prémédité ni débattu, comme on le dit d’une révolution politique. À tel point qu’au xixe siècle, Marxestime que, désormais, les idées (humanistes ou pas) ne permettent plus aux hommes d’élaborer des projets de société, tant ils sont désormais façonnés, « aliénés », par leurs modes de production ; et ceci d’autant plus qu’ils s’évertuent à croire qu’ils sont « libres ». À ce titre, Marx est fréquemment considéré comme celui qui ouvre la première grande brèche dans l’idéal humaniste. En revanche, en ne remettant pas en cause le productivisme lui-même mais seulement le capitalisme, et en considérant que, pour s’émanciper, les classes ouvrières doivent seulement prendre possession des moyens de production, les successeurs de Marx seront les promoteurs d’un nouveau type d’humanisme : l’humanisme-marxiste.
En 1687, Newtondémontre la capacité des hommes d’analyser la structure de l’univers sur la base de principes mathématiques.
En 1605, l’Anglais Francis Bacondéveloppe une théorie empiriste de la connaissance et, quinze ans plus tard, précise les règles de la méthode expérimentale, ce qui fait aujourd’hui de lui l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne. Celle-ci émerge pourtant dans les pires conditions : en 1618, la thèse de Copernic selon laquelle la terre tourne autour du soleil et non l’inverse (héliocentrisme) est condamnée par l’Église ; et en 1633, cette dernière condamne Galilée, qui ose la défendre (elle ne consentira à infléchir sa position qu’un siècle plus tard).
Dans ce contexte d’ultime et extrême tension entre foi et raison, la philosophie, en tant que « conception du monde », recherche dans la science une caution morale qu’elle n’espère plus trouver de l’Église. Il est alors significatif qu’un certain nombre de philosophes sont également mathématiciens ou astronomes (Descartes, Gassendi, Pascal… ou plus tard Newton et Leibniz) et que des scientifiques émettent des positions fondamentalement philosophiques, tels Galilée qui déclare en 1623 dans L’Essayeur : « La philosophie est écrite dans ce livre immense perpétuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire l’univers), mais on ne peut le comprendre si l’on n’apprend pas d’abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques, sans l’intermédiaire desquels il est humainement impossible d’en comprendre un seul mot ».
En 1637, soit quatre ans seulement après le procès de Galilée, dans son Discours de la méthode, Descartes fonde le rationalisme et affirme que l’homme doit se « rendre comme maître et possesseur de la nature » : la philosophie naturelles’émancipe alors radicalement et définitivement de l’Église, point d’aboutissement de l’idéal humaniste73. Durant la seconde moitié du xviie siècle, avec la probabilité, le calcul infinitésimal et la gravitation universelle, le monde est de plus en plus pensé dans une optique quantitative, matérialiste74, ceci avec l’aide de techniquesdésormais considérées comme indispensables à sa connaissance, telles la machine à calculer ou le télescope.
Philosophe cartésien, Spinozaestime que l’on n’a ne plus à rechercher la vérité dans les Écritures mais dans ses propres ressources (philosophie pratique). Publiée à sa mort, en 1677, son Éthique invite l’homme à dépasser l’état ordinaire de servitude vis-à-vis des affects et des croyances pour atteindre le bonheur au moyen de la « connaissance ». Le titre complet de l’ouvrage (« Éthique démontrée suivant l’ordre des géomètres ») témoigne du fait que la foi en un dieu révélé s’efface au profit d’une « croyance en l’homme », un homme pour le coup totalement rationnel75 ; ceci bien que Spinoza se défende d’être athée : il ne conteste pas l’existence de Dieu mais identifie celui-ci à « la nature ».
À la fin du xviie siècle; la plupart des savants désertent l’université, encore engluée dans la théologie, mais tissent leurs propres réseaux et, par eux, finissent par imposer leurs découvertes et conditionner le terrain même de la philosophie. Avec Galilée puis Huygens, il est possible d’avoir une idée de l’éloignement des étoiles, de la taille de la Terre et des autres planètes ainsi que de leurs positions respectives. L’« homme » sur lequel se focalisaient les humanistes de la Renaissance et l’univers lui-même deviennent des données toutes relatives. Publiés en 1687, les Principes mathématiques de la philosophie naturelle du physicien Isaac Newton sont complétés par lui en 1726 (un an avant sa mort) et traduits en français trente ans plus tard par une maîtresse de Voltaire. Symbolisant la capacité de l’homme à concevoir le monde de façon abstraite (mathématique), cet écrit constitue l’un des fondements de la philosophie des Lumières76.
Conséquence ou effet corollaire de l’émancipation de la raison instrumentale et du développement de la science, certains penseurs vont peu à peu faire l’apologie des « vertus naturelles » (ou « morales »), se démarquant ainsi de l’éthique chrétienne. C’est le cas en particulier du Français La Mothe Le Vayer, un des premiers grands écrivains libertins, auteur en 1641 de son ouvrage le plus célèbre De la Vertu des païens77. « Son analyse affirme l’existence de vertus profanes valables sans le secours de la grâce, et indépendamment de toute inquiétude religieuse. C’est une des premières affirmations d‟une morale existant seule, sans le support de la religion, d’une morale pour ce monde-ci, de la morale laïque qui sera désormais un trait caractéristique de l’humanisme. (…) Cette analyse est pleinement humaniste par sa confiance en la nature et en la raison, et elle fait un grand pas vers celles des Lumières 78.» Coïncidence, c’est également en 1641, dans sa tragédie Cinna, que Pierre Corneille écrit ces mots : « Je suis maître de moi comme de l’univers ».
La Mothe Le Vayer et les libertins sont également à l’origine d’une conception de l’histoire « dégagée de l’emprise scripturaire, religieuse et ecclésiale, une histoire construite sur des bases historiques sûres et non théologiques, une histoire non finalisée, une histoire universelle entendue au sens d‟une collection de l’histoire des diverses nations » (…) « L’histoire de La Mothe Le Vayer ne s’inscrit pas dans un temps théologique orienté d’une création à des fins dernières ; il n’y a pas de téléologie à retrouver dans l’histoire : celle-ci est une lecture philosophique qui n’a rien à faire de l’assise biblique érudite. En évacuant la Bible comme « premier livre d’histoire » et Moïse comme « premier historien », les libertins annulent l’histoire sainte et laïcisentl’histoire. Celle-ci est humaniste en ce qu’elle exclut les contraintes extérieures, le « doigt de Dieu » cher à Bossuet, la Providence, le destin… toutes les formes de déterminisme. On passe d‟une histoire de croyance à une histoire de savoir »79.
L’aspiration à la démocratie
Alors que les scientifiques créent leurs espaces de débat en dehors de toute emprise religieuse, en Angleterre, un soulèvement populaire soutenu par l’armée conduit en 1640 à l’instauration d’une république. Dix ans plus tard, Thomas Hobbes publie Le Léviathan, un ouvrage considéré depuis comme un chef-d’œuvre de philosophie politique. Partant du principe que les individus, à l’état de nature, sont violents et que, par peur d’une mort violente, ils délèguent volontiers leurs responsabilités à un souverain qui leur garantit la paix, le philosophe élabore une théorie de l’organisation politique. En 1660, la monarchie est rétablie en Angleterre mais elle ne sera plus jamais absolue. Principal outil de la démocratie représentative, le parlementsymbolise alors le nouvel esprit du temps, un temps où, de plus en plus nombreux, les hommes éprouvent le sentiment de pouvoir prendre des décisions collectivement, en prenant leur autonomie vis-à-vis de leurs autorités de tutelle, qu’elles soient civiles ou religieuses.
Le siècle est marqué par de profondes mutations dans tous les domaines – économique, politique, social, technique… – lesquelles vont modifier en profondeur le paysage intellectuel. Pour comprendre celui-ci, il importe donc de rappeler brièvement le contexte.
À la suite d’une très forte poussée démographique en Europe, des changements économiques s’avèrent indispensables. L’aristocratie, qui assure les fonctions de gouvernance, doit y faire face. En Angleterre, pays de monarchie parlementaire, les nobles se lancent dans les affaires. En France, où s’exerce encore la monarchie absolue, ils y sont moins enclins : la majorité d’entre eux restent en effet rivés à leurs privilèges de caste et seules quelques quelques familles s’engagent dans les mines, les forges ou le commerce maritime. À des rythmes différents selon les pays, donc, un processus s’enclenche, le capitalisme, qui va profiter (au sens premier du terme) à la classe sociale montante, propriétaire et gérante des moyens de production : la bourgeoisie.
À la différence de l’aristocratie, donc, et dans les capitales comme en province, celle-ci fait travailler les autres, les emploie, les salarie… et se mobilise elle-même : non seulement dans le commerce, l’industrie (qu’elle « révolutionne ») et la finance mais aussi dans l’administration de l’État, à tous ses échelons, du ministre au petit fonctionnaire. Partout en Europe elle cumule alors les pouvoirs : économique, politique et juridique. C’est donc naturellement qu’elle exerce également un pouvoir intellectuel et qu’elle impose ses propres valeurs.
La première de ces valeurs est la liberté80, terme qu’il faut comprendre comme liberté à l’égard des anciennes tutelles : non plus seulement l’Église, comme aux temps de la Renaissance, mais du Prince, lequel, progressivement, va être destitué et remplacé (à chaque fois provisoirement) par « le peuple ». Liberté par conséquent d’ entreprendre quoi que ce soit. L’émancipation ne s’opère plus au niveau strictement philosophique : l’« homme » et son cogito ; mais à un niveau très pratique : les « humains » et leurs capacités à intervenir individuellement sur le monde. L’universalisme (l’idée que les humains sont supérieurs aux autres créatures, grâce à la raison et la parole, et que, grâce à elles, ils peuvent sans cesse mieux s’accorder entre eux) constitue le fondement de ce que l’on appellera l’humanisme des Lumières81. Du moins peut-on dire que les artisans des Lumières (non seulement les philosophes et théoriciens mais les « entrepreneurs » de toutes sortes) incarnent le concept d’humanisme82,83.
Liberté, connaissance, histoire, bonheur
« La philosophie des Lumières s’est élaborée à travers une méthode, le relativisme, et un idéal, l’universalisme »84. La confrontation de cette méthode et de cet idéal contribue à ce qu’au xviiie siècle, l’ensemble du débat philosophique oscille entre deux pôles : l’individu(tel ou tel humain, considéré dans sa singularité) et la société (la totalité des humains).
Cette bipolarité constitue l’axe ce que l’on appellera plus tard la modernité. Quatre idées fortes s’en dégagent.
La principale préoccupation des esprits « éclairés » est la liberté, plus exactement sa conquête. À la question Qu’est-ce que les Lumières ?, Kant répond : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières ». Tout l’effort des philosophes va porter sur les modalités (autrement dit les lois) à mettre en œuvre de sorte que la liberté de chacun ne nuise pas à celle des autres. À la suite de Locke85, Montesquieu86, Rousseau87 et beaucoup d’autres s’y emploient, qui contribuent, avec la Révolution française et la doctrine égalitariste, à promouvoir une conception juridique de la libertéqui mènera elle-même à la doctrine libérale.
Couverture des Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde de Voltaire (1738)
Le xviie siècle a été marqué par un développement très important des sciences ; le nouveau est caractérisé non seulement par le souci de poursuivre ce mouvement mais celui de consigner l’apport des sciences et le faire connaître. Le combat des Lumières contre l’« obscurantisme », c’est la connaissance : connaissance du monde, accrue par les explorations de Cook, La Pérouse et Bougainville ; connaissance de l’Univers, par les dernières découvertes en astronomie ou quand Buffon, dans son Histoire naturelle, affirme que la Terre est âgée de bien plus que les 6 000 ans attribués par l’histoire biblique) ; connaissance du métabolisme des êtres vivants… dont l’homme. Cet idéal trouver sa réalisation dans l’Encyclopédiede Diderot et D’Alembert, publiée entre 1750 et 1770.
Les philosophes focalisent leur intérêt sur « l’histoire ». En 1725, l’Italien Vico publie ses Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations, que Voltaire traduira sous le titre Philosophie de l’histoire en 1765, l’année même où, – coïncidence – le mot « humanisme » fait son apparition dans la langue française7. L’idée centrale de la philosophie de l’histoire est que celle-ci a un sens. Ainsi naît l’historicisme, une doctrine selon laquelle les connaissances et les valeurs d’une société sont liées à son contexte historique.
Autre idée forte, le bonheur, point de départ, là encore, d’une doctrine : l’eudémonisme88. À la fin du siècle, Saint-Just proclame que « le bonheur est une idée neuve en Europe », au xxe siècle, certains intellectuels (Eric Voegelin, Jacques Ellul…) y verront le substitut laïque du salut chrétien : « l’homme » n’a pas à espérer un quelconque et hypothétique salut dans l’au-delà, il doit en revanche rechercher le bonheur ici et maintenant, c’est une obligation(« le but de la société est le bonheur commun », proclame l’article 1er de la Constitution de 1793)89. Ellul précise que c’est parce que le bonheur finit par être assimilé à l’idée de confort matériel et que celui-ci ne peut s’obtenir qu’au prix du travail que la bourgeoisie promeut le travail en valeur et qu’elle engage le processus qui sera plus tard qualifié de « révolution industrielle ». Ce processus ne se serait jamais produit, affirme Ellul si, au préalable, la bourgeoisie n’avait pas réussi à faire croire (et à croire elle-même) que le travail est une valeur du fait qu’il conduit au bonheur.
« Liberté », « connaissance », « histoire », « bonheur » (… puis plus tard « travail », « progrès », « émancipation », « révolution ») : les idées des Lumières prolongent celles de la Renaissance et, comme elles, deviennent des idéaux, au sens où elles véhiculent l’idée optimiste qu’il est possible de définir l’homme. L’Essai sur l’hommed’Alexander Pope (1734 traduit en français cinq ans plus tard par Diderot) est significatif. Mais ces idéaux s’en différencient radicalement au moins sur deux points :
ceux qui portent ces idéaux sont animés par une volonté ferme de les réaliser concrètement et immédiatement : vers 1740, l’Anglais Hume fonde la philosophie sur l’empirisme(Traité de la nature humaine) ; vers 1750, les physiocratesfrançais contribuent à forger la conception moderne de l’économie ; vers 1780, Benthamindexe l’idée de bonheur au concept d’utilité.
Trois grandes orientations
Les idées des Lumières s’expriment par ailleurs différemment selon les pays.
En Grande-Bretagne, les choses se passent surtout de façon pragmatique, afin de théoriser après-coup les premiers effets de l’industrialisation et les justifier philosophiquement.
En France, pays fortement centralisé et de culture cartésienne, l’accent est mis sur le droit, le « contrat social » et la capacité d’organiser rationnellement la société.
En Allemagne, où l’approche métaphysique reste prégnante, la réflexion se focalise sur l’idéed’individu. Les philosophies revendiquent donc leur idéalisme.
Ces trois orientations ont en commun d’être portées par l’optimisme, une confiance en l’homme dans sa capacité à se comporter sereinement grâce à l’exercice de sa raison.
La Révolution industrielles’amorce en Grande-Bretagneet très vite, génère de l’inégalité sociale et de la paupérisation. Pour justifier les efforts à fournir, de nombreux textes sont publiés. En 1714, dans la Fable des abeilles, Bernard Mandevillesoutient l’idée que le vice, qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu parce qu’en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Aussi, il estime que la guerre, le vol, la prostitution, l’alcool, les drogues, la cupidité, etc, contribuent finalement « à l’avantage de la société civile » : « soyez aussi avides, égoïstes, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». Cette approche influence de nombreux intellectuels, notamment le philosophe Adam Smith, au travers de sa métaphore de la main invisible, qu’il reprend à trois reprises pendant vingt ans, notamment en 1759 dans sa Théorie des sentiments morauxet en 1776 dans La Richesse des nations, quand il s’efforce de conférer à l’économie le statut discipline scientifique. Selon lui, l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques (qui sont guidés uniquement par leur intérêt personnel) contribuant à la richesse et au bien commund’une nation, le marché est comparable à un processus se déroulant de façon automatique et harmonieuse dans la mesure où les intérêts des individus se complètent de façon naturelle. Diversement interprétée, la métaphore de la main invisible sera maintes fois reprises pour symboliser le libéralisme économique en tant qu’idéologie.
C’est en Grande-Bretagne, où il séjourne de 1726 à 1729, que le Français Voltaire devient le principal initiateur des Lumières. Dans ses Lettres anglaises, publiées en 1734, il exprime son enthousiasme pour le mode de vie des quakers et leurs valeurs (intégrité, égalité, simplicité…), l’empirisme de Locke, les théories de Newton… La Franceva produire un grand nombre de textes fondateurs de la démocratie moderne. En 1748, dans De l’esprit des lois, Montesquieu (qui, comme Voltaire, a séjourné en Angleterre et a été séduit par la monarchie constitutionnelle et parlementaire) considère les données historiques, sociologiques et climatiques comme déterminantes. Sa théorie de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) fera plus tard autorité, bien au-delà du pays. De 1751 à 1772 paraissent les volumes de l’Encyclopédie, coordonnée par Diderot et d’Alembert, qui donne une vue d’ensemble des réalisations humaines, privilégiant les domaines de la science et de la technique, ce qui lui confère un ton très progressiste. En 1755, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseaudéveloppe une idée qui sonnera bientôt comme un postulat : « l’homme est bon par nature et c’est la société qui le corrompt ». Pour que les hommes se portent mieux, estime Rousseau, il faut améliorer la société… projet assigné à la politique autour d’un concept nouveau, la souveraineté du peuple, et de valeurs étant mises en pratique de façon contractuelle : la liberté, l’égalité et la volonté générale(Du Contrat social, 1762)90. Cette approche aboutit, en France, au concept de droits de l’homme et plus spécialement, en 1789, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui influencera largement les déclarations de droits durant les siècles suivants.
Selon Kant, l’homme « éclairé » est responsable et maître de son destin.
En Allemagne, dans les années 1770, Herder et Goethe initient le mouvement romantique Sturm und Drang (« tempête et passion ») qui exalte la liberté et la sensibilité. À l’inverse, Lessinginvite à la retenue et la tolérance (Nathan le Sage). Dans les deux cas, la subjectivité est fortement valorisée. Kant affirme dans Critique de la raison pure (1781-1787) que le « centre » de la connaissance est le sujet et non une réalité extérieure par rapport à laquelle l’homme serait passif. Ce n’est donc plus l’objet qui oblige le sujet à se conformer à ses règles, c’est le sujet qui donne les siennes à l’objet pour le connaître. Ceci signifie que nous ne pouvons pas connaître la réalité « en soi » mais seulement telle qu’elle nous apparaît sous la forme d’un objet, ou phénomène. En 1784, Kant écrit ces mots : « L’Aufklärung, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. L’état de minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre ».
L’expression « droit de l’homme » fait aujourd’hui consensus, ce qui interroge certains penseurs, dont l’historien du droit français Jacques Ellul : « Je suis toujours étonné que cette formule réunisse un consensus sans faille et semble parfaitement claire et évidente pour tous. La Révolution française parlait des « droits de l’homme et du citoyen ». Les droits du citoyen , j’entends : étant donné tel régime politique, on reconnaît au membre de ce corps politique tel et tel droit. Ceci est clair. De même lorsque les juristes parlent des droits de la mère de famille, ou le droit du mineur envers son tuteur, ou le droit du suspect. Ceci encore est clair. Mais les droits de l’homme ? Cela veut donc dire qu’il est de la « nature » de l’homme d’avoir des « droits » ? Mais qu’est-ce que la nature humaine ? Et que signifie ce mot « droit », car enfin, jusqu’à preuve du contraire, le mot « droit » est un mot juridique. Il a et ne peut avoir qu’un sens juridique. Ce qui implique d’une part qu’il peut être réclamé en justice, et qu’il est également assortie d’une sanction que l’on appliquera à celui qui viole ce droit. Bien plus, le droit a toujours un contenu très précis, c’est tout l’art du juriste que de déterminer avec rigueur le sens, le seul sens possible d’un droit. Or, quand nous confédérons, en vrac, ce que l’on a mis sous cette formule des droits de l’homme, quel est le contenu précis du « droit au bonheur », du « droit à la santé », du « droit à la vie« , du « droit à l’information », du « droit au loisir », du « droit à l’instruction » ? Tout cela n’a aucun contenu rigoureux »91.
À la fin du siècle, les faitscommencent à révéler le caractère utopique des théories des Lumières : l’épisode de la Terreurruine l’idéal rousseauiste de « l’homme naturellement bon » et la montée en puissance des nationalismes, qui s’impose à la fin du siècle, démontre le caractère irréaliste du projet d’émancipation kantien : alors que l’État devient la grande figure d’autorité en lieu et place de l’Église, « l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre » est telle que le « sujet » reste majoritairement « l’objet » de ses propres passions. La pratique de l’esclavage par les chrétiens américains inspire à William Blake l’image d’une humanité violemment écartelée par ses contradictions (Nègre pendu par les côtes à un échafaud, 1792) tandis que l’art halluciné de Füssli(Le Cauchemar, 1781) annonce les tourments et les doutes qui assailliront bientôt « l’homme moderne » et dont l’art romantiquese fera le témoin au xixe siècle. Plus prémonitoire encore est le poème de l’Apprenti sorcier, de Goethe, en 1797, qui décrit un homme démiurge littéralement dépassé par ses créations, incapable de les contrôler.
Encore relativement marginales, ces prises de positions vont se cristalliser, durant les deux siècles suivants, dans un courant parfois qualifié d’Anti-Lumières ou d’anti-humaniste tandis qu’en revanche beaucoup plus important, l’esprit progressiste va constituer l’héritage des Lumières et se justifier par des discours moralisateurs, vantant à la fois les mérites du travail et ceux de l’entr’aide sociale.
Se démarquant des inquiétudes de ces intellectuels, la bourgeoisie réagit par une forme d’activisme social. À la misère générée par l’industrialisation, qui contredit la thèse d’Adam Smith de l’autorégulation du marché, elle réagit par l’action philanthropique. En 1780 naît à Paris la Société philanthropique (toujours active aujourd’hui) qui, sept ans plus tard, définit ainsi sa mission : « Un des principaux devoirs des hommes est (…) de concourir au bien de (leurs) semblables, d’étendre leur bonheur, de diminuer leurs maux. (…) Certainement, un pareil objet entre dans la politique de toutes les nations et le mot philanthrope a paru le plus propre à désigner les membres d’une société particulièrement consacrée à remplir ce premier devoir de citoyen »92. Au xxe siècle, la philosophe Isabel Paterson établit ainsi les liens entre charité chrétienne, philanthropie et humanisme : « Si l’objectif premier du philanthrope, sa raison d’être, est d’aider les autres, son bien ultime requiert que les autres soient demandeurs. Son bonheur est l’avers de leur misère. S’il veut aider l’humanité, l’humanité tout entière doit être dans le besoin. L’humaniste veut être le principal auteur de la vie des autres. Il ne peut admettre ni l’ordre divin, ni le naturel, dans lesquels les hommes trouvent les moyens de s’aider eux-mêmes. L’humaniste se met à la place de Dieu »93.
xixe siècle
Jusqu’au siècle précédent, le travailn’était pas considéré comme une valeur. Il l’est devenu quand, peu à peu, la bourgeoisie a exercé les pouvoirs économique et politique94. Désormais, le travail est fourni « en quantité industrielle » : le nouveau siècle est en tout cas caractérisé par un processus qui, après coup, sera qualifié de « révolution » mais qui – à la différence des révolutions américaine et française, au xviiie siècle – n’est pas un événement politique à proprement parler : la « révolution industrielle ». Né en Grande-Bretagne puis ayant gagné le reste de l’Europe, il se manifeste par la prolifération des machinesdans les usines, dans le but affiché d’accroître la productivité. Mais, comme le démontre Karl Marx à partir de 1848, le système qui en découle, le capitalisme, ne profitequ’à un nombre restreint d’humains, précisément les « bourgeois », tandis que beaucoup d’autres se retrouvent sur-exploités.
Considéré par beaucoup comme un humaniste95, Jules Ferryoppose en 1885 les « races supérieures » aux « races inférieures ».
C’est précisément à cette époque que les milieux bourgeois commencent à répandre le terme « humanisme » : « Le mécanisme de la justification est la pièce centrale de l’œuvre bourgeoise, sa signification, sa motivation » explique Jacques Ellul96. « Pour y arriver, le bourgeois construit un système explicatif du monde par lequel il rend légitime tout ce qu‘il fait. Il lui est difficile de se reconnaître comme l’exploiteur, l’oppresseur d’autrui, et en même temps le défenseur de l’humanisme. En cela, il exprime un souci propre à tout homme, celui d’être à la fois en accord avec son milieu et avec lui-même. Quand il ne veut pas reconnaître les motivations réelles de son action, il n’est donc pas plus hypocrite qu’un autre. Mais parce que, plus que d’autres, il agit sur le monde, il se constitue un argumentaire des plus élaborés visant à légitimer son action. Non seulement aux yeux de tous mais aussi – et d’abord – à lui-même, pour se conforter97.
Dès les années 1840, les critiques commencent à fuser : alors que le xviiie siècle avait proclamé la liberté, les premiers anarchistes affirment que l’État a pris la place de l’Église et du Roi comme source d’autorité. Et alors que la société industrielle se révèle inégalitaire, Proudhon ironise sur le mot « humanisme », inaugurant ce qu’on appellera plus tard « la question sociale » et le socialisme.
De fait, un nouveau type de déférence s’exprime, axé sur « la foi dans le progrès » scientifique et l’étatisme, le tout sur fond de déchristianisation. La situation est d’autant plus paradoxale que, comme ils l’avaient fait en Amérique du Sud au xvie siècle, c’est appuyés par l’Église catholique que les Européens, en quête de minerais et sous prétexte d’apporter la civilisation, s’en vont coloniserl’Afrique et l’Asie du Sud-est. En 1885, Jules Ferry, bien que fervent défenseur de la laïcité, déclare : « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures »98. Le concept de racisme contribuera par la suite à discréditer profondément et durablement celui d’humanisme99,100.
Humanisme = idéalisme
En 1808, F. I. Niethammerdistingue catégoriquement l’humanisme de la philanthropie.
Au début du siècle, certains intellectuels soulignent que la philanthropie n’est qu’un succédané de la charité chrétienne. En 1808, le théologien allemand F. I. Niethammer publie un ouvrage intitulé « Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle », en réaction précisément au concept de philanthropie. Et deux ans plus tard, dans son livre De l’Allemagne, Mme de Staël estime que Diderot« a besoin de suppléer, à force de philanthropie, aux sentiments religieux qui lui manquent »101. Ainsi peu à peu émerge l’idée que, tant qu’elle se réfère à la morale, toute approche de l’homme par l’homme se réduit à un cortège de bons sentiments.
Dans un courrier qu’il adresse à Niethammer, Hegel le félicite d’avoir distingué le « savoir pratique » du « savoir savant » et de s’être démarqué de l’idée de philanthropie pour promouvoir le concept d’humanisme102. Dans son œuvre, Hegel lui-même n’utilise pas le terme « humanisme » mais, l’année précédente, dans sa Phénoménologie de l’Esprit, il s’est efforcé de décrire « l’évolution progressive de la conscience vers la science » dans le but annoncé d’analyser « l’essence de l’homme dans sa totalité ». Selon Bernard Bourgeois, Hegel a développé dix ans plus tôt, vers 1797-1800, une nouvelle conception de l’humanisme : « ce n’est plus l’humanisme kantien de l’universel abstrait mais l’humanisme de l’universel concret, c’est-à-dire de la totalité, l’humanisme qui veut rétablir l’homme dans sa totalité »103.
De l’idéal aux doutes
Dans le Tres de Mayo, Goyarelate en 1814 un crime de guerre : des civils espagnols sont assassinés par des soldats français.
Les premières grandes critiques à l’encontre des idéaux des Lumières s’expriment aux lendemains des conflits nés de la Révolution française puis des guerres napoléoniennes, qui ont fracturé l’Europe pendant quinze ans (1799-1815). Les Désastres de la guerreen font partie, qui sont une série de gravures exécutées entre 1810 et 1815 par Goya. Tout comme son Tres de mayo, réalisé à cette époque, elles dénoncent les crimes de guerre perpétrés tant par les armées françaises sur les populations civiles espagnoles que par les soldats espagnols sur les prisonniers français. Goya ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres : décrivant les atrocités comme le feront plus tard les photo-journalistes, il se livre à une méditation qui relève d’un « humanisme saisissant »104.
Le mouvement romantique participe de cette volonté de critiquer l’universalisme des Lumières105 en mettant en relief les arrières-plans de la psyché, les émotions et pulsions jusqu’alors déconsidérées. Dans le Portrait de l’artiste dans son atelier (1819), Géricault se montre « humaniste plus que simplement romantique »106 en s’exposant seul et mélancolique, un crâne humain posé derrière lui, symbole classique de la vanité.
Quelques philosophes s’attachent à dénoncer le libéralisme, tant politique qu’économique, au motif qu’il entretient une approche de l’existence qu’ils jugent étroitement comptable, au détriment de la sensibilité. Schopenhauer et Kirkegaard, en particulier, développent une vision du mondeouvertement désenchantée, voire pessimiste, qui est une réaction à l’inhumanité de l’époque et, par là même, le témoignage d’un nouveau type d’humanisme107,108.
Alors qu’en France les idéaux révolutionnaires s’éteignent avec l’instauration d’un empire autoritaire et que les effets inégalitaires de l’industrialisation massive deviennent criants, certains penseurs libéraux tentent à la foisde conférer le statut de science à l’économie et d’y infuser un parfum d’humanisme.
En 1817, notamment, dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt, l’Anglais David Ricardos’efforce d’asseoir l’économie politique sur des bases rationnelles mais, contraint par les faits (la poussée démographique, l’urbanisation, la paupérisation…), il veille scrupuleusement à les intégrer dans ses calculs comme des données objectives. Il est le premier économiste libéral à penser la répartition des revenus au sein de la société en prenant en compte « la question sociale ». Au point que certains considèrent qu’il s’est mis « au service du bien public », que « la rigueur de son raisonnement lui permet de trouver les solutions les plus aptes à garantir la prospérité de ses concitoyens » et que, par conséquent, « sa démarche comporte une motivation humaniste incontestable »109,110.
En 1820, dans les Principes de la philosophie du droit, Hegels’inscrit dans le sillage de la doctrinehistoriciste et pose les fondements d’une nouvelle doctrine : l’étatisme. Il écrit : « il faut vénérer l’État comme un être divin-terrestre »111. Il se réfère alors à l’État moderne, dont le Saint-Empire romain germanique, au xiie siècle, est l’archétype dès lors qu’il s’est révélé le concurrent de l’autorité papale (plus de détails) et qui culmine avec la Révolution française(qu’il qualifie de « réconciliation effective du divin avec le monde »112). Hegel voit en Napoléon celui qui a imposé le concept d’État-nation, lequel reste à ce jour le système politique dominant. Selon lui, l’État est la plus haute réalisation de l’idée divine sur terre (il parle d’« esprit enraciné dans le monde »113)114 et le principal moyen utilisé par l’Absolupour se manifester dans l’histoire. Bien plus qu’un simple organe institutionnel, il est « la forme suprême de l’existence », « le produit final de l’évolution de l’humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète »115, le « rationnel en soi et pour soi »114.
Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs intellectuels (principalement Cassirer116 et Popper117) se demanderont si, au lieu de considérer Hegel comme un humaniste, il ne convient pas voir en lui un précurseur du totalitarisme. D’autres sont plus mesurés, tel Voegelin, qui voit en lui un héritier du gnosticisme, un courant de pensée remontant à l’Antiquité et selon lequel les êtres humains sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel118. Plus précisément Voegelin estime que si procès il doit y avoir, ce n’est pas celui d’Hegel qu’il faut ouvrir mais celui de la modernité dans son ensemble, laquelle, selon lui, s’enracine dans la tentative de faire descendre le paradis sur terre et de faire de l’accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique.
Hegel est-il « humaniste » ou « totalitaire » (ou encore « absolutiste »119) ? Cette question divise bon nombre d’intellectuels. Jacques Ellul estime que la divinisation de l’État, telle que formulée par Hegel, ne s’opère pas seulement dans les dictatures militaires, elle s’observe également dans ce que Bergson puis Popperappellent la société ouverte (les États portés par les principes de tolérance, de démocratie et de transparence). Selon lui, tout État est totalitaire : « le mouvement de l’histoire non seulement ne précipite pas la chute de l’État mais il le renforce. C’est ainsi, hélas, que toutes les révolutions ont contribué à rendre l’État plus totalitaire ». Faisant allusion à Hegel, il poursuit : « La bourgeoisie n’a pas seulement fait la révolution pour prendre le pouvoir mais pour instituer le triomphe de la Raison par l’État »120. Et il précise que, dès lors que les humains n’ont pas conscience de s’en remettre à l’État pour tout ce qui concerne leur existence, toute discussion sur l’humanisme est vaine car toutes leurs prétentions à s’émanciper le sont également. Et plutôt que de parler de divinisation (terme qui renvoie à une manière d’être assumée), Ellul parle de sacralisation (qui désigne en revanche une posture inconsciente) : « ce n’est pas l’État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c’est sa transfiguration sacrale »121.
La volonté d’humaniser le capitalisme se traduit également dans les années 1820 par une volonté de le réformer en profondeur, quand l’usage du mot socialisme commence à se généraliser122. Formant ce que l’on appellera plus tard le « socialisme utopique », ses promoteurs s’appellent Robert Owen, en Grande-Bretagne, Charles Fourier, Étienne Cabet et Philippe Buchezen France. On peut les considérer comme « humanistes » au sens où ils « refusent la réduction de l’homme à la marchandise »123 et où ils expriment leur confiance dans l’homme, du fait qu’il peut façonner, transformer, le monde. Ne contestant pas spécialement la pression des machines sur les humains, ils retirent au contraire du phénomène de l’industrialisation un idéal d’émancipation.
Le plus prosélyte d’entre eux est Saint-Simon. Il voit dans l’industrialisation le moteur du progrès social et aspire à un gouvernement exclusivement constitué par des producteurs (industriels, ingénieurs, négociants…) dont le devoir serait d’œuvrer à l’élévation matérielle des ouvriers au nom d’une morale axée sur le travail et la fraternité124. Conçue comme une « science de la production » au service du bien-êtrecollectif, cette approche s’exprime dans un vocabulaire religieux (Catéchisme des industriels, 1824 ; Nouveau christianisme, 1825). En 1848, Auguste Comte fait même du saint-simonisme une église hiérarchisée, l’Église positiviste.
En 1841, Ludwig Feuerbach, ancien disciple de Hegel, en devient le principal critique en publiant L’Essence du christianisme, un ouvrage fondateur d’un véritable courant matérialiste. Selon son auteur, croire en Dieu est un facteur d’aliénation : dans la religion, l’homme perd beaucoup de sa créativité et de sa liberté125. De par sa prise de distance avec le phénomène religieux, l’ouvrage s’inscrit dans sillage de la philosophie humaniste. Il va toutefois inciter Karl Marx et Friedrich Engels à critiquer très sévèrement la part idéaliste de l’humanisme (lire infra).
En 1845, dans la sixième thèse sur Feuerbach, Marx écrit que « l’essence humaine, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Il inaugure ainsi une critique de l’humanisme en tant que conception idéaliste de l’homme126 : « Les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale. Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. »127.
La question de savoir si Marx est humaniste ou non s’est fréquemment posée au xxe siècle128,129. Les avis sont partagés. Lucien Sève, par exemple, estime que c’est le cas mais Louis Althusser pense le contraire. Selon lui :
Avant 1842, Marx est un humaniste traditionnel. Marqué par Kant (qui fait l’apologie du sujet et selon qui celui-ci doit toujours choisir son action de sorte qu’elle devienne « la règle de l’humanité) mais aussi par les libéraux anglais (qui font coïncider l’intérêt de l’individu avec l’intérêt général), il évoque tout comme eux « l’essence de l’homme ».
De 1842 à 1845, Marx ne pense plus à « l’homme » mais aux hommes, dans leur pluralité. Et il estime qu’ils peuvent aussi bien obéir à la déraison qu’à la raison. À la différence de « l’homme », qui n’est qu’une idée abstraite et idéale, les hommes sont des entités concrètes, inscrites dans l’Histoire. Or l’Histoire résulte du conflit entre la raison et la déraison, la liberté et l’aliénation.
À partir de 1845, Marx non seulement rompt avec toute théorie sur « l’essence de l’homme » mais il estime que toutes les théories de ce type (qu’il regroupe sous le terme « humanisme ») forment une idéologie, un moyen plus ou moins conscient pour les individus qui les propagent d’entretenir une forme de domination sur d’autres individus. Il entreprend alors de fonder une théorie de l’Histoire sur autre chose que « l’homme »130.
Jacques Ellul estime que l’analyse d’Althusser est biaisée : si, comme il le prétend, Marx devient un anti-humaniste, c’est parce qu’il taxe l’humanisme d’idéalisme. Mais ce faisant, il appelle de ses vœux un humanisme matérialiste : « il rejette la philosophie humaniste du xixe siècle bourgeois. (…) Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il n’est pas un humaniste. Si « humanisme » signifie donner à l’homme une place privilégiée, dire qu’il est créateur d’Histoire et qu’il peut seul se choisir pour devenir quelque chose de nouveau, alors Marx est parfaitement humaniste »131. Ellul considère par conséquent que Marx incarne à lui seul le passage d’un certain type d’humanisme (que Marx fustige) à un autre type d’humanisme (qui se concrétisera de fait et qu’on appelle aujourd’hui « humanisme-marxiste »).
En 1859, Marx écrit : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. (…) On ne juge pas un individu sur l’idée qu’il a de lui-même. On ne juge pas une époque de révolution d’après la conscience qu’elle a d’elle-même. Cette conscience s’expliquera plutôt par les contrariétés de la vie matérielle. »132. Et il considère que les institutions politiques, les lois, la religion, la philosophie, la morale, l’art, la conscience de soi… (qu’il regroupe sous le terme « superstructures ») sont façonnés, déterminées, par les conditions de production (climat, ressources naturelles), les forces productives (outils, machines) et les rapports de production (classes sociales, domination, aliénation, salariat…), qu’il appelle « infrastructures ».
Dans L’évolution de l’Homme(1879), de Ernst Haeckel, l’homme constitue le point culminant de toute l’évolution.
L’argument selon lequel la science prend le relai de la religion imprègne toute la pensée du xixe siècle et culmine en 1859 quand le paléontologue anglais Charles Darwin publie De l’origine des espèces, ouvrage aujourd’hui considéré comme le texte fondateur de la théorie de l’évolution. Sur la base de recherches scientifiques, il avance l’idée que les espèces vivantes, végétales et animales, descendent d’autres espèces, les plus anciennes ayant disparu, et qu’il est possible d’établir une classification en vue de déterminer leurs « liens de parenté » (thèse de la sélection naturelle).
Accessible au grand public, ce livre fait l’objet de débats intenses et passionnés, qui ne prendront fin que beaucoup plus tard, suscitant notamment l’opposition de l’Église anglicane133 et du Vatican134 car il contredit la théorie religieuse en vigueur à l’époque de la création divine des espèces de manière séparées et leur immutabilité. Cette réaction des Églises leur sera préjudiciable.
En 1866, le naturaliste allemand Ernst Haeckel commence à représenter la filiation des espèces sous la forme d’arbres généalogiques : les arbres phylogénétiques. On notera que, loin de figurer l’homme comme une espèce parmi d’autres, et donc de le déprécier, il le place systématiquement en bout de chaîne, comme constituant le point le plus avancé de l’évolution de la nature. Ce type de représentation s’inscrit dans la pure tradition humaniste135.
L’homme objet, l’argent sujet
En 1867, dans Le Capital, Marxconteste la glorification de l’homme en tant que « sujet », visioninaugurée par Kant et la philosophie des Lumières. Dans le monde capitaliste, explique-t-il, l’économiefaçonne entièrement les modes de vie, la circulation de l’argent joue un rôle « capital » et le fruit du travail des hommes n’étant plus considéré que comme une vulgaire marchandise, les humains, pour se sentir reconnus, en viennent à « fétichiser toute marchandise », ils lui sont aliénés. Aux yeux de Marx, « l’essence » de l’homme et la « nature humaine » sont par conséquent des concepts philosophiques ne présentant plus aucun intérêt. Ellul résume ainsi la position de Marx : « Un nombre croissant d’individus cessent de pouvoir agir sur la société : ils cessent d’être sujets pour être transformés en objets. Et c’est l’argent, qui devrait être objet, qui devient sujet »136.
Si l’on prétend encore s’intéresser à l’homme, explique Marx, c’est vers l’étude de ses « conditions » matérielles qu’il faut désormais se tourner puis, ensuite, vers les modalités selon lesquelles on peut agir pour les abolir et ainsi se désaliéner. Ellul avance la thèse que si les marxistes n’ont jamais réussi à réaliser le projet émancipateur de Marx par la révolution, c’est parce qu’il n’ont pas compris ce que dit Marx à propos de l’argent : le problème majeur n’est pas tant de savoir qui sont ceux qui l’accumulent à leur profit puis de les renverser que l’argent lui-même : celui-ci en effet est devenu
« … le médiateur de toutes les relations. Quelle que soit la relation sociale, elle est médiatisée par l’argent. Au travers de cet intermédiaire, l’homme considère son activité et son rapport aux autres comme indépendants de lui et dépendants de cette grandeur neutre qui s’interpose entre les hommes. Il a extériorisé son activité créatrice, dit Marx, qui ajoute : L’homme n’est plus actif en tant qu’homme dans la société, il s’est perdu. Cessant d’être médiateur, il n’est plus homme dans la relation avec les autres ; il est remplacé dans cette fonction par un objet qu’il a substitué à lui-même. Mais en agissant ainsi en considérant sa propre activité comme indépendante de lui, il accepte sa servitude. (…) Dans la médiation de l’argent, il n’y a plus aucune espèce de relation d’homme à homme ; l’homme est en réalité lié à une chose inerte et les rapports humains sont alors réifiés. »
— Jacques Ellul, La pensée marxiste, La table ronde, coll. « Contretemps », 2003, p. 175.
Reprenant l’argument d’Althusseraffirmant que Marx est un antihumaniste, Ellul rétorque que ce n’est pas Marx qui est antihumaniste mais son époque, dès lors que les relations entre les humains sont totalement dépendantes de l’argent dont ils disposent. alors que cet argent ne devait rester pour eux qu’un vulgaire objet, ils en sont devenus la « chose »137.
« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? (…) La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? »
Ernest Renan souhaite en 1890 que l’humanité soit « organisée scientifiquement ».
Cette formule de Nietzsche et sa théorie du surhomme sont souvent interprétées comme l’expression de la volonté de puissance, l’orgueil prométhéen, l’hybris. Certains138 y voient également la formulation d’une crainte sourde : que la croyance en Dieu s’éteignant, la religiosité n’emprunte d’autres voies139… notamment celle de l’humanisme. Déjà, en 1846, dans Misère de la philosophie, Pierre-Joseph Proudhon voyait dans celui-ci « une religion aussi détestable que les théismes d’antique origine »140.
Nietzsche ne dit pas explicitement que l’humanisme constitue une nouvelle religion mais il avance l’idée qu’une majorité de ses contemporains font du progrès un mythe et qu’à travers celui-ci, ils croient en l’homme comme on croit (ou croyait) en Dieu (lire supra). En 1888, il écrit ces mots :
« L’humanité ne représente nullement une évolution vers le mieux, vers quelque chose de plus fort, de plus élevé au sens où on le croit aujourd’hui. Le progrès n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse. L’Européen d’aujourd’hui reste, en valeur, bien au-dessous de l’Européen de la Renaissance ; le fait de poursuivre son évolution n’a absolument pas comme conséquence nécessaire l’élévation, l’accroissement, le renforcement. »
— L’Antéchrist. Trad. Jean-Jacques Pauvert, 1967, p. 79
De fait, deux ans plus tard, dans L’avenir de la science, Ernest Renanécrit : « organiser scientifiquement l’humanité, tel est le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais légitime prétention »141. Il devient ainsi l’apôtre du scientisme, vision du monde s’inscrivant dans le sillage du rationalisme, du saint-simonisme et du positivisme, selon laquelle la science expérimentale prime sur les formes plus anciennes de référence (notamment religieuses) pour interpréter le monde142.
Pour certains critiques, l’athéismede Nietzsche a donc une conséquence que lui-même redoutait : une mystification de l’humanisme143,144. Pour d’autres, il signifie carrément la mort de l’humanisme : « en déplaçant l’homme de son statut de l’être, de son humanité vers sa nature la plus primitive, Nietzsche (…) déplace l’homme du piédestal de sa conscience pour le remettre sur pieds et sur terre, il le ramène à son corps et à sa biologie »145. S’il est permis d’analyser la pensée de Nietzsche comme une « réduction de l’humain à la biologie », celle-ci préfigure alors des thèses qui fleuriront au xxe siècle (lire infra). En tout cas, quelques années seulement après la mort de Nietzsche, un philosophe marqué par lui, Jules de Gaultier, critique vertement le scientisme : « aucune conception n’est plus contraire à l’esprit scientifique que cette croyance en un finalisme métaphysique. C’est purement et simplement un acte de foi. Le scientisme relève, sous ce jour, d’une croyance idéologique comme les diverses religions relèvent de la croyance théologique »146.
L’idéologie scientiste disparaîtra au début du xxe siècle et Jacques Ellull’expliquera en disant que « l’activité scientifique est (désormais) surclassée par l’activité technique (car) on ne conçoit plus la science sans son aboutissement technique », ses applications147. Stimulé par une quête permanente de confort, l’esprit utilitariste asservit la science à la technique et c’est cette dernière qui, à présent, est sacralisée :
« La technique est sacrée parce qu’elle est l’expression commune de la puissance de l’homme et que, sans elle, il se retrouverait pauvre, seul et nu, sans fard, cessant d’être le héros, le génie, l’archange qu’un moteur lui permet d’être à bon marché. »
Le début du siècle est ébranlé par les Guerres mondiales, les régimes totalitaires et les crises économiques. Chez les intellectuels, ces événements ruinent définitivement l’optimisme fondateur des Lumières152. Pourtant, au sein des populations, le confort domestique et les moyens de transport renforcent la « foi dans le progrès ». Au point que même les chrétiens, qui fustigeaient auparavant l’utilitarisme et le positivisme, participent de cet engouement153. Les avertissements d’un Georges Sorel, en 1908154, restent sans écho. Le progressismeest même célébré dans bon nombre de partis politiques.
Les régimes totalitaires infléchissent le débat sur l’humanisme : peut-on rester soi-même dans un mouvement de masse ? La politique est-elle une religion séculière ?…
Ici, seul contre tous, un homme refuse de faire le salut nazi en 1936.
Apparus au xviiie siècle et rigoureusement constitués à la fin du xixe, ceux-ci passionnent désormais les foules (création en France du Parti radical en 1901 et de la SFIO en 1905). En 1917, la Révolution russe, dont l’objectif proclamé est de concrétiser les analyses de Marx, va peu à peu scinder l’humanité en deux camps, le capitalisme et le socialisme, selon les principes économiques préconisés par le libéralisme ou au contraire le marxisme.
Après la Seconde guerre, Raymond Aron estime que, de par les espoirs qu’elle suscite, la politique est devenue une « religion séculière »155. Pendant plusieurs décennies, les deux blocs vont s’opposer par petites nations interposées et quand, à la fin du siècle, prend fin cette « Guerre froide » et que, partout sur la planète, le marché dicte ses lois et impose ses effets (conflits armés locaux, pauvreté, précarité…) mais que, paradoxalement, on qualifie cette période de « détente », les concepts d’illusion politique156 et de religion politique157 restent marginalement traités.
À la fin du siècle et encore aujourd’hui, le mot « humanisme » est très fréquemment prononcé dans le milieu politique mais deux facteurs concourent à sa relativisation, voire son effacement, chez les intellectuels :
les évolutions de l’électroniqueet de l’informatique sont telles qu’on les rassemble généralement sous le qualificatif de « révolution », la révolution numérique. Certains considèrent que s’ouvre une nouvelle ère. Le débat sur l’humanisme se structure alors sur les promesses du transhumanismeet les inquiétudes du post-humanisme.
Au début du siècle, à l’image des arts plastiques, qui, avec le cubisme, l’abstractionou le dadaïsme, brisent tous les codes de la représentation, les sciences humaines tendent à établir des diagnostics de plus en plus incertains et déstabilisants, tant ils bousculent les critères d’appréciation de la pensée ayant cours jusqu’à présent.
En 1900 parait L’Interprétation du rêve, un ouvrage rédigé par un médecin autrichien, Sigmund Freud. À peine remarqué sur le coup, ce livre va marquer la fondation d’une nouvelle discipline, la psychanalyse. À l’opposé d’un Descartes, qui postulait qu’il n’y a pas de connaissance possible sans une solide conscience de soi, puis d’un Kant, qui surenchérissait en faisant primer le sujet sur l’objet, Freud affirme que le moi ne peut en aucune manière être considéré comme une instance totalement libre : il est au contraire pris en étau, « complexé », entre le « ça » (constitué de toutes sortes de pulsions, essentiellement d’ordre sexuel) et le « surmoi » (ensemble de règles morales édictées par la société). Freud précise que, dès lors que les humains se préoccupent avant tout de répondre aux attentes sociales, ils refoulent leurs pulsions dans l’inconscient, rendant celles-ci toujours plus pressantes. Continuellement en proie au conflit, ils en deviennent chroniquement malades, névrosés. Vu sous cet angle, « l’homme » perd l’autorité naturelle dont l’humanisme de la Renaissance puis celui des Lumières l’avaient d’office auréolé. Bien que contestée par quelques confrères de Freud, cette thèse fera un temps autorité.
En 1917, analysant le processus de recul des croyances religieuses au profit des explications scientifiques, le sociologue allemand Max Weberutilise une expression qui sera ensuite fréquemment commentée : « le désenchantement du monde ». Par cette formule, Weber signifie une rupture traumatisante avec un passé considéré comme harmonieux, une perte de sens et un déclin des valeurs, du fait que le processus de rationalisation dicté par l’économie tend de plus en plus à imposer ses exigences aux humains161.
Dans les pays anglo-saxons, ces positions sont qualifiées d’anti-humanisme(en), car déterministes, accordant aux individus une marge de liberté moindre. L’Allemand Walther Rathenau déplore que le perfectionnement exponentiel des machines et des outils ne s’accompagne pas d’un progrès spirituel162 et le Français Paul Valéry, commentant le bilan meurtrier de la Première Guerre mondiale et décrivant la science comme « atteinte mortellement dans ses ambitions morales » et « déshonorée par la cruauté de ses applications » évoque une « crise de l’esprit »163.
La question du machinisme
Durant les années 1920 et 1930, un grand nombre d’intellectuelsadoptent des positions critiques sur l’emprise des machines sur les humains, notamment dans le monde du travail164.
En 1921, Romain Rolland publie La révolte des machines ou La pensée déchaînée, le scénario d’un film de fiction s’inspirant du mythe de Prométhée165. Et recevant le Prix Nobel de littérature en 1927, Henri Bergson prononce ces mots : « On avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien »166. La même année, Henri Daniel-Rops estime que « le résultat du machinisme est de faire disparaître tout ce qui, en l’homme, indique l’originalité, constitue la marque de l’individu »167. En 1930, dans La Rançon du machinisme, Gina Lombroso voit dans l’industrialisation un symptôme de décadence intellectuelle et morale168. L’année suivante, Oswald Spengler écrit : « La mécanisation du monde est entrée dans une phase d’hyper tension périlleuse à l’extrême. […] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l’empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine »169. Et dans De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale, Nicolas Berdiaev écrit : « si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. (…) La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine »170,171. Et deux ans plus tard, dans L’homme et la machine, il estime que « l’apparition de la machine et le rôle croissant de la technique représentent la plus grande révolution, voire la plus terrible de toute l’histoire humaine ».
En 1932, dans son récit d’anticipationLe meilleur des mondes, Aldous Huxley décrit un univers conditionné par les sciences génétiques. L’année suivante, Georges Duhamel écrit : « La machine manifeste et suppose non pas un accroissement presque illimité de la puissance humaine, mais bien plutôt une délégation ou un transfert de puissance. (…) Je ne vois pas, dans le machinisme, une cause, pour l’homme, de décadence, mais plutôt une chance de démission. (…) Nous demandons à nos machines de nous soulager non seulement des travaux physiques pénibles, mais encore d’un certain nombre de besognes intellectuelles. (…) Notre goût de la perfection, l’une de nos vertus éminentes, nous le reportons sur la machine »172. En 1934, dans Technique et civilisation, Lewis Mumford s’interroge : « En avançant trop vite et trop imprudemment dans le domaine des perfectionnements mécaniques, nous n’avons pas réussi à assimiler la machine et à l’adapter aux capacités et aux besoins humains »173. La même année, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Simone Weildécrit le progrès technique comme n’apportant nullement le bien-être mais la misère physique et morale : « Le travail ne s’accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu’on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort »174. En 1936, dans une scène célèbre de son film Les Temps modernes, montrant un ouvrier pris dans les engrenages d’une gigantesque machine, Charles Chaplin soulève la question de l’aliénation dans le travail mécanisé.
En 1919 et 1920, à la suite du traumatisme causé par la défaite de la Première Guerre mondiale et dans un contexte marqué par le développement du machinisme, l’historien et philologue allemand Werner Jaeger publie deux articles intitulés respectivement Der humanismus als Tradition und Erlebnis (« L’humanisme en tant que tradition et expérience ») et Humanismus und Jugendbildung(« Humanisme et formation de la jeunesse »). Ils conduisent, en 1921, le philosophe Eduard Spranger(de) à appeler de ses vœux un « troisième humanisme », dans la continuité d’un « premier humanisme », auquel il associe Érasme, et d’un « néo-humanisme » (Neuhumanismus) qui fait référence à Goethe et son cercle.
L’expression « troisième humanisme » apparaît chez Jaeger lui-même en 1934, un an après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et deux ans avant qu’il n’émigre aux États-Unis pour fuir le nazisme. Ce concept « participe de l’idée d’un affaiblissement des « valeurs » traditionnelles, accablées par les maux d’une modernité aussi délétère que mal définie. Il se présente (…) comme une tentative de régénération (et) se traduit par l’abandon des certitudes positivisteset historicistes de la fin du xixe siècle. Il se veut une réponse au besoin de « réorientation » dont l’érudition de l’époque weimariennese fait l’écho. Il s’inscrit d’autre part dans la tradition de retour aux Grecs qui, depuis la Goethezeit, n’a cessé d’alimenter la vie intellectuelle allemande175. (…) Les recherches de Jaeger sont en effet guidées par une intuition : celle que l’homme grec fut toujours un homme politique, que l’éducation et la culture, en Grèce ancienne, furent inséparables de l’ordre communautaire de la polis. Aussi le nouvel humanisme ne peut-il être (…) qu’un humanisme politique, tourné vers l’action et ancré dans la vie de la cité »176.
Aux États-Unis, Jaeger poursuivra ses efforts pour promouvoir l’humanisme sur la base des valeurs de l’Antiquité grecque177 mais sans grand succès.
À peine revenus des camps de la mort, auxquels ils ont survécu, l’Italien Primo Leviet le Français Robert Antelme décrivent les souffrances qu’ils y ont enduré et les scènes d’horreur extrême dont ils ont été les témoins178. Des années plus tard, ils seront suivis par le Russe Alexandre Soljenitsyne, survivant des goulags soviétiques179.
Analysant en 2001 ces génocides et celui, plus récent, du Rwanda, l’essayiste Jean-Claude Guillebauds’interroge sur le sentiment d’impuissance qu’ils suscitent au sein des institutions internationales, sur la façon selon lui superficielle dont les médias en rendent compte ainsi que sur la légèreté avec laquelle, dans ce contexte, on ose encore parler d’humanisme :
« On pourrait s’indigner de l’incroyable légèreté du discours médiatique lorsqu’il évoque ce qu’on pourrait appeler « la nouvelle question humaniste ». Dans le babillage de l’époque, l’humanisme est parfois puérilement désigné comme une revendication gentille, désuète, attendrissante, moralisatrice, etc. La référence à l’homme est ingénument ravalée au rang d’un moralisme doux, d’une sorte de scoutisme que la technoscience n’admet plus qu’avec une indulgence agacée. Humanisme et universalisme sont perçus, au fond, comme les survivances respectables mais obsolètes d’un monde ancien180. »
En 1987, le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe trouve cependant à dire que « le nazisme est un humanisme, en tant qu’il repose sur une détermination de l’humanitas à ses yeux plus puissante, c’est-à-dire plus effective, que toute autre. (…) Qu’il manque à ce sujet l’universalité, qui définit apparemment l’humanitas de l’humanisme au sens reçu, ne fait pas pour autant du nazisme un anti-humanisme »25.
Tout aussi virulent à l’encontre de ce qu’on appelle l’« humanisme » mais toutefois plus nuancé en ce qui concerne les accointances de celui-ci avec les systèmes totalitaires, Claude Lévi-Strauss tient ces propos en 1979 :
« Ce contre quoi je me suis insurgé, et dont je ressens profondément la nocivité, c’est cette espèce d’humanisme dévergondé issu, d’une part, de la tradition judéo-chrétienne, et, d’autre part, plus près de nous, de la Renaissance et du cartésianisme, qui fait de l’homme un maître, un seigneur absolu de la création. J’ai le sentiment que toutes les tragédies que nous avons vécues, d’abord avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin les camps d’extermination, cela s’inscrit non en opposition ou en contradiction avec le prétendu humanisme sous la forme où nous le pratiquons depuis des siècles, mais dirais-je, presque dans son prolongement naturel, puisque c’est en quelque sorte d’une seule et même foulée que l’homme a commencé par tracer la frontière de ses droits entre lui-même et les autres espèces vivantes et s’est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l’espèce humaine, ses parents, certaines catégories reconnues seules véritablement humaines, d’autres catégories qui subissent alors une dégradation conçue sur le même modèle qui servait à discriminer entre espèces vivantes humaines et non humaines, véritable pêché originel qui pousse l’humanité à l’autodestruction181. »
Floraison d’humanismes
Tout au long du siècle, des penseurs d’opinions très différentes, voire divergentes, se réclament de l’humanisme182. Cette prolifération contribuant à rendre le concept d’humanisme de plus en plus flou, elle fait l’objet de multiples débats183, notamment lorsque « humanisme » et « politique » sont mis en corrélation. Ainsi, en 1947 Jacques Ellul écrit :
« Sitôt que l’on parle d’humanisme, on est en plein dans le domaine des malentendus. On pense à un certain sentimentalisme, à un certain respect de la personne humaine, qui n’est qu’une faiblesse et un luxe bourgeois et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’un écrivain communiste (…) avait en partie raison quand il écrivait : « la dignité humaine, les droits de l’homme, le respect de la personne, etc, on en a les oreilles rebattues ». Cette réaction est dure, mais je crois qu’elle est légitime en face de tout ce que l’on a appelé « humanisme ». Et, en particulier, l’un des malentendus qu’il faudrait dissiper, c’est (l’idée) que la démocratie serait humaniste et respecterait l’homme et (que) la dictature serait anti-humaniste et mépriserait l’homme. Tout notre temps est absolument subjugué par cette erreur, par cette antinomie au sujet de l’homme, entre démocratie et dictature184. »
L’humanisme chrétien
L’expression « humanisme chrétien » date des années 1930185. Par la suite, certains y voient un phénomène né avec les premiers « intellectuels » chrétiens (Saint Justin, Origène, Clément d’Alexandrie…)186. De façon générale, l’expression est utilisée pour différencier les intellectuels chrétiens du xxe siècle de ceux qui se revendiquent athées.
Il faut rappeler que l’humanisme de la Renaissance a été porté par des penseurs qui étaient « chrétiens » non pas forcément par conversion mais parce que cela allait à l’époque de soi : au sortir du Moyen Âge, il était inconcevable de s’éloigner de la doxa de l’Église sous peine d’être frappé d’hérésie. Et c’est parce qu’au fil du temps les intellectuels se sont affranchis de la tutelle morale de l’Église au point d’adopter des postures ouvertement agnostiques, voire – après Nietzsche – athées, que certains d’entre eux, invoquant leur foi chrétienne, réagissent en manifestant leur volonté d’insuffler une éthique qui sera en définitive qualifiée d’humanisme chrétien.
En France, c’est le cas notamment de Charles Péguy187, Léon Bloy, Georges Bernanos et Emmanuel Mounier ainsi que Jacques Maritain, le seul d’entre eux à prôner, en 1936, un humanisme d’un nouveau type qu’il qualifie d’intégral188, qu’il place sous le signe de la transcendance et de la « dignité transcendante de l’homme » et qu’il oppose à « un humanisme anthropocentrique refermé sur lui-même et excluant Dieu »38. Un certain nombre d’écrivains sont souvent rangés dans la catégorie « humanisme chrétien », dont principalement Julien Green38.
A la fin du siècle, le pape Jean-Paul II se positionne sur la question de l’humanisme en développant une critique de l’utilitarisme et du productivisme : « L’utilitarisme est une civilisation de la production et de la jouissance, une civilisation des “choses” et non des “personnes”, une civilisation dans laquelle les personnes sont utilisées comme des choses »191.
L’humanisme athée
On regroupe généralement sous l’étiquette « humanisme athée » les penseurs qui, dans le sillage de Marx, Nietzsche et Freud(surnommés maîtres du soupçonpar Paul Ricœur) contestent catégoriquement non seulement la religion mais la foi en Dieu.
Théologien catholique, Henri de Lubac déplore en 1944 ce qu’il appelle « le drame de l’humanisme athée », dont il situe les origines au xixe siècle, dans les prises de positions de Feuerbach, Saint-Simon et Comte192. Bien qu’occupant une place majeure dans le clergé (il est cardinal), de Lubac ne taxe pas ceux-ci d’anti-humanistes et ne porte pas sur eux un jugement normatif. Il ne peut d’ailleurs les condamner car l’Église n’exerce plus sur les consciences l’autorité dont elle disposait jusqu’alors. Il considère en revanche l’athéisme comme un fait social, une donnée objective avec laquelle les chrétiens (et pas seulement le clergé) doivent désormais composer. Il prend au sérieux les revendications des athées au libre arbitre et trouve digne et courageuse la position de Dostoïevski quand il pose la question : « mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? »193. Cette position traduit selon lui l’angoisse et le doute que le Christ lui-même a exprimé peu avant de mourir : « Mon dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » (Mc 15,34 et Mt 27,46).
En France, Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont eux aussi considérés fréquemment comme des humanistes athées197. Certains, toutefois, font remarquer que si l’athée est « celui pour qui la question de Dieu ne se pose pas », cet adjectif ne s’applique pas à Camus : non seulement celui-ci n’est pas « indifférent à la question de Dieu » mais il s’efforce de se confronter à elle. Il est donc préférable de qualifier Camus d’agnostique198.
Dans le sillage de l’idéologie scientiste du xixe siècle, quelques intellectuels européens, aussi bien chez les athées que chez les chrétiens, s’efforcent dans les années 1950 de promouvoir un humanisme qui serait basé sur les avancées de la science, notamment les théories de l’évolution, mais formulé dans une rhétorique religieuse assumée. C’est le cas principalement du français Teilhard de Chardin et de l’anglais Julian Huxley, le second traduisant les ouvrages du premier en anglais.
Dans Le Phénomène humain, paru juste après sa mort en 1955 et qu’il qualifie lui-même d’« introduction à une explication du monde », Teilhard établit une relation entre ses recherches en paléontologie et ses positions en tant que théologien. Selon lui, l’univers est en constante évolution vers des degrés toujours plus hauts de complexité et de conscience. Et il appelle « point Oméga » l’aboutissement de cette évolution. Relatant en 1956 l’approche de Teilhard (mais aussi celles d’Huxley et du zoologiste Albert Vandel), l’essayiste André Niel parle d’« humanisme cosmologique »199.
En 1957, Huxley, qui a fondé cinq ans plus tôt l’Union internationale humaniste et éthique et qui est biologiste, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme »200, cette fois pour lui donner le sens qu’on lui donne aujourd’hui : pour promouvoir l’idée que les humains sont désormais capables de dépasser leur condition grâce à la science et aux moyens techniques. Tel Auguste Comte qui voulait ériger le positivisme en église (lire infra), et bien que se réclamant rationalistecomme lui, Huxley souhaiterait que l’humanisme devienne une religion, une « religion de l’homme »201,202,14.
En 1963, Bernard Charbonneauqualifie Teilhard et Huxley de « prophètes d’un âge totalitaire »203.
Quand sont écrasés les trois grands régimes fascistes mondiaux (en Allemagne, en Italie et au Japon), s’ouvre une vaste lutte d’influence (dite Guerre froide) entre les deux grands « blocs », l’URSS et les États-Unis. Les révélations au sujet des massacres en URSS posent la question : humanisme et marxisme sont-ils compatibles ? En France, Maurice Merleau-Ponty ouvre le débat en 1947 avec Humanisme et terreur207, une compilation d’articles parus l’année précédente dans la revue Les Temps Modernes et qui, bien que remettant en cause les allégations de Koestler208, ont alors suscité de violentes polémiques dans les milieux intellectuels, notamment cette phrase : « Il n’y a que des violences, et la violence révolutionnaire doit être préférée parce qu’elle a un avenir d’humanisme […] Nous n’avons pas le choix entre la pureté et la violence, mais entre différentes sortes de violences »209. Cinq ans plus tard, le philosophe rompt finalement avec le marxisme et avec Sartre210, selon qui « le marxisme est l’horizon indépassable de notre temps »211.
Quelques intellectuels communistes défendent le concept d’humanisme-marxiste en évitant de remettre en cause la doctrine marxiste. C’est le cas notamment, en 1957, de Roger Garaudy212, membre actif du PCF, qui, après avoir été ouvertement stalinien, s’ouvre aux théories d’Antonio Gramsci (auxquelles s’oppose alors Althusser) et « qui promeut un matérialisme dans lequel l’homme, en étant ouvert au dialogue avec d’autres visions du monde, notamment chrétiennes, peut se créer lui-même »213.
C’est également le cas, en 1958, de la trostkyste américaine Raya Dunayevskaya214, qui combat le stalinisme sans mettre en cause le léninisme215, et celui, en 1968, d’Adam Schaff, qui représente la fraction la plus conservatrice du communisme polonais et se réclame lui aussi de l’humanisme205,216.
En 2018, le sociologue et philosophe marxiste Michael Löwyvoit en Ernest Mandel (1923-1995) un « humaniste révolutionnaire », au motif qu’il considérait que « le capitalisme est inhumain » et que « l’avenir de l’humanité dépend directement de la lutte de classe des opprimés et des exploités »217.
La psychologie humaniste
L’idéal humaniste gagne également certains secteurs des sciences humaines, notamment la psychologie aux États-Unis. En 1943, l’Américain Abraham Maslowpublie son premier ouvrage218. Son impact est tel que son auteur est considéré dans son pays comme l’initiateur d’un nouveau courant, la psychologie humaniste. Sa théorie de la motivation et du besoin (connue sous le nom de pyramide des besoins de Maslow) postule que le comportement des hommes est régi par la satisfaction de différents besoins : viennent d’abord les besoins physiologiques élémentaires, puis les besoins de sécurité ; ensuite le besoin d’être aimé des autres puis celui d’être reconnu par eux. Chaque besoin assouvi conduit les humains à aspirer à la satisfaction d’un besoin supérieur. Au sommet de la pyramide vient le besoin d’accomplissement de soi.
La psychologie humaniste introduit le postulat de l’autodétermination et s’appuie sur l’expérience consciente du patient : il s’agit de développer chez lui la capacité de faire des choix personnels (volontarisme). Selon les théoriciens de cette approche (outre Maslow, citons Carl Rogers), l’être humain est fondamentalement bon : s’il suit sa propre expérience et se débarrasse des conditionnements qui limitent sa liberté, il évoluera toujours positivement.
À la suite des tragédies de la Seconde Guerre, le courant de la psychologie humaniste est considéré comme exagérément optimiste en Europe. Introduit en France dans les années 1970 par Anne Ancelin Schützenberger219, il reste relativement peu répandu.
Dans leur Dialectique de la Raison, publiée en 1947 (mais seulement traduite en France en 1974222), Theodor W. Adorno et Max Horkheimer se demandent comment il est possible que la raison ait été défaillante au point de ne pas pouvoir anticiper la barbarie puis empêcher qu’elle perdure. Selon eux, une forme d’abêtissement général est à l’œuvre du fait que le monde occidental est structuré par l’industrie culturelle, la publicité et le marketing, qui constituent une forme difficilement perceptible de propagande du capitalisme. Tout cela, donc, non seulement ne provoque pas l’émancipation des individus mais au contraire les assujettit à un fort désir de consommer et génère une uniformisation des modes de vie, un nivellement des consciences. À force de matraquage médiatique, le capitalisme impose dans les consciences une conception du monde qui contribue, disent les philosophes marxistes, à imposer de facto un « anti-humanisme » : toute tentative pour penser et instituer une nouvelle forme d’humanisme s’annonce donc a priori ardue.
Certains critiques estiment toutefois que, contrairement à ce que peut induire a priori le discours d’Adorno, il faut voir en celui-ci un humaniste. Car s’il se livre à une critique radicale de la « vie fausse », cette critique permet en définitive d’envisager en creux la conception d’une « vie juste »223.
En marge du débat sur les effets du progrès techniquesur les humains, mais alors qu’aux lendemains de la tragédie de la Guerre bon nombre d’intellectuels se demandent si le terme « humanisme » a encore un sens, Sartre jette en 1944, dans L’Être et le Néant224, les bases de sa doctrine : l’existentialisme.
Aux marxistes, qui n’y voient qu’une « philosophe de l’impuissance », bourgeoise, contemplative et individualiste, il répond deux ans plus tard, lors d’une conférence à la Sorbonne. Selon lui, malgré le poids des déterminations économiques et sociales identifiées par Marx, mais dès lors qu’il est capable de les identifier, l’homme peut se réaliser, s’épanouir : l’existentialisme est d’autant plus un humanisme que l’homme est athée et que, unique créateur de ses valeurs, il assume courageusement sa solitude et ses responsabilités225. Il existe(matériellement) avant d’être (c’est-à-dire avant de décider d’être ceci ou cela) : « l’existence précède l’essence ».
En 1947, soit un an après la conférence de Sartre, Heidegger est à son tour interrogé : le mot « humanisme » est-il encore approprié ? Dans la Lettre sur l’humanisme, un texte assez court mais dense, le philosophe définit l’humanisme comme « le souci de veiller pensivement à ce que l’homme soit humain et non inhumain, privé de son humanité »226 et il estime que donner du sens à ce mot revient à questionner « l’essence de l’homme » en écartant la définition traditionnelle de « l’homme animal raisonnable ». Considérant que seul un homme est capable d’élaborer une pensée abstraite et que cette capacité tient au caractère subtil, complexe, de son langage, il pense toutefois que les humains auraient tort de se revendiquer « humanistes » de façon inconsidérée, dès lors que, de plus en plus dominés par la technique, ils tendent à devenir étrangers à eux-mêmes. Il conclut qu’on ne peut prendre position sur l’humanisme qu’en s’attelant à cette question.
Heidegger est généralement considéré comme un « anti-humaniste ». L’essayiste Jean-Claude Guillebaud estime que les choses sont plus complexes :
« Pour Heidegger, le désenchantement du monde, son asservissement par la technique, l’assujettissement de l’humanitas à la rationalité marchande ne sont pas des atteintes portées à l’humanisme, mais l’aboutissement de l’humanisme lui-même. C’est-à-dire du projet d’artificialisationcomplète de la nature par la culture humaine, d’un arraisonnement du naturel par le culturel, d’une volonté de maîtrise absolue du réel par la rationalité humaine. (…) Pour Heidegger, la science, la technique, la technoscience, ne constituent en rien un naufrage de l’humanisme traditionnel, mais tout au contraire son étrange triomphe227. »
Guillebaud cite alors le philosophe et juriste Bernard Edelman : « Par là même, l’humanisme révèle sa véritable nature : une alliance coupable de la philosophie et de la science, qui a réduit la philosophie à une pensée technique »228. Puis il poursuit son argumentation :
« L’humanisme n’aurait eu d’autre fin que d’asservir la nature à la rationalité et celle-ci à la technique. Toute l’œuvre de Heidegger peut s’interpréter comme une critique en règle de cet humanisme dévoué à la « facticité », tournant dramatiquement le dos à la nature, désenchantant le monde et finissant par priver peu à peu l’être humain de tout principe d’humanité, de toute humanitas229. »
« L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. »
En marge de ces événements, quelques intellectuels ouvrent un nouveau volet de la réflexion sur l’humain : la technocritique. Certains d’entre eux continuent de questionner le machinisme (c’est le cas notamment du sociologue Georges Friedmann232 et de l’écrivain Georges Bernanos233) mais la plupart tentent d’analyser la rationalité qui sous-tend non seulement la fabrication des machines mais aussi l’organisation du travail et la vie quotidienne. Ils ne parlent plus alors des techniques mais de latechnique, comme on parle de la science.
En 1946, dans La perfection de la technique, Friedrich Georg Jüngerconsidère que ce qu’on appelle « le progrès technique » correspond à un déficit spirituel, que la raison cherche à dissimuler234. En 1948, dans La mécanisation au pouvoir, Siegfried Giedion écrit : « Les relations entre l’homme et son environnement sont en perpétuel changement, d’une génération à l’autre, d’une année à l’autre, d’un instant à l’autre. Notre époque réclame un type d’homme capable de faire renaître l’harmonie entre le monde intérieur et la réalité extérieure »235.
« En dépit de toutes les perversions qu’a pu couvrir le discours humaniste, c’est à un humanisme concretqu’Orwell nous demande de nous tenir, même s’il faut sans cesse le reformuler à cause de ses compromissions historiques. S’il y a un espoir, il n’est pas dans telle catégorie sociale ou idéalisée, dans tel groupe humain sacralisé, encore moins dans tel individu charismatique. S’il y a un espoir, il ne peut être qu’en l’homme et en tout homme, à commencer par soi-même, et par ceux que l’on côtoie ici et maintenant. Parce que la menace antihumaniste est présente au cœur de l’être humain, c’est au cœur de chaque homme que se joue la lutte pour l’humanité. Personne n’a le droit de se reposer sur l’idée qu’il y aura toujours des êtres d’exception, des héros, des « hommes dignes de ce nom » chargés à sa place de perpétuer la dignité de l’espèce237. »
En 1950, le mathématicien américain Norbert Wiener, souvent présenté comme un humaniste238, publie un livre intitulé The Human Use of Human Beings (« l’usage humain des êtres humains ») dans lequel il envisage la « machine à décision »239.
En 1952, dans La Technique ou l’enjeu du siècle, Jacques Ellulpartage en grande partie ce pessimisme car il estime qu’en l’état des choses, la technique est devenue un processus autonome, qui se développe par lui-même, sans véritable contrôle d’ensemble de la part des humains (au sens du dicton populaire « on n’arrête pas le progrès »). Pour enrayer ce processus, explique-t-il, il faudrait d’abord que les humains soient à même de différencier « la technique » de « la machine » (la seconde n’étant à ses yeux qu’un aspect superficiel de la première).
Ellul insiste sur le fait que « le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps, de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace ». Et il ajoute que, s’ils tiennent à conserver un minimum de liberté, c’est à la prise de conscience de cette addiction à l’impératif d’efficacité que les humains doivent s’atteler240.
En 1956, dans L’Obsolescence de l’homme (qui ne sera traduit en France qu’en 2002242), Günther Anders qualifie de « décalage prométhéen » l’écart entre les réalisations techniques de l’homme et ses capacités morales puis de « honte prométhéenne » le sentiment de répulsion qu’il éprouve lorsqu’il est contraint de prendre conscience de cet écart243.
Les trois temps de l’humanisme
En 1956, dans un document produit pour l’Unesco et resté longtemps inédit244,245, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss identifie trois phases de l’humanisme : l’humanisme aristocratique (qui correspond à l’époque de la Renaissance, au cours de laquelle on a redécouvert les textes de l’Antiquité classique), l’humanisme exotique (correspondant au xixe siècle, quand l’Occident s’est ouvert aux civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient) et l’humanisme démocratique, plus récent, grâce à l’apport de l’ethnologie, qui « fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. » Lévi-Strauss précise :
« L’ethnologie et l’histoire nous mettent en présence d’une évolution du même type. (…). L’histoire, comme l’ethnologie, étudie des sociétés qui sont autres que celle où nous vivons. Elles cherchent toutes deux à élargir une expérience particulière aux dimensions d’une expérience générale, ou plus générale, qui devient ainsi accessible à des hommes d’un autre pays ou d’un autre temps. Comme l’histoire, l’ethnologie s’inscrit donc dans la tradition humaniste. (…) L’ethnologie fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. (…) Elle opère simultanément en surface et en profondeur. »
En 1958, le philosophe Gilbert Simondon traite à son tour de la question technique246 mais plaide en faveur d’un nouvel humanisme qui, comme celui des Lumières, serait construit sur l’esprit encyclopédique mais qui, en revanche, « ne régresserait pas au statut d’idéologie européo-centriste et scientiste, (ladite idéologie) ayant pour nom « universalisme de la raison humaine » »247.
Selon Jean-Hugues Barthélémy, exégète de la pensée de Simondon, l’encyclopédisme tel que celui-ci l’envisage « n’a pas vocation à être un système du savoir absolu et définitif », comme cela a été le cas à partir des Lumières, il doit au contraire être « automodifiable ». Simondon appelle de ses vœux un « humanisme difficile », en opposition à l’« humanisme facile » (idéologique et figé) hérité des Lumières248 : « l’humanisme ne peut jamais être une doctrine ni même une attitude qui pourrait se définir une fois pour toutes ; chaque époque doit découvrir son humanisme, en l’orientant vers le danger principal d’aliénation »249.
« Stimulante et originale à plus d’un titre, elle repose néanmoins sur un postulat critiquable : une adhésion de principe à la logique technoscientifique. Pour lui, indiscutablement, la technique est « bonne » en soi puisqu’elle n’est jamais qu’une cristallisation de la pensée humaine. Elle est d’ailleurs, par essence, universaliste et libératrice. C’est elle qui fait éclater les particularismes, les préjugés ou les intolérances du passé. C’est elle qui remet en question les symbolisations normatives d’autrefois et libère l’homme contemporain des anciennes sujétions ou assignations collectives. (…) La démarche est à l’opposé de celle d’Ellul. Là où Ellul prône la résistance critique, Simondon propose au bout du compte le ralliement et même le syncrétisme. Là où Ellul se méfie du « processus sans sujet » incarné par la technoscience, Simondon fait l’éloge de l’universalismetechnoscientifique. Il l’oppose même à l’archaïsme et au particularisme de la culture traditionnelle. Là où Ellul campe sur un principe de transcendance, Simondon sacrifie à un relativisme intégral. Il assigne ipso facto à la philosophie un devoir d’adaptation, plus raisonnable à ses yeux que toute démarche critique ou toute résistance cambrée250. »
Guillebaud avance que l’« humanisme difficile » de Simondon prépare le terrain du transhumanisme (lire infra).
En 1964, dans L’Homme unidimensionnel, le philosophe allemand Herbert Marcuse décrit une humanité entièrement façonnée par les médias ainsi que les techniques de publicité et de marketing, qui créent de faux besoins. Et selon le Canadien Marshall McLuhan, les médias – par leur nature même – façonnent les individus bien plus que les messages qu’ils véhiculent : ils entretiennent l’illusion d’une prise directe avec le réel. En 1966, dans Sept études sur l’homme et la technique, Georges Friedmannestime que la technique tend à devenir un milieu environnant, en lieu et place du milieu naturel, sans même que les humains ne s’en émeuvent251. De même en 1967, dans La Société du spectacle, Guy Debord décrit les humains sous l’emprise des marchandises mais inconscients de cette aliénation. Et les débats de société lui paraissent extrêmement superficiels, glissant sur les événements sans jamais en saisir le sens profond : le monde n’est plus pour lui qu’un « spectacle »252.
« Si la poursuite du développement demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d’amour, d’amitié, de prière et de contemplation. Ainsi pourra s’accomplir en plénitude le vrai développement, qui est le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines à des conditions plus humaines.253. »
Et en 1968, le psychanalystegermano-américain Erich Frommestime lui aussi qu’il est souhaitable et possible d’humaniser la technique254.
En 1969 et 1973, le Français Alain Touraineet l’Américain Daniel Bell introduisent l’idée que les humains évoluent dans une « société post-industrielle » : les éléments matériels (matières premières et machines) qui caractérisaient la société industriellesont désormais subordonnés à un grand nombre d’éléments immatériels (connaissance et information)255. Entretemps, dans La Société de consommation, Jean Baudrillard estime que les relations sociales sont à présent totalement structurées par la consommation.
En 1977, dans Le système technicien, Jacques Ellul avance la thèse que la technique forme désormais un système englobant. Lentement mais sûrement, les humains sont tenus de s’y conformer :
« Toute la formation intellectuelle prépare à entrer de façon positive et efficace dans le monde technicien. Celui-ci est tellement devenu un milieu que c’est à ce milieu que l’on adapte la culture, les méthodes, les connaissances des jeunes. L’humanisme est dépassé au profit de la formation scientifique et technique parce que le milieu dans lequel l’écolier plongera n’est pas d’abord un milieu humain mais un milieu technicien. (…) Lorsqu’on recherche un humanisme pour la société technicienne, c’est toujours sur la base que l’homme en question est avant tout fait pour la technique, le seul grand problème est celui de l’adaptation256. »
En 1988, dans Le bluff technologique, Ellul emprunte à Sartre et Jacquard l’expression « inventer l’homme »257. Mais, faisant référence à la montée de l’anthropotechnie, et comme Jacquard, c’est pour montrer aussitôt le caractère désespéré de cette formule258. Et devant l’émergence de ce que l’on appellera bientôt la « révolution numérique », il lâche ses mots : « le système technicien, exalté par la puissance informatique, a échappé définitivement à la volonté directionnelle de l’homme »259.
« La mort de l’homme »
En 1966, deux intellectuels français émettent des critiques radicales à l’encontre du concept d’humanisme, mais selon des points de vue très différents.
Guy Debordestime que, complètement immergés dans la société de consommation et l’univers des mass media, les humains sont façonnés par eux, « aliénés », au point de devenir des « barbares » :
« Le barbare n’est plus au bout de la Terre, il est là, constitué en barbare précisément par sa participation obligée à la même consommation hiérarchisée. L’humanisme qui couvre cela est le contraire de l’homme, la négation de son activité et de son désir ; c’est l’humanisme de la marchandise, la bienveillance de la marchandise pour l’homme qu’elle parasite. Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets, les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et les manifestations humaines réelles se changent en inconscience animale260. »
Debord développera cette idée l’année suivante dans son livre La société du Spectacle. Le terme « spectacle » ne signifiant pas « un ensemble d’images mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »261.
Michel Foucault, se référant au concept nietzschéen de « la mort de Dieu », annonce « la mort de l’homme », en tant qu’objet d’étude262 :
« Plus que la mort de Dieu (ou plutôt « dans le sillage de cette mort », selon une corrélation profonde avec elle, ce qu’annonce la pensée de Nietzsche), c’est la fin de son meurtrier ; (…) c’est l’identité du Retour du Même et de l’absolue dispersion de l’homme. (…) L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine263. »
Et considérant que toutes les positions morales et culturelles se valent, sont « relatives », il tourne le terme « humanisme » en dérision :
« On croit que l’humanisme est une notion très ancienne qui remonte à Montaigne et bien au-delà. (…) on s’imagine volontiers que l’humanisme a toujours été la grande constante de la culture occidentale. Ainsi, ce qui distinguerait cette culture des autres, des cultures orientales ou islamiques par exemple, ce serait l’humanisme. On s’émeut quand on reconnaît des traces de cet humanisme ailleurs, chez un auteur chinois ou arabe, et on a l’impression alors de communiquer avec l’universalité du genre humain.
Or non seulement l’humanisme n’existe pas dans les autres cultures, mais il est probablement dans la nôtre de l’ordre du mirage.
Dans l’enseignement secondaire, on apprend que le xvie siècle a été l’âge de l’humanisme, que le classicisme a développé les grands thèmes de la nature humaine, que le xviiie siècle a créé les sciences positives et que nous en sommes arrivés enfin à connaître l’homme de façon positive, scientifique et rationnelle avec la biologie, la psychologie et la sociologie. Nous imaginons à la fois que l’humanisme a été la grande force qui animait notre développement historique et qu’il est finalement la récompense de ce développement, bref, qu’il en est le principe et la fin. Ce qui nous émerveille dans notre culture actuelle, c’est qu’elle puisse avoir le souci de l’humain. Et si l’on parle de la barbarie contemporaine, c’est dans la mesure où les machines, ou certaines institutions nous apparaissent comme non humaines.
Tout cela est de l’ordre de l’illusion. Premièrement, le mouvement humaniste date de la fin du xixe siècle. Deuxièmement, quand on regarde d’un peu plus près les cultures des xvie, xviie et xviiie siècles, on s’aperçoit que l’homme n’y tient littéralement aucune place. La culture est alors occupée par Dieu, par le monde, par la ressemblance des choses, par les lois de l’espace, certainement aussi par le corps, par les passions, par l’imagination. Mais l’homme lui-même en est tout à fait absent264. »
L’humanisme contre l’homme
Un an après les positions de Debord et Foucault, Ellul se livre à une critique plus radicale encore :
« Comment nier que l’humanisme a toujours été la grande pensée bourgeoise ? Voyez comme il s’est répandu partout. (…) Maintenant, il est un rassurant thème de devoirs d’école primaire et tout le monde en veut : il s’agit de prouver que le marxisme est un humanisme, que Teilhard est humaniste, que le christianisme est un humanisme, etc. Mais il est toujours le même. Il a toujours été ce mélange de pseudo-connaissance de l’homme au travers desdites humanités, de sentimentalité pleurnicharde sur la grandeur de l’homme, son passé, son avenir, ses pompes et ses œuvres, et sa projection dans l’absolu de l’Homme, titularisé. L’humanisme n’est rien de plus qu’une théorie sur l’homme.
Depuis longtemps, on a dénoncé le fait que, grâce à cette théorie, grâce à cette exaltation, on pouvait éviter de considérer la réalité, le concret, la situation vécue de l’homme. (…) L’humanisme est la plus grande parade contre la réalité. Il s’est présenté comme doctrine pour éviter que, du premier coup, chacun ne voie qu’il était simple discours et idéologie ». (…) Doctrine, certes, mais toujours exposée dans les larmoiements. (…) Le tremolo est la marque du sérieux. Il fallait à tout prix empêcher d’apercevoir le hiatus entre « l’Homme de l’humanisme » et « les hommes menant leur vie concrète ». C’est la sentimentalité qui comble le hiatus. (…) L’unité de l’objet et du sujet se reconstitue dans la sentimentalité. On ne peut plus à ce moment accuser l’humanisme de manquer de sérieux ou de concret. Cette comédie du sérieux à l’état pur fut encore une invention géniale du bourgeois. elle révèle par son existence même ce qu’elle prétendait cacher, à savoir l’éclatement de l’homme, dénoncé par Marx, et non seulement voilé mais provoqué par l’humanisme lui-même. Il suffit de poser la question de la coïncidence historique : « Quand donc l’humanisme fut-il clamé et proclamé ? ». Exactement au moment où, dans ses racines, l’homme commençait à être mis en question par l’homme265. »
Pour expliquer comment et pourquoi « l’humanisme est la plus grande parade contre la réalité », Ellul précise :
« Se justifier soi-mêmeest la plus grande entreprise de l’homme, avec l’esprit de puissance, ou plutôt après la manifestation de cet esprit. Car l’homme ayant agi ou vécu selon cet esprit ne peut pas se contenter d’avoir réalisé sa puissance, il faut encore qu’il se proclame juste266. »
Globalement, il approuve l’analyse de Debord267 mais très partiellement seulement celle de Foucault :
« (Son) radical rejet de presque tout ce qui constitue l’humanisme est bon. Mais (il) a tort de ne pas voir que, ce faisant, il poursuit exactement ce que l’humanisme avait commencé. L’humanisme, système de liquidation de l’homme dans sa période primaire de son asservissement, de sa mise en question, œuvres l’un et l’autre du bourgeois, n’est plus aujourd’hui pour continuer la persévérante néantisation de l’homme. Les moyens (techniques) dépassent infiniment l’idéologie (de l’humanisme). Il fallait mettre en accord la pensée avec la situation268. »
Ellul reproche ainsi à Foucault d’exprimer une « fausse contradiction »269 : compte tenu de la prégnance de l’idéologie technicienne, il est non seulement inutile de critiquer l’humanisme sans critiquer l’idéologie technicienne mais critiquer le premier sans critiquer la seconde revient à alimenter soi-même la seconde.
« Renaissance de l’humanisme » ?
S’opposant à ces prises de positions pour le moins négatives, certains veulent croire en la pertinence du concept d’humanisme. C’est entre autres le cas de deux scientifiques français : l’ethnologueClaude Levi-Strauss, en 1973, puis le neurobiologisteJean-Pierre Changeux, dix ans plus tard.
Tous deux se disent humanistes mais leurs points de vue sont radicalement différents.
Humanisme et ethnologie
Selon Claude Levi-Strauss, « après l’humanisme aristocratique de la Renaissance et l’humanisme bourgeois du xixe siècle », l’ethnologie pourrait marquer l’avènement d’un nouvel humanisme :
« Quand les hommes de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance ont redécouvert l’antiquité gréco-romaine,(…) (ils) reconnaissai(en)t qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de terme de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne (…) le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux. (…) Aux xviie et xixe siècles, l’humanisme s’élargit avec le progrès de l’exploration géographique. (…) En s’intéressant aujourd’hui aux dernières civilisations encore dédaignées – les sociétés dites primitives – l’ethnologie fait parcourir à l’humanisme sa troisième étape. Sans doute sera-t-elle aussi la dernière, puisqu’après cela, l’homme n’aura plus rien à découvrir de lui-même, au moins en extension270,271. »
« L’homme neuronal »
En 1983 parait en FranceL’homme neuronal, de Jean-Pierre Changeux, un ouvrage qui déclenche un grand nombre de réactions, notamment chez les philosophes et les psychanalystes. Portée par les avancées dans le domaine des neurosciences, la thèse développée est biologisante272 : elle s’appuie sur un modèle théorique scientisteet réductionniste qui consiste à appliquer aux phénomènes sociaux une grille de lecture inspirée des sciences de la vie ; autrement dit selon lequel les conditions naturelles et organiques de la vie et de son évolution (gènes, hormones, neurotransmetteurs, lois néodarwiniennes) constituent la base non seulement de la réalité physique des hommes mais aussi de ce qui autrefois était considéré comme « spirituel » : « le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais à quoi bon parler d’esprit ? », résume Changeux. En cela, sa conception de l’homme est l’héritière de la philosophie mécaniste de Descartes (théorie de l’homme-machine, début du xviie siècle) et de La Mettrie (début du xviiie siècle), du transformisme de Lamarck (fin du xviiie siècle) et du darwinisme social d’Herbert Spencer(fin du xixe siècle) ; et plus récemment de la psychologie évolutionniste (début du xxe siècle) et de la sociobiologie (seconde moitié du xxe siècle)273.
Mais Changeux se défend d’être déterministe, plus précisément adaptationniste. Selon lui, le cerveau peut faire preuve d’une plasticité étonnante et, du moment que l’on prend conscience de son fonctionnement, on peut agir sur soi-même, développer les capacités que l’on souhaite et modifier dans une certaine mesure ses comportements. L’homme est « programmé pour être libre ». À la question, « la biologie est-elle un humanisme ? », le sociologue Sébastien Lemerle répond qu’il y voit surtout le signe d’un conformisme extrême au libéralisme économique : « Dès le début des années 1980, Robert Castelobservait que la passion pour la biologie pouvait être une arme de guerre contre la pensée critique. Dans les entreprises, racontait-il, quand les salariés se plaignent d’être dépossédés de leur autonomie par une nouvelle organisation du travail, l’une des réponses des services de gestion du personnel consiste à reformuler les problèmes dans un registre « psychologisant » fondé en partie sur la biologie : « Votre mal-être est un problème relationnel, on peut y remédier en vous aidant à vous reprogrammer et en éliminant les pensées et comportements négatifs », grâce à la programmation neuro-linguistiquepar exemple. Pour le biologisme, plutôt que de changer le monde, il vaut mieux s’y adapter »274.
Toutefois, le mathématicien Jean-Pierre Kahane voit dans la pensée de Changeux la marque d’un « vibrant humanisme »275. De même, les organisateurs du Prix Balzan (prix littéraire pour les neurosciences cognitives) estiment qu’il est « un maître à penser, un humaniste du xxie siècle »276. La journaliste Caroline Delageconsidère qu’il est « le parfait exemple de ce que l’on appelait autrefois un humaniste : un homme pétri d’histoire, de sciences et de beaux-arts »277. Changeux lui-même déclare « désirer faire passer un message humaniste »278.
L’humanisme et les « -ismes »
À partir des années 1970, différents intellectuels estiment qu’il importe d’analyser le mot « humanisme » ainsi que tous ceux auxquels il est le plus souvent associé (christianisme, athéisme, scientisme, marxisme…) afin de déceler : 1°) ce qui les rapproche par delà leur antagonisme apparent ; 2°) inversement, le côté utopique de vouloir les associer ; 3°) l’impossibilité pure et simple de les définir.
En 1979, Jacques Ellul se réfère entre autres à la théologie de la libérationpour démontrer que « christianisme » et « marxisme » ne sont nullement contradictoires, précisément parce qu’ils sont tous deux des idéologies ; terme qu’il définit ainsi : « dégradation sentimentale et vulgarisée d’une doctrine politique ou d’une conception globale du monde »279.
En 1982, Ernesto Grassi, à l’inverse, démontre le caractère aporétique de l’expression « marxisme-humanisme », se référant à la fois à l’humanisme de la Renaissance, aux théories de l’histoire de Vico et aux positions d’Heidegger280,281 (lire infra). Selon lui, « le marxisme a négligé la relation établie par Vico entre travail et imagination. C’est la cœur de la différence entre marxisme et humanisme »282.
En 1995, l’historienne hongroise Mária Ormos estime que, compte tenu des effets de propagande, les mots sont complètement dévalués : la distinction entre l’« humanisme » affiché du stalinisme et l’« anti-humanisme » du nazisme ne peut être la source d’aucun enseignement, elle n’a pas de sens283.
À la fin du siècle, l’idéologie humaniste est entrée dans le moule institutionnel (lire infra) et les expressions ingérence humanitaire et aide humanitaire font partie du langage usuel. Mais au delà des arguments invoqués (entre-aide, générosité…), les critiques fusent.
En 1992, certains militants libertaires rapprochent l’humanitarisme des pratiques de philanthropie mises en place à la fin du xviiie siècle par les cercles libéraux : « les organisations humanitaires ressemblent aux femmes de patrons qui s’occupaient des pauvres pendant que leurs maris les fabriquaient »284.
Les milieux conservateurs ne sont pas non plus avares de critiques. Ainsi, en 1993, Luc Ferry fait remarquer que « l’on reproche volontiers au droit-de-l’hommisme de verser dans un « universalisme abstrait » et désincarné, oublieux des réalités historiques qui, seules, permettent de comprendre le sens véritable des conflits humains. Bien plus, on soupçonne la nouvelle charité de faire trop bon ménage avec le « business » : pour l’essentiel, elle servirait à donner bonne conscience aux téléspectateurs tout en assurant le succès médiatique de ses promoteurs »285.
Selon Marcel Gauchet, une « politique des droits de l’homme » est née en raison d’une « puissante poussée d’individualisme » mais le fait que les droits de l’homme sont précisément érigés en politique révèle « une incapacité à se représenter l’avenir et une impuissance à penser la coexistence de l’individu et de la société »287.
Par ailleurs, tout comme le concept de droit de l’homme, celui d’humanitude est dilué dans les logiques marchandes : alors qu’en 1987, le philosophe Albert Jacquardle définissait comme « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être »18, deux psycho-gériatres le réduisent par la suite à une marque déposée de soins.
Pour un « humanisme paradoxal et tragique »
En 1993, Jean-Michel Besnierpréconise un renouveau de l’humanisme288. Celui-ci, estime-t-il, doit être « paradoxal et tragique » :
« C’est dans la désillusion qu’il faut puiser les armes du renouveau. (…) Ayons le courage d’admettre que l’homme est méchant et naturellement égoïste, que la culture ne le met pas à l’abri des régressions vers la barbarie et que rien jusqu’à présent ne le distingue radicalement des animaux eux-mêmes. (…) L’humanisme désillusionné auquel nous sommes désormais contraints sera forcément non dogmatique : sa force résidera dans le refus qu’il oppose à toute ambition de réduire l’homme à une essence éternelle ou à une définition générique (…). Si l’optimisme ne nous est plus permis, il reste en revanche à accueillir la puissance mobilisatrice du pessimisme : car c’est être humaniste que de dire « non » au monde tel qu’il va et aussi de savoir (…) que l’inhumain est une part nécessaire de l’humain. (…) La ruine des absolus est une chance pour les hommes. (…) Enfin, n’est-il pas bon que l’humanisme se dégage du mol oreiller des consensus ? La bannière ne rassemblera qu’en tenant compte de ce qui divise. (…) Il n’est d’attitude humaniste que dans la sauvegarde des espaces où peuvent se négocier les conflits. (…) Un pessimisme actif vaut mieux qu’un optimisme béat, la régulation des conflits est préférable au confort éphémère des consensus et la charge contre le présent, même dépourvue d’illusions, comporte davantage d’humanité que la fuite en avant vers quelque insoutenable bonheur. Il n’est d’humanisme que paradoxal et tragique289. »
En 1998, Tzvetan Todorovs’éloigne de ses premières analyses structuralistes pour aborder la notion d’humanisme, en la démarquant catégoriquement de ce qu’il appelle l’« humanisme conservateur », l’« humanisme scientiste » et l’« humanisme individualiste »290, mais également de l’« humanisme politique » (notamment sa variante républicaine coloniale) et de l’« humanisme des Droits de l’homme »291. Il considère que, dans toutes ces familles, on veut « continuer à jouir de la liberté sans avoir à en payer le prix »292 et il plaide en définitive pour un humanisme basé sur trois principes qu’il appelle l’« autonomie du je », la « finalité du tu » et l’« universalitédes ils »293.
Commentant son livre, Sophie Ernst, philosophe à l’INRP propose cette typologie :
« Il y aurait l’humanisme comme idéologie, lorsque ne fonctionne qu’un simple schéma engendrant des lieux communs, assez nettement identifiables, et il y aurait l’humanisme comme idéal, ce que Todorov a tenté de reconstruire avec une certaine plausibilité. Mais pour ne pas tomber dans les travers de l’humanisme comme idéologie, cet humanisme comme idéal ouvert et comme matrice créative (…) a besoin de s’enraciner dans l’humanisme comme corpus294. »
En 1998, dans son essai Règles pour le parc humain, sous-titré Une lettre en réponse à la Lettre sur l’humanisme de Heidegger, le philosophe Peter Sloterdijkconsidère que l’humanisme, par l’intermédiaire des livres, a longtemps servi aux hommes à se donner une consistance, une raison d’être, une bonne conscience : cela leur a permis de « se domestiquer ». Mais l’avènement de la culture de masse et la prétendue « révolution » numérique clôturent définitivement cette époque : le temps de l’humanisme est révolu. Il l’est d’autant plus que, malgré les bonnes intentions qu’il affichait, il a dégénéré en bolchévisme ou en fascisme. « Qu’est-ce qui apprivoise encore l’être humain quand l’humanisme échoue dans son rôle d’école de l’apprivoisement ? », conclut le philosophe295.
L’année suivante, l’Américain Francis Fukuyama tire à son tour un signal d’alarme. Dans un article intitulé « Le dernier homme dans une bouteille »296,297 et surtout en 2002, dans son livre Our Posthuman Future (traduit la même année en français par La fin de l’homme)298, il popularise l’expression « post-humanisme ».
On confond souvent les termes « post-humanisme » et « transhumanisme ». Ainsi lorsqu’en 2002 le Français Rémi Sussanécrit :
« Le transhumanisme, c’est l’idée que la technologie donne à l’homme les moyens de s’affranchir de la plupart des limitations qui lui ont été imposées par l’évolution, la mort étant la première d’entre elles. À terme, on pourrait voir naître, au-delà du post-humain, les premières créatures post-biologiques : soit des intelligences artificielles succèderont à leurs géniteurs humains, soit les hommes eux-mêmes fusionnés avec la machine jusqu’à être méconnaissables299. »
La différence entre les deux termes est pourtant essentielle. Le premier désigne le constat quelque peu désabusé (de Sloterdijk et Fukuyama) du dépassement de la condition humaine par les technologies. Le second désigne en revanche un courant de pensée prosélyte, issu d’un milieu d’ingénieurs (pour la plupart originaires de la Silicon Valley) qui, non seulement ne sont pas consternés par la situation mais tendent au contraire à s’en féliciter, tout en reconnaissant les risques et dangers que cette mutation soulève.
xxie siècle
Humanisme et capitalisme
À la fin de la Guerre froide, le libéralisme économique régit l’ensemble de la planète. De plus en plus de services, autrefois gratuits, deviennent payants. Il en va ainsi, notamment, des prises de positions d’un nombre croissant d’économistes, de philosophes et de sociologues. C’est ainsi que, selon l’historien Jean-Pierre Bilski, le concept d’humanisme se trouve régulièrement instrumentalisé, manié de sorte à humaniserl’idéologie capitaliste300.
De tels gains questionnent, sinon la crédibilité de la philosophie, du moins celle du propos : l’humanisme ne sert-il pas de caution morale au capitalisme ? Ferry pose la question311 et Comte-Sponville y répond. Il soutient que le travail est une valeur tout en qualifiant le capitalisme d’amoral. Il refuse en effet de l’évaluer en termes d’éthique au motif que celle-ci ne concerne que les individus. Et arguant que la majorité d’entre eux n’entendent pas changer de système, il cautionne la légitimité de celui-ci312, non sans revendiquer un certain cynisme313.
Chez les patrons22 et les managerseux-mêmes, l’humanisme est fréquemment présenté comme une référence. Ainsi en 2012, Laurence Parisot, cite Érasme (« L’esprit d’entreprise est bien supérieur à l’activité de commerce qu’il engendre »314) pour affirmer « l’ambition humaniste » du Medef, dont elle est présidente. « Quand nous disons « compétitivité », souligne-t-elle, nous voulons dire « compétitivité équitable », ce qui signifie que nous mettons toujours l’homme au cœur de nos projets »315.
« Mettre l’homme au cœur des projets de l’entreprise »… Un an après le discours de Parisot, Jean-Michel Heitz, professeur en management, commente cette formule, après avoir convoqué un grand nombre de philosophes (Aristote, Kant, Hegel, Heidegger, Foucault, Ricœur…) :
« Bien-être et entreprise sont-ils des oxymores ? Seule la considération du profitsemble dominer l’économie, on voit quotidiennement des cas de licenciements abusifs et les drames humains qui s’ensuivent engendrant chômage, précarité et perte d’estime de soi. Paradoxalement le discours ambiant ne cesse de scander son objectif : replacer l’homme au centre. Vœu pieux, utopie ? Lorsque l’on est un manager qui a réfléchi à ce que peut être l’humanisme à notre époque et dans ce cadre, on voit que la première condition pour lui donner un sens nouveau, c’est de créer le bien-être au travail, afin que chacun le vive comme une activité épanouissante et non pas destructrice. (…) Dans ma carrière de manager au sein d’entreprises de caractère international, il m’a fallu peu de temps pour vérifier que le bon management, efficace, ne peut s’appuyer que sur le respect des personnes316. »
L’« humanisme » à l’agonie
En marge à la fois de l’instrumentalisation du discours humaniste dans le monde managérial, ou bien son discrédit par les philosophes postmodernes(dans le sillage de Foucault) ou encore l’utilisation fourre-tout du mot « humanisme », rares sont ceux qui manifestent un questionnement approfondi sur l’humanisme.
En quête permanente d’une issue positive au conflit israélo-palestinien, Edward Saïd lui consacre en 2003 son dernier livre317. Et quelques jours avant sa mort, il précise qu’il croit encore à l’humanisme en tant que valeur : « … (ce) mot que, têtu, je continue à utiliser malgré son rejet méprisant par les critiques postmodernessophistiqués »318. À la fin des années 2000, il arrive que le terme « humanisme » soit utilisé à des fins polémiques, pour alimenter des débats au sein d’une discipline en perte d’audience du fait de la montée en puissance des technologies, par exemple la psychanalyse à la suite de l’impact croissant des sciences cognitivesdans la communauté scientifique. Mais les prises de position sont alors loin de faire l’unanimité319,320,321.
Les bons sentiments
En 2008, Edgar Morin appelle de ses vœux « un humanisme concret » :
« Bien que pendant vingt années la notion d’humanisme a été ridiculisée par la pensée dominante, je crois qu’elle doit être sauvegardée. (…) Cet humanisme a deux visages: l’aspect judéo-chrétien (Dieu qui a fait l’homme à son image dans la Bible le premier visage) et une source grecque (les hommes dirigent leur cité, la capacité des humains à s’autogouverner, par la démocratie, avec cette idée que la raison est ce qui doit nous guider en tant qu’humain). Bien qu’il continue à être irrigué par l’évangélisme, le premier visage s’est laïcisé profondément (…). Je poursuis cet humanisme en rejetant l’autre visage, celui qui veut faire de l’homme le maître et le possesseur de la nature. Descartesl’énonce encore avec prudence en disant que la science doit permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature », mais le message deviendra plus impératif avec Buffon, Marx, avec le développement économique, technique et scientifique moderne qui met en marche la maîtrise du monde. Cet humanisme est non seulement arrogant, mais en plus il est devenu absurde puisque la maîtrise de la nature considérée comme un monde d’objets conduit à la dégradation non seulement de la vie, mais aussi de nous-mêmes. Il était fondé sur la disjonction absolue entre l’humain et le naturel, alors que nous sommes dépendants. Nous devons abandonner l’idée d’un humanisme où l’homme prend la place de Dieu. Il ne faut pas nous diviniser, il faut nous respecter. (…) Je reprends le flambeau de l’humanisme, avec ce qu’il comporte d’universalisme, mais en faisant la rupture avec ce qu’il comporte d’universalisme abstrait. (…) Je pense qu’il faut un humanisme concret, fait de diversités et d’unité, qui reconnaisse les diversités humaines qui sont des formes de richesse322. »
En 2011 à la Basilique Sainte-Marie-des-Anges de Rome et devant le pape Benoit XVI et un parterre d’ecclésiastiques, Julia Kristevarecommande « dix principes pour l’humanisme du XXIe siècle ». Elle clôt son discours par ses mots : « Face aux crises et menaces aggravées, voici venu l’ère du pari. Osons parier sur le renouvellement continu des capacités des hommes et des femmes à croire et à savoir ensemble. Pour que, dans le multivers bordé de vide, l’humanité puisse poursuivre longtemps son destin créatif.»323
En 2015, le pape Françoisconcentre sa réflexion sur le concept d’humanisme chrétien, précisant que ses bases sont l’humilité, le désintéressement et la béatitude et que les « tentations » qui empêchent son développement sont le pélagianisme et le gnosticisme324. Mais peu après, devant les membres de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement catholique italien, il déclare : « parler de l’éducation catholique équivaut à parler de l’humain, de l’humanisme. J’ai exhorté à donner une éducation inclusive, une éducation qui fasse une place à chacun et qui ne sélectionne pas de manière élitiste ceux qui bénéficieront de ses efforts325 ».
En 2016, il appelle les Européens à « un nouvel humanisme », tout en admettant que cette idée relève du « rêve »326 et d’une « utopiesaine »327 : « Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. (…) Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humainsa été sa dernière utopie »328.
De l’humanisme au transhumanisme
Le début de ce siècle est traversé par un certain nombre d’inquiétudes (catastrophe écologique, montée du terrorisme…) et d’incertitudes, toutes liées à la démocratisation des « technologies (elles sont toujours plus accessibles à tout un chacun), à leur montée en puissance incessante (notamment l’intelligence artificielle et les techniques de manipulations du vivant) et au fait que le droit et l’éthique ont de plus en plus de mal à suivre le rythme des innovations. Si bien que le débat sur l’humanisme tend peu à peu à laisser la place à celui sur le post-humanisme et le transhumanisme.
Les questions se multiplient dans la littérature et les médias : les humains sont-ils maîtres de la technologie ou « contraints » d’innover sans cesse329 ? Celle-ci les oblige-t-ils à « se réinventer » sans cesse330 ? Seront-ils un jour « remplacés »331, voire « dépassés » par elle332 ? Dès à présent, sont-ils encore autonomes333 ? Face aux droits de l’homme, faut-il envisager un droit du robot334 ?
Après que l’humanisme de la Renaissance se soit constitué autour de l’idée que la raison peut se développer indépendamment de la foi et que celui des Lumières se soit construit autour de la prétention de la première à se substituer à la seconde, les « technoprophètes »335 affirment que le temps de l’humanisme est clos et qu’en revanche s’ouvre celui du transhumanisme336,337. Leurs prises de position divisent alors ouvertement deux camps : d’un côté les technophiles, qui estiment que « l’innovation résoudra tous nos maux » ; en face, les technophobes, « qui craignent perpétuellement le pire »338 et selon qui, en particulier, l’« intelligence artificielle est contraire à la dignité humaine »339.
H+, un symbole du transhumanisme.
Dans le sillage de l’« humanisme difficile » de Simondon (lire infra), le philosophe belge Gilbert Hottois estime non seulement que le transhumanisme ne contredit pas l’humanisme mais qu’il s’inscrit dans sa lignée :
« Le transhumanisme offre quelque chose à répondre aux religions et aux métaphysiques qui continuent de jouer un rôle considérable de légitimation, souvent implicite voire inconsciente, dans les prises de position éthique et politique pour ou contre les projets de recherche et les innovations. […] Il offre encore quelque chose à dire face au nihilisme, c’est-à-dire au vide laissé par l’effondrement des grandes religions, métaphysiques et idéologies modernes. […] Il promeut rationnellement et délibérément une espérance d’auto-transcendance matérielle de l’espèce humaine, sans limites absolues a priori… […] Son intérêt est aussi critique : il invite à réfléchir à certains préjugés et illusions attachés aux humanismes traditionnels et modernes dont il révèle, par contraste, des aspects généralement peu ou non perçus. […] Pour une part dominante, ces humanismes sont antimatérialistes et spiritualistes. S’ils ne sont plus pré-coperniciens, ils véhiculent des images pré-darwiniennes. Ils reconnaissent l’Histoire, mais guère l’Évolution. Ils ne voient l’avenir de l’homme que sous la forme de l’amélioration de son environnement et de son amélioration propre par des moyens symboliques (éducation, relations humaines, institutions plus justes, plus solidaires, plus égalitaires, etc.). L’humanisme relève d’une image implicite partiellement obsolète de l’homme. […] C’est à l’actualisation de l’image de l’homme et de sa place dans l’univers que le transhumanisme modéré bien compris travaille. Le transhumanisme, c’est l’humanisme, religieux et laïque, assimilant les révolutions technoscientifiques échues et la R&D à venir, capable d’affronter le temps indéfiniment long de l’Évolution et pas simplement la temporalité finalisée de l’Histoire. C’est un humanisme apte à s’étendre, à se diversifier et à s’enrichir indéfiniment. »
— Gilbert Hottois, Le transhumanisme est-il un humanisme ?, Académie Royale de Belgique, 2014, p. 75-77
Jean-Claude Guillebaud fait remarquer qu’Hottois « consent de bonne grâce au nihilismecontemporain dans lequel il voit plus d’avantages que d’inconvénients »340. Et lui-même cite Hottois :
« Nous sommes dans un monde, où l’ontologie, la métaphysique, le fondamentalisme et toutes les notions phares qui en relèvent – tels que Dieu, la vérité, l’être, la nature, l’essence, la valeur en soi, etc. – sont en crise et nous estimons que cette crise n’est pas le mal. Le nihilisme qui s’y associe présente beaucoup d’aspects positifs, émancipateurs, diversificateurs, créativité épanouissante de possibilités et d’espoir. »
— Gilbert Hottois, Essai de philosophie bioéthique et biopolitique, Librairie Vrin, 1999
Le génie génétique est un domaine d’interventions techniques permettant de modifier la constitution d’un organisme en supprimant ou en introduisant de l’ADN. On y recourt par exemple dans le domaine de l’agriculture (on parle alors d’organismes génétiquement modifiés) mais aussi sur les animaux et sur l’homme, à des fins thérapeutiques. La transgénèse est le fait d’implanter un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. Mais dès lors que la nature et l’homme sont modifiés dans leurs fondements biologiques mêmes, ces modifications posent des problèmes d’ordre éthique.
Jusqu’à quel point la technique peut-elle être utilisée par la médecine pour palier des déficiences et anomalies naturelles d’un être humain ? Peut-on, en vertu de principes de prévention et par le biais de manipulations génétiques, doter un individu sain de qualités dont la nature ne l’a pas pourvu (principe de l’homme augmenté, défendu par les penseurs transhumanistes) ? Ainsi se posent deux questions majeures dans le champ de la bioéthique.
Faisant valoir que c’est le principe d’humanité tout entier qui est remis en question par des moyens techniques341, Jean-Claude Guillebaud défend en 1999 un humanisme paradoxal, « aussi éloigné d’un universalismeconquérant que d’un déconstructivisme suicidaire »342 et « consistant à s’ouvrir à l’altérité, mais en faisant preuve d’une fermeté retrouvée quant aux principes qui constituent notre héritage historique »343.
Depuis les origines de la psychologie, la notion d’intelligenceest controversée : en quoi consiste-t-elle, comment la mesure-t-on ? etc. Or, à partir de la seconde moitié du xxe siècle, des ingénieurs anglais et américains se sont efforcés de développer les processus d’automation dans des machines, au point que peu à peu s’est répandue l’expression « intelligence artificielle ». Durant les années 1980a émergé l’idée que celle-ci pourrait un jour se montrer plus performante que l’intelligence humaine. Au début du xxie siècle, quelques futurologuesestiment que, dans bien des domaines, à commencer celui de la logique, cela sera prochainement le cas. Ainsi, en 2005, dans un ouvrage traduit sous le titre Humanité 2.0, l’un d’eux, l’Américain Ray Kurzweil, appelle singularité technologique cet hypothétique moment344.
En 2004, les Américains Ray Siemens et John Unsworth forgent l’expression Digital Humanities345. Les humanités numériques peuvent être définies comme l’application du « savoir-faire des technologies de l’informationaux questions de sciences humaines et sociales »346. Elles se caractérisent par des méthodes et des pratiques liées à l’utilisation et au développement d’outils numériques ainsi que par la volonté de prendre en compte les nouveaux contenus et médias numériques, au même titre que des objets d’étude traditionnels.
En 2001, dans le sillage direct de la pensée de Gilbert Simondon (lire supra), Xavier Guchet se prononce « pour un humanisme technologique », « récusant à la fois les pensées technicistes du social et les doctrines pour lesquelles un humanisme véritable doit commencer par disqualifier les techniques industrielles »347.
En 2011, se basant sur la typologie de Lévi-Strauss, Milad Doueihi, historien des religions français, prône un « humanisme numérique »348,349. Selon lui, l’humanisme numérique vise à repérer ce qui peut être conservé de l’humanisme classique350.
Par delà les prises de position philosophiques, le début du siècle est concrètement marqué par le brouillage des frontières entre l’humain et ses artefacts :
les robots eux-mêmes échangent des informations entre eux (objets connectés) ;
les humains peuvent sinon de changer de sexe, au moins de genre (transidentité) ;
ils peuvent évoluer dans des environnements artificiels se substituant aux environnements naturels (réalité virtuelle) ;
par le biais des réseaux sociauxet de la blogosphère, ils peuvent se faire entendre bien au-delà de leur périmètre naturel et énoncer toutes sortes de propos, vérifiés et argumentés ou non, effaçant ainsi les limites entre fantasmes et vérité (ère post-vérité).
Dans ce contexte de porosité extrême entre la nature et l’artifice, les débats portent moins sur l’humanisme que sur le principe d’humanité, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Guillebaud351 :
« Voilà que la classique querelle de l’humanisme qui tournait autour de Heidegger et de l’héritage des Lumières, change brutalement de nature et de signification. Pourquoi ? Parce que cette fois, le point d’aboutissement de la rationalité humaniste n’est autre que le génie génétique, les biotechnologies, le cognitivisme, etc. Autrement dit, l’humanisme des Lumières débouche in fine sur une folle victoire contre… lui-même. Ce n’est plus la nature qu’il est en mesure d’asservir en la désenchantant, c’est le sujet lui-même. L’héritier de l’humanisme n’est donc plus cet homme rationnel, ce conquérant pressé de soumettre le monde à l’empire de sa raison. Le voilà réduit à une petite chose aléatoire qui n’est plus au centre du monde , à une « fiction » fragile que sa propre science est désormais capable de déconstruire352. »
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Traduit de l’anglais par Henri Dominique Saffrey sous le titre Humanisme et théologie, Cerf, 1956
The site consists of a large circular mound with an inner stone passageway and chambers. Human bones and possible grave goods or votive offerings were found in these chambers. The mound has a retaining wall at the front, made mostly of white quartz cobblestones, and it is ringed by engraved kerbstones. Many of the larger stones of Newgrange are covered in megalithic art. The mound is also ringed by a stone circle. Some of the material that makes up the monument came from as far away as the Mournes and Wicklow Mountains. There is no agreement about what the site was used for, but it is believed that it had religious significance. Its entrance is aligned with the rising sun on the winter solstice, when sunlight shines through a ‘roofbox‘ and floods the inner chamber. Several other passage tombs in Ireland are aligned with solstices and equinoxes, and Cairn G at Carrowkeel has a similar ‘roofbox’.[4][5]Newgrange also shares many similarities with other Neolithic constructions in Western Europe, such as Maeshowe in Orkney, Scotland[6] and Bryn Celli Ddu in Wales. It is the most famous monument within the Neolithic Brú na Bóinne complex, alongside the similar passage tomb mounds of Knowth and Dowth, and as such is a part of the Brú na Bóinne UNESCOWorld Heritage Site. Newgrange consists of approximately 200,000 tonnes of rock and other materials. It is 85 metres (279 ft) wide at its widest point.[7]
After its initial use, Newgrange was sealed for several millennia. It continued to be featured prominently in Irish mythology and folklore, in which it is said to be a dwelling of the deities, particularly The Dagdaand his son Aengus. Antiquarians first began its study in the seventeenth century, and archaeological excavations took place at the site in the years that followed. Archaeologist Michael J. O’Kelly led the most extensive of these and also reconstructed the frontage of the site in the 1970s, a reconstruction that is controversial and disputed.[8]Newgrange is a popular tourist site and, according to the archaeologist Colin Renfrew, is « unhesitatingly regarded by the prehistorian as the great national monument of Ireland » and as one of the most important megalithic structures in Europe.[9]
Physical description
Mound and passage tomb
Cross section sketch of the passage
The Newgrange monument primarily consists of a large mound, built of alternating layers of earth and stones, with grass growing on top and a reconstructed facade of flattish white quartz stones studded at intervals with large rounded cobbles covering part of the circumference. The mound is 76 metres (249 ft) across and 12 metres (39 ft) high, and covers 4,500 square metres (1.1 acres) of ground. Within the mound is a chambered passage, which may be accessed by an entrance on the southeastern side of the monument. The passage stretches for 19 metres (60 ft),[10] or about a third of the way into the centre of the structure. At the end of the passage are three small chambers off a larger central chamber with a high corbelled vault roof. Each of the smaller chambers has a large flat « basin stone » where the bones of the dead may have been deposited during prehistoric times. Whether it was a burial site remains unclear. The walls of this passage are made up of large stone slabs, twenty-two of which are on the western side and twenty-one on the eastern side. They average 1½ metres in height;[11] several are decorated with carvings (as well as graffiti from the period after the rediscovery). The ceiling shows no evidence of smoke.
The entrance passage to Newgrange, and the entrance stone
Situated around the perimeter of the mound is a circle of standing stones. Twelve standing-stones survive out of a possible original thirty-five or thereabouts. Most archaeologists suggest that they were added later, during the Bronze Age, centuries after the original monument had been abandoned as a ritual centre.
Art
Megalithic art on one of the kerbstones
The retaining wall and kerbstones
Newgrange contains various examples of graphic Neolithic rock art carved onto its stone surfaces.[12] These carvings fit into ten categories, five of which are curvilinear (circles, spirals, arcs, serpentiniforms, and dot-in-circles) and the other five of which are rectilinear (chevrons, lozenges, radials, parallel lines, and offsets). They are marked by wide differences in style, the skill-level needed to produce them, and on how deeply carved they are.[13]One of the most notable types of art at Newgrange are the triskele-like features found on the entrance stone. It is approximately three metres long and 1.2 metres high (10 ft long and 4 ft high), and about five tonnes in weight. It has been described as « one of the most famous stones in the entire repertory of megalithic art. »[14] Archaeologists believe that most of the carvings were produced prior to the stones being erected, although the entrance stone was carved in situ before the kerbstones were placed alongside it.[15]
Various archaeologists have speculated as to the meanings of the designs, with some, such as George Coffey (in the 1890s), believing them to be purely decorative, whilst others, such as Michael J. O’Kelly(who led the 1962–1975 excavation at the site), believed them to have some sort of symbolic purpose, because some of the carvings had been in places that would not have been visible, such as at the bottom of the orthostatic slabs below ground level.[16] Extensive research on how the art relates to alignments and astronomy in the Boyne Valley complex was carried out by American-Irish researcher, Martin Brennan.
History
The Neolithic people who built the monument were native agriculturalists, growing crops and raising animals such as cattle in the area where their settlements were located.
Construction and burials
The original complex of Newgrange was built between c. 3200 and 3100 BC.[17] According to carbon-14 dates,[18] it is approximately five hundred years older than the current form of Stonehenge and the Great Pyramid of Giza in Egypt, as well as predating the Mycenaean culture of ancient Greece.[19] Some put its period of construction somewhat later, at 3000 to 2500 BC.[20] Geological analysis indicates that the thousands of pebbles that make up the cairn, which together would have weighed about 200,000 tonnes, came from the nearby river terraces of the Boyne. There is a large pond in this area that is believed to be the site quarried for the pebbles by the builders of Newgrange.[21] Most of the 547 slabs that make up the inner passage, chambers, and the outer kerbstones are greywacke. Some or all of them may have been brought from sites approximately 5 km away,[22]from the rocky beach at Clogherhead, County Louth, about 20 km to the northeast. The facade and entrance were built with white quartz cobblestones from the Wicklow Mountains, about 50 km to the south; dark rounded granodiorite cobbles from the Mourne Mountains, about 50 km to the north; dark gabbro cobbles from the Cooley Mountains; and banded siltstone from the shore at Carlingford Lough.[22] The stones may have been transported to Newgrange by sea and up the River Boyne by fastening them to the underside of boats at low tide.[23][24] None of the structural slabs were quarried, for they show signs of having been weathered naturally, so they must have been collected and then transported, largely uphill, to the Newgrange site.[21] The granite basins found inside the chambers also came from the Mournes.[22]
Frank Mitchell suggested that the monument could have been built within a space of five years, basing his estimation upon the likely number of local inhabitants during the Neolithic and the amount of time they could have devoted to building it rather than farming. This estimate, however, was criticised by Michael. J. O’Kelly and his archaeological team, who believed that it would have taken a minimum of thirty years to build.[25]
Excavations have revealed deposits of both burnt and unburnt human bone in the passage, indicating human corpses had been placed within it, some of whom had been cremated. From examining the unburnt bone, it was shown to come from at least two separate individuals, but much of their skeletons was missing, and what was left had been scattered about the passage.[26] Various grave goods were deposited alongside the bodies inside the passage. Excavations that took place in the late 1960s and early 1970s revealed seven ‘marbles’, four pendants, two beads, a used flint flake, a bone chisel, and fragments of bone pins and points.[27] Many more artifacts had been found in the passage in previous centuries by visiting antiquarians and tourists, although most of these were removed and went missing or held in private collections. Nonetheless, sometimes these were recorded and it is believed that the grave goods that came from Newgrange were typical of Neolithic Irish passage grave assemblages.[28] The remains of animals also have been found in the structure, primarily those of mountain hares, rabbits, and dogs, but also of bats, sheep, goats, cattle, song thrushes, and more rarely, molluscs and frogs. Most of these animals would have entered and died in the chamber many centuries or even millennia after it was constructed: for instance, rabbits were only introduced to Ireland in the thirteenth century.[29]
Gold jewellery from Roman times deposited in the mound (British Museum)
During much of the Neolithicperiod, the Newgrange area continued to be a focus of some ceremonial activity. In the Late Neolithic, it appears that Newgrange was no longer being used by the local population, who did not leave any artefacts in the structure or bury their dead there. As the archaeologist Michael J. O’Kelly stated, « by 2000 [BC] Newgrange was in decay and squatters were living around its collapsing edge ».[30] These people were adherents of the Beaker culture, which had been imported from mainland Europe, and made Beaker-style pottery locally.[30] A large timber circle (or henge) was built to the southeast of the main mound and a smaller timber circle to the west. The eastern timber circle consisted of five concentric rows of pits. The outer row contained wooden posts. The next row of pits had clay linings and was used to burn animal remains. The three inner rows of pits were dug to accept the animal remains. Within the circle were post and stake holes associated with Beaker pottery and flintflakes. The western timber circle consisted of two concentric rows of parallel postholes and pits defining a circle 20 metres (66 ft) in diameter.[citation needed] A concentric mound of clay was constructed around the southern and western sides of the mound that covered a structure consisting of two parallel lines of post and ditches that had been partly burnt. A free-standing circle of large stones was raised around the Newgrange mound. Near the entrance, seventeen hearthswere used to set fires. These structures at Newgrange are generally contemporary with a number of henges known from the Boyne Valley, at Newgrange Site A, Newgrange Site O, Dowth Henge, and Monknewtown Henge.[citation needed]
The site evidently continued to have some ritual significance into the Iron Age. Among various objects later deposited around the mound are two pendants made from gold Roman coins of 320–337 AD (now in the National Museum of Ireland) and Roman gold jewellery including two bracelets, two finger rings, and a necklace, now in the collections of the British Museum.[31]
Purpose
There have been various debates as to its original purpose. Many archaeologists believed that the monument had religious significance of some sort or another, either as a place of worship for a « cult of the dead » or for an astronomically-based faith. The archaeologist Michael J. O’Kelly, who led the 1962–1975 excavations at the site, believed that the monument had to be seen in relation to the nearby Knowthand Dowth, and that the building of Newgrange « cannot be regarded as other than the expression of some kind of powerful force or motivation, brought to the extremes of aggrandizement in these three monuments, the cathedrals of the megalithic religion. »[32] O’Kelly believed that Newgrange, alongside the hundreds of other passage tombs built in Ireland during the Neolithic, showed evidence for a religion that venerated the dead as one of its core principles. He believed that this « cult of the dead » was just one particular form of European Neolithic religion, and that other megalithic monuments displayed evidence for different religious beliefs that were solar-oriented, rather than ancestor-oriented.[32]
View of Newgrange’s elevation
Studies in other fields of expertise offer alternative interpretations of the possible functions, however, which principally centre on the astronomy, engineering, geometry, and mythology associated with the Boyne monuments. It is speculated that the sun formed an important part of the religious beliefs of the Neolithic people who built it. One idea was that the room was designed for a ritualistic capturing of sun rays on the shortest day of the year, the Winter Solstice, as the room gets flooded with sunlight, which might have signaled that the days would start to get longer again. This view is strengthened by the discovery of alignments in Knowth, Dowth, and the Lough Crew Cairns leading to the interpretation of these monuments as calendrical or astronomical devices.
Formerly, the Newgrange mound was encircled by an outer ring of immense standing stones, of which twelve of a possible thirty-seven remain. Evidence from carbon dating suggests that the stone circle which encircled Newgrange may not be contemporary with the monument however, but was placed there some 1,000 years later in the Bronze Age. This view is disputed and relates to a carbon date from a standing stone setting that intersects with a later timber post circle, the theory being, that the stone in question could have been moved and later, re-set in its original position. This research implies a continuity of use of Newgrange of over a thousand years; with partial remains found from only five individuals, some question the tomb theory for its purpose.[citation needed]
Once a year, at the Winter Solstice, the rising sun shines directly along the long passage, illuminating the inner chamber and revealing the carvings inside, notably the triple spiral on the front wall of the chamber. This illumination lasts for approximately 17 minutes.[5]Michael J. O’Kelly was the first person in modern times to observe this event on 21 December 1967.[33] The sunlight enters the passage through a specially contrived opening, known as a roofbox, directly above the main entrance. Although solar alignments are not uncommon among passage graves, Newgrange is one of few to contain the additional roofbox feature. (Cairn G at Carrowkeel Megalithic Cemetery is another, and it has been suggested that one can be found at Bryn Celli Ddu.[34]) The alignment is such that although the roofbox is above the passage entrance, the light hits the floor of the inner chamber. Today the first light enters about four minutes after sunrise, but calculations based on the precession of the Earth show that 5,000 years ago, first light would have entered exactly at sunrise.[citation needed] The solar alignment at Newgrange is very precise compared to similar phenomena at other passage graves such as Dowth or Maes Howe in the Orkney Islands, off the coast of Scotland.
Discovery, excavation, and restoration
Mythology and folklore during Medieval and Early Modern periods
During the medieval period, Newgrange and the wider Brú na BóinneNeolithic complex gained various attributes in local folklore, which was often connected to figures from wider Irish mythology. The monuments of the Brú were thought of by some as being the abode of the supernatural Tuatha De Danann, whilst others considered them to be the burial mounds of the ancient kings of Tara. Amongst those who believed the folkloric tales relating the Brú to the Tuatha De Danann, it was commonly thought that they were the abode of the most powerful of the Tuatha, particularly The Dagda, his wife Boann, and his son, Oengus. According to the eleventh-century Book of Lecan, the Dagda had built the Brú for use by his family, whilst the twelfth-century Book of Leinster describes how Oengus tricked his father into giving him the Brú for all eternity. Another text, The Pursuit of Diarmaid and Grainnealso implies that Oengus owned the Brú, when he declared how he took his friend Diarmaid to it.[35]
Sometime after 1142 the structure became part of outlying farmland owned by the Cistercian Abbey of Mellifont. These farms were referred to as ‘granges’. Newgrange is not mentioned in any of the early charters of the twelfth and thirteenth centuries, but an Inspeximusgranted by Edward III in 1348 includes a Nova Grangia among the demesne lands of the abbey.[36]
On 14 August 1699, Alice Moore, Countess Dowager of Drogheda, leased the demesne of Newgrange to a Williamite settler, Charles Campbell, for 99 years.[38]
Antiquarianism during seventeenth and eighteenth centuries
The entrance to Newgrange in the late 1800s, when the mound had become largely overgrown
In 1699, a local landowner, Charles Campbell, ordered some of his farm labourers to dig up a part of Newgrange, which then had the appearance of a large mound of earth, so that he could collect stone from within it. The labourers soon discovered the entrance to the tomb within the mound, and a Welsh antiquarian named Edward Lhwyd, who was staying in the area, was alerted and took an interest in the monument. He wrote an account of the mound and its tomb, describing what he saw as its « barbarous sculpture » and noting that animal bones, beads, and pieces of glass had been found inside of it (modern archaeologists have speculated that these latter two were in fact the polished pottery beads that subsequently have been found at the site and that were a common feature of Neolithic tombs).[39] Soon another antiquarian visitor, Sir Thomas Molyneaux, professor at the University of Dublin, also came to the site. He talked to Charles Campbell, who informed him that he had found the remains of two human corpses in the tomb, one (which was male), in one of the cisterns, and another farther along the passageway, something that Lhwyd had not noted.[40]Subsequently, Newgrange was visited by a number of antiquarians, who often performed their own measurements of the site and made their own observations, which often were published in various antiquarian journals; these included such figures as Sir William Wilde, Thomas Pownall, Thomas Wright, John O’Donovan, George Petrie, and James Ferguson.[41]
These antiquarians often concocted their own theories about the origins of Newgrange, many of which have since been proved incorrect. Thomas Pownall conducted a very detailed survey of New Grange in 1769,[42] which numbers all the stones and also records some of the carvings on the stone and asserted that the mound originally had been taller and a lot of the stone on top of it had been removed, a theory that has been disproven by archaeological research.[43] The majority of these antiquarians also refused to believe that it was ancient peoples native to Ireland who built the monument, with many believing that it had been built in the early medieval period by invading Vikings, whilst others speculated that it had been built by the ancient Egyptians, ancient Indians, or the Phoenicians.[44]
Modern conservation, archaeological investigation, and reconstruction
The entrance to Newgrange in the early 1900s, after much of the debris had been cleared
At some time in the early 1800s, a folly was built a few yards behind Newgrange. The folly, with two circular windows, was made of stones taken from Newgrange. In 1882, under the Ancient Monuments Protection Act, Newgrange and the nearby monuments of Knowth and Dowth were taken under the control of the state (United Kingdom of Great Britain and Ireland, as it was then known), and they were placed under the responsibility of the Board of Public Works. In 1890, under the leadership of Thomas Newenham Deane, the board began a project of conservation of the monument, which had been damaged through general deterioration over the previous three millennia as well as the increasing vandalism caused by visitors, some of whom had inscribed their names on the stones.[45] In subsequent decades, a number of archaeologistsperformed excavations at the site, discovering more about its function and how it had been built; however, even at the time, it was still mistakenly believed by archaeologists to be built during the Bronze Age rather than during the earlier Neolithic period.[46] In the 1950s, electric lighting was installed in the passageway to allow visitors to see more clearly,[47] whilst an exhaustive archaeological excavation was undertaken from 1962 through to 1975, the excavation report of which was written by Michael J. O’Kelly and published in 1982 by Thames and Hudson as Newgrange: Archaeology, Art and Legend.[48]
Following the O’Kelly excavation, further restoration and reconstruction took place at the site. Based on the positions of the cobblestones, and after conducting experiments, O’Kelly concluded that they had made up a retaining wall, but had fallen from the face of the mound. As part of the restoration, this wall was ‘rebuilt’ and the cobblestones were fixed into a near-vertical steel-reinforced concrete wall surrounding the front of the mound. This work is controversial among the archaeological community. P. R. Griot described the monument as looking like a « cream cheese cake with dried currants distributed about. »[49]Neil Oliver described the reconstruction as « a bit brutal, a bit overdone, kind of like Stalin does the Stone Age ».[50] Critics of the new wall point out that the technology did not exist when the mound was created to fix a retaining wall at this angle.[citation needed] Another theory is that some, or all, of the white quartz cobblestones had formed a plaza on the ground at the entrance. This theory was preferred at nearby Knowth, where the restorers laid the quartz stones out as an « apron » in front of the entrance to the great mound.
The inward-curving dark stone walls on each side of the entrance are not original, nor are they intended to suggest Newgrange’s original appearance, but were designed solely to facilitate visitor access. A visitor guide book to the site, however, has a reconstruction drawing depicting Neolithic inhabitants using Newgrange that shows the modern entrance as if it were part of Newgrange’s original appearance.[51]
Location and access
Newgrange is located 8.4 kilometres (5.2 mi) west of Drogheda in County Meath. The interpretive centre is located on the south bank of the river and Newgrange is located on the north side of the river. Access is only from the interpretive centre.
Access to Newgrange is by guided tour only. Tours begin at the Brú na Bóinne Visitor Centre from which visitors are taken to the site in groups. Current-day visitors to Newgrange are treated to a guided tour and an re-enactment of the Winter Solstice experience through the use of high-powered electric lights situated within the tomb. The finale of a Newgrange tour results in every visitor standing inside the tomb where the tour guide then turns off the lights, and then turns on ones simulating the sunlight that would appear on the winter solstice.
To experience the phenomenon on the morning of the Winter Solstice from inside Newgrange, visitors to Bru Na Bóinne Visitor Centre must enter an annual lottery at the centre. Of the thousands who enter, twenty are chosen each year. The winner is permitted to bring a single guest. The winners are split into groups of ten and taken in on the five days around the solstice in December when sunlight can enter the chamber, weather permitting.
Jump up^« Newgrange ». Department of Arts, Heritage, Regional, Rural and Gaeltacht Affairs. Retrieved 28 July 2016.
Jump up^E. Grogan, « Prehistoric and Early Historic Cultural Change at Brugh na Bóinne », Proceedings of the Royal Irish Academy 91C, 1991, pp. 126–132
^ Jump up to:abcTilley, Christopher. Body and Image: Explorations in Landscape Phenomenology. Left Coast Press, 2008. p.160
Jump up^Benozzo, F. (2010). « Words as Archaeological Finds: A Further Example of the Ethno-Philological Contribute to the Study of European Megalithism ». The European Archaeologist. 33: 7–10.
Jump up^Archaeologia Vol 2, 1773. A Description of the Sepulchral Monument of New Grange, near Drogheda, in the County of Meath, in Ireland. By Thomas Pownall, Esq. in a letter to the Rev. Gregory Sharpe, D.D. Master of the Middle Temple. Read at the Society of Antiquaries, June 21/28 1770. Archaeologia Vol 2, pp.236-276 [2]
Le Rêve du Pape Innocent III, basilique supérieure d’Assise
Questione giottesca (en français : « question giottesque ») est un terme italien soulevant un problème des études sur l’histoire de l’art, problème mis en évidence par l’attribution (ou non) à Giotto des fresques de l’église supérieure de la basilique d’Assise, et dans quelle mesure par rapport à ses collaborateurs qui sont intervenus dans une œuvre aussi importante.
Cette interrogation concerne divers aspects : l’organisation des chantiers artistiques à partir du Moyen Âge ; le rôle des maîtres et les tâches effectuées par les aides ; la validité de l’attribution de grandes œuvres à un seul maître.
La question concerne aussi bien la peinture antique que celle de la Renaissance.
Problèmes soulevés
Partant du principe qu’en l’absence de documents précis, rien ne peut être affirmé avec une certitude il s’agit néanmoins d’établir quelles œuvres, ou partie d’œuvre du peintre peuvent lui être attribuées avec une certitude raisonnable au peintre à l’auteur ou à ses aides ou même serait d’une autre main ou atelier.
En ce qui concerne Assise en particulier, la critique n’est pas unanime sur le fait que Giotto aurait collaboré avec Cimabue dans l’église inférieure de la basilique d’Assise et éventuellement dans quelles parties dans la partie haute des fresques de l’église supérieure.
En ce qui concerne la partie inférieure des fresques de la Basilique qui représentent la Vie de saint François, la tradition les attribue à Giotto, et cette attribution est la plus accréditée par les historiens de l’art, mais certains ont évoqué le nom de Pietro Cavallini, peintre actif à Rome où il a réalisé les fresques de la basilique Santa Cecilia in Trastevere), plus âgé que Giotto, et que celui-ci a probablement rencontré à Rome.
Termes de la Questione Giottesca
Giotto, jusqu’à l’obtention du statut juridique de magister, ne pouvait avoir une autonomie artistique et d’entrepreneur ; en effet, seul le magister signait comme entrepreneur tous les contrats de l’atelier.
Par leur nature, les grandes fresques nécessitaient le concours de nombreux intervenants, dont les rôles étaient divers allant des plus humbles et à ceux hautement artistiques.
Les grands chantiers nécessitaient de nombreuses « mains » et parfois, partagés commercialement en plusieurs lots, divers ateliers réalisaient simultanément les commandes.
La grande aura que Dante a attribuée à Giotto déjà en 1300, année du premier jubilé, provenait probablement du fait que celui-ci avait été appelé par Boniface VIII à Rome justement à l’occasion de cet important évènement ; ce qui expliquerait l’abandon du cycle d’Assise, terminé probablement par un groupe de peintres différent de celui qui l’avait entrepris.
Selon certains, Giotto était trop jeune pour avoir une responsabilité aussi importante, mais selon d’autres, à cette époque où à cinquante ans la personne était déjà vieille, à l’âge de vingt-cinq/trente ans, la personne avait atteint sa maturité.
Il faut noter que dans le même cycle de fresques d’Assise, saint François est représenté imberbe dans les trois premiers épisodes, quand il était un peu plus qu’adolescent et vieux grisonnant, plié sous le poids des ans dans les derniers ; on sait que saint François est mort à l’âge de 44/45 ans.
La conception générale du cycle d’Assise est plutôt uniforme dans le message et dans le style faisant logiquement penser à une seule tête organisatrice.
Les caractéristiques de Cavallini, font penser qu’il restait attaché à la tradition pour pouvoir prendre en charge des « cose nuove » (nouveautés) aussi bien du point de vue iconographique que dans le style. La nouveauté, chez Giotto était dans la façon de voir les choses, réunies dans un espace et dans un temps toujours plus précis.
Giotto pourrait avoir demandé à Cavallini ou un maître de son atelier de l’aider sur ce chantier.
La hiérarchie des chantiers
Grâce à un document sur Giotto, se rapportant aux travaux près de Castel Nuovo à Naples, et à d’autres documents et témoignages relatifs à d’autres maîtres, il a été possible de reconstituer l’organigramme des chantiers de peinture.
L’existence du prothomagister, une sorte de chef de maîtres qui s’occupait d’opérations particulières, dans le cas des peintures ; il s’occupait du projet et de l’organisation et pouvait intervenir contemporainement sur trois chantiers (comme à Naples).
Sous le prothomagister existait une structure organisée hiérarchiquement de nombreux maîtres-peintres, maîtres -manœuvres et simples aides qui travaillaient sur la planification pendant la période nécessaire à leur intervention (parfois quelques jours).
L’activité « manuelle » du chef-maître était présente uniquement pendant quelques phases, particulièrement lors de la création artistique : son rôle était celui d’un « normalisateur » afin que le résultat final soit homogène grâce au nivellement des variables d’exécution des différents intervenants. Il existe une mention explicite de cette fonction dans un document relatif de Lippo di Benivieni de 1313.
En ce qui concerne la présence du maître et des collaborateurs sur le chantier, un document de 1347 concernant la décoration à fresque du Palais des Papes d’Avignon, par le maître Matteo Giovannetti : sur vingt-cinq travailleurs, trois ont le titre de maître (en incluant Giovannetti), mais seul le prothomagister est présent tous les jours tandis que les deux autres sont présents par intermittence et sont payés huit sous par jour. Les autres ouvriers qui sont payés de six à deux sous par jour ne sont présents qu’à des moments déterminés ou seulement lors de la phase initiale (montage des échafaudages) ou finale (démontage, finition, nettoyage des salles) ou occasionnellement pour des tâches ciblées.
Le maître en chef est présent depuis la création artistique (projet), puis pendant tout le travail il surveille et corrige le travail des autres et enfin comme auteur direct, il intervient dans la décoration en particulier dans la peinture des détails difficiles comme les figures humaines et les visages en particulier.
Un autre personnage parfois mentionné est le sollicitator fabricae, une sorte de contrôleur des travaux finalisant la conclusion du chantier.
La réalisation des grandes œuvres à fresque nécessitait donc un grand nombre d’intervenants et de compétences diverses.
Partage des tâches
Déjà à l’époque de Dioclétien (243-313), dans l’Édit du Maximum(Edictum De Pretiis Rerum Venalium– 301), où sont énumérés les divers travaux et les salaires respectifs pour tout l’Empire, concernant la peinture murale est évoqué un pictor parietarius payé 75 danari et d’un pictor imaginarius payé 150, correspondant probablement respectivement à l’exécuteur manuel des peintures et le projeteur ou dessinateur.
Cennino Cennini dans son Libro dell’arte parle de « maestrio » qui enseigne aux autres hommes comment devenir maîtres, à prendre dans le contexte comme le titulaire d’un atelier ou d’un chantier ayant de simples peintres sous ses ordres.
« [Pinturicchio] sia tenuto a fare tutti li disegni delle istorie di sua mano in cartoni et in muro, fare le teste di sua mano tutte in fresco, et in secho ritocchare et finire infino a la perfectione sua »
— Commentario alla vita di Bernardino Pintoricchio, Gaetano Milanesi.
Les termes de ce document sont confirmés dans de nombreux comptes-rendus de chantiers antérieurs jusqu’à l’époque de Giotto, ce qui laisse présager que les procès et les organisations des chantiers soient restés figés.
Un compte rendu contenu dans une lettre datée du 6 juin 1572 de Giorgio Vasari adressée à Cosme Ierde’ Medici, détaille les dépenses et le personnel nécessaires pour les fresques de la coupole de Santa Maria del Fiore. Sur ce document, Vasari demande outre le maître et personnel annexe, onze hommes pour le déroulement des travaux parmi lesquels :
Au moins trois manœuvres et maçons pour l’enduit ;
un maestro d’inportanza, picttore praticho, qui dirige le chantier tandis que Vasari reste in terra à faire les cartons
trois maestri picttori pour faire les drapés, paysages, modèles en cire et en terre (pour l’étude des ombres par Vasari pendant le dessin des cartons)
deux maestri picttori pour le décorations abstraites, décors, ciels et nuages et pour reporter les dessins sur les murs à partir des cartons (jusqu’au xve siècle par les sinopie, ensuite par d’autres moyens comme lespolvero ou la gravure)
deux manœuvres pour moudreles couleurs.
Il ne restait au maître que la réalisation du projet général, des cartons, la supervision, la normalisation des travaux des autres peintres et probablement la peinture des détails difficiles, surtout les figures humaines.
Une telle organisation, que Vasari indique être commune et se pratiquant dans d’autres villes, avait pour objectif la rapidité d’exécution des travaux avec le partage des tâches de façon que plusieurs opérations puissent être exécutées simultanément, mais surtout de ne pas perdre de temps lors de la pose de l’« intonaco a fresco » pendant lequel la peinture devait être étalée sans erreurs avant qu’elle ne sèche.
Les dessins préparatoires
Giacobbe Giusti, question giottesque
La Divina Commedia de Dante , fresque de Domenico di Michelino de la nef de Santa Maria del Fiore, sur un carton d’Alesso Baldovinetti.
Les dessins sur papier ou parchemin ou sur tout autre support antérieurs au xve siècle sont pratiquement inexistants ce qui pose question quant à leur usage par les maîtres au cours de cette époque.
À ce propos, Cennino Cennini, écrivait qu’il était normal de faire usage de dessins à échelle réelle pour réaliser des casamenti, tandis que Giorgio Vasari, en décrivant une fresque inachevée de Simone Martini, cite comme nostri maestri vecchi avaient l’habitude de faire un dessin de l’œuvre qui, par la suite, était agrandi au carré en sinopia.
Les dessins préparatoires avaient pour but de présenter le travail au client et étaient destinés à l’organisation du travail, servant à estimer la quantité en personnel et matériel nécessaire ainsi que le coût et le temps d’exécution.
Sur la disparition de ces dessins, il faut tenir comte que ceux-ci avaient uniquement une fonction de projet et devenaient inutiles une fois le fresque terminée, souvent coupés et tachés et abîmés par leur manutention sur le chantier. Les dessins étaient enfin calqués sur les parois afin de réaliser la sinopia, parachevée par le maître.
Parfois, le maître faisait un croquis puis le donnait à quelqu’un d’autre pour réaliser le dessin. Ce cas est évoque par Vasari dans Le Vitequand il décrit la façon par laquelle Andrea Pisano avait reçu un disegno bellissimo de Giotto pour réaliser la décoration sculpturale de la porte du campanile de Santa Maria del Fiore.
Il ne reste que peu de témoignages de ces pratiques mais il est probable qu’elles aient été largement pratiquées : En effet, récemment il a été découvert que les fresques de Palazzo Trinci à Foligno ont été payées à Gentile da Fabriano, cette hypothèse avait déjà été évoquée par certains historiens d’art en étudiant la composition générale des peintures, mais suivie avec perplexité à cause de la médiocre technique de peinture, expliquée par la création des seuls dessins préparatoires de la part du maître.
À la lumière de ces exemples, qui mettent en évidence de larges collaborations entre les divers maîtres, le concept de paternité et d’attribution est à manier avec précaution.
Travail en série : l’usage des « patrons »
Il problème de la « normalisation » était parfois résolu grâce à des artifices particuliers dont l’existence n’a été découverte que récemment.
Dans les documents des archives du xive et xve siècle on trouve souvent la mention patrones, qui ont été interprétés comme des figures modelées et dessins sur papier huilé ou cirée servent à la réalisation des divers dessins : figures humaines, éléments architecturaux, parties décoratives.
Ces patroni apparaissent à diverses reprises dans des documents servant d’ordres d’achats pour le matériel servant à leur réalisation ou à recruter le personnel pour les réaliser.
Cennino Cennini et certains prescripteurs dédient des chapitres entiers à la création du papier huilé transparent.
Parfois, lors de travaux de restauration, on découvre des feuilles de papier anciennes laissées dans des trous de boulin(Abbaye de Pomposa et Cappellone di San Nicola à Tolentino entre 1959-1964). Souvent l’absence de valeur de telles pièces, souvent usées et endommagées par les travaux, a fait passer sous silence de telles retrouvailles provoquant leur disparition.
En étudiant les fresques d’Assise, il est apparu des détails de certaines figures humaines ayant exactement les mêmes formes et dimensions, avec uniquement des variations dans l’inclinaison et parfois par un renversement recto/verso qui peut être expliqué uniquement par l’usage du compas ou par l’usage de pochoirs ou modèles transparents. Il existe une figure de guerrier et une de berger dont les éléments (veste supérieure, plis de l’habit qui couvre les jambes, bras et jambes) ont des dimensions identiques mais tournées de différentes manières afin de percevoir deux figures bien distinctes.
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Sainte-Irène est une église de Constantinople, construite dans un premier temps au ive siècle. Elle est la première cathédrale de la ville, avant l’inauguration de Sainte-Sophie. Elle est reconstruite au vie siècle sous Justinien, puis une nouvelle fois, sous sa forme actuelle, au viiie siècle. Comme le montre la comparaison des plans et des élévations de ces deux monuments, la structure de Sainte-Irène préfigure celle de Sainte-Sophie qui porte au plus haut niveau les solutions techniques adoptées ici.
Histoire
Église Sainte-Irène
L’église Sainte-Irène est construite au milieu du ive siècle par l’empereur Constantin Ier sur le site de la première église de la ville. Elle forme avec Sainte-Sophie l’ensemble ecclésiastique du patriarcat.
Incendiée en 532 lors de la sédition Nika, elle est reconstruite par Justinien en 5401 sous la forme d’une basilique à coupole. De nouveau détruite en 740 par un séisme, elle est rebâtie probablement par Constantin V. Après la conquête turque, elle n’est pas transformée en mosquée, mais utilisée comme arsenal.
Elle se trouve aujourd’hui intégrée au parc du musée de Topkapı et n’est pas ouverte au culte. Elle est désormais ouverte au public, moyennant un droit d’entrée de 20 livres turques, soit environ 6 euros (en 2016).
Description
Sainte-Irène est un des premiers exemples de transition du plan basilical à un plan en croix grecque. Dans sa forme actuelle, son architecture remonte au viiie siècle. Elle est la seule église byzantine à présenter un atrium d’origine.
La basilique couverte de deux coupoles se termine à l’est en une abside polygonale percée de trois grandes fenêtres en plein cintre. La grande croix qui orne la demi-coupole de l’abside, là où la tradition byzantine plaçait l’image de la Théotokos, est un témoignage unique de l’art de la période iconoclaste.
(de) Wolfgang Müller-Wiener, Bildlexikon zur Topographie Istanbuls : Byzantion, Konstantinupolis, Istanbul bis zum Beginn des 17. Jh., Tübingen, Wasmuth, (ISBN978-3-8030-1022-3), 112-117 ;
U. Peschlow, Die Irenenkirche in Istanbul, Tübingen, 1977
View of the Great Bath, part of the Roman Baths complex, a site of historical interest in the city of Bath, England. The baths, based on the local hot springs, were built during the Roman occupation of Britain and has become a major touristic site.
Mosaïque de bains publics (Sabratha, Libye) dont l’inscription, SALVOM LAVISSE, peut se traduire par « se laver est bénéfique ».
Les thermes romains (en latinthermæ, du grecthermos, « chaud ») sont des établissements abritant les bains privés ou publics (en latin : balnea) de la Rome antique qui participent au maintien de la santé publique en permettant aux populations de se laver dans de bonnes conditions d’hygiène. Leur ouverture progressive à toutes les couches sociales en fait des lieux de grande mixité. Durant l’Empire romain, la pratique du thermalisme dans des établissements dédiés accessibles à tous et offrant plus de services que la simple fonction de bain devient une caractéristique de la culture romaine.
Le terme latin thermae, qui dérive du grec θέρμαι1, semble apparaître assez tardivement pour désigner les grands établissements à double circulation2 ayant acquis les fonctions traditionnelles de la palestre grecque et dont les thermes de Néron sont le premier exemple à Rome3. Les sources antiques ne commencent à l’utiliser qu’après la construction des thermes de Titus, vers la fin du ier siècle, et des auteurs comme Cicéron ou Tite-Live ne l’emploient pas4. Avant cette évolution des dimensions pour accueillir davantage de baigneurs, les établissements de bains romains sont désignés par les termes balneae, balnea ou balinea (issus du grec βαλανειον), laconicuma 1 ou gymnasiuma 2,5. Ces termes ne disparaissent pas pour autant au profit du terme thermae et il semble se faire une distinction entre thermae et balnea, certaines installations comportant les deux comme les bains de Pompéi du consul de 64, Marcus Licinius Crassus Frugi6,a 3,n 1.
De manière générale, il semble que ce soit la taille et l’intégration de l’établissement dans le paysage urbain qui soient les critères permettant de distinguer les balnea des thermae après le ier siècle. Les premiers sont des établissements privés mais ouverts au public, de taille réduite et qui s’intègrent tant bien que mal dans les espaces réduits du tissu urbain. Au contraire, les thermaesont des établissements de grande taille qui sont construits au sein de vastes parcs et jardins entourés de portiques qui les séparent nettement des quartiers avoisinants. La construction de tels établissements est souvent prise en charge par l’État7.
Histoire
Les premiers bains romains
Plan des premiers thermes de Pompéi.
La pratique du bain chez les Romains s’inspire de celle attestée en Grèce depuis la fin du ve siècle av. J.-C. Les thermes de Stabies de Pompéi, fonctionnels dès le ive siècle av. J.-C., s’organisent autour d’une palestre centrale, élément typiquement grec, mais ne se composent au départ que de bains froids alimentés avec l’eau d’un puits8. Les premiers bains tièdes et chauds apparaissent durant la deuxième moitié du iie siècle av. J.-C. avec la diffusion du principe de l’hypocauste dans le monde romain que Pline l’Ancien attribue à Caius Sergius Orataa 4,8. Les premiers bains sont peu éclairés et lugubres7, le nombre et la taille des fenêtres étant réduits au minimum afin d’éviter les déperditions de chaleur. Ce problème est partiellement résolu avec l’apparition des tegulae mammatae (littéralement « tuiles à mamelons »). Ces tuiles plates équipées de pattes coniques permettent la création d’une cloison creuse où circule l’air chaud provenant de l’hypocauste. Ce principe est par la suite amélioré avec l’utilisation de conduits tubulaires dissimulés qui permettent une récupération de la chaleur plus efficace. Cette évolution technique, associée à l’invention des fenêtres en verre, entrainent une rapide transformation architecturale des bains qui deviennent plus vastes et plus lumineux à partir du ier siècle9.
L’ouverture au public et l’évergétisme impérial
Les premiers thermes sont privés et seules les villas des classes aisées disposent de bains et de latrines. Les premiers thermes publics n’apparaissent qu’au ier siècle av. J.-C. lorsque des particuliers commencent à proposer des bains froids et chauds et parfois des massages. Mais il faut attendre 19 av. J.-C. pour voir apparaître des thermes pensés pour accueillir un large public avec ceux construits sur l’ordre de Marcus Vipsanius Agrippa, proche conseiller et gendre de l’empereur Auguste. Peu à peu, aux bains froids s’ajoutent des salles tièdes et chaudes et les thermes se répandent dans toutes les provinces de l’Empire10. La pratique thermale devient caractéristique de la culture romaine et même les villes romaines les plus modestes s’équipent en établissements thermaux comme la colonie de vétéran de Timgad qui ne compte que 5 à 6 000 habitants mais qui possèdent huit établissements balnéaires11. Parfois, de riches citoyens font construire des thermes luxueux qu’ils mettent gratuitement à la disposition du public, une pratique qualifiée d’évergétisme par les historiens modernes. Dès le ier siècle, les premiers empereurs romains s’approprient cette pratique et font construire de grands thermes, à Rome et dans les provinces, dont l’accès est gratuit et ouvert à tous, considérés comme un cadeau de l’empereur à son peuple7.
Vers la fin du ier siècle av. J.-C., Rome compte environ 200 balnea11. Pour le ive siècle, les Régionnaires de Rome donnent un total de 856 bains pour la ville de Rome, dont la plupart sont de dimensions modestes mais dont certains rivalisent avec la magnificience des dix ou onze thermes impériaux recensés5. Si toutes les villes romaines possèdent des bains privés ou publics (certaines comme Trèves, Lutèce, Carthage, Éphèse ou Antioche possèdent des établissements rivalisant en taille et en luxe avec ceux de Rome11), cette profusion reste caractéristique de la ville de Rome. Par exemple, Pompéi et Ostie ne comptent que trois grands thermes et quelques balnea. Ces derniers sont toutefois plus luxueux que la plupart des balneade Rome5.
Pour les Romains, le bain représente à la fois un luxe et une nécessité. Ils se rendent aux bains ou aux thermes pour soigner leur hygiène corporelle grâce à des soins complets du corps. Le prix d’entrée dans les bains publics est généralement modique (un quadrans à l’époque de Cicéron), permettant l’accès à une grande partie du peuple. Toutefois, le prix d’entrée peut être très variable en fonction des services mis à disposition dans l’établissement12. L’accès est généralement gratuit pour les thermes impériaux7. Les thermes ne sont pas mixtes et les plus vastes voient certaines de leurs salles dédoublées afin de permettre un accès simultané aux hommes et aux femmes13. Toutefois, la plupart des thermes romains n’atteignent pas de telles proportions et pratiquent des horaires alternés pour chaque sexe, le matin étant généralement réservé aux femmes, tandis que les hommes en profitent tout l’après-midi et même en soirée14.
Les thermes, lieux de mixité sociale (toutes les strates de la société s’y retrouvent, même si elles ne se fréquentent pas nécessairement)m 1, ont aussi une fonction sociale importante : ils font partie intégrante de la vie urbaine romaine. Les Romains s’y lavent mais ils y rencontrent également leurs amis, font du sport, jouent aux dés, se cultivent dans les bibliothèques et peuvent aussi y traiter des affaires ou se restaurer.
La gestion des établissements de bains, surtout les plus modestes, est un métier peu réputé, difficile et peu rentable. Les quelques riches tenanciers représentés sur des mosaïques constituent une exception dans la profession12.
Si les thermes sont censés favoriser l’hygiène, la qualité des eaux peut laisser à désirerm 2. De plus, ils sont un lieu de propagation des nombreuses maladies qui sévissent dans la Rome antique (tuberculose, typhoïde, lèpre, malaria)15. Les thermes sont en effet recommandés par les médecins romains comme Celse, Galien ou Hippocrate qui les prescrivent pour soigner la tuberculose, la rage, les diarrhées ou les furoncles. Or, si les plus riches peuvent s’offrir un iatralipta (terme qui peut s’interpréter comme un médecin masseur) voire un chirurgien16, les autres citoyens, installés sur des banquettes le long des murs du laconicum ou du tepidarium, raclent la sueur avec un strigile. Les moins riches se frottent le dos et les membres contre la pavé ou les murs, ce qui peut favoriser la contagion de maladies infectieuses, notamment celles apportées par les commerçants, migrants et soldats. Les médecins romains, adeptes de la théorie des miasmes d’Hippocrate, ne réalisent pas que de nombreuses maladies sont causées par des microbes et que les thermes sont une source importante de ces germes infectieux17.
Architecture
Les plans-type
Les thermes impériaux
Avant l’avènement des grands thermes impériaux, les établissements balnéaires ne suivent pas de plan précis. Sous l’Empire, grâce à l’utilisation du béton, du verre et de nouvelles techniques de circulation de la chaleur, les thermes construits par les empereurs et les riches citoyens romains gagnent en taille et en luminosité. Les thermes impériaux deviennent de véritables complexes comprenant des équipements balnéaires chauds et froids, des piscines, des équipements sportifs (pistes de course, palestres) et des annexes dédiées à la culture et aux loisirs (auditoriums, bibliothèques)18. Se dessine alors progressivement un plan-type dont les bases sont posées avec la construction des thermes de Néron : une symétrie axiale avec dédoublement de certaines salles et une orientation selon un axe nord-sud19. Ce plan évolue au cours du ier siècleet acquiert ses traits définitifs avec la construction des thermes de Trajan. Le plan des thermes impériaux construits ultérieurement ne varie plus que sur certains détails et sur les dimensions toujours plus imposantes20.
Dans les provinces orientales, plus particulièrement en Asie Mineure, les thermes évoluent en un type de bâtiment complexe qualifié de thermes-gymnases21 issu de l’adaptation des pratiques thermales romaines aux installations grecques pré-existantes22. Certains de ces complexes se sont formés par simple accolement de thermes aux gymnases qui comportent déjà des installations balnéaires22. D’autres, dès l’époque républicaine, comportent une grande partie thermale et une palestre. Qualifiés de gymnasium ou de thermae, il s’agit en fait de thermes-gymnases23.
Les salles balnéaires
Les établissements thermaux se divisent en plusieurs salles aux fonctions proprement balnéaires. Les plus petits établissements ne proposent que le minimum de services et ne disposent que des principales salles (bains froids et chauds) dans des dimensions parfois très modestes12. Au contraire, les grands thermes impériaux se composent de très nombreuses salles, de grandes dimensions et souvent dédoublées.
Il s’agit d’une salle où les visiteurs se déshabillent et qui peut également faire fonction de vestiaires. Les baigneurs déposent leurs vêtements et affaires personnelles dans des niches, des casiers ou sur des étagères. Les vêtements sont parfois placés sous la surveillance directe d’un esclave24.
Cette piscine d’eau à température ambiante peut accueillir plusieurs baigneurs. Dans les petits établissements, la piscine (piscina) se trouve dans le frigidarium. Dans les établissements de plus grande importance, la piscine (natatio) occupe une salle indépendante, creusée au centre d’une cour à ciel ouvert qui peut être entourée d’un portique25.
Le tepidarium, cella tepidaria ou cella media est le nom donné à la pièce dite tiède. L’hypocauste n’est pas chauffé directement par son propre foyer mais par communication avec les salles chaudes situées à proximité. La pièce n’est pas équipée de dispositifs hydrauliques et devait servir de salle de transition entre les salles froides et les salles chaudes évitant aux baigneurs un changement trop brutal de température26. Dans les établissements balnéaires de dimensions modestes, le tepidarium sert également de salle de massages et est associé à l’unctuarium, une salle annexe où sont entreposés les huiles et les parfums26.
Le laconicum désigne l’étuve sèche, probablement chauffée à l’aide d’un brasero. Le sudatoriumcorrespond à l’étuve humide qui est chauffée par hypocauste. Ces deux salles, plus chaudes que le caldarium, permettent de provoquer une forte sudation nécessaire pour que le baigneur puisse se nettoyer la peau en profondeur27.
Il s’agit de la salle chaude équipée d’un hypocauste en sous-sol dont l’air est chauffé par un foyer. Les baigneurs peuvent simplement s’asperger d’eau chaude ou s’immerger dans les piscines14 dont l’eau est chauffée par une chaudière ou directement par le foyer de l’hypocauste27. Les thermes impériaux ne contiennent qu’un seul caldarium, placé généralement au centre de l’aile méridionale afin de profiter au mieux de la chaleur dispensée par les rayons solaires. Certains thermes romains en province peuvent contenir deux ou trois pièces de ce type28. Dans les bains de l’époque républicaine, le caldarium comprend une piscine d’eau chaude (alveus) à une extrémité de la pièce et une vasque d’eau froide (schola labri) à l’autre extrémité, placée au centre d’une abside29.
Restitution du caldarium des thermes de Pompéi avec la schola labri au centre.
Les salles sportives et culturelles
Les thermes complètent souvent leurs équipements proprement balnéaires avec une palestre pour l’exercice physique. Les grands thermes de l’époque impériale constituent de véritables complexes de loisirs avec des jardins, des salles de spectacle, des auditoriums où on peut écouter des orateurs14 et des bibliothèques. Ces espaces dédiés au sport et à la culture offrent la possibilité de prolonger le bain par un moment de détente pour le corps et l’esprit selon le célèbre précepte de Juvénal : « un esprit sain dans un corps sain » (en latin : mens sana in corpore sano).
Le sol recouvert de mosaïques est chauffé par un système de chauffage par le sol et de réservoirs, l’hypocauste, alimenté par un foyer attenant, le praefurnium. Les fumées du foyer sont évacuées par des conduites (tubuli) situées dans l’épaisseur des murs qui sont chauffés par la même occasion. L’approvisionnement en eau est effectuée grâce aux aqueducs.
L’apparition du verre permet aux architectes romains d’équiper les thermes de grandes fenêtres fermées pour limiter les déperditions de chaleurs mais le verre romain n’étant pas assez transparent pour laisser passer toute la lumière du Soleil ou pour profiter du paysage, les ouvertures pratiquées sur les façades donnant vers le sud sont laissées libres et sont équipées d’un système de volets amovibles qui s’ouvrent plus ou moins afin de contrôler plus efficacement la température intérieure7.
Des femmes se servent de strigiles et d’éponges pour se nettoyer la peau, Lawrence Alma-Tadema, 1879.
Après leur matinée de travail, les Romains vont couramment aux thermes pour se détendre et suivent un parcours d’échauffement progressif puis de refroidissement. Les premiers itinéraires sont rétrogrades, c’est-à-dire que le baigneur passe par les mêmes pièces à l’aller et au retour. Il a ensuite évolué afin de ne pas faire repasser le baigneur par les mêmes salles et de limiter les croisements entre baigneurs. L’itinéraire est devenu circulaire pour les grands thermes et semi-circulaire pour les installations plus petites.
Tout d’abord, le baigneur dépose ses vêtements dans les vestiaires (apodyterium ou spoliatorium), puis s’échauffe en faisant du sport pour transpirer : jeux de balles, course à pied ou haltérophilie. Celui qui ne souhaite pas réaliser un effort physique se rend dans le tepidarium, la salle tiède, puis dans la salle plus chauffée du laconicum (étuve sèche) ou du sudatorium (étuve humide) afin de transpirer10. Il passe ensuite aux bains chauds, se racle la peau à l’aide d’un ustensile appelé le strigile, sorte de racloir en fer recourbé puis il pénètre dans l’étuve (caldarium). Le bain de propreté est alors terminé. Après s’être reposé dans le caldarium, le baigneur passe aux bains tièdes, aux bains froids, pour enfin aller se faire masser, épiler ou encore parfumer. Généralement, les Romains s’enduisent le corps d’huile dans le destrictarium (les Romains n’utilisent pas le savon, cependant connu des Gaulois). Les huiles et parfums sont conservés dans un unctuarium, une salle présente et identifiée dans les thermes romains de Glanumpar exemple.
Littérature
Dans ses Lettres à Lucilius (livre VI, lettre 56), le philosophe romain Sénèque se plaint du bruit montant des bains publics au-dessus desquels se trouve son logis au moment où il écrit. Source de nombreux détails de la vie quotidienne aux bains, son texte forme une réflexion sur l’évolution de l’architecture et de l’usage des thermes au fil du temps, mais aussi plus généralement sur le thème de l’agitation quotidienne opposée au calme que recherche le philosophe.
Bande dessinée
Le manga japonais Thermae Romae, publié par Mari Yamazaki de 2008 à 2013, relate les aventures d’un architecte romain spécialisé dans les thermes qui se retrouve régulièrement propulsé dans des onsen, des bains japonais, au xxe siècle. L’intrigue est le prétexte à des aventures comiques et pédagogiques qui dressent un parallèle entre les cultures des bains des deux pays et des deux époques.
Notes
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Yvon Thébert, Thermes romains d’Afrique du Nord et leur contexte méditerranéen : études d’histoire et d’archéologie, École française de Rome, , 733 p.
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