Teseo liberatore, Museo archeologico nazionale di Napoli, (inv. nr. 9043). Da Pompei, Casa di Gavius Rufus. Teseo ha appena ucciso il minotauro riverso a terra nell’ ingresso del labirinto, e viene ringraziato dai giovinetti ateniesi destinati a finire in pasto al mostro, mentre sulla destra il popolo cretese assiste sorpreso all’evento.
Dans la mythologie grecque, Thésée (en grec ancienΘησεύς / Thêseús) est un héros de l’Attique, fils d’Égée (ou de Poséidon) et d’Éthra. Son nom proviendrait de la même racine que θεσμός / thesmós, en grec « institution ».
Héros fondateur, à l’instar de Perséeou Héraclès, Thésée est vénéré par les Ioniens et est considéré par les Athéniens comme leur grand réformateur : roi mythique d’Athènes, il est rendu responsable de l’unification politique de l’Attiquesous la domination athénienne1. Son règne marque aussi une période de paix avec les Thessaliens et les Béotiens2. En tant que roi unificateur, Thésée est censé avoir construit et occupé un palais de la forteresse de l’Acropole, qui peut avoir été semblable au palais excavé de Mycènes. Le géographe Pausanias rapporte qu’après le synœcisme, Thésée a établi un culte de l’AphroditePandémos (« de tout le peuple ») et Péitho sur le versant sud de l’Acropole. Dans Les Grenouilles, Aristophane lui attribue l’invention de nombreuses traditions athéniennes, dont celle de la consécration de la chevelure des éphèbes. Son exploit le plus célèbre et sa légende donnent lieu à de nombreuses interprétations. Certains spécialistes de l’histoire des religions ont souligné l’importance de la mythologie lunaire dans les légendes de Thésée3.
Le mythe
Naissance et enfance
Égée, roi d’Athènes, n’a pas eu d’enfant avec ses différentes épouses et souhaite avoir un fils. Il consulte l’oracle de Delphes afin de mettre un terme à sa stérilité. La Pythie lui enjoint de ne délier le col de son outre en aucun cas avant d’avoir atteint le plus haut degré d’Athènes. Devant ces paroles énigmatiques, Égée se rend chez la magicienne Médée et contre une protection, elle promet de lui trouver une femme. Sous l’enchantement, Éthra, fille du roi Pitthée de Trézène, s’éprend d’Égée. Après l’étreinte, la jeune femme se réfugie dans l’île de Sphaéra, où elle s’unit au dieu Poséidon. Doublement honorée cette nuit-là, elle met au monde un fils, Thésée4.
Égée, qui doit repartir pour Athènes, n’assiste pas à sa naissance, mais recommande à Éthra de l’élever selon les normes de son rang, dépose une épée et des sandales d’or sous un rocher, insignes royaux qui lui dévoileraient le secret de sa naissance le jour où il pourrait soulever la roche. Enfant précoce et vigoureux, Thésée a aussi reçu en partage la séduction, la ruse et le courage. Émerveillée par tant de dons, sa mère le conduit devant le rocher : il le soulève facilement et comprend son identité royale. Il ignore cependant encore sa filiation avec Poséidon. Thésée prend la route vers Athènes ; en chemin, il tue Périphétès, Procuste, Sciron, Cercyon, et Sinis, brigands qui s’en prennent aux voyageurs, puis débarrasse la région de Crommyon5 d’une laie qui ravage les cultures et tue des hommes.
Arrivée à Athènes et avènement royal
Lorsque Thésée arrive à Athènes, il ne révèle pas immédiatement sa véritable identité. Égée qui l’accueille éprouve quelques soupçons à l’égard de l’étranger tandis que sa femme Médée essaie de le faire tuer en lui demandant de capturer le taureau de Marathon.
Sur le chemin de Marathon, Thésée s’abrite de l’orage dans la cabane d’une vieille femme, Hécalé. Elle promet de faire un sacrifice à Zeussi Thésée parvient à capturer le taureau. C’est ce qui se produit, mais à son retour, il trouve la vieille femme morte. En son honneur, Thésée donne son nom à l’un des dèmes de l’Attique, faisant d’une certaine manière de ses habitants les enfants adoptifs de la défunte.
De retour de Marathon en vainqueur du taureau à Athènes4, Thésée est victime d’une tentative d’empoisonnement par la reine, mais au dernier moment, il est reconnu à ses sandales, son bouclier et son épée par Égée qui écarte le vin empoisonné. Thésée partage dès lors avec lui le gouvernement de la cité.
Athènes vit un drame : depuis la mort de son fils et sa victoire sur les Athéniens, Minos, roi de Crète, exige que la ville lui envoie tous les 9 ans un tribut de sept jeunes hommes et de sept jeunes filles qu’il donne en pâture au Minotaure. Thésée décide de mettre fin à ce carnage et se rend en Crète avec les jeunes victimes afin de tuer le monstre4. Égée fait tout pour le convaincre de rester, mais Thésée reste inébranlable6.
Minos se moque de ce jeune homme qui prétend entrer dans le labyrinthe de Dédale, exterminer le monstre et en ressortir sain et sauf. C’est ne pas tenir compte de sa propre fille, Ariane qui est tombée amoureuse de Thésée et qui va lui donner une pelote de fil pour lui permettre de retrouver la sortie. Il abat le monstre avec le glaive qu’Ariane a volé à son père — glaive offert par Héphaïstos pour son mariage avec Pasiphaé — ressort du labyrinthe et se sauve en mer avec ses compagnons et Ariane qui a trahi son père à condition qu’il l’épouse. Il abandonne Ariane sur une île déserte après l’avoir endormie sur les conseils du capitaine du bateau. Il sait pourtant qu’Ariane a trahi sa famille pour lui et que si elle revient à Knossos elle se fera exécuter par son père pour trahison. Il rentre donc sans elle à Athènes. Égée attend du haut d’un promontoire le retour du bateau et guette la couleur des voiles : selon un accord passé avec son fils, elles seront blanches en cas de victoire. Mais Thésée oublie de les changer et les voyant noires, Égée se jette dans la mer qui, désormais, porte son nom7. Après ce tragique événement, Thésée devient le roi d’Athènes.
Maturité et mort
Thésée enleva Hélène, et les Dioscures lui firent une guerre pour la récupérer8. Thésée vient ensuite en aide à son ami Pirithoos lors de la bataille contre les Centaures, et lui assure la victoire7. Avec Pirithoos, ils descendent aux Enfers pour enlever Perséphone9 mais sont capturés par Hadès et entravés par un rocher. Héraclès parvient ensuite à délivrer Thésée, mais échoue à aider Pirithoos, qui reste à jamais scellé à la pierre.
Outre Ariane, Thésée a épousé Antiope ou Phèdre, et en a divorcé selon les versions. Selon la première version, il a enlevé Antiope, ce qui conduit les Amazones à envahir l’Attique, mais l’invasion est glorieusement repoussée par Thésée ; c’est ce qu’on appelle l’Amazonomachie7. Ensemble, ils ont un fils Hippolyte. Mais la femme de Thésée meurt en combattant aux côtés de son mari.
Thésée se remarie avec Phèdre, qui se montre cruelle avec Hippolytelorsqu’il s’est refusé à elle10, accusant son beau-fils d’avoir tenté de la séduire. De passage à Delphes, Thésée se coupe la chevelure et en fait don à Apollon. La coutume dans l’Athènes antique veut que les jeunes hommes de l’Antiquité consacrent également leur chevelure (gardée longue jusqu’à la puberté) à une divinité – Héraclès le plus souvent – dans les murs de leur cité ; ce rite les fait passer à l’âge adulte. Dans Les Caractères du philosophe Théophraste, le Poseur11 qu’il décrit pousse l’ostentation jusqu’à faire voyager son fils à Delphes afin d’imiter Thésée12.
Sa réforme, appelée synœcisme, c’est-à-dire réunir tous les peuples attiques en une unique entité politique, et organiser un pouvoir central établi sur l’Acropole, divisa les territoires contigus ainsi que la répartition du peuple en trois classes : les nobles, les artisans et les cultivateurs (selon Thucydide13). Ce faisant, les royautés locales furent abolies, puis une réaction contre cette nouvelle forme de pouvoir populaire valut à Thésée d’être frappé d’ostracisme, banni, victime de sa loi14,15 ; Diodore de Sicile ajoute qu’il meurt en exil. Selon la mythologie, il doit fuir à Scyros pour échapper à Ménesthée, usurpateur d’Athènes16, mais y est tué par le roi Lycomède17.
La construction du mythe
Les origines du mythe remontent au viie siècle av. J.-C., notamment d’une épopée archaïque appelée la Théséïde, transmise de manière orale, et dont les appositions par écrit ont été perdues. La première représentation découverte de Thésée est une amphore datant de 700 av. J.-C., sur laquelle il combat un Centaure18. Avant le ve siècle, Thésée est surtout représenté comme le vainqueur du Minotaure et comme l’ami du héros thessalien Pirithoos, avec qui il a combattu les centaures thessaliens. La légende de Thésée grandit vers le vie siècle av. J.-C., comme en témoignent les nombreux vases à son effigie datés de cette période, et son apparition dans les tragédies attiques. C’est dans le courant du ve siècle que le personnage de Thésée est récupéré par l’idéologie civique athénienne, qui fait de lui le fondateur de la cité, de son calendrier, de ses fêtes religieuses, et même de la démocratie. Un culte est rendu à son prétendu tombeau. En dehors d’Athènes, Thésée est surtout connu pour avoir été l’époux malheureux de Phèdre19. Plutarque, au iie siècle, fait une synthèse des récits sur le personnage de Thésée dans ses Vies parallèles. Il avait à sa disposition de nombreux écrits et poèmes qui ont aujourd’hui disparu, mais a en grande partie négligé la tradition orale du récit mythique de Thésée, et aussi les représentations faites sur les vases des vie et ve siècles av. J.-C.20.
Version d’Hérodore
Plutarque de Chéronée rapporte dans sa Vie de Thésée que d’après le mythographe Hérodore d’Héraclée, Thésée ne prit part qu’au combat contre les Centaures, et qu’il aida Adraste à ensevelir les corps après la bataille des Sept contre Thèbes — action à l’origine de l’obligation d’ensevelir des cadavres des guerres. Il épousa Antiope après une guerre ultérieure à celle des travaux d’Héraclès, qu’il ne rencontra que pendant le massacre des Centaures.
Évocations artistiques
Littérature
Théséïde, épopée archaïque apparue vers le viie siècle av. J.-C.19
Émile Chambry, Émeline Marquis, Alain Billault et Dominique Goust (trad. Émile Chambry), Lucien de Samosate : Œuvres complètes, Éditions Robert Laffont, coll. « Bouquins », , 1248 p.(ISBN9782221109021)
Claude Calame, Thésée et l’imaginaire athénien, Payot, coll. « Sciences humaines », Lausanne, 1996 (2e édition)(ISBN2601031751)
Henri Jeanmaire, Couroi et Courètes : essai sur l’éducation spartiate et sur les rites d’adolescence dans l’Antiquité hellénique, Lille, Bibliothèque universitaire, 1939
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinci et ceux de Michel-Ange.
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes. Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
Giacobbe Giusti, Humanisme
Marcus Tullius Cicero, by Bertel Thorvaldsen as copy from roman original, in Thorvaldsens Museum, Copenhagen
Durant l’Antiquité, Grecs et Romains représentent leurs dieux sous des apparences humaines réalistes.
Ici, une statue romaine représentant le dieu Apollon (IIe s av. J.-C.).
La citation du philosophe grec Protagoras, « L’homme est la mesure de toutes choses », et l’Homme de Vitruve, dessin de Léonard de Vinci (fin XVe), sont les symboles les plus connus de la pensée humaniste.
Giacobbe Giusti, Humanisme
Allégorie de l’humanisme des Lumières, au xviiie siècle, le frontispice de l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. La Philosophie et la Raison arrachent le voile de la Vérité. À leurs pieds : l’Histoire, l’Astronomie, l’Optique, la Géométrie et différentes sciences.
Gravure de Benoît-Louis Prévostd’après Charles-Nicolas Cochin, 175
Créé à la fin du xviiie siècle et popularisé au début du xixe siècle1, le terme « humanisme » a d’abord et pendant longtemps désigné exclusivement un mouvement culturel prenant naissance au xive siècle en Italie puis se développant dans le reste de l’Europe. Moment de transition du Moyen Âge aux Temps modernes, ce mouvement est tout entier porté par l’esprit de laïcité qui se manifeste alors, point de départ d’une crise de confiance profonde qui affecte l’Église catholique, donc toute la chrétienté.
Les penseurs de la Renaissance se réclamant d’une part des philosophes antiques, n’abjurant pas d’autre part leur foi chrétienne, le mot « humanisme » a fini par désigner un ensemble de valeursconsidérées comme plus ou moins communes à l’ensemble de l’Occident depuis le judéo-christianisme2 et l’Antiquité gréco-romaine et indissociablement liées à l’idéologie du progrès3.
Dans la neuvième édition de leur Dictionnaire (2011), les académiciens définissent ainsi le mot : « doctrine, attitude philosophique, mouvement de pensée qui prend l’Homme pour fin et valeur suprême, qui vise à l’épanouissement de la personne humaine et au respect de sa dignité ».
Le Larousse donne quant à lui cette double définition : « 1) philosophie qui place l’homme et les valeurs humaines au-dessus de toutes les autres valeurs. 2) Mouvement intellectuel qui s’épanouit surtout dans l’Europe du xvie siècle et qui tire ses méthodes et sa philosophie de l’étude des textes antiques ».
Le mot « humanisme » découle des mots homme, humain et humanité qui ont eux-mêmes des origines latines : homo, humanus, humanitas.
À la fin du Moyen Âge, les esprits érudits utilisent la formule studia humanitatis pour désigner l’étude de « ce qui caractérise l’être humain », puis l’expression litterae humaniores(que l’on peut traduire par « enseignements profanes ») pour distinguer ceux-ci des litterae divinae et sacrae (« enseignements divins et sacrés », relatifs aux Saintes Écritures, donc de caractère théologique, tels que répandus par la scolastique).
Lorsque le français supplante le latin en tant que langue usuelle apparaît le terme humanités, pour désigner les collèges dispensant l’enseignement des arts libéraux.
Selon certaines sources, l’adjectif « humaniste » est attesté en 15394mais selon d’autres, il ne l’est qu’à la fin du xvie siècle, pour désigner tout homme « érudit et lettré », attaché aux humanités5.
En 1580, dans ses Essais, Montaigne utilise à trois reprises le mot « inhumain », notamment pour stigmatiser les jeux du cirque dans la Rome impériale et pour dénoncer la barbarie de la déportation des Juifs du Portugal6.
Le mot « humanisme » n’apparaît qu’en 1765, dans le journal Éphémérides du citoyen7 et signifie « amour de l’humanité ». Il reste toutefois inusité pendant plusieurs décennies car il est concurrencé par le mot « philanthropie », lui-même attesté à partir de 1551 et explicitement défini dans L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Le Dictionnaire de l’Académie française (4e édition en 1762 ; 5e en 1798) définit d’ailleurs l’humanisme comme le « caractère du philanthrope »5.
En 1846, P.-J. Proudhonconfère au mot « humanisme » un sens philosophique.
En 1808, le théologien allemand Niethammer généralise le terme « humanisme » dans un ouvrage intitulé Der Streit des Philanthropinismus und des Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unsrer Zeit(« Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle »), en réaction précisément au concept de philanthropie. Aussitôt, Hegel félicite Niethammer d’avoir opéré la distinction d’avec le terme « philanthropie »8.
Le mot « humanitaire » apparaît dans les années 1830 : il est alors principalement utilisé dans un sens ironique, voire péjoratif9. « Humanitaire veut dire homme croyant à la perfectibilité du genre humain et travaillant de son mieux, pour sa quote-part, au perfectionnement dudit genre humain », ironise le poète Alfred de Musset en 183610 ; Gustave Flaubert se moque de l’« humanitarisme nuageux » de Lamartine en 18419.
En 1846, dans Philosophie de la misère [archive], Proudhon donne pour la première fois au mot « humanisme » un sens philosophique (« doctrine qui prend pour fin la personne humaine ») mais pour critiquer la valeur du terme : « je regrette de le dire, car je sens qu’une telle déclaration me sépare de la partie la plus intelligente du socialisme. Il m’est impossible (…) de souscrire à cette déification de notre espèce, qui n’est au fond, chez les nouveaux athées, qu’un dernier écho des terreurs religieuses ; qui, sous le nom d’humanisme réhabilitant et consacrant le mysticisme, ramène dans la science le préjugé »11. À la même époque, Marx rejoint les positions de Proudhon mais sans utiliser le terme. Comme lui, il conteste l’intérêt de se focaliser sur la nature humaine (ou « essence de l’homme ») et pointe en revanche la nécessité de s’interroger sur sa condition, consécutivement au processus d’industrialisation qui se développe alors. Sous son influence, le terme « humanisme » va donc changer progressivement de sens (lire infra).
A la fin du xixe siècle, les théories de Darwin (ici caricaturé par un journal malveillant) bouleversent le sens du mot « humanisme ».
En 1874, la Revue critique définit le mot ainsi : « théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même »12 mais, la plupart du temps, l’approche philosophique n’est guère relayée ensuite et le terme est de plus en plus être réduit à l’humanisme de la Renaissance. Ainsi en 1877, le Littréle définit comme « la culture des belles-lettres, des humanités » tandis que, la même année, la Revue des deux mondes lui donne le sens de « mouvement intellectuel européen des xve et xvie siècles qui préconisait un retour aux sources antiques par opposition à la scolastique [la tradition universitaire médiévale, méprisée pour son dogmatisme] ». La plupart des ouvrages de vulgarisation ne retiennent aujourd’hui que cette approche du terme.
À la fin du xixe siècle, le développement de la pressecontribue à ce que le concept d’humanité n’interpelle plus seulement les intellectuels mais un nombre croissant d’individus. Les journaux rendant compte aussi bien des théories darwiniennes que d’événements survenant dans le monde entier, le sens du mot « humanisme » se trouve progressivement mais profondément infléchi dans une visée historiciste et matérialiste. En 1882, le supplément du Littré donne au mot une double acception : « 1) la culture des humanités ; 2) une théorie philosophique qui rattache les développements historiques de l’humanité à l’humanité elle-même ».
Au début du xxe siècle, le mot « humanité » entre dans le langage courant (en 1904, Jean Jaurèsfonde le journal L’Humanité), le mot « humanisme » se répand également, associé non plus à une théorie débattue par quelques philosophes mais à un sentiment diffus.
En 1939, dans la lignée du saint-simonisme, l’ingénieur français Jean Coutrot invente le terme « transhumanisme » pour promouvoir une économie rationnelle de l’économie14. Ce mot sera brièvement repris à la fin des années 1950 et son usage ne se généralisera qu’à la fin du xxe siècle.
Le terme « antihumanisme » apparaît en 1936 dans un ouvrage du philosophe Jacques Maritainpour désigner les penseurs qui, durant la seconde moitié du xixe siècle et au début du xxe, ont radicalement remis en question la validité du concept d’humanisme (principalement Marx, Nietzsche et Freud)15. Et quand, peu après, les philosophes Sartre et Heideggerdébattent eux aussi de la pertinence du concept, un grand nombre d’intellectuels – aussi bien chrétiensqu’athées – se réclament de l’humanisme (lire infra), ce qui contribue à rendre le concept assez flou.
En 1957, Julian Huxley, biologiste et théoricien de l’eugénismeanglais, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme ». Il définit le « transhumain » comme un « homme qui reste un homme, mais qui se transcende lui-même en déployant de nouvelles possibilités pour sa nature humaine »16. Le concept du « transhumanisme » sera repris dans les années 1980 par plusieurs techniciens de la Silicon Valley pour prôner un nouveau type d’humanité, où la technique serait utilisée non seulement pour remédier aux maladies (médecine) mais pour doter l’homme de capacités dont la nature ne l’a pas pourvues (concept d’ homme augmenté). Par son caractère technophile, le transhumanisme est une philosophie ouvertement optimiste.
En 1980, l’écrivain suisse Freddy Klopfenstein invente le mot « humanitude »17. En 1987, le généticien Albert Jacquard le reprend et le définit comme étant « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être, et qu’ils peuvent se faire encore en un enrichissement sans limites »18.
En 1999, Francis Fukuyama et Peter Sloterdijk développent les concepts « post-humanité » et « post-humanisme » (qui, comme « transhumanisme », renvoie à l’idée que, du fait de la prolifération des « technologies », les concepts d’humanisme et d’homme ne sont plus pertinents), mais cette fois pour s’en inquiéter19,20,21.
Au xxie siècle, les néologismes« transhumanisme » et « post-humanisme » restent peu usités dans le langage courant. En revanche, bien que peu d’intellectuels s’en réclament, le concept d’humanisme donne lieu à de nombreuses publications (lire infra), le succès du mot croît en proportion avec celui des actions d’aide humanitaire. Il inonde la sphère politique, au point d’être revendiqué dans des milieux idéologiquement opposés, aussi bien par des grands chefs d’entreprises s’affichant chrétiens22que par des opposants au système capitaliste se réclamant de l’athéisme23.
À tel point que le terme est aujourd’hui un mot fourre-tout : on trouve ainsi des auteurs pour avancer que Sylvester Stallone(acteur hollywoodien et adepte du body building) est un humaniste24. Le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe va même jusqu’à argumenter que « le nazisme est un humanisme »25. Dans ce contexte de dilution de sens du mot, et dans le but de réactualiser celui-ci, quelques intellectuels tentent d’imposer des néologismes. En 2001, Michel Serres utilise le mot « hominescence »26, « pour désigner ce que vit l’humanité depuis la seconde moitié du xxe siècle : un changement majeur dans notre rapport au temps et à la mort »27. Et en 2016, le prospectiviste français Joël de Rosnay prédit l’émergence d’un hyperhumanisme, « bien préférable selon lui au cauchemar transhumaniste »28.
Les origines de l’humanisme
Considérés comme les premiers propagateurs de la pensée humaniste, les philosophes de la Renaissance (Dante, Pétrarque… puis Marsile Ficin, Pic de la Mirandole et plus tard Montaigne) n’en sont pas pour autant les initiateurs car ils se sont systématiquement référé aux penseurs grecs et romains et n’ont eu de cesse d’en faire l’éloge. Et bien qu’ayant ostensiblement tourné le dos à la pensée scolastiqueérigée par l’Église, ils n’ont jamais renié leur foi chrétienne. C’est pourquoi l’on peut considérer que « la matrice de l’humanisme occidental est double, comme s'(il) avait été enfanté simultanément dans deux ventres » : il y a d’une part l’Antiquité classique, d’autre part le judéo-christianisme29.
Symbole du judaïsme, l’étoile de David, est composée de deux triangles superposés, l’un pointé vers le haut, l’autre vers le bas, évoquant respectivement l’aspiration de l’homme vers Dieu et l’amour de Dieu pour l’homme.
La religion juive trouve son origine au viiie siècle av. J.-C. avec le début de la rédaction du Livre de la Genèse (qui se poursuit jusqu’au iiesiècle av. J.-C.), qui est un récit des originesmythique commençant par celui de la création du monde par Dieu, et par un autre, qui relate la création du premier couple humain, Adam et Ève. Ce récit confère à l’être humain un rôle explicitement supérieur par rapport aux autres espèces, principalement du fait des capacités de sa conscience et du degré de complexité de son langage. L’épisode de l’arbre de la connaissance du bien et du malattribue aux humains une prérogative, la réflexion éthique, et confère à celle-ci une explication précise : l’homme et la femme vivaient dans le jardin d’Éden et Dieu leur avait formellement défendu de manger les fruits de cet arbre ; c’est parce qu’ils lui ont désobéi qu’est née l’humanité et que celle-ci s’est retrouvée de facto empêtrée dans un ensemble de contradictions, qu’elle a ressentie alors comme une imperfection fondamentale : le péché. Selon le judaïsme, donc, la conscience (d’être humain) résulte fondamentalement d’une transgression de la loi divine : la Chute.
Abdennour Bidar fait remarquer qu’il est « apparemment contradictoire » de présenter le monothéismecomme matrice de l’humanisme : « A priori, le principe même du monothéisme semble incompatible avec l’exaltation de l’homme qui fonde tout humanisme ; s’il y a un seul Dieu, il concentre nécessairement en lui-même toutes les qualités, toutes les perfections… et il ne reste pour l’homme que les miettes d’être, des résidus de capacités sans commune mesure avec leur concentration et leur intensité dans le Dieu. Trop de grandeur accordée à Dieu, toute la puissance et la sagesse concentrées en (lui), n’écrasent-ils pas radicalement et définitivement l’être humain ? »30.
Le philosophe Shmuel Triganosouligne à son tour la contradiction : « Comment une croyance focalisée sur un être suprême et unique pourrait-elle s’ouvrir à la reconnaissance d’un autre être, en l’occurrence l’homme ? C’est en posant cette question, en apparence insoluble (…) que l’on a dénié, le plus souvent, toute capacité au monothéisme d’être aussi un humanisme, d’engendrer un monde fait pour l’homme ». Trigano répond alors lui-même à cette question, en se livrant à une analyse du mythebiblique de la création, tel que formulé dans le Livre de la Genèse : « Ce que l’on comprend dans le récit de la création en six jours, (c’est que) le Dieu créateur s’arrête de créer le sixième jour, le jour précisément où il crée l’homme, comme si s’ouvraient alors le temps et l’espace de l’homme, d’où la divinité se serait retirée. (…) Que peut alors signifier cette création qui s’arrête au moment où l’homme est créé ? Que l’homme est l’apothéose de cette création, certes (…) mais aussi que le monde reste inachevé dès le moment où l’homme y apparaît (…). Il y a (donc) l’idée que la création est désormais autant dans les mains de l’homme que (dans celles) du dieu créateur »31.
S’appuyant sur les travaux de C. G. Jung (Réponse à Job(en), 195232), Bidar estime que le texte qui lui paraît le plus significatif de l’orientation humaniste du monothéisme juif est le Livre de Job, au cours duquel un humain (Job) tient tête à Dieu lors d’un long dialogue avec lui et parvient, ce faisant, à ce que Dieu lui-même se métamorphose en devenant plus aimant à l’égard de l’homme »33.
Le christianisme
Bidar avance l’idée qu’avec le christianisme, Dieu lui-même devient « humaniste » : « le Dieu s’humanise en un double sens : il devient homme en s’incarnant, humain en se sacrifiant, comme une mère le fera avec son enfant (…). Dans quelle autre religion le dieu se sacrifie-t-il pour l’homme ? »34.
Mais que disent les sources elles-mêmes ? À ses disciples qui lui demandent de formuler clairement son message, Jésus de Nazarethrépond : « Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton cœur, de toute ton âme, et de toute ta pensée. C’est le premier et le plus grand commandement. Et voici le second, qui lui est semblable : tu aimeras ton prochain comme toi-même »35. Mais quand, peu avant, il leur recommande de « rendre à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César »36, il les invite au contraire à séparer le registre divin et le registre des humains. De même, quand Paul de Tarse, fondateur historique du christianisme, exhorte : « ne vous conformez pas au siècle présent »37, il entend que le chrétien doit s’immerger dans le monde sans jamais en partager les valeurs. Dès les premiers siècles, les Pères de l’Église combattront ceux qui remettront en cause, par delà « le mystère de l’incarnation », ce que celui-ci recouvre, le caractère indissociable des commandements : aimer Dieu, aimer son prochain, s’aimer soi-même.
Les rapports entre christianisme et humanisme sont complexes du fait de la diversité des interprétations de la formule « aimer son prochain ». De la Renaissance au xxe siècle, bon nombre de penseurs ont été classés « humanistes » et « chrétiens »38, ce qui pose la question : « le christianisme est-il un humanisme ? »39. À cette question, ceux qui – peu ou prou – assimilent « le prochain » (personne concrète) et « les humains » (entité abstraite) ont tendance à répondre par l’affirmative40 ; ceux qui, au contraire, tiennent à établir une différence répondent négativement41, allant jusqu’à reprocher à leurs adversaires de transformer le christianisme « en un lénifiant humanisme philanthropique », « de la soupe compassionnelle », du « bon sentiment dégoulinant d’empathie »42. En 1919, le philosophe Max Scheler qualifiait quant à lui l’« humanisme chrétien » d’humanitarisme : « L’humanitarisme remplace, « le prochain » et « l’individu » (qui seuls expriment vraiment la personnalité profonde de l’homme) par « l’humanité » (…). Il est significatif que la langue chrétienne ignore l’amour de l’humanité. Sa notion fondamentale est l’amour du prochain. L’humanitarisme moderne ne vise directement ni la personne ni certains actes spirituels déterminés (…), ni même cet être visible qu’est « le prochain » ; il ne vise que la somme des individus humains »43.
Le théologien protestant Jacques Ellul interprète ce clivage entre pro- et anti-humanistes en milieu chrétien comme la conséquence d’un événement survenu au début du ive siècle. Jusqu’alors, l’Empire romain faisait preuve de tolérance à l’égard de toutes les positions religieuses, sauf précisément envers les chrétiens, qu’il persécutait (du fait que, fidèles à l’enseignement du Christ, ceux-ci ne voulaient pas prêter allégeance à l’empereur). Mais en 313, l’empereur Constantins’est converti au christianisme (édit de Milan) pour affirmer son autorité dans le domaine religieux (césaropapisme) : dès lors qu’il a demandé aux évêques de devenir ses fonctionnaires et que ceux-ci y ont consenti, le christianisme est devenu une religion d’État et s’est retrouvé subverti par lui44,45. L’humanisme de la Renaissance ne s’oppose donc pas au christianisme mais il résulte de la politisation de celui-ci ; laquelle provoque à son tour la division des chrétiens entre les « pro-humanistes », qui acceptent l’immixtion de l’Église dans les affaires temporelles (ou simplement le fait qu’elle émette des avis à leur sujet) et les « anti-humanistes », qui refusent cette intrication.
L’Antiquité grecque
S’appuyant sur les travaux de Marcel Détienne et Jean-Pierre Vernant46, A. Bidar, estime qu’Homère constitue au viiie siècle av. J.-C. la première grande figure de l’humanisme antique, son personnage d’Ulysse« symbolisant le mieux l’intelligence en mouvement, l’infinie capacité d’adaptation »47. Mais, comme la plupart des commentateurs, il situe au ve siècle av. J.-C. l’acte de naissance de l’humanisme grec, citant les trois grands auteurs tragiques de l’époque, Eschyle, Sophocle et Euripide, qui « célèbrent la grandeur de l’homme dans l’impuissance comme dans la puissance »48.
Une idée répandue tend à faire du sophiste Protagoras le principal initiateur de l’humanisme grec, en raison d’une de ses citations désormais célèbre : « L’homme est la mesure de toute chose ». L’historien de l’art Thomas Golsenne relativise toutefois la portée de celle-ci, faisant valoir d’une part qu’on ne la connaît que par Platon ; d’autre part que, contrairement à ce que bon nombre de manuels scolaires laissent entendre, « les têtes pensantes de la Renaissance n’y font pas référence »49.
Bidar s’attarde surtout sur Socrate, dont la pensée est centrée sur l’être humain, à la différence de celle des penseurs présocratiques qui, eux, se focalisaient sur la nature. N’ayant laissé aucune trace écrite, Socrate est essentiellement connu par Platon, son principal disciple. Il prend pour sienne la sentence écrite sur le fronton du temple d’Apollon à Delphes « Connais-toi toi-même » ; formule se référant non pas à l’introspection mais avec la place de l’homme dans la cité et dans la nature. Il exerce une influence majeure du fait qu’il use d’une méthode basée sur l’argumentation : il pratique la maïeutique (ou « art d’accoucher ») en interrogeant ses interlocuteurs de sorte qu’au fil du dialogue ceux-ci prennent conscience des motivations de leurs propos, quitte entre-temps à les faire changer d’avis. De la sorte, il démontre la puissance de la raison(logos), sans avoir à recourir aux artifices de la rhétorique à l’inverse des sophistes.
Penseurs les plus traduits et étudiés par les humanistes de la Renaissance, Platon et Aristotesont représentés par Raphael en 1510 au Vatican : respectivement sous les traits de Léonard de Vinciet ceux de Michel-Ange.
Dans sa théorie des Idées, Platon affirme que les concepts et notionsexistent réellement, sont immuables et universels et constituent les « modèles » des choses, qui sont perçues par les sens. La philosophie dépendant en tout premier lieu de présupposés psychologiques50, en postulant que les idées « existent réellement », Platon projette son propre intellect dans un univers transcendant : son idéalisme revient à considérer qu’en concevant les idées, les humains peuvent ne pas se laisser impressionner par le monde sensible et, en revanche, être à même de le comprendre. Ce qu’il entend par « idées » préfigure ce que les modernes entendront plus tard par « raison »51. Au xxe siècle, Martin Heideggeravancera qu’en considérant l’entendement comme « le lieu de la vérité », Platon est un humaniste avant la lettre52.
Élève de Platon, Aristote rompt avec son enseignement. Alors que son maître ne considère le monde sensible qu’avec une certaine condescendance, lui manifeste une soif de tout apprendre, d’où son éclectisme : il aborde en effet presque tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique et même, de façon ponctuelle l’économie.
L’opposition entre l’idéalisme de Platon et le réalisme d’Aristote s’accentue à la charnière des ive et iiie siècles av. J.-C. avec l’apparition de deux mouvements de pensée qui marqueront – eux aussi – les humanistes de la Renaissance et que l’on appellera plus tard l’épicurisme et le stoïcisme :
« Il semble qu’après Platon, et dès Arisote, la philosophie a eu du mal à continuer à parler des capacités métaphysiques de l’homme. (…) L’humanisme antique serait passé d’une enfance métaphysique et de ses rêves d’immortalité à une maturité stoïcienne et épicurienne, où l’on ne tente plus vainement de penser (…) au delà de la mort mais où on s’efforce bien plus modestement de vivre cette vie de façon plus accomplie. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.125.
Tous comme les penseurs grecs, leurs successeurs romains dégagent une vision de l’homme à deux volets, l’une idéaliste, axée sur la valorisation des vertus, l’autre réaliste, qui souligne les caractères communs, voire triviaux, des individus. Comme en Grèce, le théâtre autant que la philosophie expriment cette dualité. Mais alors que la comédie grecque antique est moins connue que la tragédie, les auteurs comiques romains vont marquer sensiblement les penseurs de la fin de Renaissance. Plaute (à la charnière du iiie et du iie siècle av. J.-C.) et surtout Terencey excellent. Le second, à qui l’on doit la citation « rien de ce qui est humain ne m’est étranger », influencera profondément la comédie humaniste au xvie siècle.
Actif au ier siècle av. J.-C., Cicéronsera admiré par les humanistes de la Renaissance, non seulement car il incarne à lui seul un grand nombre de vertus (dignité, sens de la chose publique et de l’intérêt général) mais aussi parce que, grâce à sa ténacité et ses talents d’élocution, il les concrétise dans la vie politique. Bien que n’appartenant pas à la noblesse et alors que rien ne le destinait par conséquent à la vie politique, il est parvenu à exercer la magistrature suprême durant cinq ans tout en se montrant réceptif aux grands philosophes grecs. On lui doit d’avoir forgé le terme humanitas et de l’avoir associé à l’idée de culture53.
De même, un certain nombre de poètes de cette époque ont valeur de modèles, notamment Virgile et Ovide : le premier, dans L’Énéide, raconte comment, à partir de presque rien, Rome s’est élevée jusqu’à devenir un empire; le second, dans les Métamorphosesinvite le lecteur à s’inscrire dans l’Histoire, depuis la création du monde jusqu’à sa propre époque.
Les humanistes de la Renaissance seront marqués par l’aptitude des penseurs romains à approcher l’histoire non seulement par le biais de la fiction mais également de façon détachée, comme Tite-Live, auteur de la monumentale Histoire romaine, et plus tard Tacite. Ils prennent également pour modèles les philosophes s’attachant à développer leur réflexion sur l’homme lui-même et sa façon d’appréhender le monde et lui-même. D’une part les stoïciens des ier et iie siècles, Sénèque, Épictèteou Marc Aurèle mais aussi les héritiers de Platon : Plutarque, au ier siècle, et surtout le néo-platonicienPlotin, au iiie.
Dernier legs de l’antiquité romaine à l’Occident médiéval et moderne, et non le moindre : le sens de l’exégèse. Au début du vie siècle, alors que la chrétienté se structure, Boèce traduit Platon et Aristote en latin avec la volonté affirmée de les réactualiser. Oubliés près sa mort, ses textes seront redécouverts à la fin du viiie siècle.
Le Moyen Âge
Plus de mille ans séparent l’Antiquité de sa « renaissance », plus précisément le moment où le christianisme devient officiellement la religion de l’Orient et de l’Occident, au iiie siècle, et celui où les premiers « intellectuels » expriment l’intention de se dégager explicitement de son emprise (Discours de la dignité de l’homme, Pic de la Mirandole, 1486).
L’historienne Laure Verdon invite toutefois à rejeter l’idée reçue selon laquelle toute la phase intermédiaire, le Moyen Âge, serait une période « obscure » :
« Le terme « humanisme » renvoie, dans la pensée commune, à une culture, celle des hommes du xvie siècle, culture qui s’opposerait dans ses fondements mêmes et son esprit, à la culture du Moyen-Âge. C’est là l’un des éléments qui ont contribué à forger l’image sombre de la période médiévale. Cette définition est à la fois restrictive et manichéenne. L’humanisme est autant qu’une culture, une pratique politique et une façon de concevoir le gouvernement qui privilégie le rôle des conseillers lettrés auprès du prince et s’oppose au mode ancien du pouvoir. En ce sens, le premier humanisme politique est pleinement médiéval, conséquence logique de l’évolution des structures de l’Étatau xvie siècle54. »
De surcroît, durant toute cette période, de nombreux docteurs et hommes d’église se montrent extrêmement ouverts aux sciences et à la philosophie. Tels par exemple Gerbert d’Aurillac (élu pape autour de l’an mille mais qui était également un mathématicien et un érudit, connaissant Virgile, Cicéronet Boèce ainsi que les traductions latines d’Aristote) et Albert le Grand(actif au xiiie siècle, frère dominicain, philosophe et théologien mais aussi naturaliste et chimiste).
Saint Augustin, imaginé vers 1480 par le peintre florentin Sandro Botticelli.
On mentionnera ici deux personnalités parmi les plus influentes, ayant vécu l’une au tout début de cette longue période, à la charnière du ive et ve siècles, donc peu avant la chute de l’Empire romain : Augustin d’Hippone ; l’autre tout à la fin : Thomas d’Aquin, disciple d’Albert Le Grand, au xiiie siècle.
S’opposant au moine Pélage, qui considère que tout chrétien peut atteindre la sainteté par ses propres forces et son libre arbitre, Augustin(354-430) valorise le rôle de la grâce divine. Toutefois, comme Ambroise de Milan, il intègre au christianisme une partie de l’héritage gréco-romain, le néoplatonismeainsi qu’une part substantielle de la tradition de la République romaine. La postérité conserve de lui l’image d’un homme érudit55,56 et s’adressant à toutes les époques, aussi bien à Dante, Pétrarque, Thomas d’Aquin, Luther, Pascal et Kierkegaard… qu’à Heidegger, Arendt, Joyce, Camus, Derrida ou Lyotard (qui, tous, le commenteront)57, cette audience étant due en grande partie au succès de ses Confessions, une longue et rigoureuse autobiographie, l’un des premiers ouvrages du genre.
Durant les huit siècles qui séparent Augustin de Thomas, l’Église se métamorphose au point que l’on ne peut comprendre les débats d’idées qui les jalonnent qu’à la lumière de l’évolution du contexte historique. Après la fin de l’Empire romain, en 476, l’Église s’avère la seule puissance capable d’affronter la « barbarie » et de structurer l’Europe. À la fin du vie siècle, le pape Grégoire le Grand administre les propriétés foncières de l’Église, celle-ci exerce un véritable pouvoir temporel, la quasi totalité des souverains lui prêtant allégeance. L’Europe tout entière est évangélisée, l’unité religieuse est atteinte au viie siècle mais prend fin au xie siècle avec la séparation de l’Église d’Occident et celle d’Orient. La terre constituant la principale source de revenu, l’Église d’Occident, dirigée depuis Rome, devient extrêmement riche, son pouvoir est marqué par la construction d’un grand nombre d’édifices (églises puis cathédrales…) et le financement de croisades visant à libérer Jérusalem de l’emprise des Turcs. Stimulée au xie siècle par la réforme grégorienneet l’émergence d’une classe d’intellectuels manifestant un certain intérêt pour la culture antique (notamment l’École de Chartres), la chrétienté vit, au siècle suivant, une profonde mutation de ses structures culturelles marquée par une intense activité de traduction des auteurs arabes et grecs (par l’intermédiaire des traducteurs arabes). Se développe alors la scolastique, un courant de pensée visant peu à peu à concilier la philosophie grecque avec la théologie chrétienne.
Au début du xiiie siècle, l’Église est une vaste organisation supranationale, influençant sensiblement les élections impériales et fixant le code de conduite de tous les Européens (sauf les Juifs), allant jusqu’à condamner pour hérésie ceux qui contestent son autorité et instituant l’inquisition pour conduire les plus radicaux au supplice et à la mort.
Également pour assurer son impact sur les consciences, et alors que sont traduits de l’arabe les commentaires d’Aristote par Averroès, l’Église crée l’Université de Paris. Sous l’impulsion d’Albert le Grand, celle-ci devient dans les années 1240 un véritable foyer de la pensée d’Aristote. Les débats portent sur une question sensible : « comment articuler la raison et la foi ? ». Suivant la ligne d’Averroès, Siger de Brabant prône pour la suprématie totale de la première sur la seconde. À l’opposé, Thomas d’Aquin (1224-1274) opère une synthèse magistrale entre aristotélisme et augustinisme, entre sciences, philosophie et théologie (Somme contre les Gentils, vers 1260). En le canonisant, cinquante ans après sa mort, l’Église lèvera le tabou sur Aristote, laissant alors le champ libre à ceux qui, pleinement conscients de participer à l’émergence d’un monde nouveau, guidé par la raison, seront rapidement et unanimement désignés d’humanistes. Certains considèrent donc que Thomas d’Aquin en est le précurseur direct58,59 :
« C’est parce qu’il est par excellence un philosophe de l’existence que Saint Thomas est un penseur incomparablement humain et le philosophe par excellence de l’humanisme chrétien. L’humain est en effet caché dans l’existence. A mesure qu’il se dégageait des influence platonicienne, le Moyen-âge chrétien a de mieux en mieux compris qu’un homme n’est pas une idée, c’est une personne (…). L’homme est au cœur de l’existence. »
— Jacques Maritain, L’humanisme de Saint-Thomas, 1941
Maritain oppose toutefois radicalement le mouvement de la scolastique, qu’il appelle humanisme médiéval, et l’humanisme de la Renaissance, qu’il qualifie de classique, en considérant que le premier de théocentrique et le second d’anthropocentrique. Et il avance que cette inversion a des conséquences tragiques, « la personne humaine, rompant ses attaches de créature dépendant essentiellement de son créateur, est livrée à ses propres caprices et aux forces inférieures »60,61.
L’humanisme en tant que phénomène historique s’étend sur trois siècles. Appelée « Renaissance », cette période est celle de profonds bouleversements politiques et culturels. Alors que les humanistes de la première génération sont essentiellement des lettrés traduisant les textes de l’Antiquité gréco-romaine, ceux des générations suivantes sont « modernes », qui s’intéressent aux questions profanes et d’actualité (quand l’Europe découvre et explore les autres continents ou que l’irruption de la Réforme divise les populations) et qui se servent de l’invention de l’imprimerie pour diffuser leurs idées.
Alors qu’une crise de légitimité affecte l’Église, chassée de la Terre sainte par les Ottomans, l’Europe occidentale vit de grands bouleversements économiques et politiques. À la suite de la forte poussée démographique survenue au siècle précédent ainsi qu’à plusieurs années de mauvaises récoltes puis une épidémie de pestequi élimine un tiers de sa population, l’économie est restructurée. La société s’urbanise (plusieurs villes comptent désormais plus de 40000 habitants) et les premières compagnies internationales éclosent, appliquant de nouvelles techniques financières. Les banquiers lombards, qui – dès les années 1250 – avaient institué la pratique du prêt bancaire contre intérêt, implantent des bureaux en Champagne, en Lorraine, en Rhénanie et en Flandre. Leurs débiteurs sont des rois, des seigneurs et des commerçants soucieux de mener à bien différents projets. Ce passage d’une économie féodale au commerce de l’argent (capitalisme) marque la fin du Moyen Âge et l’éclosion des Étatsmodernes62.
Une nouvelle classe sociale apparaît, celle qui pilote la nouvelle économie et en tire directement profit : la bourgeoisie. À la fin du siècle, elle bénéficiera du fait que l’Église est ébranlée par un schismepour imposer ses propres valeurs. Alors qu’auparavant le monde d’ici-bas était associé à l’image de la Chute, il va peu à peu être étudié de façon objective et distanciée.
Les premiers foyers d’humanisme se manifestent dans les cités d’Italie, notamment en Toscane et tout spécialement la ville de Florence. Les hommes de lettres s’expriment non plus en latin mais dans les langues vernaculaires, » pour exprimer des sentiments spécifiquement humains (qui ne se réfèrent aucunement à une transcendance divine). Le premier à utiliser le toscan comme langue littéraire est Dante Alighieri. Composée tout au début du siècle, sa Divine Comédie raconte un voyage à travers les trois règnes supraterrestres imaginés par la chrétienté (enfer, purgatoire et paradis). Tout en recouvrant différentes caractéristiques de la littérature médiévale, l’œuvre innove par le fait qu’elle tend vers « une représentation dramatique de la réalité »63. Deux décennies plus tard, Dante est imité par deux autres poètes. Pétrarque, dont le Canzoniere (chansonnier) composé à partir de 1336 est essentiellement consacré à l’amour courtois et qui aura par la suite un vaste retentissement. Et son ami Boccace, auteur du Décaméron, rédigé entre 1349 et 1353. Tous deux touchent à de nombreux genres (conte, histoire, philosophie, biographie, géographie…).
De même, à la fin du siècle en Angleterre, Geoffrey Chaucer écrit-il dans sa langue les Contes de Canterbury. L’histoire est celle d’un groupe de pèlerins cheminant vers Canterbury pour visiter le sanctuaire de Thomas Becket. Chacun d’eux est typé, représentant un échantillon de la société anglaise.
L’humanisme s’exprime également à travers les arts visuels. Succédant aux « artisans » (anonymes au service exclusif de l’Église), les « artistes » acquièrent une certaine renommée en mettant au point des techniques permettant de conférer à leurs œuvres un certain degré de réalisme. Les premiers d’entre eux sont le siennois Duccio et surtout le florentin Giotto64, dont l’esthétique rompt radicalement avec les traditions, que ce soit celle de l’art byzantin ou celle du gothique international, marquée en effet par une volonté très prononcé d’exprimer la tridimensionnalité de l’existence. Derrière les personnages, placés au premier plan, Giotto dresse des décors naturels (arbres et enrochements) qui tranchent avec le traditionnel fond doré. Il utilise la technique du modelé pour traiter le drapé des vêtements tandis que les visages (y compris ceux des personnages secondaires) sont particulièrement expressifs. Du fait de leur réalisme, ces œuvres exercent immédiatement une influence considérable. À noter aussi, peint à Padoue vers 1306, le cycle des vices et vertus (envie, infidélité, vanité… tempérance, prudence, justice…).
Élève de Duccio, Ambrogio Lorenzetti est l’auteur des fresques des Effets du bon et du mauvais gouvernement. Réalisées à partir de 1338 sur trois murs d’une salle du Palazzo Pubblico de Sienne, elles sont connues comme étant à la fois l’une des premières peintures de paysage (certains bâtiments de Sienne sont reconnaissables) et comme allégorie politique65. Et dans l’Annonciation qu’il peint en 1344, il innove en utilisant la méthode de la perspective de façon certes partielle (tracé du dallage figurant sous les pieds des deux personnages) mais rigoureuse (par l’emploi du point de fuite).
Une pensée inscrite dans la cité
À Florence, les initiatives de Pétrarque et Boccace sont encouragées en haut lieu. Notamment par Coluccio Salutati, chancelier de la République de 1375 à 1406, connu pour ses qualités d’orateur et lui-même écrivain, qui défend les studia humanitatis. Ayant créé la première chaire d’enseignement du grec à Florence, il invite le savant byzantin Manuel Chrysoloras de 1397 à 1400. Les occidentaux parlant ou lisant peu le grec, de nombreuses œuvres grecques antiques étant par ailleurs indisponibles dans la traduction latine, un auteur tel qu’Aristoten’était accessible aux intellectuels du xiiie siècle qu’au travers de traductions en arabe. « Éclairé par une foi inébranlable dans la capacité des hommes à construire rationnellement un bonheur collectif, son attachement à la culture ancienne, à la tradition chrétienne, au droit romain, au patrimoine littéraire florentin, dévoile une ardeur de transmettre, une volonté inquiète de conserver l’intégrité d’un héritage. Inlassable défenseur d’une haute conception de la culture, Salutati la juge (…) indissociable d’une certaine vision de la république »66.
Critique de l’Église
À la fin du siècle s’esquisse un souci de repenser le rapport à la théologie et à l’Église elle-même. Ainsi, de 1376 à sa mort, en 1384, le théologien anglais John Wyclifprêche en faveur d’une réforme générale et préconise la suprématie de l’autorité de la sainteté face à l’autorité de fait. Rejetant l’autorité spirituelle de l’Église institutionnelle, il ne reconnaît pour seule source de la Révélation que la Sainte Écriture (De veritate sacrae Scripturae, 1378).
xve siècle
Dans les mentalités, la référence aux Écritures reste centrale et jamais remise en question. Toutefois la perte d’autorité de la papauté sur un certain nombre de souverains se confirme et s’accentue, accélérée par une crise interne (de 1409 à 1416, la chrétienté ne compte plus seulement deux papes mais trois). Du début du siècle – quand elle envoie sur le bûcher Jean Hus, qui dénonçait le commerce des indulgences – jusqu’à son terme – quand elle fait cette fois brûler Savonarole, qui fustigeait la vie dissolue du pape – l’Église se campe dans une posture dogmatique au sein d’une société qui, elle, est en pleine mutation, du fait de l’éclosion des États-nations. Entre-temps, la prise de Constantinople par les Ottomans(1453) la contraint d’admettre que son influence ne dépasse plus l’Europe.
En revanche se confirme la montée en puissance de la grande bourgeoisie commerçante. Élevée dans les studia humanitatis, elle manifeste un intérêt croissant pour les choses matérielles, que ce soit celles relatives à la vie privée ou celles concernant la gouvernance de la cité ou le négoce avec l’étranger. Dès les années 1420, dans les régions d’Europe les plus avancées au plan économique – la Toscane et la Flandre67 – l’art pictural évolue dans le sens d’un réalisme qui témoigne de l’évolution des élites vers le pragmatisme et le volontarisme, ceci jusque par delà les frontières : la découverte du monde par voie marine s’amorce en 1418 avec la côte occidentale africaine et se poursuit en 1492 avec l’Amérique. Cet esprit de conquête ne se limite pas aux territoires, il vise également les consciences : peu après 1450, Gutenberg met au point la technique de l’imprimerie, qui permettra par la suite de réaliser le rêve des humanistes : diffuser largement les connaissances.
L’historien de l’artAndré Chastelestime que, contrairement à une idée reçue, l’étude des textes anciens par les érudits de l’époque ne traduit pas « un refroidissement progressif du sentiment religieux » mais qu’il existe « entre les notions de profane et de sacré un va-et-vient parfois déconcertant »68. S’appuyant sur les travaux d’Erwin Panofsky69, il insiste sur le fait que cette étude des textes anciens comme celle des ruines antiques à Rome par l’architecte Brunelleschi et le sculpteur Donatello naissent du processus d’autonomisation de la raison par rapport au sentiment religieux et qu’en retour ces recherches contribuent à accroître ce processus. Et il souligne que ce que l’on appelle « humanisme » ne se traduit pas seulement par un renouveau de la pensée philosophique mais tout autant par l’émergence, durant les années 1420, d’une esthétique nouvelle, caractérisée par une activation de la raison et de l’observation visuelle. Ceci de deux façons distinctes : à Florence, Brunelleschi, Donatello et le peintre Masaccio mettent au point le procédé de la perspective, basé sur l’invention du point de fuite et par lequel ils parviennent à rendre leurs représentations de plus en plus cohérentes au plan visuel ; dans les Flandres, Robert Campin, exprime cette volonté de réalisme par un souci de restitution du moindre détail, renforcé chez Jan Van Eyck par l’utilisation d’un médium nouveau, la peinture à l’huile. Chez ces deux peintres, les représentations à contenu religieux sont de surcroît peuplées de personnages, décors et objets contemporains.
Une éthique nouvelle
Dans les Flandres comme en Italie, ce que l’on appelle « humanisme » s’apparente à une véritable éthiquedes nouvelles élites dirigeantes. À Bruges, le portrait du marchand italien Arnolfini et de son épouse par Van Eyck (peint en 1434) symbolise le processus de sécularisation de la société qui s’amorce alors, les nouvelles formes de la vie publiques’appuyant sur la mise en scène de la vie privée de la riche bourgeoisie. À Florence, le De familia de Leon Battista Alberti (publié vers 1435) traite de l’éducation des enfants, de l’amitié, de l’amour et du mariage, de l’administration des richesses et du « bon usage » de l’âme, du corps et du temps. Et le Della vita civile du diplomate Matteo Palmieri (publié vers 1439) prescrit les règles de l’éducation des enfants tout autant que les vertus du citoyen : l’homme y est décrit comme à un être à la fois réfléchi (méditant le rapport entre l’utile et l’honorable) et social(mettant en balance les intérêts individuels et l’intérêt général), ceci en dehors de toute référence religieuse.
Une école de pensée
L’humanisme s’inscrit dans la vie politique en 1434 à Florence quand Cosme de Médicis, un banquier parcourant l’Europe pour inspecter ses filiales, est nommé à la tête de la ville et devient le premier grand mécène privé de l’art (rôle qui était jusqu’alors le privilège de l’Église). Il fait peindre les fresques du couvent San Marco par Fra Angelico et, ayant entendu en 1438 les conférences du philosophe platonicien Gemiste Pléthon, il conçoit l’idée de faire revivre une académie platonicienne dans la ville, qui sera finalement fondée en 1459. Les philosophes Marsile Ficinpuis Jean Pic de la Mirandole et Ange Politien en sont les chevilles ouvrières. Reprenant l’idée selon laquelle le Beau est identique à l’Idée suprême, qui est aussi le Bien, Ficin fond le dogme chrétien dans la pensée platonicienne, contribuant à abolir la limite entre profane et sacré.
À la fin du siècle dans les cours italiennes, la technique de la perspective est totalement maîtrisée. La peinture tend alors parfois à n’être plus qu’un simple agrément : en fonction des commandes qu’il reçoit, un artiste tel que Botticelli peint aussi bien une Annonciation que la naissance de Vénus ou la célébration du printemps. Les thèmes traités importent moins que l’effet visuel produit par la virtuosité. Et quand certains artistes recourent à celle-ci pour représenter une « cité idéale », on n’y voit étrangement aucun personnage : institué en académisme, l’art donne alors l’image d’un humanisme d’où l’homme est absent.
Au plan artistique, au début du siècle, les productions des Italiens Léonard de Vinci (portrait de La Joconde, 1503-1506) et Michel Ange (Plafond de la chapelle Sixtine, entre 1508 et 1512) correspondent à l’apogée du mouvement de la Renaissance en même temps qu’elles en marquent le terme. Celui-ci s’épuise en académismes ou au contraire cède la place à des pratiques revendiquant la rupture avec l’imitation de la nature, telle qu’Alberti la préconisait, pour au contraire mettre en valeur la subjectivité de l’artiste. Entre 1520 et 1580, le maniérisme constitue la principale entorse à cette règle.
Aux plans politique et religieux, l’époque est principalement marquée par la Réforme protestante, impulsée en 1517 par l’Allemand Luther puis en 1537 par le Suisse Calvin, ainsi que par les meurtrières guerres de religions qui en résultent et qui vont diviser la France entre les années 1520 et l’édit de Nantes, en 1598.
Au plan scientifique, la principale découverte est l’œuvre de l’astronome Copernic qui publie en 1543 (quelques jours avant sa mort) une thèse qu’il a commencé à élaborer trente ans plus tôt selon laquelle la Terre tourne autour du Soleil et non l’inverse, ainsi qu’il était admis quasi exclusivement en occident.
Aux plan économique et culturel, les échanges marchands s’intensifient au sein de l’Europe et s’amorcent entre l’Europe et le reste de la planète. L’imprimerie permet également aux idées de circuler toujours plus. Ces deux facteurs contribuent à ce que l’humanisme n’est plus tant une tournure d’esprit qu’il faudrait préférer à une autre (comme, lors du siècle précédent, on contestait la scolastique) qu’une conception du monde à part entière, qui tend à se généraliser dans les esprits et d’orientation matérialiste. Et lorsque les Espagnols, en quête d’or et d’autres minerais, entreprennent de coloniser l’Amérique du Sud, c’est au nom des valeurs humanistes, en enjoignant les populations locales d’accepter la prédication de la religion chrétienne70.
Au début du siècle, Nicolas Machiavel, un fonctionnaire de la république de Florence, effectue plusieurs missions diplomatiques, notamment auprès de la papauté et du roi de France. Il observe alors les mécanismes du pouvoir et le jeu des ambitions concurrentes. En 1513, dans son ouvrage Le Prince, premier traité de science politique, il explique que pour se maintenir au pouvoir, un dirigeant doit absolument se défaire de toute considération d’ordre moral, privilégier la défense de ses intérêts et de ceux dont il est le souverain et, à cette fin, faire continuellement preuve d’opportunisme. À l’inverse, alors que les États-nations, à peine émergents, s’affrontent dans des guerres meurtrières, Érasme, un philosophe et théologien venu des Pays-Bas (qui sera plus tard surnommé le « prince des humanistes ») visite plusieurs pays d’Europe, s’y fait des amis (dont l’Anglais Thomas More) et lance en 1516 un vibrant appel à la paix :
« L’Anglais est l’ennemi du Français, uniquement parce qu’il est français, le Breton hait l’Écossais simplement parce qu’il est écossais ; l’Allemand est à couteaux tirés avec le Français, l’Espagnol avec l’un et l’autre. Quelle dépravation ! »
— Erasme, Plaidoyer pour la paix, Arléa, 2005 ; extrait [archive].
De même, témoins des guerres de religions qui divisent la chrétienté, notamment en France, il en appelle à la tolérance.
De la polymathie à la science
Connu surtout pour ses tableaux, Léonard de Vinci aborde également « l’homme » sous un angle physique et fonctionnel : l’anatomie.
Comme Érasme, Léonard de Vincifait partie des personnalités aujourd’hui considérées comme les plus représentatives de l’humanisme. Comme lui et quelques autres, tels Copernic, il visite des régions éloignées de la sienne et, ce faisant, invite au rapprochement des cultures. Sa production invite surtout à gommer d’autres frontières, celles-ci intérieures : celles qui cloisonnent les disciplines. Faisant preuve d’une ouverture d’esprit exceptionnelle, ses investigations tous azimutstémoignent d’une ouverture au monde sensible par l’entremise de l’expérience et du raisonnement méthodique, démarche que systématisera plus tard l’Anglais Roger Bacon et qui constituera le fondement de la science moderne.
Ce qui caractérise en premier lieu la science, c’est l’approche existentielle du monde, tant le macrocosme (l’univers) que le microcosme (l’être humain). Les dessins d’anatomie, en particulier, attestent une considération du corps humain comme d’un ensemble de mécanismes répondant à des fonctions précises.
Par ses dessins d’anatomie et ceux représentant toutes sortes de machines ainsi que des infrastructures militaires, Léonard de Vinci incarne la deuxième phase de l’humanisme, où l’on n’éprouve plus le besoin de se référer à l’Antiquité pour contourner le conservatisme de l’Église mais où l’on se tourne délibérément vers « son temps », la modernité, et ce qui en sont les fondements : la science et la technique. Après la mort de Léonard, en 1519, plus aucun peintre ne se consacrera à ces deux nouveaux champs et, après la mort de Michel-Ange, en 1564, peu seront peintre et architecte à la fois, pratique inaugurée par Giotto. En revanche, à partir du siècle suivant, différents mathématiciens, physiciens et astronomes se feront connaître par des prises de positions philosophiques (Descartes, Pascal, Newton, Leibniz…).
Au début du siècle, l’Europe du Nordconnait un développement économique spectaculaire, dont l’expansion des villes de Bruges, Anvers et Augsbourg est la meilleure expression. Mais dans le domaine artistique, l’Italie reste le foyer le plus dynamique et le plus significatif. Toutefois, ce n’est plus Florence qui entretient l’impulsion de la conception humaniste du monde mais Rome. La ville est envahie par de nombreux peintres et sculpteurs qui, au contact direct du patrimoine antique, prennent de plus en plus ouvertement comme modèle la civilisation précédant celle du christianisme. Non seulement berceau de la civilisation latine, la ville est aussi la capitale des papes.
Or ceux-ci, pour résister à la montée en puissance et à l’autonomisation des États-nations, attirent les artistes les plus novateurs par une active politique de mécénat. Par là même, ils confèrent une réelle et totale légitimité à l’esprit humaniste, contribuant même à le diffuser en Europe et dans le reste du monde, quand il est occupé par les conquistadores. L’un des symboles les plus significatifs de cette mutation est l’image du Christ, imberbe et musclé, et de la Vierge, prenant la pose, au centre du mur du fond de la Chapelle Sixtine, peint par Michel-Ange à la fin des années 1530 et qui représente le Jugement dernier. Autre grand symbole de la puissance déployée par l’église catholique pour contrer les contestations dont elle est l’objet, la Basilique Saint-Pierre, dont la construction s’étend sur plus d’un siècle (1506-1626) et à laquelle participe à nouveau Michel-Ange.
La critique sociale
Les conflits liés à la religion exposent les esprits réformateurs aux accusations d’hérésie, donc à la condamnation à mort. Certains utilisent alors le récit de fictioncomme moyen d’expression permettant une critique non frontale. En 1516, dans un essai intitulé a posterioriL’utopie,Thomas More(grand ami d’Érasme) prône l’abolition de la propriété privée et de l’argent, la mise en commun de certains biens, la liberté religieuse ainsi que l’égalité des hommes et des femmes. Et il estime que la diffusion des connaissances peut favoriser la création d’une cité dont le but serait le bonheur commun. Mais bien qu’ayant été proche du roi Henri VIII, celui-ci le fait condamner au billot.
Plus prudent, le Français François Rabelaisadopte une posture délibérément déconcertante : libre penseur mais chrétien, anticlérical mais ecclésiastique, médecin mais bon vivant, les multiples facettes de sa personnalité semblent contradictoires et il en joue. Apôtre de la tolérance et de la paix (comme Érasme, dont il est l’admirateur), il n’hésite pas à manier la parodie pour parvenir à ses fins. Son Pantagruel (1532) et son Gargantua(1534), qui tiennent à la fois de la chronique et du conte, annoncent le roman moderne.
De la glorification au constat amer
Alors que les débuts de l’humanisme de la Renaissance donnaient de l’homme une image prometteuse, voire glorieuse, à la fin du siècle, le spectacle tragique des guerres conduit les intellectuels à porter un regard désabusé sur l’humanité. En 1574, dans son Discours de la servitude volontaire, Étienne de la Boétie (alors âgé de 17 ans) s’interroge sur les raisons qui poussent les individus à miser leur confiance sur les chefs d’état au point de sacrifier leurs vies. Et à la même époque, dans ses Essais, son ami Montaigne, dresse un portrait tout aussi amer :
« Entre Pétrarque et Montaigne, on (est) pass(é) de la mise en scène d’un moi grandiose à celle d’un moi ordinaire, de l’éloge de l’individualité remarquable à la peinture de l’individualité basique. (…) Chez Montaigne, l’humanisme de la Renaissance apparaît désenchanté, désabusé et comme à son crépuscule : l’individualité de l’auteur et le reste de l’humanité y sont décrits avec un excès de scepticisme et de relativisme comme des choses assez ridicules, versatiles et vaines. »
— Abdennour Bidar, Histoire de l’humanisme en Occident, Armand Colin, 2014, p.185.
Dans le troisième livre de ses Essais, en 1580, Montaigne dégage le concept d’homme, à la fois unique et universel 71,72.
À la différence de Rabelais ou d’Érasme, confiants dans les capacités de la raison, Montaigne se refuse à la complaisance et répond par le doute : « La reconnaissance de l’ignorance est un des plus beaux et plus sûrs témoignages de jugement que je trouve. » L’idée de perfectibilité, lui est ainsi étrangère, il rejette toute idée de progrès, d’ascension lente et graduelle de l’humanité vers un avenir meilleur. Selon lui, l’homme n’est plus le centre de tout, mais un être ondoyant, insaisissable. Il se plait autant à en faire l’éloge qu’à l’abaisser, tout en recourant à l’observation de sa propre personne pour tenter d’en démêler les contradictions. Ce faisant, il pose les bases de ce qui deviendra plus tard la psychologie.
L’humanisme moderne
L’héritage de l’humanisme de la Renaissance s’évalue à trois niveaux, étroitement liés : philosophique, politique et économique et social.
Après la Renaissance, le principe d’autonomisation de la pensée par rapport à la foi n’est plus jamais remis en cause, il constitue par excellence le cadre de référence de l’ensemble de la culture occidentale. L’idée que les humains peuvent évoluer sans s’appuyer sur la religion stimule la démarche scientifique et inversement, celle-ci est vécue comme une émancipation, conduisant progressivement au déisme (croyance en un Dieu créateur abstrait, « grand horloger »), à l’agnosticisme (le doute de l’existence de Dieu), puis finalement à l’athéisme (le rejet même de toute croyance en Dieu) : au xixe siècle, Nietzscheaffirmera que « Dieu est mort ».
Corollaire de cette indépendance à l’égard du divin est la capacité des humains à s’organiser institutionnellement de façon que les idées, mises en débat, servent l’intérêt général. Cet idéal démocratique se concrétise au prix de « révolutions » politiques : d’abord au xviie siècle en Angleterre puis au siècle suivant aux États-Unis et en France. Mais finalement, celles-ci profitent en premier lieu à la classe bourgeoise, qui exerce alors à la fois le pouvoir économique et le pouvoir politique en parvenant à justifier ce cumul au nom de la liberté : c’est le libéralisme.
Les avancées de la science trouvent de nombreux terrains d’application et, progressivement, la techniques’inscrit dans un idéal d’émancipation (bonheur), progrès…). Sous l’effet de ses avancées s’amorce au xviiie siècle un processus économique, qui sera plus tard qualifié de « révolution » – la révolution industrielle – sans toutefois que celui-ci ait été prémédité ni débattu, comme on le dit d’une révolution politique. À tel point qu’au xixe siècle, Marxestime que, désormais, les idées (humanistes ou pas) ne permettent plus aux hommes d’élaborer des projets de société, tant ils sont désormais façonnés, « aliénés », par leurs modes de production ; et ceci d’autant plus qu’ils s’évertuent à croire qu’ils sont « libres ». À ce titre, Marx est fréquemment considéré comme celui qui ouvre la première grande brèche dans l’idéal humaniste. En revanche, en ne remettant pas en cause le productivisme lui-même mais seulement le capitalisme, et en considérant que, pour s’émanciper, les classes ouvrières doivent seulement prendre possession des moyens de production, les successeurs de Marx seront les promoteurs d’un nouveau type d’humanisme : l’humanisme-marxiste.
En 1687, Newtondémontre la capacité des hommes d’analyser la structure de l’univers sur la base de principes mathématiques.
En 1605, l’Anglais Francis Bacondéveloppe une théorie empiriste de la connaissance et, quinze ans plus tard, précise les règles de la méthode expérimentale, ce qui fait aujourd’hui de lui l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne. Celle-ci émerge pourtant dans les pires conditions : en 1618, la thèse de Copernic selon laquelle la terre tourne autour du soleil et non l’inverse (héliocentrisme) est condamnée par l’Église ; et en 1633, cette dernière condamne Galilée, qui ose la défendre (elle ne consentira à infléchir sa position qu’un siècle plus tard).
Dans ce contexte d’ultime et extrême tension entre foi et raison, la philosophie, en tant que « conception du monde », recherche dans la science une caution morale qu’elle n’espère plus trouver de l’Église. Il est alors significatif qu’un certain nombre de philosophes sont également mathématiciens ou astronomes (Descartes, Gassendi, Pascal… ou plus tard Newton et Leibniz) et que des scientifiques émettent des positions fondamentalement philosophiques, tels Galilée qui déclare en 1623 dans L’Essayeur : « La philosophie est écrite dans ce livre immense perpétuellement ouvert devant nos yeux (je veux dire l’univers), mais on ne peut le comprendre si l’on n’apprend pas d’abord à connaître la langue et les caractères dans lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique et ses caractères sont des triangles, des cercles, et d’autres figures géométriques, sans l’intermédiaire desquels il est humainement impossible d’en comprendre un seul mot ».
En 1637, soit quatre ans seulement après le procès de Galilée, dans son Discours de la méthode, Descartes fonde le rationalisme et affirme que l’homme doit se « rendre comme maître et possesseur de la nature » : la philosophie naturelles’émancipe alors radicalement et définitivement de l’Église, point d’aboutissement de l’idéal humaniste73. Durant la seconde moitié du xviie siècle, avec la probabilité, le calcul infinitésimal et la gravitation universelle, le monde est de plus en plus pensé dans une optique quantitative, matérialiste74, ceci avec l’aide de techniquesdésormais considérées comme indispensables à sa connaissance, telles la machine à calculer ou le télescope.
Philosophe cartésien, Spinozaestime que l’on n’a ne plus à rechercher la vérité dans les Écritures mais dans ses propres ressources (philosophie pratique). Publiée à sa mort, en 1677, son Éthique invite l’homme à dépasser l’état ordinaire de servitude vis-à-vis des affects et des croyances pour atteindre le bonheur au moyen de la « connaissance ». Le titre complet de l’ouvrage (« Éthique démontrée suivant l’ordre des géomètres ») témoigne du fait que la foi en un dieu révélé s’efface au profit d’une « croyance en l’homme », un homme pour le coup totalement rationnel75 ; ceci bien que Spinoza se défende d’être athée : il ne conteste pas l’existence de Dieu mais identifie celui-ci à « la nature ».
À la fin du xviie siècle; la plupart des savants désertent l’université, encore engluée dans la théologie, mais tissent leurs propres réseaux et, par eux, finissent par imposer leurs découvertes et conditionner le terrain même de la philosophie. Avec Galilée puis Huygens, il est possible d’avoir une idée de l’éloignement des étoiles, de la taille de la Terre et des autres planètes ainsi que de leurs positions respectives. L’« homme » sur lequel se focalisaient les humanistes de la Renaissance et l’univers lui-même deviennent des données toutes relatives. Publiés en 1687, les Principes mathématiques de la philosophie naturelle du physicien Isaac Newton sont complétés par lui en 1726 (un an avant sa mort) et traduits en français trente ans plus tard par une maîtresse de Voltaire. Symbolisant la capacité de l’homme à concevoir le monde de façon abstraite (mathématique), cet écrit constitue l’un des fondements de la philosophie des Lumières76.
Conséquence ou effet corollaire de l’émancipation de la raison instrumentale et du développement de la science, certains penseurs vont peu à peu faire l’apologie des « vertus naturelles » (ou « morales »), se démarquant ainsi de l’éthique chrétienne. C’est le cas en particulier du Français La Mothe Le Vayer, un des premiers grands écrivains libertins, auteur en 1641 de son ouvrage le plus célèbre De la Vertu des païens77. « Son analyse affirme l’existence de vertus profanes valables sans le secours de la grâce, et indépendamment de toute inquiétude religieuse. C’est une des premières affirmations d‟une morale existant seule, sans le support de la religion, d’une morale pour ce monde-ci, de la morale laïque qui sera désormais un trait caractéristique de l’humanisme. (…) Cette analyse est pleinement humaniste par sa confiance en la nature et en la raison, et elle fait un grand pas vers celles des Lumières 78.» Coïncidence, c’est également en 1641, dans sa tragédie Cinna, que Pierre Corneille écrit ces mots : « Je suis maître de moi comme de l’univers ».
La Mothe Le Vayer et les libertins sont également à l’origine d’une conception de l’histoire « dégagée de l’emprise scripturaire, religieuse et ecclésiale, une histoire construite sur des bases historiques sûres et non théologiques, une histoire non finalisée, une histoire universelle entendue au sens d‟une collection de l’histoire des diverses nations » (…) « L’histoire de La Mothe Le Vayer ne s’inscrit pas dans un temps théologique orienté d’une création à des fins dernières ; il n’y a pas de téléologie à retrouver dans l’histoire : celle-ci est une lecture philosophique qui n’a rien à faire de l’assise biblique érudite. En évacuant la Bible comme « premier livre d’histoire » et Moïse comme « premier historien », les libertins annulent l’histoire sainte et laïcisentl’histoire. Celle-ci est humaniste en ce qu’elle exclut les contraintes extérieures, le « doigt de Dieu » cher à Bossuet, la Providence, le destin… toutes les formes de déterminisme. On passe d‟une histoire de croyance à une histoire de savoir »79.
L’aspiration à la démocratie
Alors que les scientifiques créent leurs espaces de débat en dehors de toute emprise religieuse, en Angleterre, un soulèvement populaire soutenu par l’armée conduit en 1640 à l’instauration d’une république. Dix ans plus tard, Thomas Hobbes publie Le Léviathan, un ouvrage considéré depuis comme un chef-d’œuvre de philosophie politique. Partant du principe que les individus, à l’état de nature, sont violents et que, par peur d’une mort violente, ils délèguent volontiers leurs responsabilités à un souverain qui leur garantit la paix, le philosophe élabore une théorie de l’organisation politique. En 1660, la monarchie est rétablie en Angleterre mais elle ne sera plus jamais absolue. Principal outil de la démocratie représentative, le parlementsymbolise alors le nouvel esprit du temps, un temps où, de plus en plus nombreux, les hommes éprouvent le sentiment de pouvoir prendre des décisions collectivement, en prenant leur autonomie vis-à-vis de leurs autorités de tutelle, qu’elles soient civiles ou religieuses.
Le siècle est marqué par de profondes mutations dans tous les domaines – économique, politique, social, technique… – lesquelles vont modifier en profondeur le paysage intellectuel. Pour comprendre celui-ci, il importe donc de rappeler brièvement le contexte.
À la suite d’une très forte poussée démographique en Europe, des changements économiques s’avèrent indispensables. L’aristocratie, qui assure les fonctions de gouvernance, doit y faire face. En Angleterre, pays de monarchie parlementaire, les nobles se lancent dans les affaires. En France, où s’exerce encore la monarchie absolue, ils y sont moins enclins : la majorité d’entre eux restent en effet rivés à leurs privilèges de caste et seules quelques quelques familles s’engagent dans les mines, les forges ou le commerce maritime. À des rythmes différents selon les pays, donc, un processus s’enclenche, le capitalisme, qui va profiter (au sens premier du terme) à la classe sociale montante, propriétaire et gérante des moyens de production : la bourgeoisie.
À la différence de l’aristocratie, donc, et dans les capitales comme en province, celle-ci fait travailler les autres, les emploie, les salarie… et se mobilise elle-même : non seulement dans le commerce, l’industrie (qu’elle « révolutionne ») et la finance mais aussi dans l’administration de l’État, à tous ses échelons, du ministre au petit fonctionnaire. Partout en Europe elle cumule alors les pouvoirs : économique, politique et juridique. C’est donc naturellement qu’elle exerce également un pouvoir intellectuel et qu’elle impose ses propres valeurs.
La première de ces valeurs est la liberté80, terme qu’il faut comprendre comme liberté à l’égard des anciennes tutelles : non plus seulement l’Église, comme aux temps de la Renaissance, mais du Prince, lequel, progressivement, va être destitué et remplacé (à chaque fois provisoirement) par « le peuple ». Liberté par conséquent d’ entreprendre quoi que ce soit. L’émancipation ne s’opère plus au niveau strictement philosophique : l’« homme » et son cogito ; mais à un niveau très pratique : les « humains » et leurs capacités à intervenir individuellement sur le monde. L’universalisme (l’idée que les humains sont supérieurs aux autres créatures, grâce à la raison et la parole, et que, grâce à elles, ils peuvent sans cesse mieux s’accorder entre eux) constitue le fondement de ce que l’on appellera l’humanisme des Lumières81. Du moins peut-on dire que les artisans des Lumières (non seulement les philosophes et théoriciens mais les « entrepreneurs » de toutes sortes) incarnent le concept d’humanisme82,83.
Liberté, connaissance, histoire, bonheur
« La philosophie des Lumières s’est élaborée à travers une méthode, le relativisme, et un idéal, l’universalisme »84. La confrontation de cette méthode et de cet idéal contribue à ce qu’au xviiie siècle, l’ensemble du débat philosophique oscille entre deux pôles : l’individu(tel ou tel humain, considéré dans sa singularité) et la société (la totalité des humains).
Cette bipolarité constitue l’axe ce que l’on appellera plus tard la modernité. Quatre idées fortes s’en dégagent.
La principale préoccupation des esprits « éclairés » est la liberté, plus exactement sa conquête. À la question Qu’est-ce que les Lumières ?, Kant répond : « Les Lumières, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de tutelle dont il est lui-même responsable. L’état de tutelle est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de tutelle quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre. Sapere aude ! Aie le courage de te servir de ton propre entendement ! Telle est la devise des Lumières ». Tout l’effort des philosophes va porter sur les modalités (autrement dit les lois) à mettre en œuvre de sorte que la liberté de chacun ne nuise pas à celle des autres. À la suite de Locke85, Montesquieu86, Rousseau87 et beaucoup d’autres s’y emploient, qui contribuent, avec la Révolution française et la doctrine égalitariste, à promouvoir une conception juridique de la libertéqui mènera elle-même à la doctrine libérale.
Couverture des Éléments de la philosophie de Newton, mis à la portée de tout le monde de Voltaire (1738)
Le xviie siècle a été marqué par un développement très important des sciences ; le nouveau est caractérisé non seulement par le souci de poursuivre ce mouvement mais celui de consigner l’apport des sciences et le faire connaître. Le combat des Lumières contre l’« obscurantisme », c’est la connaissance : connaissance du monde, accrue par les explorations de Cook, La Pérouse et Bougainville ; connaissance de l’Univers, par les dernières découvertes en astronomie ou quand Buffon, dans son Histoire naturelle, affirme que la Terre est âgée de bien plus que les 6 000 ans attribués par l’histoire biblique) ; connaissance du métabolisme des êtres vivants… dont l’homme. Cet idéal trouver sa réalisation dans l’Encyclopédiede Diderot et D’Alembert, publiée entre 1750 et 1770.
Les philosophes focalisent leur intérêt sur « l’histoire ». En 1725, l’Italien Vico publie ses Principes d’une science nouvelle relative à la nature commune des nations, que Voltaire traduira sous le titre Philosophie de l’histoire en 1765, l’année même où, – coïncidence – le mot « humanisme » fait son apparition dans la langue française7. L’idée centrale de la philosophie de l’histoire est que celle-ci a un sens. Ainsi naît l’historicisme, une doctrine selon laquelle les connaissances et les valeurs d’une société sont liées à son contexte historique.
Autre idée forte, le bonheur, point de départ, là encore, d’une doctrine : l’eudémonisme88. À la fin du siècle, Saint-Just proclame que « le bonheur est une idée neuve en Europe », au xxe siècle, certains intellectuels (Eric Voegelin, Jacques Ellul…) y verront le substitut laïque du salut chrétien : « l’homme » n’a pas à espérer un quelconque et hypothétique salut dans l’au-delà, il doit en revanche rechercher le bonheur ici et maintenant, c’est une obligation(« le but de la société est le bonheur commun », proclame l’article 1er de la Constitution de 1793)89. Ellul précise que c’est parce que le bonheur finit par être assimilé à l’idée de confort matériel et que celui-ci ne peut s’obtenir qu’au prix du travail que la bourgeoisie promeut le travail en valeur et qu’elle engage le processus qui sera plus tard qualifié de « révolution industrielle ». Ce processus ne se serait jamais produit, affirme Ellul si, au préalable, la bourgeoisie n’avait pas réussi à faire croire (et à croire elle-même) que le travail est une valeur du fait qu’il conduit au bonheur.
« Liberté », « connaissance », « histoire », « bonheur » (… puis plus tard « travail », « progrès », « émancipation », « révolution ») : les idées des Lumières prolongent celles de la Renaissance et, comme elles, deviennent des idéaux, au sens où elles véhiculent l’idée optimiste qu’il est possible de définir l’homme. L’Essai sur l’hommed’Alexander Pope (1734 traduit en français cinq ans plus tard par Diderot) est significatif. Mais ces idéaux s’en différencient radicalement au moins sur deux points :
ceux qui portent ces idéaux sont animés par une volonté ferme de les réaliser concrètement et immédiatement : vers 1740, l’Anglais Hume fonde la philosophie sur l’empirisme(Traité de la nature humaine) ; vers 1750, les physiocratesfrançais contribuent à forger la conception moderne de l’économie ; vers 1780, Benthamindexe l’idée de bonheur au concept d’utilité.
Trois grandes orientations
Les idées des Lumières s’expriment par ailleurs différemment selon les pays.
En Grande-Bretagne, les choses se passent surtout de façon pragmatique, afin de théoriser après-coup les premiers effets de l’industrialisation et les justifier philosophiquement.
En France, pays fortement centralisé et de culture cartésienne, l’accent est mis sur le droit, le « contrat social » et la capacité d’organiser rationnellement la société.
En Allemagne, où l’approche métaphysique reste prégnante, la réflexion se focalise sur l’idéed’individu. Les philosophies revendiquent donc leur idéalisme.
Ces trois orientations ont en commun d’être portées par l’optimisme, une confiance en l’homme dans sa capacité à se comporter sereinement grâce à l’exercice de sa raison.
La Révolution industrielles’amorce en Grande-Bretagneet très vite, génère de l’inégalité sociale et de la paupérisation. Pour justifier les efforts à fournir, de nombreux textes sont publiés. En 1714, dans la Fable des abeilles, Bernard Mandevillesoutient l’idée que le vice, qui conduit à la recherche de richesses et de puissance, produit involontairement de la vertu parce qu’en libérant les appétits, il apporte une opulence supposée ruisseler du haut en bas de la société. Aussi, il estime que la guerre, le vol, la prostitution, l’alcool, les drogues, la cupidité, etc, contribuent finalement « à l’avantage de la société civile » : « soyez aussi avides, égoïstes, dépensier pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car ainsi vous ferez le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens ». Cette approche influence de nombreux intellectuels, notamment le philosophe Adam Smith, au travers de sa métaphore de la main invisible, qu’il reprend à trois reprises pendant vingt ans, notamment en 1759 dans sa Théorie des sentiments morauxet en 1776 dans La Richesse des nations, quand il s’efforce de conférer à l’économie le statut discipline scientifique. Selon lui, l’ensemble des actions individuelles des acteurs économiques (qui sont guidés uniquement par leur intérêt personnel) contribuant à la richesse et au bien commund’une nation, le marché est comparable à un processus se déroulant de façon automatique et harmonieuse dans la mesure où les intérêts des individus se complètent de façon naturelle. Diversement interprétée, la métaphore de la main invisible sera maintes fois reprises pour symboliser le libéralisme économique en tant qu’idéologie.
C’est en Grande-Bretagne, où il séjourne de 1726 à 1729, que le Français Voltaire devient le principal initiateur des Lumières. Dans ses Lettres anglaises, publiées en 1734, il exprime son enthousiasme pour le mode de vie des quakers et leurs valeurs (intégrité, égalité, simplicité…), l’empirisme de Locke, les théories de Newton… La Franceva produire un grand nombre de textes fondateurs de la démocratie moderne. En 1748, dans De l’esprit des lois, Montesquieu (qui, comme Voltaire, a séjourné en Angleterre et a été séduit par la monarchie constitutionnelle et parlementaire) considère les données historiques, sociologiques et climatiques comme déterminantes. Sa théorie de la séparation des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) fera plus tard autorité, bien au-delà du pays. De 1751 à 1772 paraissent les volumes de l’Encyclopédie, coordonnée par Diderot et d’Alembert, qui donne une vue d’ensemble des réalisations humaines, privilégiant les domaines de la science et de la technique, ce qui lui confère un ton très progressiste. En 1755, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, Rousseaudéveloppe une idée qui sonnera bientôt comme un postulat : « l’homme est bon par nature et c’est la société qui le corrompt ». Pour que les hommes se portent mieux, estime Rousseau, il faut améliorer la société… projet assigné à la politique autour d’un concept nouveau, la souveraineté du peuple, et de valeurs étant mises en pratique de façon contractuelle : la liberté, l’égalité et la volonté générale(Du Contrat social, 1762)90. Cette approche aboutit, en France, au concept de droits de l’homme et plus spécialement, en 1789, à la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui influencera largement les déclarations de droits durant les siècles suivants.
Selon Kant, l’homme « éclairé » est responsable et maître de son destin.
En Allemagne, dans les années 1770, Herder et Goethe initient le mouvement romantique Sturm und Drang (« tempête et passion ») qui exalte la liberté et la sensibilité. À l’inverse, Lessinginvite à la retenue et la tolérance (Nathan le Sage). Dans les deux cas, la subjectivité est fortement valorisée. Kant affirme dans Critique de la raison pure (1781-1787) que le « centre » de la connaissance est le sujet et non une réalité extérieure par rapport à laquelle l’homme serait passif. Ce n’est donc plus l’objet qui oblige le sujet à se conformer à ses règles, c’est le sujet qui donne les siennes à l’objet pour le connaître. Ceci signifie que nous ne pouvons pas connaître la réalité « en soi » mais seulement telle qu’elle nous apparaît sous la forme d’un objet, ou phénomène. En 1784, Kant écrit ces mots : « L’Aufklärung, c’est la sortie de l’homme hors de l’état de minorité dont il est lui-même responsable. L’état de minorité est l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre. On est soi-même responsable de cet état de minorité quand la cause tient non pas à une insuffisance de l’entendement mais à une insuffisance de la résolution et du courage de s’en servir sans la conduite d’un autre ».
L’expression « droit de l’homme » fait aujourd’hui consensus, ce qui interroge certains penseurs, dont l’historien du droit français Jacques Ellul : « Je suis toujours étonné que cette formule réunisse un consensus sans faille et semble parfaitement claire et évidente pour tous. La Révolution française parlait des « droits de l’homme et du citoyen ». Les droits du citoyen , j’entends : étant donné tel régime politique, on reconnaît au membre de ce corps politique tel et tel droit. Ceci est clair. De même lorsque les juristes parlent des droits de la mère de famille, ou le droit du mineur envers son tuteur, ou le droit du suspect. Ceci encore est clair. Mais les droits de l’homme ? Cela veut donc dire qu’il est de la « nature » de l’homme d’avoir des « droits » ? Mais qu’est-ce que la nature humaine ? Et que signifie ce mot « droit », car enfin, jusqu’à preuve du contraire, le mot « droit » est un mot juridique. Il a et ne peut avoir qu’un sens juridique. Ce qui implique d’une part qu’il peut être réclamé en justice, et qu’il est également assortie d’une sanction que l’on appliquera à celui qui viole ce droit. Bien plus, le droit a toujours un contenu très précis, c’est tout l’art du juriste que de déterminer avec rigueur le sens, le seul sens possible d’un droit. Or, quand nous confédérons, en vrac, ce que l’on a mis sous cette formule des droits de l’homme, quel est le contenu précis du « droit au bonheur », du « droit à la santé », du « droit à la vie« , du « droit à l’information », du « droit au loisir », du « droit à l’instruction » ? Tout cela n’a aucun contenu rigoureux »91.
À la fin du siècle, les faitscommencent à révéler le caractère utopique des théories des Lumières : l’épisode de la Terreurruine l’idéal rousseauiste de « l’homme naturellement bon » et la montée en puissance des nationalismes, qui s’impose à la fin du siècle, démontre le caractère irréaliste du projet d’émancipation kantien : alors que l’État devient la grande figure d’autorité en lieu et place de l’Église, « l’incapacité de se servir de son entendement sans la conduite d’un autre » est telle que le « sujet » reste majoritairement « l’objet » de ses propres passions. La pratique de l’esclavage par les chrétiens américains inspire à William Blake l’image d’une humanité violemment écartelée par ses contradictions (Nègre pendu par les côtes à un échafaud, 1792) tandis que l’art halluciné de Füssli(Le Cauchemar, 1781) annonce les tourments et les doutes qui assailliront bientôt « l’homme moderne » et dont l’art romantiquese fera le témoin au xixe siècle. Plus prémonitoire encore est le poème de l’Apprenti sorcier, de Goethe, en 1797, qui décrit un homme démiurge littéralement dépassé par ses créations, incapable de les contrôler.
Encore relativement marginales, ces prises de positions vont se cristalliser, durant les deux siècles suivants, dans un courant parfois qualifié d’Anti-Lumières ou d’anti-humaniste tandis qu’en revanche beaucoup plus important, l’esprit progressiste va constituer l’héritage des Lumières et se justifier par des discours moralisateurs, vantant à la fois les mérites du travail et ceux de l’entr’aide sociale.
Se démarquant des inquiétudes de ces intellectuels, la bourgeoisie réagit par une forme d’activisme social. À la misère générée par l’industrialisation, qui contredit la thèse d’Adam Smith de l’autorégulation du marché, elle réagit par l’action philanthropique. En 1780 naît à Paris la Société philanthropique (toujours active aujourd’hui) qui, sept ans plus tard, définit ainsi sa mission : « Un des principaux devoirs des hommes est (…) de concourir au bien de (leurs) semblables, d’étendre leur bonheur, de diminuer leurs maux. (…) Certainement, un pareil objet entre dans la politique de toutes les nations et le mot philanthrope a paru le plus propre à désigner les membres d’une société particulièrement consacrée à remplir ce premier devoir de citoyen »92. Au xxe siècle, la philosophe Isabel Paterson établit ainsi les liens entre charité chrétienne, philanthropie et humanisme : « Si l’objectif premier du philanthrope, sa raison d’être, est d’aider les autres, son bien ultime requiert que les autres soient demandeurs. Son bonheur est l’avers de leur misère. S’il veut aider l’humanité, l’humanité tout entière doit être dans le besoin. L’humaniste veut être le principal auteur de la vie des autres. Il ne peut admettre ni l’ordre divin, ni le naturel, dans lesquels les hommes trouvent les moyens de s’aider eux-mêmes. L’humaniste se met à la place de Dieu »93.
xixe siècle
Jusqu’au siècle précédent, le travailn’était pas considéré comme une valeur. Il l’est devenu quand, peu à peu, la bourgeoisie a exercé les pouvoirs économique et politique94. Désormais, le travail est fourni « en quantité industrielle » : le nouveau siècle est en tout cas caractérisé par un processus qui, après coup, sera qualifié de « révolution » mais qui – à la différence des révolutions américaine et française, au xviiie siècle – n’est pas un événement politique à proprement parler : la « révolution industrielle ». Né en Grande-Bretagne puis ayant gagné le reste de l’Europe, il se manifeste par la prolifération des machinesdans les usines, dans le but affiché d’accroître la productivité. Mais, comme le démontre Karl Marx à partir de 1848, le système qui en découle, le capitalisme, ne profitequ’à un nombre restreint d’humains, précisément les « bourgeois », tandis que beaucoup d’autres se retrouvent sur-exploités.
Considéré par beaucoup comme un humaniste95, Jules Ferryoppose en 1885 les « races supérieures » aux « races inférieures ».
C’est précisément à cette époque que les milieux bourgeois commencent à répandre le terme « humanisme » : « Le mécanisme de la justification est la pièce centrale de l’œuvre bourgeoise, sa signification, sa motivation » explique Jacques Ellul96. « Pour y arriver, le bourgeois construit un système explicatif du monde par lequel il rend légitime tout ce qu‘il fait. Il lui est difficile de se reconnaître comme l’exploiteur, l’oppresseur d’autrui, et en même temps le défenseur de l’humanisme. En cela, il exprime un souci propre à tout homme, celui d’être à la fois en accord avec son milieu et avec lui-même. Quand il ne veut pas reconnaître les motivations réelles de son action, il n’est donc pas plus hypocrite qu’un autre. Mais parce que, plus que d’autres, il agit sur le monde, il se constitue un argumentaire des plus élaborés visant à légitimer son action. Non seulement aux yeux de tous mais aussi – et d’abord – à lui-même, pour se conforter97.
Dès les années 1840, les critiques commencent à fuser : alors que le xviiie siècle avait proclamé la liberté, les premiers anarchistes affirment que l’État a pris la place de l’Église et du Roi comme source d’autorité. Et alors que la société industrielle se révèle inégalitaire, Proudhon ironise sur le mot « humanisme », inaugurant ce qu’on appellera plus tard « la question sociale » et le socialisme.
De fait, un nouveau type de déférence s’exprime, axé sur « la foi dans le progrès » scientifique et l’étatisme, le tout sur fond de déchristianisation. La situation est d’autant plus paradoxale que, comme ils l’avaient fait en Amérique du Sud au xvie siècle, c’est appuyés par l’Église catholique que les Européens, en quête de minerais et sous prétexte d’apporter la civilisation, s’en vont coloniserl’Afrique et l’Asie du Sud-est. En 1885, Jules Ferry, bien que fervent défenseur de la laïcité, déclare : « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures »98. Le concept de racisme contribuera par la suite à discréditer profondément et durablement celui d’humanisme99,100.
Humanisme = idéalisme
En 1808, F. I. Niethammerdistingue catégoriquement l’humanisme de la philanthropie.
Au début du siècle, certains intellectuels soulignent que la philanthropie n’est qu’un succédané de la charité chrétienne. En 1808, le théologien allemand F. I. Niethammer publie un ouvrage intitulé « Le débat entre le philanthropisme et l’humanisme dans la théorie éducative actuelle », en réaction précisément au concept de philanthropie. Et deux ans plus tard, dans son livre De l’Allemagne, Mme de Staël estime que Diderot« a besoin de suppléer, à force de philanthropie, aux sentiments religieux qui lui manquent »101. Ainsi peu à peu émerge l’idée que, tant qu’elle se réfère à la morale, toute approche de l’homme par l’homme se réduit à un cortège de bons sentiments.
Dans un courrier qu’il adresse à Niethammer, Hegel le félicite d’avoir distingué le « savoir pratique » du « savoir savant » et de s’être démarqué de l’idée de philanthropie pour promouvoir le concept d’humanisme102. Dans son œuvre, Hegel lui-même n’utilise pas le terme « humanisme » mais, l’année précédente, dans sa Phénoménologie de l’Esprit, il s’est efforcé de décrire « l’évolution progressive de la conscience vers la science » dans le but annoncé d’analyser « l’essence de l’homme dans sa totalité ». Selon Bernard Bourgeois, Hegel a développé dix ans plus tôt, vers 1797-1800, une nouvelle conception de l’humanisme : « ce n’est plus l’humanisme kantien de l’universel abstrait mais l’humanisme de l’universel concret, c’est-à-dire de la totalité, l’humanisme qui veut rétablir l’homme dans sa totalité »103.
De l’idéal aux doutes
Dans le Tres de Mayo, Goyarelate en 1814 un crime de guerre : des civils espagnols sont assassinés par des soldats français.
Les premières grandes critiques à l’encontre des idéaux des Lumières s’expriment aux lendemains des conflits nés de la Révolution française puis des guerres napoléoniennes, qui ont fracturé l’Europe pendant quinze ans (1799-1815). Les Désastres de la guerreen font partie, qui sont une série de gravures exécutées entre 1810 et 1815 par Goya. Tout comme son Tres de mayo, réalisé à cette époque, elles dénoncent les crimes de guerre perpétrés tant par les armées françaises sur les populations civiles espagnoles que par les soldats espagnols sur les prisonniers français. Goya ne prend parti ni pour les uns ni pour les autres : décrivant les atrocités comme le feront plus tard les photo-journalistes, il se livre à une méditation qui relève d’un « humanisme saisissant »104.
Le mouvement romantique participe de cette volonté de critiquer l’universalisme des Lumières105 en mettant en relief les arrières-plans de la psyché, les émotions et pulsions jusqu’alors déconsidérées. Dans le Portrait de l’artiste dans son atelier (1819), Géricault se montre « humaniste plus que simplement romantique »106 en s’exposant seul et mélancolique, un crâne humain posé derrière lui, symbole classique de la vanité.
Quelques philosophes s’attachent à dénoncer le libéralisme, tant politique qu’économique, au motif qu’il entretient une approche de l’existence qu’ils jugent étroitement comptable, au détriment de la sensibilité. Schopenhauer et Kirkegaard, en particulier, développent une vision du mondeouvertement désenchantée, voire pessimiste, qui est une réaction à l’inhumanité de l’époque et, par là même, le témoignage d’un nouveau type d’humanisme107,108.
Alors qu’en France les idéaux révolutionnaires s’éteignent avec l’instauration d’un empire autoritaire et que les effets inégalitaires de l’industrialisation massive deviennent criants, certains penseurs libéraux tentent à la foisde conférer le statut de science à l’économie et d’y infuser un parfum d’humanisme.
En 1817, notamment, dans Des principes de l’économie politique et de l’impôt, l’Anglais David Ricardos’efforce d’asseoir l’économie politique sur des bases rationnelles mais, contraint par les faits (la poussée démographique, l’urbanisation, la paupérisation…), il veille scrupuleusement à les intégrer dans ses calculs comme des données objectives. Il est le premier économiste libéral à penser la répartition des revenus au sein de la société en prenant en compte « la question sociale ». Au point que certains considèrent qu’il s’est mis « au service du bien public », que « la rigueur de son raisonnement lui permet de trouver les solutions les plus aptes à garantir la prospérité de ses concitoyens » et que, par conséquent, « sa démarche comporte une motivation humaniste incontestable »109,110.
En 1820, dans les Principes de la philosophie du droit, Hegels’inscrit dans le sillage de la doctrinehistoriciste et pose les fondements d’une nouvelle doctrine : l’étatisme. Il écrit : « il faut vénérer l’État comme un être divin-terrestre »111. Il se réfère alors à l’État moderne, dont le Saint-Empire romain germanique, au xiie siècle, est l’archétype dès lors qu’il s’est révélé le concurrent de l’autorité papale (plus de détails) et qui culmine avec la Révolution française(qu’il qualifie de « réconciliation effective du divin avec le monde »112). Hegel voit en Napoléon celui qui a imposé le concept d’État-nation, lequel reste à ce jour le système politique dominant. Selon lui, l’État est la plus haute réalisation de l’idée divine sur terre (il parle d’« esprit enraciné dans le monde »113)114 et le principal moyen utilisé par l’Absolupour se manifester dans l’histoire. Bien plus qu’un simple organe institutionnel, il est « la forme suprême de l’existence », « le produit final de l’évolution de l’humanité », « la réalité en acte de la liberté concrète »115, le « rationnel en soi et pour soi »114.
Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, plusieurs intellectuels (principalement Cassirer116 et Popper117) se demanderont si, au lieu de considérer Hegel comme un humaniste, il ne convient pas voir en lui un précurseur du totalitarisme. D’autres sont plus mesurés, tel Voegelin, qui voit en lui un héritier du gnosticisme, un courant de pensée remontant à l’Antiquité et selon lequel les êtres humains sont des âmes divines emprisonnées dans un monde matériel118. Plus précisément Voegelin estime que si procès il doit y avoir, ce n’est pas celui d’Hegel qu’il faut ouvrir mais celui de la modernité dans son ensemble, laquelle, selon lui, s’enracine dans la tentative de faire descendre le paradis sur terre et de faire de l’accès aux moyens du bonheur ici-bas la fin ultime de toute politique.
Hegel est-il « humaniste » ou « totalitaire » (ou encore « absolutiste »119) ? Cette question divise bon nombre d’intellectuels. Jacques Ellul estime que la divinisation de l’État, telle que formulée par Hegel, ne s’opère pas seulement dans les dictatures militaires, elle s’observe également dans ce que Bergson puis Popperappellent la société ouverte (les États portés par les principes de tolérance, de démocratie et de transparence). Selon lui, tout État est totalitaire : « le mouvement de l’histoire non seulement ne précipite pas la chute de l’État mais il le renforce. C’est ainsi, hélas, que toutes les révolutions ont contribué à rendre l’État plus totalitaire ». Faisant allusion à Hegel, il poursuit : « La bourgeoisie n’a pas seulement fait la révolution pour prendre le pouvoir mais pour instituer le triomphe de la Raison par l’État »120. Et il précise que, dès lors que les humains n’ont pas conscience de s’en remettre à l’État pour tout ce qui concerne leur existence, toute discussion sur l’humanisme est vaine car toutes leurs prétentions à s’émanciper le sont également. Et plutôt que de parler de divinisation (terme qui renvoie à une manière d’être assumée), Ellul parle de sacralisation (qui désigne en revanche une posture inconsciente) : « ce n’est pas l’État qui nous asservit, même policier et centralisateur, c’est sa transfiguration sacrale »121.
La volonté d’humaniser le capitalisme se traduit également dans les années 1820 par une volonté de le réformer en profondeur, quand l’usage du mot socialisme commence à se généraliser122. Formant ce que l’on appellera plus tard le « socialisme utopique », ses promoteurs s’appellent Robert Owen, en Grande-Bretagne, Charles Fourier, Étienne Cabet et Philippe Buchezen France. On peut les considérer comme « humanistes » au sens où ils « refusent la réduction de l’homme à la marchandise »123 et où ils expriment leur confiance dans l’homme, du fait qu’il peut façonner, transformer, le monde. Ne contestant pas spécialement la pression des machines sur les humains, ils retirent au contraire du phénomène de l’industrialisation un idéal d’émancipation.
Le plus prosélyte d’entre eux est Saint-Simon. Il voit dans l’industrialisation le moteur du progrès social et aspire à un gouvernement exclusivement constitué par des producteurs (industriels, ingénieurs, négociants…) dont le devoir serait d’œuvrer à l’élévation matérielle des ouvriers au nom d’une morale axée sur le travail et la fraternité124. Conçue comme une « science de la production » au service du bien-êtrecollectif, cette approche s’exprime dans un vocabulaire religieux (Catéchisme des industriels, 1824 ; Nouveau christianisme, 1825). En 1848, Auguste Comte fait même du saint-simonisme une église hiérarchisée, l’Église positiviste.
En 1841, Ludwig Feuerbach, ancien disciple de Hegel, en devient le principal critique en publiant L’Essence du christianisme, un ouvrage fondateur d’un véritable courant matérialiste. Selon son auteur, croire en Dieu est un facteur d’aliénation : dans la religion, l’homme perd beaucoup de sa créativité et de sa liberté125. De par sa prise de distance avec le phénomène religieux, l’ouvrage s’inscrit dans sillage de la philosophie humaniste. Il va toutefois inciter Karl Marx et Friedrich Engels à critiquer très sévèrement la part idéaliste de l’humanisme (lire infra).
En 1845, dans la sixième thèse sur Feuerbach, Marx écrit que « l’essence humaine, c’est l’ensemble des rapports sociaux ». Il inaugure ainsi une critique de l’humanisme en tant que conception idéaliste de l’homme126 : « Les idées, les conceptions et les notions des hommes, en un mot leur conscience, changent avec tout changement survenu dans leurs conditions de vie, leurs relations sociales, leur existence sociale. Que démontre l’histoire des idées, si ce n’est que la production intellectuelle se transforme avec la production matérielle ? Les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante. »127.
La question de savoir si Marx est humaniste ou non s’est fréquemment posée au xxe siècle128,129. Les avis sont partagés. Lucien Sève, par exemple, estime que c’est le cas mais Louis Althusser pense le contraire. Selon lui :
Avant 1842, Marx est un humaniste traditionnel. Marqué par Kant (qui fait l’apologie du sujet et selon qui celui-ci doit toujours choisir son action de sorte qu’elle devienne « la règle de l’humanité) mais aussi par les libéraux anglais (qui font coïncider l’intérêt de l’individu avec l’intérêt général), il évoque tout comme eux « l’essence de l’homme ».
De 1842 à 1845, Marx ne pense plus à « l’homme » mais aux hommes, dans leur pluralité. Et il estime qu’ils peuvent aussi bien obéir à la déraison qu’à la raison. À la différence de « l’homme », qui n’est qu’une idée abstraite et idéale, les hommes sont des entités concrètes, inscrites dans l’Histoire. Or l’Histoire résulte du conflit entre la raison et la déraison, la liberté et l’aliénation.
À partir de 1845, Marx non seulement rompt avec toute théorie sur « l’essence de l’homme » mais il estime que toutes les théories de ce type (qu’il regroupe sous le terme « humanisme ») forment une idéologie, un moyen plus ou moins conscient pour les individus qui les propagent d’entretenir une forme de domination sur d’autres individus. Il entreprend alors de fonder une théorie de l’Histoire sur autre chose que « l’homme »130.
Jacques Ellul estime que l’analyse d’Althusser est biaisée : si, comme il le prétend, Marx devient un anti-humaniste, c’est parce qu’il taxe l’humanisme d’idéalisme. Mais ce faisant, il appelle de ses vœux un humanisme matérialiste : « il rejette la philosophie humaniste du xixe siècle bourgeois. (…) Mais cela ne signifie en aucun cas qu’il n’est pas un humaniste. Si « humanisme » signifie donner à l’homme une place privilégiée, dire qu’il est créateur d’Histoire et qu’il peut seul se choisir pour devenir quelque chose de nouveau, alors Marx est parfaitement humaniste »131. Ellul considère par conséquent que Marx incarne à lui seul le passage d’un certain type d’humanisme (que Marx fustige) à un autre type d’humanisme (qui se concrétisera de fait et qu’on appelle aujourd’hui « humanisme-marxiste »).
En 1859, Marx écrit : « Ce n’est pas la conscience des hommes qui détermine leur existence, c’est au contraire leur existence sociale qui détermine leur conscience. (…) On ne juge pas un individu sur l’idée qu’il a de lui-même. On ne juge pas une époque de révolution d’après la conscience qu’elle a d’elle-même. Cette conscience s’expliquera plutôt par les contrariétés de la vie matérielle. »132. Et il considère que les institutions politiques, les lois, la religion, la philosophie, la morale, l’art, la conscience de soi… (qu’il regroupe sous le terme « superstructures ») sont façonnés, déterminées, par les conditions de production (climat, ressources naturelles), les forces productives (outils, machines) et les rapports de production (classes sociales, domination, aliénation, salariat…), qu’il appelle « infrastructures ».
Dans L’évolution de l’Homme(1879), de Ernst Haeckel, l’homme constitue le point culminant de toute l’évolution.
L’argument selon lequel la science prend le relai de la religion imprègne toute la pensée du xixe siècle et culmine en 1859 quand le paléontologue anglais Charles Darwin publie De l’origine des espèces, ouvrage aujourd’hui considéré comme le texte fondateur de la théorie de l’évolution. Sur la base de recherches scientifiques, il avance l’idée que les espèces vivantes, végétales et animales, descendent d’autres espèces, les plus anciennes ayant disparu, et qu’il est possible d’établir une classification en vue de déterminer leurs « liens de parenté » (thèse de la sélection naturelle).
Accessible au grand public, ce livre fait l’objet de débats intenses et passionnés, qui ne prendront fin que beaucoup plus tard, suscitant notamment l’opposition de l’Église anglicane133 et du Vatican134 car il contredit la théorie religieuse en vigueur à l’époque de la création divine des espèces de manière séparées et leur immutabilité. Cette réaction des Églises leur sera préjudiciable.
En 1866, le naturaliste allemand Ernst Haeckel commence à représenter la filiation des espèces sous la forme d’arbres généalogiques : les arbres phylogénétiques. On notera que, loin de figurer l’homme comme une espèce parmi d’autres, et donc de le déprécier, il le place systématiquement en bout de chaîne, comme constituant le point le plus avancé de l’évolution de la nature. Ce type de représentation s’inscrit dans la pure tradition humaniste135.
L’homme objet, l’argent sujet
En 1867, dans Le Capital, Marxconteste la glorification de l’homme en tant que « sujet », visioninaugurée par Kant et la philosophie des Lumières. Dans le monde capitaliste, explique-t-il, l’économiefaçonne entièrement les modes de vie, la circulation de l’argent joue un rôle « capital » et le fruit du travail des hommes n’étant plus considéré que comme une vulgaire marchandise, les humains, pour se sentir reconnus, en viennent à « fétichiser toute marchandise », ils lui sont aliénés. Aux yeux de Marx, « l’essence » de l’homme et la « nature humaine » sont par conséquent des concepts philosophiques ne présentant plus aucun intérêt. Ellul résume ainsi la position de Marx : « Un nombre croissant d’individus cessent de pouvoir agir sur la société : ils cessent d’être sujets pour être transformés en objets. Et c’est l’argent, qui devrait être objet, qui devient sujet »136.
Si l’on prétend encore s’intéresser à l’homme, explique Marx, c’est vers l’étude de ses « conditions » matérielles qu’il faut désormais se tourner puis, ensuite, vers les modalités selon lesquelles on peut agir pour les abolir et ainsi se désaliéner. Ellul avance la thèse que si les marxistes n’ont jamais réussi à réaliser le projet émancipateur de Marx par la révolution, c’est parce qu’il n’ont pas compris ce que dit Marx à propos de l’argent : le problème majeur n’est pas tant de savoir qui sont ceux qui l’accumulent à leur profit puis de les renverser que l’argent lui-même : celui-ci en effet est devenu
« … le médiateur de toutes les relations. Quelle que soit la relation sociale, elle est médiatisée par l’argent. Au travers de cet intermédiaire, l’homme considère son activité et son rapport aux autres comme indépendants de lui et dépendants de cette grandeur neutre qui s’interpose entre les hommes. Il a extériorisé son activité créatrice, dit Marx, qui ajoute : L’homme n’est plus actif en tant qu’homme dans la société, il s’est perdu. Cessant d’être médiateur, il n’est plus homme dans la relation avec les autres ; il est remplacé dans cette fonction par un objet qu’il a substitué à lui-même. Mais en agissant ainsi en considérant sa propre activité comme indépendante de lui, il accepte sa servitude. (…) Dans la médiation de l’argent, il n’y a plus aucune espèce de relation d’homme à homme ; l’homme est en réalité lié à une chose inerte et les rapports humains sont alors réifiés. »
— Jacques Ellul, La pensée marxiste, La table ronde, coll. « Contretemps », 2003, p. 175.
Reprenant l’argument d’Althusseraffirmant que Marx est un antihumaniste, Ellul rétorque que ce n’est pas Marx qui est antihumaniste mais son époque, dès lors que les relations entre les humains sont totalement dépendantes de l’argent dont ils disposent. alors que cet argent ne devait rester pour eux qu’un vulgaire objet, ils en sont devenus la « chose »137.
« Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? (…) La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? »
Ernest Renan souhaite en 1890 que l’humanité soit « organisée scientifiquement ».
Cette formule de Nietzsche et sa théorie du surhomme sont souvent interprétées comme l’expression de la volonté de puissance, l’orgueil prométhéen, l’hybris. Certains138 y voient également la formulation d’une crainte sourde : que la croyance en Dieu s’éteignant, la religiosité n’emprunte d’autres voies139… notamment celle de l’humanisme. Déjà, en 1846, dans Misère de la philosophie, Pierre-Joseph Proudhon voyait dans celui-ci « une religion aussi détestable que les théismes d’antique origine »140.
Nietzsche ne dit pas explicitement que l’humanisme constitue une nouvelle religion mais il avance l’idée qu’une majorité de ses contemporains font du progrès un mythe et qu’à travers celui-ci, ils croient en l’homme comme on croit (ou croyait) en Dieu (lire supra). En 1888, il écrit ces mots :
« L’humanité ne représente nullement une évolution vers le mieux, vers quelque chose de plus fort, de plus élevé au sens où on le croit aujourd’hui. Le progrès n’est qu’une idée moderne, c’est-à-dire une idée fausse. L’Européen d’aujourd’hui reste, en valeur, bien au-dessous de l’Européen de la Renaissance ; le fait de poursuivre son évolution n’a absolument pas comme conséquence nécessaire l’élévation, l’accroissement, le renforcement. »
— L’Antéchrist. Trad. Jean-Jacques Pauvert, 1967, p. 79
De fait, deux ans plus tard, dans L’avenir de la science, Ernest Renanécrit : « organiser scientifiquement l’humanité, tel est le dernier mot de la science moderne, telle est son audacieuse mais légitime prétention »141. Il devient ainsi l’apôtre du scientisme, vision du monde s’inscrivant dans le sillage du rationalisme, du saint-simonisme et du positivisme, selon laquelle la science expérimentale prime sur les formes plus anciennes de référence (notamment religieuses) pour interpréter le monde142.
Pour certains critiques, l’athéismede Nietzsche a donc une conséquence que lui-même redoutait : une mystification de l’humanisme143,144. Pour d’autres, il signifie carrément la mort de l’humanisme : « en déplaçant l’homme de son statut de l’être, de son humanité vers sa nature la plus primitive, Nietzsche (…) déplace l’homme du piédestal de sa conscience pour le remettre sur pieds et sur terre, il le ramène à son corps et à sa biologie »145. S’il est permis d’analyser la pensée de Nietzsche comme une « réduction de l’humain à la biologie », celle-ci préfigure alors des thèses qui fleuriront au xxe siècle (lire infra). En tout cas, quelques années seulement après la mort de Nietzsche, un philosophe marqué par lui, Jules de Gaultier, critique vertement le scientisme : « aucune conception n’est plus contraire à l’esprit scientifique que cette croyance en un finalisme métaphysique. C’est purement et simplement un acte de foi. Le scientisme relève, sous ce jour, d’une croyance idéologique comme les diverses religions relèvent de la croyance théologique »146.
L’idéologie scientiste disparaîtra au début du xxe siècle et Jacques Ellull’expliquera en disant que « l’activité scientifique est (désormais) surclassée par l’activité technique (car) on ne conçoit plus la science sans son aboutissement technique », ses applications147. Stimulé par une quête permanente de confort, l’esprit utilitariste asservit la science à la technique et c’est cette dernière qui, à présent, est sacralisée :
« La technique est sacrée parce qu’elle est l’expression commune de la puissance de l’homme et que, sans elle, il se retrouverait pauvre, seul et nu, sans fard, cessant d’être le héros, le génie, l’archange qu’un moteur lui permet d’être à bon marché. »
Le début du siècle est ébranlé par les Guerres mondiales, les régimes totalitaires et les crises économiques. Chez les intellectuels, ces événements ruinent définitivement l’optimisme fondateur des Lumières152. Pourtant, au sein des populations, le confort domestique et les moyens de transport renforcent la « foi dans le progrès ». Au point que même les chrétiens, qui fustigeaient auparavant l’utilitarisme et le positivisme, participent de cet engouement153. Les avertissements d’un Georges Sorel, en 1908154, restent sans écho. Le progressismeest même célébré dans bon nombre de partis politiques.
Les régimes totalitaires infléchissent le débat sur l’humanisme : peut-on rester soi-même dans un mouvement de masse ? La politique est-elle une religion séculière ?…
Ici, seul contre tous, un homme refuse de faire le salut nazi en 1936.
Apparus au xviiie siècle et rigoureusement constitués à la fin du xixe, ceux-ci passionnent désormais les foules (création en France du Parti radical en 1901 et de la SFIO en 1905). En 1917, la Révolution russe, dont l’objectif proclamé est de concrétiser les analyses de Marx, va peu à peu scinder l’humanité en deux camps, le capitalisme et le socialisme, selon les principes économiques préconisés par le libéralisme ou au contraire le marxisme.
Après la Seconde guerre, Raymond Aron estime que, de par les espoirs qu’elle suscite, la politique est devenue une « religion séculière »155. Pendant plusieurs décennies, les deux blocs vont s’opposer par petites nations interposées et quand, à la fin du siècle, prend fin cette « Guerre froide » et que, partout sur la planète, le marché dicte ses lois et impose ses effets (conflits armés locaux, pauvreté, précarité…) mais que, paradoxalement, on qualifie cette période de « détente », les concepts d’illusion politique156 et de religion politique157 restent marginalement traités.
À la fin du siècle et encore aujourd’hui, le mot « humanisme » est très fréquemment prononcé dans le milieu politique mais deux facteurs concourent à sa relativisation, voire son effacement, chez les intellectuels :
les évolutions de l’électroniqueet de l’informatique sont telles qu’on les rassemble généralement sous le qualificatif de « révolution », la révolution numérique. Certains considèrent que s’ouvre une nouvelle ère. Le débat sur l’humanisme se structure alors sur les promesses du transhumanismeet les inquiétudes du post-humanisme.
Au début du siècle, à l’image des arts plastiques, qui, avec le cubisme, l’abstractionou le dadaïsme, brisent tous les codes de la représentation, les sciences humaines tendent à établir des diagnostics de plus en plus incertains et déstabilisants, tant ils bousculent les critères d’appréciation de la pensée ayant cours jusqu’à présent.
En 1900 parait L’Interprétation du rêve, un ouvrage rédigé par un médecin autrichien, Sigmund Freud. À peine remarqué sur le coup, ce livre va marquer la fondation d’une nouvelle discipline, la psychanalyse. À l’opposé d’un Descartes, qui postulait qu’il n’y a pas de connaissance possible sans une solide conscience de soi, puis d’un Kant, qui surenchérissait en faisant primer le sujet sur l’objet, Freud affirme que le moi ne peut en aucune manière être considéré comme une instance totalement libre : il est au contraire pris en étau, « complexé », entre le « ça » (constitué de toutes sortes de pulsions, essentiellement d’ordre sexuel) et le « surmoi » (ensemble de règles morales édictées par la société). Freud précise que, dès lors que les humains se préoccupent avant tout de répondre aux attentes sociales, ils refoulent leurs pulsions dans l’inconscient, rendant celles-ci toujours plus pressantes. Continuellement en proie au conflit, ils en deviennent chroniquement malades, névrosés. Vu sous cet angle, « l’homme » perd l’autorité naturelle dont l’humanisme de la Renaissance puis celui des Lumières l’avaient d’office auréolé. Bien que contestée par quelques confrères de Freud, cette thèse fera un temps autorité.
En 1917, analysant le processus de recul des croyances religieuses au profit des explications scientifiques, le sociologue allemand Max Weberutilise une expression qui sera ensuite fréquemment commentée : « le désenchantement du monde ». Par cette formule, Weber signifie une rupture traumatisante avec un passé considéré comme harmonieux, une perte de sens et un déclin des valeurs, du fait que le processus de rationalisation dicté par l’économie tend de plus en plus à imposer ses exigences aux humains161.
Dans les pays anglo-saxons, ces positions sont qualifiées d’anti-humanisme(en), car déterministes, accordant aux individus une marge de liberté moindre. L’Allemand Walther Rathenau déplore que le perfectionnement exponentiel des machines et des outils ne s’accompagne pas d’un progrès spirituel162 et le Français Paul Valéry, commentant le bilan meurtrier de la Première Guerre mondiale et décrivant la science comme « atteinte mortellement dans ses ambitions morales » et « déshonorée par la cruauté de ses applications » évoque une « crise de l’esprit »163.
La question du machinisme
Durant les années 1920 et 1930, un grand nombre d’intellectuelsadoptent des positions critiques sur l’emprise des machines sur les humains, notamment dans le monde du travail164.
En 1921, Romain Rolland publie La révolte des machines ou La pensée déchaînée, le scénario d’un film de fiction s’inspirant du mythe de Prométhée165. Et recevant le Prix Nobel de littérature en 1927, Henri Bergson prononce ces mots : « On avait pu croire que les applications de la vapeur et de l’électricité, en diminuant les distances, amèneraient d’elles-mêmes un rapprochement moral entre les peuples : nous savons aujourd’hui qu’il n’en est rien »166. La même année, Henri Daniel-Rops estime que « le résultat du machinisme est de faire disparaître tout ce qui, en l’homme, indique l’originalité, constitue la marque de l’individu »167. En 1930, dans La Rançon du machinisme, Gina Lombroso voit dans l’industrialisation un symptôme de décadence intellectuelle et morale168. L’année suivante, Oswald Spengler écrit : « La mécanisation du monde est entrée dans une phase d’hyper tension périlleuse à l’extrême. […] Un monde artificiel pénètre un monde naturel et l’empoisonne. La civilisation est elle-même devenue une machine »169. Et dans De la destination de l’homme. Essai d’éthique paradoxale, Nicolas Berdiaev écrit : « si la technique témoigne de la force et de la victoire de l’homme, elle ne fait pas que le libérer, elle l’affaiblit et l’asservit aussi. Elle mécanise sa vie, la marquant de son empreinte. (…) La machine détruit l’intégralité et la coalescence anciennes de la vie humaine »170,171. Et deux ans plus tard, dans L’homme et la machine, il estime que « l’apparition de la machine et le rôle croissant de la technique représentent la plus grande révolution, voire la plus terrible de toute l’histoire humaine ».
En 1932, dans son récit d’anticipationLe meilleur des mondes, Aldous Huxley décrit un univers conditionné par les sciences génétiques. L’année suivante, Georges Duhamel écrit : « La machine manifeste et suppose non pas un accroissement presque illimité de la puissance humaine, mais bien plutôt une délégation ou un transfert de puissance. (…) Je ne vois pas, dans le machinisme, une cause, pour l’homme, de décadence, mais plutôt une chance de démission. (…) Nous demandons à nos machines de nous soulager non seulement des travaux physiques pénibles, mais encore d’un certain nombre de besognes intellectuelles. (…) Notre goût de la perfection, l’une de nos vertus éminentes, nous le reportons sur la machine »172. En 1934, dans Technique et civilisation, Lewis Mumford s’interroge : « En avançant trop vite et trop imprudemment dans le domaine des perfectionnements mécaniques, nous n’avons pas réussi à assimiler la machine et à l’adapter aux capacités et aux besoins humains »173. La même année, dans Réflexions sur les causes de la liberté et de l’oppression sociale, Simone Weildécrit le progrès technique comme n’apportant nullement le bien-être mais la misère physique et morale : « Le travail ne s’accomplit plus avec la conscience orgueilleuse qu’on est utile, mais avec le sentiment humiliant et angoissant de posséder un privilège octroyé par une passagère faveur du sort »174. En 1936, dans une scène célèbre de son film Les Temps modernes, montrant un ouvrier pris dans les engrenages d’une gigantesque machine, Charles Chaplin soulève la question de l’aliénation dans le travail mécanisé.
En 1919 et 1920, à la suite du traumatisme causé par la défaite de la Première Guerre mondiale et dans un contexte marqué par le développement du machinisme, l’historien et philologue allemand Werner Jaeger publie deux articles intitulés respectivement Der humanismus als Tradition und Erlebnis (« L’humanisme en tant que tradition et expérience ») et Humanismus und Jugendbildung(« Humanisme et formation de la jeunesse »). Ils conduisent, en 1921, le philosophe Eduard Spranger(de) à appeler de ses vœux un « troisième humanisme », dans la continuité d’un « premier humanisme », auquel il associe Érasme, et d’un « néo-humanisme » (Neuhumanismus) qui fait référence à Goethe et son cercle.
L’expression « troisième humanisme » apparaît chez Jaeger lui-même en 1934, un an après l’arrivée d’Hitler au pouvoir et deux ans avant qu’il n’émigre aux États-Unis pour fuir le nazisme. Ce concept « participe de l’idée d’un affaiblissement des « valeurs » traditionnelles, accablées par les maux d’une modernité aussi délétère que mal définie. Il se présente (…) comme une tentative de régénération (et) se traduit par l’abandon des certitudes positivisteset historicistes de la fin du xixe siècle. Il se veut une réponse au besoin de « réorientation » dont l’érudition de l’époque weimariennese fait l’écho. Il s’inscrit d’autre part dans la tradition de retour aux Grecs qui, depuis la Goethezeit, n’a cessé d’alimenter la vie intellectuelle allemande175. (…) Les recherches de Jaeger sont en effet guidées par une intuition : celle que l’homme grec fut toujours un homme politique, que l’éducation et la culture, en Grèce ancienne, furent inséparables de l’ordre communautaire de la polis. Aussi le nouvel humanisme ne peut-il être (…) qu’un humanisme politique, tourné vers l’action et ancré dans la vie de la cité »176.
Aux États-Unis, Jaeger poursuivra ses efforts pour promouvoir l’humanisme sur la base des valeurs de l’Antiquité grecque177 mais sans grand succès.
À peine revenus des camps de la mort, auxquels ils ont survécu, l’Italien Primo Leviet le Français Robert Antelme décrivent les souffrances qu’ils y ont enduré et les scènes d’horreur extrême dont ils ont été les témoins178. Des années plus tard, ils seront suivis par le Russe Alexandre Soljenitsyne, survivant des goulags soviétiques179.
Analysant en 2001 ces génocides et celui, plus récent, du Rwanda, l’essayiste Jean-Claude Guillebauds’interroge sur le sentiment d’impuissance qu’ils suscitent au sein des institutions internationales, sur la façon selon lui superficielle dont les médias en rendent compte ainsi que sur la légèreté avec laquelle, dans ce contexte, on ose encore parler d’humanisme :
« On pourrait s’indigner de l’incroyable légèreté du discours médiatique lorsqu’il évoque ce qu’on pourrait appeler « la nouvelle question humaniste ». Dans le babillage de l’époque, l’humanisme est parfois puérilement désigné comme une revendication gentille, désuète, attendrissante, moralisatrice, etc. La référence à l’homme est ingénument ravalée au rang d’un moralisme doux, d’une sorte de scoutisme que la technoscience n’admet plus qu’avec une indulgence agacée. Humanisme et universalisme sont perçus, au fond, comme les survivances respectables mais obsolètes d’un monde ancien180. »
En 1987, le philosophe Philippe Lacoue-Labarthe trouve cependant à dire que « le nazisme est un humanisme, en tant qu’il repose sur une détermination de l’humanitas à ses yeux plus puissante, c’est-à-dire plus effective, que toute autre. (…) Qu’il manque à ce sujet l’universalité, qui définit apparemment l’humanitas de l’humanisme au sens reçu, ne fait pas pour autant du nazisme un anti-humanisme »25.
Tout aussi virulent à l’encontre de ce qu’on appelle l’« humanisme » mais toutefois plus nuancé en ce qui concerne les accointances de celui-ci avec les systèmes totalitaires, Claude Lévi-Strauss tient ces propos en 1979 :
« Ce contre quoi je me suis insurgé, et dont je ressens profondément la nocivité, c’est cette espèce d’humanisme dévergondé issu, d’une part, de la tradition judéo-chrétienne, et, d’autre part, plus près de nous, de la Renaissance et du cartésianisme, qui fait de l’homme un maître, un seigneur absolu de la création. J’ai le sentiment que toutes les tragédies que nous avons vécues, d’abord avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin les camps d’extermination, cela s’inscrit non en opposition ou en contradiction avec le prétendu humanisme sous la forme où nous le pratiquons depuis des siècles, mais dirais-je, presque dans son prolongement naturel, puisque c’est en quelque sorte d’une seule et même foulée que l’homme a commencé par tracer la frontière de ses droits entre lui-même et les autres espèces vivantes et s’est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l’espèce humaine, ses parents, certaines catégories reconnues seules véritablement humaines, d’autres catégories qui subissent alors une dégradation conçue sur le même modèle qui servait à discriminer entre espèces vivantes humaines et non humaines, véritable pêché originel qui pousse l’humanité à l’autodestruction181. »
Floraison d’humanismes
Tout au long du siècle, des penseurs d’opinions très différentes, voire divergentes, se réclament de l’humanisme182. Cette prolifération contribuant à rendre le concept d’humanisme de plus en plus flou, elle fait l’objet de multiples débats183, notamment lorsque « humanisme » et « politique » sont mis en corrélation. Ainsi, en 1947 Jacques Ellul écrit :
« Sitôt que l’on parle d’humanisme, on est en plein dans le domaine des malentendus. On pense à un certain sentimentalisme, à un certain respect de la personne humaine, qui n’est qu’une faiblesse et un luxe bourgeois et l’on ne peut s’empêcher de penser qu’un écrivain communiste (…) avait en partie raison quand il écrivait : « la dignité humaine, les droits de l’homme, le respect de la personne, etc, on en a les oreilles rebattues ». Cette réaction est dure, mais je crois qu’elle est légitime en face de tout ce que l’on a appelé « humanisme ». Et, en particulier, l’un des malentendus qu’il faudrait dissiper, c’est (l’idée) que la démocratie serait humaniste et respecterait l’homme et (que) la dictature serait anti-humaniste et mépriserait l’homme. Tout notre temps est absolument subjugué par cette erreur, par cette antinomie au sujet de l’homme, entre démocratie et dictature184. »
L’humanisme chrétien
L’expression « humanisme chrétien » date des années 1930185. Par la suite, certains y voient un phénomène né avec les premiers « intellectuels » chrétiens (Saint Justin, Origène, Clément d’Alexandrie…)186. De façon générale, l’expression est utilisée pour différencier les intellectuels chrétiens du xxe siècle de ceux qui se revendiquent athées.
Il faut rappeler que l’humanisme de la Renaissance a été porté par des penseurs qui étaient « chrétiens » non pas forcément par conversion mais parce que cela allait à l’époque de soi : au sortir du Moyen Âge, il était inconcevable de s’éloigner de la doxa de l’Église sous peine d’être frappé d’hérésie. Et c’est parce qu’au fil du temps les intellectuels se sont affranchis de la tutelle morale de l’Église au point d’adopter des postures ouvertement agnostiques, voire – après Nietzsche – athées, que certains d’entre eux, invoquant leur foi chrétienne, réagissent en manifestant leur volonté d’insuffler une éthique qui sera en définitive qualifiée d’humanisme chrétien.
En France, c’est le cas notamment de Charles Péguy187, Léon Bloy, Georges Bernanos et Emmanuel Mounier ainsi que Jacques Maritain, le seul d’entre eux à prôner, en 1936, un humanisme d’un nouveau type qu’il qualifie d’intégral188, qu’il place sous le signe de la transcendance et de la « dignité transcendante de l’homme » et qu’il oppose à « un humanisme anthropocentrique refermé sur lui-même et excluant Dieu »38. Un certain nombre d’écrivains sont souvent rangés dans la catégorie « humanisme chrétien », dont principalement Julien Green38.
A la fin du siècle, le pape Jean-Paul II se positionne sur la question de l’humanisme en développant une critique de l’utilitarisme et du productivisme : « L’utilitarisme est une civilisation de la production et de la jouissance, une civilisation des “choses” et non des “personnes”, une civilisation dans laquelle les personnes sont utilisées comme des choses »191.
L’humanisme athée
On regroupe généralement sous l’étiquette « humanisme athée » les penseurs qui, dans le sillage de Marx, Nietzsche et Freud(surnommés maîtres du soupçonpar Paul Ricœur) contestent catégoriquement non seulement la religion mais la foi en Dieu.
Théologien catholique, Henri de Lubac déplore en 1944 ce qu’il appelle « le drame de l’humanisme athée », dont il situe les origines au xixe siècle, dans les prises de positions de Feuerbach, Saint-Simon et Comte192. Bien qu’occupant une place majeure dans le clergé (il est cardinal), de Lubac ne taxe pas ceux-ci d’anti-humanistes et ne porte pas sur eux un jugement normatif. Il ne peut d’ailleurs les condamner car l’Église n’exerce plus sur les consciences l’autorité dont elle disposait jusqu’alors. Il considère en revanche l’athéisme comme un fait social, une donnée objective avec laquelle les chrétiens (et pas seulement le clergé) doivent désormais composer. Il prend au sérieux les revendications des athées au libre arbitre et trouve digne et courageuse la position de Dostoïevski quand il pose la question : « mais alors, que deviendra l’homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? »193. Cette position traduit selon lui l’angoisse et le doute que le Christ lui-même a exprimé peu avant de mourir : « Mon dieu, pourquoi m’as tu abandonné ? » (Mc 15,34 et Mt 27,46).
En France, Jean-Paul Sartre et Albert Camus sont eux aussi considérés fréquemment comme des humanistes athées197. Certains, toutefois, font remarquer que si l’athée est « celui pour qui la question de Dieu ne se pose pas », cet adjectif ne s’applique pas à Camus : non seulement celui-ci n’est pas « indifférent à la question de Dieu » mais il s’efforce de se confronter à elle. Il est donc préférable de qualifier Camus d’agnostique198.
Dans le sillage de l’idéologie scientiste du xixe siècle, quelques intellectuels européens, aussi bien chez les athées que chez les chrétiens, s’efforcent dans les années 1950 de promouvoir un humanisme qui serait basé sur les avancées de la science, notamment les théories de l’évolution, mais formulé dans une rhétorique religieuse assumée. C’est le cas principalement du français Teilhard de Chardin et de l’anglais Julian Huxley, le second traduisant les ouvrages du premier en anglais.
Dans Le Phénomène humain, paru juste après sa mort en 1955 et qu’il qualifie lui-même d’« introduction à une explication du monde », Teilhard établit une relation entre ses recherches en paléontologie et ses positions en tant que théologien. Selon lui, l’univers est en constante évolution vers des degrés toujours plus hauts de complexité et de conscience. Et il appelle « point Oméga » l’aboutissement de cette évolution. Relatant en 1956 l’approche de Teilhard (mais aussi celles d’Huxley et du zoologiste Albert Vandel), l’essayiste André Niel parle d’« humanisme cosmologique »199.
En 1957, Huxley, qui a fondé cinq ans plus tôt l’Union internationale humaniste et éthique et qui est biologiste, forge l’expression « humanisme évolutionnaire » et reprend le mot « transhumanisme »200, cette fois pour lui donner le sens qu’on lui donne aujourd’hui : pour promouvoir l’idée que les humains sont désormais capables de dépasser leur condition grâce à la science et aux moyens techniques. Tel Auguste Comte qui voulait ériger le positivisme en église (lire infra), et bien que se réclamant rationalistecomme lui, Huxley souhaiterait que l’humanisme devienne une religion, une « religion de l’homme »201,202,14.
En 1963, Bernard Charbonneauqualifie Teilhard et Huxley de « prophètes d’un âge totalitaire »203.
Quand sont écrasés les trois grands régimes fascistes mondiaux (en Allemagne, en Italie et au Japon), s’ouvre une vaste lutte d’influence (dite Guerre froide) entre les deux grands « blocs », l’URSS et les États-Unis. Les révélations au sujet des massacres en URSS posent la question : humanisme et marxisme sont-ils compatibles ? En France, Maurice Merleau-Ponty ouvre le débat en 1947 avec Humanisme et terreur207, une compilation d’articles parus l’année précédente dans la revue Les Temps Modernes et qui, bien que remettant en cause les allégations de Koestler208, ont alors suscité de violentes polémiques dans les milieux intellectuels, notamment cette phrase : « Il n’y a que des violences, et la violence révolutionnaire doit être préférée parce qu’elle a un avenir d’humanisme […] Nous n’avons pas le choix entre la pureté et la violence, mais entre différentes sortes de violences »209. Cinq ans plus tard, le philosophe rompt finalement avec le marxisme et avec Sartre210, selon qui « le marxisme est l’horizon indépassable de notre temps »211.
Quelques intellectuels communistes défendent le concept d’humanisme-marxiste en évitant de remettre en cause la doctrine marxiste. C’est le cas notamment, en 1957, de Roger Garaudy212, membre actif du PCF, qui, après avoir été ouvertement stalinien, s’ouvre aux théories d’Antonio Gramsci (auxquelles s’oppose alors Althusser) et « qui promeut un matérialisme dans lequel l’homme, en étant ouvert au dialogue avec d’autres visions du monde, notamment chrétiennes, peut se créer lui-même »213.
C’est également le cas, en 1958, de la trostkyste américaine Raya Dunayevskaya214, qui combat le stalinisme sans mettre en cause le léninisme215, et celui, en 1968, d’Adam Schaff, qui représente la fraction la plus conservatrice du communisme polonais et se réclame lui aussi de l’humanisme205,216.
En 2018, le sociologue et philosophe marxiste Michael Löwyvoit en Ernest Mandel (1923-1995) un « humaniste révolutionnaire », au motif qu’il considérait que « le capitalisme est inhumain » et que « l’avenir de l’humanité dépend directement de la lutte de classe des opprimés et des exploités »217.
La psychologie humaniste
L’idéal humaniste gagne également certains secteurs des sciences humaines, notamment la psychologie aux États-Unis. En 1943, l’Américain Abraham Maslowpublie son premier ouvrage218. Son impact est tel que son auteur est considéré dans son pays comme l’initiateur d’un nouveau courant, la psychologie humaniste. Sa théorie de la motivation et du besoin (connue sous le nom de pyramide des besoins de Maslow) postule que le comportement des hommes est régi par la satisfaction de différents besoins : viennent d’abord les besoins physiologiques élémentaires, puis les besoins de sécurité ; ensuite le besoin d’être aimé des autres puis celui d’être reconnu par eux. Chaque besoin assouvi conduit les humains à aspirer à la satisfaction d’un besoin supérieur. Au sommet de la pyramide vient le besoin d’accomplissement de soi.
La psychologie humaniste introduit le postulat de l’autodétermination et s’appuie sur l’expérience consciente du patient : il s’agit de développer chez lui la capacité de faire des choix personnels (volontarisme). Selon les théoriciens de cette approche (outre Maslow, citons Carl Rogers), l’être humain est fondamentalement bon : s’il suit sa propre expérience et se débarrasse des conditionnements qui limitent sa liberté, il évoluera toujours positivement.
À la suite des tragédies de la Seconde Guerre, le courant de la psychologie humaniste est considéré comme exagérément optimiste en Europe. Introduit en France dans les années 1970 par Anne Ancelin Schützenberger219, il reste relativement peu répandu.
Dans leur Dialectique de la Raison, publiée en 1947 (mais seulement traduite en France en 1974222), Theodor W. Adorno et Max Horkheimer se demandent comment il est possible que la raison ait été défaillante au point de ne pas pouvoir anticiper la barbarie puis empêcher qu’elle perdure. Selon eux, une forme d’abêtissement général est à l’œuvre du fait que le monde occidental est structuré par l’industrie culturelle, la publicité et le marketing, qui constituent une forme difficilement perceptible de propagande du capitalisme. Tout cela, donc, non seulement ne provoque pas l’émancipation des individus mais au contraire les assujettit à un fort désir de consommer et génère une uniformisation des modes de vie, un nivellement des consciences. À force de matraquage médiatique, le capitalisme impose dans les consciences une conception du monde qui contribue, disent les philosophes marxistes, à imposer de facto un « anti-humanisme » : toute tentative pour penser et instituer une nouvelle forme d’humanisme s’annonce donc a priori ardue.
Certains critiques estiment toutefois que, contrairement à ce que peut induire a priori le discours d’Adorno, il faut voir en celui-ci un humaniste. Car s’il se livre à une critique radicale de la « vie fausse », cette critique permet en définitive d’envisager en creux la conception d’une « vie juste »223.
En marge du débat sur les effets du progrès techniquesur les humains, mais alors qu’aux lendemains de la tragédie de la Guerre bon nombre d’intellectuels se demandent si le terme « humanisme » a encore un sens, Sartre jette en 1944, dans L’Être et le Néant224, les bases de sa doctrine : l’existentialisme.
Aux marxistes, qui n’y voient qu’une « philosophe de l’impuissance », bourgeoise, contemplative et individualiste, il répond deux ans plus tard, lors d’une conférence à la Sorbonne. Selon lui, malgré le poids des déterminations économiques et sociales identifiées par Marx, mais dès lors qu’il est capable de les identifier, l’homme peut se réaliser, s’épanouir : l’existentialisme est d’autant plus un humanisme que l’homme est athée et que, unique créateur de ses valeurs, il assume courageusement sa solitude et ses responsabilités225. Il existe(matériellement) avant d’être (c’est-à-dire avant de décider d’être ceci ou cela) : « l’existence précède l’essence ».
En 1947, soit un an après la conférence de Sartre, Heidegger est à son tour interrogé : le mot « humanisme » est-il encore approprié ? Dans la Lettre sur l’humanisme, un texte assez court mais dense, le philosophe définit l’humanisme comme « le souci de veiller pensivement à ce que l’homme soit humain et non inhumain, privé de son humanité »226 et il estime que donner du sens à ce mot revient à questionner « l’essence de l’homme » en écartant la définition traditionnelle de « l’homme animal raisonnable ». Considérant que seul un homme est capable d’élaborer une pensée abstraite et que cette capacité tient au caractère subtil, complexe, de son langage, il pense toutefois que les humains auraient tort de se revendiquer « humanistes » de façon inconsidérée, dès lors que, de plus en plus dominés par la technique, ils tendent à devenir étrangers à eux-mêmes. Il conclut qu’on ne peut prendre position sur l’humanisme qu’en s’attelant à cette question.
Heidegger est généralement considéré comme un « anti-humaniste ». L’essayiste Jean-Claude Guillebaud estime que les choses sont plus complexes :
« Pour Heidegger, le désenchantement du monde, son asservissement par la technique, l’assujettissement de l’humanitas à la rationalité marchande ne sont pas des atteintes portées à l’humanisme, mais l’aboutissement de l’humanisme lui-même. C’est-à-dire du projet d’artificialisationcomplète de la nature par la culture humaine, d’un arraisonnement du naturel par le culturel, d’une volonté de maîtrise absolue du réel par la rationalité humaine. (…) Pour Heidegger, la science, la technique, la technoscience, ne constituent en rien un naufrage de l’humanisme traditionnel, mais tout au contraire son étrange triomphe227. »
Guillebaud cite alors le philosophe et juriste Bernard Edelman : « Par là même, l’humanisme révèle sa véritable nature : une alliance coupable de la philosophie et de la science, qui a réduit la philosophie à une pensée technique »228. Puis il poursuit son argumentation :
« L’humanisme n’aurait eu d’autre fin que d’asservir la nature à la rationalité et celle-ci à la technique. Toute l’œuvre de Heidegger peut s’interpréter comme une critique en règle de cet humanisme dévoué à la « facticité », tournant dramatiquement le dos à la nature, désenchantant le monde et finissant par priver peu à peu l’être humain de tout principe d’humanité, de toute humanitas229. »
« L’Assemblée générale proclame la présente Déclaration universelle des droits de l’homme comme l’idéal commun à atteindre par tous les peuples et toutes les nations afin que tous les individus et tous les organes de la société, ayant cette Déclaration constamment à l’esprit, s’efforcent, par l’enseignement et l’éducation, de développer le respect de ces droits et libertés et d’en assurer, par des mesures progressives d’ordre national et international, la reconnaissance et l’application universelles et effectives, tant parmi les populations des Etats Membres eux-mêmes que parmi celles des territoires placés sous leur juridiction. »
En marge de ces événements, quelques intellectuels ouvrent un nouveau volet de la réflexion sur l’humain : la technocritique. Certains d’entre eux continuent de questionner le machinisme (c’est le cas notamment du sociologue Georges Friedmann232 et de l’écrivain Georges Bernanos233) mais la plupart tentent d’analyser la rationalité qui sous-tend non seulement la fabrication des machines mais aussi l’organisation du travail et la vie quotidienne. Ils ne parlent plus alors des techniques mais de latechnique, comme on parle de la science.
En 1946, dans La perfection de la technique, Friedrich Georg Jüngerconsidère que ce qu’on appelle « le progrès technique » correspond à un déficit spirituel, que la raison cherche à dissimuler234. En 1948, dans La mécanisation au pouvoir, Siegfried Giedion écrit : « Les relations entre l’homme et son environnement sont en perpétuel changement, d’une génération à l’autre, d’une année à l’autre, d’un instant à l’autre. Notre époque réclame un type d’homme capable de faire renaître l’harmonie entre le monde intérieur et la réalité extérieure »235.
« En dépit de toutes les perversions qu’a pu couvrir le discours humaniste, c’est à un humanisme concretqu’Orwell nous demande de nous tenir, même s’il faut sans cesse le reformuler à cause de ses compromissions historiques. S’il y a un espoir, il n’est pas dans telle catégorie sociale ou idéalisée, dans tel groupe humain sacralisé, encore moins dans tel individu charismatique. S’il y a un espoir, il ne peut être qu’en l’homme et en tout homme, à commencer par soi-même, et par ceux que l’on côtoie ici et maintenant. Parce que la menace antihumaniste est présente au cœur de l’être humain, c’est au cœur de chaque homme que se joue la lutte pour l’humanité. Personne n’a le droit de se reposer sur l’idée qu’il y aura toujours des êtres d’exception, des héros, des « hommes dignes de ce nom » chargés à sa place de perpétuer la dignité de l’espèce237. »
En 1950, le mathématicien américain Norbert Wiener, souvent présenté comme un humaniste238, publie un livre intitulé The Human Use of Human Beings (« l’usage humain des êtres humains ») dans lequel il envisage la « machine à décision »239.
En 1952, dans La Technique ou l’enjeu du siècle, Jacques Ellulpartage en grande partie ce pessimisme car il estime qu’en l’état des choses, la technique est devenue un processus autonome, qui se développe par lui-même, sans véritable contrôle d’ensemble de la part des humains (au sens du dicton populaire « on n’arrête pas le progrès »). Pour enrayer ce processus, explique-t-il, il faudrait d’abord que les humains soient à même de différencier « la technique » de « la machine » (la seconde n’étant à ses yeux qu’un aspect superficiel de la première).
Ellul insiste sur le fait que « le phénomène technique est la préoccupation de l’immense majorité des hommes de notre temps, de rechercher en toutes choses la méthode absolument la plus efficace ». Et il ajoute que, s’ils tiennent à conserver un minimum de liberté, c’est à la prise de conscience de cette addiction à l’impératif d’efficacité que les humains doivent s’atteler240.
En 1956, dans L’Obsolescence de l’homme (qui ne sera traduit en France qu’en 2002242), Günther Anders qualifie de « décalage prométhéen » l’écart entre les réalisations techniques de l’homme et ses capacités morales puis de « honte prométhéenne » le sentiment de répulsion qu’il éprouve lorsqu’il est contraint de prendre conscience de cet écart243.
Les trois temps de l’humanisme
En 1956, dans un document produit pour l’Unesco et resté longtemps inédit244,245, l’anthropologue Claude Lévi-Strauss identifie trois phases de l’humanisme : l’humanisme aristocratique (qui correspond à l’époque de la Renaissance, au cours de laquelle on a redécouvert les textes de l’Antiquité classique), l’humanisme exotique (correspondant au xixe siècle, quand l’Occident s’est ouvert aux civilisations de l’Orient et de l’Extrême-Orient) et l’humanisme démocratique, plus récent, grâce à l’apport de l’ethnologie, qui « fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. » Lévi-Strauss précise :
« L’ethnologie et l’histoire nous mettent en présence d’une évolution du même type. (…). L’histoire, comme l’ethnologie, étudie des sociétés qui sont autres que celle où nous vivons. Elles cherchent toutes deux à élargir une expérience particulière aux dimensions d’une expérience générale, ou plus générale, qui devient ainsi accessible à des hommes d’un autre pays ou d’un autre temps. Comme l’histoire, l’ethnologie s’inscrit donc dans la tradition humaniste. (…) L’ethnologie fait appel à la totalité des sociétés humaines pour élaborer une connaissance globale de l’homme. (…) Elle opère simultanément en surface et en profondeur. »
En 1958, le philosophe Gilbert Simondon traite à son tour de la question technique246 mais plaide en faveur d’un nouvel humanisme qui, comme celui des Lumières, serait construit sur l’esprit encyclopédique mais qui, en revanche, « ne régresserait pas au statut d’idéologie européo-centriste et scientiste, (ladite idéologie) ayant pour nom « universalisme de la raison humaine » »247.
Selon Jean-Hugues Barthélémy, exégète de la pensée de Simondon, l’encyclopédisme tel que celui-ci l’envisage « n’a pas vocation à être un système du savoir absolu et définitif », comme cela a été le cas à partir des Lumières, il doit au contraire être « automodifiable ». Simondon appelle de ses vœux un « humanisme difficile », en opposition à l’« humanisme facile » (idéologique et figé) hérité des Lumières248 : « l’humanisme ne peut jamais être une doctrine ni même une attitude qui pourrait se définir une fois pour toutes ; chaque époque doit découvrir son humanisme, en l’orientant vers le danger principal d’aliénation »249.
« Stimulante et originale à plus d’un titre, elle repose néanmoins sur un postulat critiquable : une adhésion de principe à la logique technoscientifique. Pour lui, indiscutablement, la technique est « bonne » en soi puisqu’elle n’est jamais qu’une cristallisation de la pensée humaine. Elle est d’ailleurs, par essence, universaliste et libératrice. C’est elle qui fait éclater les particularismes, les préjugés ou les intolérances du passé. C’est elle qui remet en question les symbolisations normatives d’autrefois et libère l’homme contemporain des anciennes sujétions ou assignations collectives. (…) La démarche est à l’opposé de celle d’Ellul. Là où Ellul prône la résistance critique, Simondon propose au bout du compte le ralliement et même le syncrétisme. Là où Ellul se méfie du « processus sans sujet » incarné par la technoscience, Simondon fait l’éloge de l’universalismetechnoscientifique. Il l’oppose même à l’archaïsme et au particularisme de la culture traditionnelle. Là où Ellul campe sur un principe de transcendance, Simondon sacrifie à un relativisme intégral. Il assigne ipso facto à la philosophie un devoir d’adaptation, plus raisonnable à ses yeux que toute démarche critique ou toute résistance cambrée250. »
Guillebaud avance que l’« humanisme difficile » de Simondon prépare le terrain du transhumanisme (lire infra).
En 1964, dans L’Homme unidimensionnel, le philosophe allemand Herbert Marcuse décrit une humanité entièrement façonnée par les médias ainsi que les techniques de publicité et de marketing, qui créent de faux besoins. Et selon le Canadien Marshall McLuhan, les médias – par leur nature même – façonnent les individus bien plus que les messages qu’ils véhiculent : ils entretiennent l’illusion d’une prise directe avec le réel. En 1966, dans Sept études sur l’homme et la technique, Georges Friedmannestime que la technique tend à devenir un milieu environnant, en lieu et place du milieu naturel, sans même que les humains ne s’en émeuvent251. De même en 1967, dans La Société du spectacle, Guy Debord décrit les humains sous l’emprise des marchandises mais inconscients de cette aliénation. Et les débats de société lui paraissent extrêmement superficiels, glissant sur les événements sans jamais en saisir le sens profond : le monde n’est plus pour lui qu’un « spectacle »252.
« Si la poursuite du développement demande des techniciens de plus en plus nombreux, elle exige encore plus des sages de réflexion profonde, à la recherche d’un humanisme nouveau, qui permette à l’homme moderne de se retrouver lui-même, en assumant les valeurs supérieures d’amour, d’amitié, de prière et de contemplation. Ainsi pourra s’accomplir en plénitude le vrai développement, qui est le passage, pour chacun et pour tous, de conditions moins humaines à des conditions plus humaines.253. »
Et en 1968, le psychanalystegermano-américain Erich Frommestime lui aussi qu’il est souhaitable et possible d’humaniser la technique254.
En 1969 et 1973, le Français Alain Touraineet l’Américain Daniel Bell introduisent l’idée que les humains évoluent dans une « société post-industrielle » : les éléments matériels (matières premières et machines) qui caractérisaient la société industriellesont désormais subordonnés à un grand nombre d’éléments immatériels (connaissance et information)255. Entretemps, dans La Société de consommation, Jean Baudrillard estime que les relations sociales sont à présent totalement structurées par la consommation.
En 1977, dans Le système technicien, Jacques Ellul avance la thèse que la technique forme désormais un système englobant. Lentement mais sûrement, les humains sont tenus de s’y conformer :
« Toute la formation intellectuelle prépare à entrer de façon positive et efficace dans le monde technicien. Celui-ci est tellement devenu un milieu que c’est à ce milieu que l’on adapte la culture, les méthodes, les connaissances des jeunes. L’humanisme est dépassé au profit de la formation scientifique et technique parce que le milieu dans lequel l’écolier plongera n’est pas d’abord un milieu humain mais un milieu technicien. (…) Lorsqu’on recherche un humanisme pour la société technicienne, c’est toujours sur la base que l’homme en question est avant tout fait pour la technique, le seul grand problème est celui de l’adaptation256. »
En 1988, dans Le bluff technologique, Ellul emprunte à Sartre et Jacquard l’expression « inventer l’homme »257. Mais, faisant référence à la montée de l’anthropotechnie, et comme Jacquard, c’est pour montrer aussitôt le caractère désespéré de cette formule258. Et devant l’émergence de ce que l’on appellera bientôt la « révolution numérique », il lâche ses mots : « le système technicien, exalté par la puissance informatique, a échappé définitivement à la volonté directionnelle de l’homme »259.
« La mort de l’homme »
En 1966, deux intellectuels français émettent des critiques radicales à l’encontre du concept d’humanisme, mais selon des points de vue très différents.
Guy Debordestime que, complètement immergés dans la société de consommation et l’univers des mass media, les humains sont façonnés par eux, « aliénés », au point de devenir des « barbares » :
« Le barbare n’est plus au bout de la Terre, il est là, constitué en barbare précisément par sa participation obligée à la même consommation hiérarchisée. L’humanisme qui couvre cela est le contraire de l’homme, la négation de son activité et de son désir ; c’est l’humanisme de la marchandise, la bienveillance de la marchandise pour l’homme qu’elle parasite. Pour ceux qui réduisent les hommes aux objets, les objets paraissent avoir toutes les qualités humaines, et les manifestations humaines réelles se changent en inconscience animale260. »
Debord développera cette idée l’année suivante dans son livre La société du Spectacle. Le terme « spectacle » ne signifiant pas « un ensemble d’images mais un rapport social entre des personnes, médiatisé par des images »261.
Michel Foucault, se référant au concept nietzschéen de « la mort de Dieu », annonce « la mort de l’homme », en tant qu’objet d’étude262 :
« Plus que la mort de Dieu (ou plutôt « dans le sillage de cette mort », selon une corrélation profonde avec elle, ce qu’annonce la pensée de Nietzsche), c’est la fin de son meurtrier ; (…) c’est l’identité du Retour du Même et de l’absolue dispersion de l’homme. (…) L’homme est une invention dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine263. »
Et considérant que toutes les positions morales et culturelles se valent, sont « relatives », il tourne le terme « humanisme » en dérision :
« On croit que l’humanisme est une notion très ancienne qui remonte à Montaigne et bien au-delà. (…) on s’imagine volontiers que l’humanisme a toujours été la grande constante de la culture occidentale. Ainsi, ce qui distinguerait cette culture des autres, des cultures orientales ou islamiques par exemple, ce serait l’humanisme. On s’émeut quand on reconnaît des traces de cet humanisme ailleurs, chez un auteur chinois ou arabe, et on a l’impression alors de communiquer avec l’universalité du genre humain.
Or non seulement l’humanisme n’existe pas dans les autres cultures, mais il est probablement dans la nôtre de l’ordre du mirage.
Dans l’enseignement secondaire, on apprend que le xvie siècle a été l’âge de l’humanisme, que le classicisme a développé les grands thèmes de la nature humaine, que le xviiie siècle a créé les sciences positives et que nous en sommes arrivés enfin à connaître l’homme de façon positive, scientifique et rationnelle avec la biologie, la psychologie et la sociologie. Nous imaginons à la fois que l’humanisme a été la grande force qui animait notre développement historique et qu’il est finalement la récompense de ce développement, bref, qu’il en est le principe et la fin. Ce qui nous émerveille dans notre culture actuelle, c’est qu’elle puisse avoir le souci de l’humain. Et si l’on parle de la barbarie contemporaine, c’est dans la mesure où les machines, ou certaines institutions nous apparaissent comme non humaines.
Tout cela est de l’ordre de l’illusion. Premièrement, le mouvement humaniste date de la fin du xixe siècle. Deuxièmement, quand on regarde d’un peu plus près les cultures des xvie, xviie et xviiie siècles, on s’aperçoit que l’homme n’y tient littéralement aucune place. La culture est alors occupée par Dieu, par le monde, par la ressemblance des choses, par les lois de l’espace, certainement aussi par le corps, par les passions, par l’imagination. Mais l’homme lui-même en est tout à fait absent264. »
L’humanisme contre l’homme
Un an après les positions de Debord et Foucault, Ellul se livre à une critique plus radicale encore :
« Comment nier que l’humanisme a toujours été la grande pensée bourgeoise ? Voyez comme il s’est répandu partout. (…) Maintenant, il est un rassurant thème de devoirs d’école primaire et tout le monde en veut : il s’agit de prouver que le marxisme est un humanisme, que Teilhard est humaniste, que le christianisme est un humanisme, etc. Mais il est toujours le même. Il a toujours été ce mélange de pseudo-connaissance de l’homme au travers desdites humanités, de sentimentalité pleurnicharde sur la grandeur de l’homme, son passé, son avenir, ses pompes et ses œuvres, et sa projection dans l’absolu de l’Homme, titularisé. L’humanisme n’est rien de plus qu’une théorie sur l’homme.
Depuis longtemps, on a dénoncé le fait que, grâce à cette théorie, grâce à cette exaltation, on pouvait éviter de considérer la réalité, le concret, la situation vécue de l’homme. (…) L’humanisme est la plus grande parade contre la réalité. Il s’est présenté comme doctrine pour éviter que, du premier coup, chacun ne voie qu’il était simple discours et idéologie ». (…) Doctrine, certes, mais toujours exposée dans les larmoiements. (…) Le tremolo est la marque du sérieux. Il fallait à tout prix empêcher d’apercevoir le hiatus entre « l’Homme de l’humanisme » et « les hommes menant leur vie concrète ». C’est la sentimentalité qui comble le hiatus. (…) L’unité de l’objet et du sujet se reconstitue dans la sentimentalité. On ne peut plus à ce moment accuser l’humanisme de manquer de sérieux ou de concret. Cette comédie du sérieux à l’état pur fut encore une invention géniale du bourgeois. elle révèle par son existence même ce qu’elle prétendait cacher, à savoir l’éclatement de l’homme, dénoncé par Marx, et non seulement voilé mais provoqué par l’humanisme lui-même. Il suffit de poser la question de la coïncidence historique : « Quand donc l’humanisme fut-il clamé et proclamé ? ». Exactement au moment où, dans ses racines, l’homme commençait à être mis en question par l’homme265. »
Pour expliquer comment et pourquoi « l’humanisme est la plus grande parade contre la réalité », Ellul précise :
« Se justifier soi-mêmeest la plus grande entreprise de l’homme, avec l’esprit de puissance, ou plutôt après la manifestation de cet esprit. Car l’homme ayant agi ou vécu selon cet esprit ne peut pas se contenter d’avoir réalisé sa puissance, il faut encore qu’il se proclame juste266. »
Globalement, il approuve l’analyse de Debord267 mais très partiellement seulement celle de Foucault :
« (Son) radical rejet de presque tout ce qui constitue l’humanisme est bon. Mais (il) a tort de ne pas voir que, ce faisant, il poursuit exactement ce que l’humanisme avait commencé. L’humanisme, système de liquidation de l’homme dans sa période primaire de son asservissement, de sa mise en question, œuvres l’un et l’autre du bourgeois, n’est plus aujourd’hui pour continuer la persévérante néantisation de l’homme. Les moyens (techniques) dépassent infiniment l’idéologie (de l’humanisme). Il fallait mettre en accord la pensée avec la situation268. »
Ellul reproche ainsi à Foucault d’exprimer une « fausse contradiction »269 : compte tenu de la prégnance de l’idéologie technicienne, il est non seulement inutile de critiquer l’humanisme sans critiquer l’idéologie technicienne mais critiquer le premier sans critiquer la seconde revient à alimenter soi-même la seconde.
« Renaissance de l’humanisme » ?
S’opposant à ces prises de positions pour le moins négatives, certains veulent croire en la pertinence du concept d’humanisme. C’est entre autres le cas de deux scientifiques français : l’ethnologueClaude Levi-Strauss, en 1973, puis le neurobiologisteJean-Pierre Changeux, dix ans plus tard.
Tous deux se disent humanistes mais leurs points de vue sont radicalement différents.
Humanisme et ethnologie
Selon Claude Levi-Strauss, « après l’humanisme aristocratique de la Renaissance et l’humanisme bourgeois du xixe siècle », l’ethnologie pourrait marquer l’avènement d’un nouvel humanisme :
« Quand les hommes de la fin du Moyen-Âge et de la Renaissance ont redécouvert l’antiquité gréco-romaine,(…) (ils) reconnaissai(en)t qu’aucune civilisation ne peut se penser elle-même, si elle ne dispose pas de quelques autres pour servir de terme de comparaison. La Renaissance a retrouvé, dans la littérature ancienne (…) le moyen de mettre sa propre culture en perspective, en confrontant les conceptions contemporaines à celles d’autres temps et d’autres lieux. (…) Aux xviie et xixe siècles, l’humanisme s’élargit avec le progrès de l’exploration géographique. (…) En s’intéressant aujourd’hui aux dernières civilisations encore dédaignées – les sociétés dites primitives – l’ethnologie fait parcourir à l’humanisme sa troisième étape. Sans doute sera-t-elle aussi la dernière, puisqu’après cela, l’homme n’aura plus rien à découvrir de lui-même, au moins en extension270,271. »
« L’homme neuronal »
En 1983 parait en FranceL’homme neuronal, de Jean-Pierre Changeux, un ouvrage qui déclenche un grand nombre de réactions, notamment chez les philosophes et les psychanalystes. Portée par les avancées dans le domaine des neurosciences, la thèse développée est biologisante272 : elle s’appuie sur un modèle théorique scientisteet réductionniste qui consiste à appliquer aux phénomènes sociaux une grille de lecture inspirée des sciences de la vie ; autrement dit selon lequel les conditions naturelles et organiques de la vie et de son évolution (gènes, hormones, neurotransmetteurs, lois néodarwiniennes) constituent la base non seulement de la réalité physique des hommes mais aussi de ce qui autrefois était considéré comme « spirituel » : « le clivage entre activités mentales et neuronales ne se justifie pas. Désormais à quoi bon parler d’esprit ? », résume Changeux. En cela, sa conception de l’homme est l’héritière de la philosophie mécaniste de Descartes (théorie de l’homme-machine, début du xviie siècle) et de La Mettrie (début du xviiie siècle), du transformisme de Lamarck (fin du xviiie siècle) et du darwinisme social d’Herbert Spencer(fin du xixe siècle) ; et plus récemment de la psychologie évolutionniste (début du xxe siècle) et de la sociobiologie (seconde moitié du xxe siècle)273.
Mais Changeux se défend d’être déterministe, plus précisément adaptationniste. Selon lui, le cerveau peut faire preuve d’une plasticité étonnante et, du moment que l’on prend conscience de son fonctionnement, on peut agir sur soi-même, développer les capacités que l’on souhaite et modifier dans une certaine mesure ses comportements. L’homme est « programmé pour être libre ». À la question, « la biologie est-elle un humanisme ? », le sociologue Sébastien Lemerle répond qu’il y voit surtout le signe d’un conformisme extrême au libéralisme économique : « Dès le début des années 1980, Robert Castelobservait que la passion pour la biologie pouvait être une arme de guerre contre la pensée critique. Dans les entreprises, racontait-il, quand les salariés se plaignent d’être dépossédés de leur autonomie par une nouvelle organisation du travail, l’une des réponses des services de gestion du personnel consiste à reformuler les problèmes dans un registre « psychologisant » fondé en partie sur la biologie : « Votre mal-être est un problème relationnel, on peut y remédier en vous aidant à vous reprogrammer et en éliminant les pensées et comportements négatifs », grâce à la programmation neuro-linguistiquepar exemple. Pour le biologisme, plutôt que de changer le monde, il vaut mieux s’y adapter »274.
Toutefois, le mathématicien Jean-Pierre Kahane voit dans la pensée de Changeux la marque d’un « vibrant humanisme »275. De même, les organisateurs du Prix Balzan (prix littéraire pour les neurosciences cognitives) estiment qu’il est « un maître à penser, un humaniste du xxie siècle »276. La journaliste Caroline Delageconsidère qu’il est « le parfait exemple de ce que l’on appelait autrefois un humaniste : un homme pétri d’histoire, de sciences et de beaux-arts »277. Changeux lui-même déclare « désirer faire passer un message humaniste »278.
L’humanisme et les « -ismes »
À partir des années 1970, différents intellectuels estiment qu’il importe d’analyser le mot « humanisme » ainsi que tous ceux auxquels il est le plus souvent associé (christianisme, athéisme, scientisme, marxisme…) afin de déceler : 1°) ce qui les rapproche par delà leur antagonisme apparent ; 2°) inversement, le côté utopique de vouloir les associer ; 3°) l’impossibilité pure et simple de les définir.
En 1979, Jacques Ellul se réfère entre autres à la théologie de la libérationpour démontrer que « christianisme » et « marxisme » ne sont nullement contradictoires, précisément parce qu’ils sont tous deux des idéologies ; terme qu’il définit ainsi : « dégradation sentimentale et vulgarisée d’une doctrine politique ou d’une conception globale du monde »279.
En 1982, Ernesto Grassi, à l’inverse, démontre le caractère aporétique de l’expression « marxisme-humanisme », se référant à la fois à l’humanisme de la Renaissance, aux théories de l’histoire de Vico et aux positions d’Heidegger280,281 (lire infra). Selon lui, « le marxisme a négligé la relation établie par Vico entre travail et imagination. C’est la cœur de la différence entre marxisme et humanisme »282.
En 1995, l’historienne hongroise Mária Ormos estime que, compte tenu des effets de propagande, les mots sont complètement dévalués : la distinction entre l’« humanisme » affiché du stalinisme et l’« anti-humanisme » du nazisme ne peut être la source d’aucun enseignement, elle n’a pas de sens283.
À la fin du siècle, l’idéologie humaniste est entrée dans le moule institutionnel (lire infra) et les expressions ingérence humanitaire et aide humanitaire font partie du langage usuel. Mais au delà des arguments invoqués (entre-aide, générosité…), les critiques fusent.
En 1992, certains militants libertaires rapprochent l’humanitarisme des pratiques de philanthropie mises en place à la fin du xviiie siècle par les cercles libéraux : « les organisations humanitaires ressemblent aux femmes de patrons qui s’occupaient des pauvres pendant que leurs maris les fabriquaient »284.
Les milieux conservateurs ne sont pas non plus avares de critiques. Ainsi, en 1993, Luc Ferry fait remarquer que « l’on reproche volontiers au droit-de-l’hommisme de verser dans un « universalisme abstrait » et désincarné, oublieux des réalités historiques qui, seules, permettent de comprendre le sens véritable des conflits humains. Bien plus, on soupçonne la nouvelle charité de faire trop bon ménage avec le « business » : pour l’essentiel, elle servirait à donner bonne conscience aux téléspectateurs tout en assurant le succès médiatique de ses promoteurs »285.
Selon Marcel Gauchet, une « politique des droits de l’homme » est née en raison d’une « puissante poussée d’individualisme » mais le fait que les droits de l’homme sont précisément érigés en politique révèle « une incapacité à se représenter l’avenir et une impuissance à penser la coexistence de l’individu et de la société »287.
Par ailleurs, tout comme le concept de droit de l’homme, celui d’humanitude est dilué dans les logiques marchandes : alors qu’en 1987, le philosophe Albert Jacquardle définissait comme « les cadeaux que les hommes se sont faits les uns aux autres depuis qu’ils ont conscience d’être »18, deux psycho-gériatres le réduisent par la suite à une marque déposée de soins.
Pour un « humanisme paradoxal et tragique »
En 1993, Jean-Michel Besnierpréconise un renouveau de l’humanisme288. Celui-ci, estime-t-il, doit être « paradoxal et tragique » :
« C’est dans la désillusion qu’il faut puiser les armes du renouveau. (…) Ayons le courage d’admettre que l’homme est méchant et naturellement égoïste, que la culture ne le met pas à l’abri des régressions vers la barbarie et que rien jusqu’à présent ne le distingue radicalement des animaux eux-mêmes. (…) L’humanisme désillusionné auquel nous sommes désormais contraints sera forcément non dogmatique : sa force résidera dans le refus qu’il oppose à toute ambition de réduire l’homme à une essence éternelle ou à une définition générique (…). Si l’optimisme ne nous est plus permis, il reste en revanche à accueillir la puissance mobilisatrice du pessimisme : car c’est être humaniste que de dire « non » au monde tel qu’il va et aussi de savoir (…) que l’inhumain est une part nécessaire de l’humain. (…) La ruine des absolus est une chance pour les hommes. (…) Enfin, n’est-il pas bon que l’humanisme se dégage du mol oreiller des consensus ? La bannière ne rassemblera qu’en tenant compte de ce qui divise. (…) Il n’est d’attitude humaniste que dans la sauvegarde des espaces où peuvent se négocier les conflits. (…) Un pessimisme actif vaut mieux qu’un optimisme béat, la régulation des conflits est préférable au confort éphémère des consensus et la charge contre le présent, même dépourvue d’illusions, comporte davantage d’humanité que la fuite en avant vers quelque insoutenable bonheur. Il n’est d’humanisme que paradoxal et tragique289. »
En 1998, Tzvetan Todorovs’éloigne de ses premières analyses structuralistes pour aborder la notion d’humanisme, en la démarquant catégoriquement de ce qu’il appelle l’« humanisme conservateur », l’« humanisme scientiste » et l’« humanisme individualiste »290, mais également de l’« humanisme politique » (notamment sa variante républicaine coloniale) et de l’« humanisme des Droits de l’homme »291. Il considère que, dans toutes ces familles, on veut « continuer à jouir de la liberté sans avoir à en payer le prix »292 et il plaide en définitive pour un humanisme basé sur trois principes qu’il appelle l’« autonomie du je », la « finalité du tu » et l’« universalitédes ils »293.
Commentant son livre, Sophie Ernst, philosophe à l’INRP propose cette typologie :
« Il y aurait l’humanisme comme idéologie, lorsque ne fonctionne qu’un simple schéma engendrant des lieux communs, assez nettement identifiables, et il y aurait l’humanisme comme idéal, ce que Todorov a tenté de reconstruire avec une certaine plausibilité. Mais pour ne pas tomber dans les travers de l’humanisme comme idéologie, cet humanisme comme idéal ouvert et comme matrice créative (…) a besoin de s’enraciner dans l’humanisme comme corpus294. »
En 1998, dans son essai Règles pour le parc humain, sous-titré Une lettre en réponse à la Lettre sur l’humanisme de Heidegger, le philosophe Peter Sloterdijkconsidère que l’humanisme, par l’intermédiaire des livres, a longtemps servi aux hommes à se donner une consistance, une raison d’être, une bonne conscience : cela leur a permis de « se domestiquer ». Mais l’avènement de la culture de masse et la prétendue « révolution » numérique clôturent définitivement cette époque : le temps de l’humanisme est révolu. Il l’est d’autant plus que, malgré les bonnes intentions qu’il affichait, il a dégénéré en bolchévisme ou en fascisme. « Qu’est-ce qui apprivoise encore l’être humain quand l’humanisme échoue dans son rôle d’école de l’apprivoisement ? », conclut le philosophe295.
L’année suivante, l’Américain Francis Fukuyama tire à son tour un signal d’alarme. Dans un article intitulé « Le dernier homme dans une bouteille »296,297 et surtout en 2002, dans son livre Our Posthuman Future (traduit la même année en français par La fin de l’homme)298, il popularise l’expression « post-humanisme ».
On confond souvent les termes « post-humanisme » et « transhumanisme ». Ainsi lorsqu’en 2002 le Français Rémi Sussanécrit :
« Le transhumanisme, c’est l’idée que la technologie donne à l’homme les moyens de s’affranchir de la plupart des limitations qui lui ont été imposées par l’évolution, la mort étant la première d’entre elles. À terme, on pourrait voir naître, au-delà du post-humain, les premières créatures post-biologiques : soit des intelligences artificielles succèderont à leurs géniteurs humains, soit les hommes eux-mêmes fusionnés avec la machine jusqu’à être méconnaissables299. »
La différence entre les deux termes est pourtant essentielle. Le premier désigne le constat quelque peu désabusé (de Sloterdijk et Fukuyama) du dépassement de la condition humaine par les technologies. Le second désigne en revanche un courant de pensée prosélyte, issu d’un milieu d’ingénieurs (pour la plupart originaires de la Silicon Valley) qui, non seulement ne sont pas consternés par la situation mais tendent au contraire à s’en féliciter, tout en reconnaissant les risques et dangers que cette mutation soulève.
xxie siècle
Humanisme et capitalisme
À la fin de la Guerre froide, le libéralisme économique régit l’ensemble de la planète. De plus en plus de services, autrefois gratuits, deviennent payants. Il en va ainsi, notamment, des prises de positions d’un nombre croissant d’économistes, de philosophes et de sociologues. C’est ainsi que, selon l’historien Jean-Pierre Bilski, le concept d’humanisme se trouve régulièrement instrumentalisé, manié de sorte à humaniserl’idéologie capitaliste300.
De tels gains questionnent, sinon la crédibilité de la philosophie, du moins celle du propos : l’humanisme ne sert-il pas de caution morale au capitalisme ? Ferry pose la question311 et Comte-Sponville y répond. Il soutient que le travail est une valeur tout en qualifiant le capitalisme d’amoral. Il refuse en effet de l’évaluer en termes d’éthique au motif que celle-ci ne concerne que les individus. Et arguant que la majorité d’entre eux n’entendent pas changer de système, il cautionne la légitimité de celui-ci312, non sans revendiquer un certain cynisme313.
Chez les patrons22 et les managerseux-mêmes, l’humanisme est fréquemment présenté comme une référence. Ainsi en 2012, Laurence Parisot, cite Érasme (« L’esprit d’entreprise est bien supérieur à l’activité de commerce qu’il engendre »314) pour affirmer « l’ambition humaniste » du Medef, dont elle est présidente. « Quand nous disons « compétitivité », souligne-t-elle, nous voulons dire « compétitivité équitable », ce qui signifie que nous mettons toujours l’homme au cœur de nos projets »315.
« Mettre l’homme au cœur des projets de l’entreprise »… Un an après le discours de Parisot, Jean-Michel Heitz, professeur en management, commente cette formule, après avoir convoqué un grand nombre de philosophes (Aristote, Kant, Hegel, Heidegger, Foucault, Ricœur…) :
« Bien-être et entreprise sont-ils des oxymores ? Seule la considération du profitsemble dominer l’économie, on voit quotidiennement des cas de licenciements abusifs et les drames humains qui s’ensuivent engendrant chômage, précarité et perte d’estime de soi. Paradoxalement le discours ambiant ne cesse de scander son objectif : replacer l’homme au centre. Vœu pieux, utopie ? Lorsque l’on est un manager qui a réfléchi à ce que peut être l’humanisme à notre époque et dans ce cadre, on voit que la première condition pour lui donner un sens nouveau, c’est de créer le bien-être au travail, afin que chacun le vive comme une activité épanouissante et non pas destructrice. (…) Dans ma carrière de manager au sein d’entreprises de caractère international, il m’a fallu peu de temps pour vérifier que le bon management, efficace, ne peut s’appuyer que sur le respect des personnes316. »
L’« humanisme » à l’agonie
En marge à la fois de l’instrumentalisation du discours humaniste dans le monde managérial, ou bien son discrédit par les philosophes postmodernes(dans le sillage de Foucault) ou encore l’utilisation fourre-tout du mot « humanisme », rares sont ceux qui manifestent un questionnement approfondi sur l’humanisme.
En quête permanente d’une issue positive au conflit israélo-palestinien, Edward Saïd lui consacre en 2003 son dernier livre317. Et quelques jours avant sa mort, il précise qu’il croit encore à l’humanisme en tant que valeur : « … (ce) mot que, têtu, je continue à utiliser malgré son rejet méprisant par les critiques postmodernessophistiqués »318. À la fin des années 2000, il arrive que le terme « humanisme » soit utilisé à des fins polémiques, pour alimenter des débats au sein d’une discipline en perte d’audience du fait de la montée en puissance des technologies, par exemple la psychanalyse à la suite de l’impact croissant des sciences cognitivesdans la communauté scientifique. Mais les prises de position sont alors loin de faire l’unanimité319,320,321.
Les bons sentiments
En 2008, Edgar Morin appelle de ses vœux « un humanisme concret » :
« Bien que pendant vingt années la notion d’humanisme a été ridiculisée par la pensée dominante, je crois qu’elle doit être sauvegardée. (…) Cet humanisme a deux visages: l’aspect judéo-chrétien (Dieu qui a fait l’homme à son image dans la Bible le premier visage) et une source grecque (les hommes dirigent leur cité, la capacité des humains à s’autogouverner, par la démocratie, avec cette idée que la raison est ce qui doit nous guider en tant qu’humain). Bien qu’il continue à être irrigué par l’évangélisme, le premier visage s’est laïcisé profondément (…). Je poursuis cet humanisme en rejetant l’autre visage, celui qui veut faire de l’homme le maître et le possesseur de la nature. Descartesl’énonce encore avec prudence en disant que la science doit permettre à l’homme de se rendre « comme maître et possesseur de la nature », mais le message deviendra plus impératif avec Buffon, Marx, avec le développement économique, technique et scientifique moderne qui met en marche la maîtrise du monde. Cet humanisme est non seulement arrogant, mais en plus il est devenu absurde puisque la maîtrise de la nature considérée comme un monde d’objets conduit à la dégradation non seulement de la vie, mais aussi de nous-mêmes. Il était fondé sur la disjonction absolue entre l’humain et le naturel, alors que nous sommes dépendants. Nous devons abandonner l’idée d’un humanisme où l’homme prend la place de Dieu. Il ne faut pas nous diviniser, il faut nous respecter. (…) Je reprends le flambeau de l’humanisme, avec ce qu’il comporte d’universalisme, mais en faisant la rupture avec ce qu’il comporte d’universalisme abstrait. (…) Je pense qu’il faut un humanisme concret, fait de diversités et d’unité, qui reconnaisse les diversités humaines qui sont des formes de richesse322. »
En 2011 à la Basilique Sainte-Marie-des-Anges de Rome et devant le pape Benoit XVI et un parterre d’ecclésiastiques, Julia Kristevarecommande « dix principes pour l’humanisme du XXIe siècle ». Elle clôt son discours par ses mots : « Face aux crises et menaces aggravées, voici venu l’ère du pari. Osons parier sur le renouvellement continu des capacités des hommes et des femmes à croire et à savoir ensemble. Pour que, dans le multivers bordé de vide, l’humanité puisse poursuivre longtemps son destin créatif.»323
En 2015, le pape Françoisconcentre sa réflexion sur le concept d’humanisme chrétien, précisant que ses bases sont l’humilité, le désintéressement et la béatitude et que les « tentations » qui empêchent son développement sont le pélagianisme et le gnosticisme324. Mais peu après, devant les membres de l’Association des parents d’élèves de l’enseignement catholique italien, il déclare : « parler de l’éducation catholique équivaut à parler de l’humain, de l’humanisme. J’ai exhorté à donner une éducation inclusive, une éducation qui fasse une place à chacun et qui ne sélectionne pas de manière élitiste ceux qui bénéficieront de ses efforts325 ».
En 2016, il appelle les Européens à « un nouvel humanisme », tout en admettant que cette idée relève du « rêve »326 et d’une « utopiesaine »327 : « Je rêve d’une Europe où être migrant ne soit pas un délit mais plutôt une invitation à un plus grand engagement dans la dignité de l’être humain tout entier. (…) Je rêve d’une Europe dont on ne puisse pas dire que son engagement pour les droits humainsa été sa dernière utopie »328.
De l’humanisme au transhumanisme
Le début de ce siècle est traversé par un certain nombre d’inquiétudes (catastrophe écologique, montée du terrorisme…) et d’incertitudes, toutes liées à la démocratisation des « technologies (elles sont toujours plus accessibles à tout un chacun), à leur montée en puissance incessante (notamment l’intelligence artificielle et les techniques de manipulations du vivant) et au fait que le droit et l’éthique ont de plus en plus de mal à suivre le rythme des innovations. Si bien que le débat sur l’humanisme tend peu à peu à laisser la place à celui sur le post-humanisme et le transhumanisme.
Les questions se multiplient dans la littérature et les médias : les humains sont-ils maîtres de la technologie ou « contraints » d’innover sans cesse329 ? Celle-ci les oblige-t-ils à « se réinventer » sans cesse330 ? Seront-ils un jour « remplacés »331, voire « dépassés » par elle332 ? Dès à présent, sont-ils encore autonomes333 ? Face aux droits de l’homme, faut-il envisager un droit du robot334 ?
Après que l’humanisme de la Renaissance se soit constitué autour de l’idée que la raison peut se développer indépendamment de la foi et que celui des Lumières se soit construit autour de la prétention de la première à se substituer à la seconde, les « technoprophètes »335 affirment que le temps de l’humanisme est clos et qu’en revanche s’ouvre celui du transhumanisme336,337. Leurs prises de position divisent alors ouvertement deux camps : d’un côté les technophiles, qui estiment que « l’innovation résoudra tous nos maux » ; en face, les technophobes, « qui craignent perpétuellement le pire »338 et selon qui, en particulier, l’« intelligence artificielle est contraire à la dignité humaine »339.
H+, un symbole du transhumanisme.
Dans le sillage de l’« humanisme difficile » de Simondon (lire infra), le philosophe belge Gilbert Hottois estime non seulement que le transhumanisme ne contredit pas l’humanisme mais qu’il s’inscrit dans sa lignée :
« Le transhumanisme offre quelque chose à répondre aux religions et aux métaphysiques qui continuent de jouer un rôle considérable de légitimation, souvent implicite voire inconsciente, dans les prises de position éthique et politique pour ou contre les projets de recherche et les innovations. […] Il offre encore quelque chose à dire face au nihilisme, c’est-à-dire au vide laissé par l’effondrement des grandes religions, métaphysiques et idéologies modernes. […] Il promeut rationnellement et délibérément une espérance d’auto-transcendance matérielle de l’espèce humaine, sans limites absolues a priori… […] Son intérêt est aussi critique : il invite à réfléchir à certains préjugés et illusions attachés aux humanismes traditionnels et modernes dont il révèle, par contraste, des aspects généralement peu ou non perçus. […] Pour une part dominante, ces humanismes sont antimatérialistes et spiritualistes. S’ils ne sont plus pré-coperniciens, ils véhiculent des images pré-darwiniennes. Ils reconnaissent l’Histoire, mais guère l’Évolution. Ils ne voient l’avenir de l’homme que sous la forme de l’amélioration de son environnement et de son amélioration propre par des moyens symboliques (éducation, relations humaines, institutions plus justes, plus solidaires, plus égalitaires, etc.). L’humanisme relève d’une image implicite partiellement obsolète de l’homme. […] C’est à l’actualisation de l’image de l’homme et de sa place dans l’univers que le transhumanisme modéré bien compris travaille. Le transhumanisme, c’est l’humanisme, religieux et laïque, assimilant les révolutions technoscientifiques échues et la R&D à venir, capable d’affronter le temps indéfiniment long de l’Évolution et pas simplement la temporalité finalisée de l’Histoire. C’est un humanisme apte à s’étendre, à se diversifier et à s’enrichir indéfiniment. »
— Gilbert Hottois, Le transhumanisme est-il un humanisme ?, Académie Royale de Belgique, 2014, p. 75-77
Jean-Claude Guillebaud fait remarquer qu’Hottois « consent de bonne grâce au nihilismecontemporain dans lequel il voit plus d’avantages que d’inconvénients »340. Et lui-même cite Hottois :
« Nous sommes dans un monde, où l’ontologie, la métaphysique, le fondamentalisme et toutes les notions phares qui en relèvent – tels que Dieu, la vérité, l’être, la nature, l’essence, la valeur en soi, etc. – sont en crise et nous estimons que cette crise n’est pas le mal. Le nihilisme qui s’y associe présente beaucoup d’aspects positifs, émancipateurs, diversificateurs, créativité épanouissante de possibilités et d’espoir. »
— Gilbert Hottois, Essai de philosophie bioéthique et biopolitique, Librairie Vrin, 1999
Le génie génétique est un domaine d’interventions techniques permettant de modifier la constitution d’un organisme en supprimant ou en introduisant de l’ADN. On y recourt par exemple dans le domaine de l’agriculture (on parle alors d’organismes génétiquement modifiés) mais aussi sur les animaux et sur l’homme, à des fins thérapeutiques. La transgénèse est le fait d’implanter un ou plusieurs gènes dans un organisme vivant. Mais dès lors que la nature et l’homme sont modifiés dans leurs fondements biologiques mêmes, ces modifications posent des problèmes d’ordre éthique.
Jusqu’à quel point la technique peut-elle être utilisée par la médecine pour palier des déficiences et anomalies naturelles d’un être humain ? Peut-on, en vertu de principes de prévention et par le biais de manipulations génétiques, doter un individu sain de qualités dont la nature ne l’a pas pourvu (principe de l’homme augmenté, défendu par les penseurs transhumanistes) ? Ainsi se posent deux questions majeures dans le champ de la bioéthique.
Faisant valoir que c’est le principe d’humanité tout entier qui est remis en question par des moyens techniques341, Jean-Claude Guillebaud défend en 1999 un humanisme paradoxal, « aussi éloigné d’un universalismeconquérant que d’un déconstructivisme suicidaire »342 et « consistant à s’ouvrir à l’altérité, mais en faisant preuve d’une fermeté retrouvée quant aux principes qui constituent notre héritage historique »343.
Depuis les origines de la psychologie, la notion d’intelligenceest controversée : en quoi consiste-t-elle, comment la mesure-t-on ? etc. Or, à partir de la seconde moitié du xxe siècle, des ingénieurs anglais et américains se sont efforcés de développer les processus d’automation dans des machines, au point que peu à peu s’est répandue l’expression « intelligence artificielle ». Durant les années 1980a émergé l’idée que celle-ci pourrait un jour se montrer plus performante que l’intelligence humaine. Au début du xxie siècle, quelques futurologuesestiment que, dans bien des domaines, à commencer celui de la logique, cela sera prochainement le cas. Ainsi, en 2005, dans un ouvrage traduit sous le titre Humanité 2.0, l’un d’eux, l’Américain Ray Kurzweil, appelle singularité technologique cet hypothétique moment344.
En 2004, les Américains Ray Siemens et John Unsworth forgent l’expression Digital Humanities345. Les humanités numériques peuvent être définies comme l’application du « savoir-faire des technologies de l’informationaux questions de sciences humaines et sociales »346. Elles se caractérisent par des méthodes et des pratiques liées à l’utilisation et au développement d’outils numériques ainsi que par la volonté de prendre en compte les nouveaux contenus et médias numériques, au même titre que des objets d’étude traditionnels.
En 2001, dans le sillage direct de la pensée de Gilbert Simondon (lire supra), Xavier Guchet se prononce « pour un humanisme technologique », « récusant à la fois les pensées technicistes du social et les doctrines pour lesquelles un humanisme véritable doit commencer par disqualifier les techniques industrielles »347.
En 2011, se basant sur la typologie de Lévi-Strauss, Milad Doueihi, historien des religions français, prône un « humanisme numérique »348,349. Selon lui, l’humanisme numérique vise à repérer ce qui peut être conservé de l’humanisme classique350.
Par delà les prises de position philosophiques, le début du siècle est concrètement marqué par le brouillage des frontières entre l’humain et ses artefacts :
les robots eux-mêmes échangent des informations entre eux (objets connectés) ;
les humains peuvent sinon de changer de sexe, au moins de genre (transidentité) ;
ils peuvent évoluer dans des environnements artificiels se substituant aux environnements naturels (réalité virtuelle) ;
par le biais des réseaux sociauxet de la blogosphère, ils peuvent se faire entendre bien au-delà de leur périmètre naturel et énoncer toutes sortes de propos, vérifiés et argumentés ou non, effaçant ainsi les limites entre fantasmes et vérité (ère post-vérité).
Dans ce contexte de porosité extrême entre la nature et l’artifice, les débats portent moins sur l’humanisme que sur le principe d’humanité, pour reprendre l’expression de Jean-Claude Guillebaud351 :
« Voilà que la classique querelle de l’humanisme qui tournait autour de Heidegger et de l’héritage des Lumières, change brutalement de nature et de signification. Pourquoi ? Parce que cette fois, le point d’aboutissement de la rationalité humaniste n’est autre que le génie génétique, les biotechnologies, le cognitivisme, etc. Autrement dit, l’humanisme des Lumières débouche in fine sur une folle victoire contre… lui-même. Ce n’est plus la nature qu’il est en mesure d’asservir en la désenchantant, c’est le sujet lui-même. L’héritier de l’humanisme n’est donc plus cet homme rationnel, ce conquérant pressé de soumettre le monde à l’empire de sa raison. Le voilà réduit à une petite chose aléatoire qui n’est plus au centre du monde , à une « fiction » fragile que sa propre science est désormais capable de déconstruire352. »
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Localisation du Champ de Mars sur une carte topographique simplifiée de la ville de Rome antique avec, à titre indicatif, les empreintes des principaux monuments et les tracés des murs servien et aurélien.
Le Champ de Mars (en latin : Campus Martius, en italien : Campo Marzio) est une vaste plaine de près de deux kilomètres carrés située au nord-ouest du centre historique de Rome, sur la rive gauche du Tibre, et constituant un domaine public de la Rome antique. À l’origine, la région s’étend hors des murs de la ville et c’est donc dans cette région qu’est consacré le premier sanctuaire de Mars de Rome. Au Moyen Âge, le Champ de Mars devient la région la plus peuplée de la ville. Il se situe aujourd’hui en partie dans le rioneCampo Marzio R.IV qui, bien que portant le même nom, couvre une zone un peu plus petite.
Topographie
Le Champ de Mars est une plaine inondable située à l’origine à l’extérieur des limites sacrées de la ville de Rome (pomerium) , à l’extérieur du mur servien du début de la République. Ce vaste espace relativement plat et encore peu encombré de construction sous la République est régulièrement inondé par les crues du Tibre1. Il est encadré à l’ouest par la boucle du Tibre, au sud par le relief du Capitole, à l’est par le Pincio et le Quirinal qui rejoint le Capitole. On peut y accéder au sud depuis le Vélabre par un passage étroit entre les pentes du Capitole et le Tibre et par le nord par un passage entre le fleuve et les pentes du Pincio2. La région couvre une zone d’environ 250 hectares s’étendant sur un peu plus de deux kilomètres du Capitole au sud à la Porta Flaminia au nord, et sur un peu moins de deux kilomètres du Tibre à l’est au Quirinal à l’ouest sur sa plus grande largeur. L’altitude antique de la plaine est de 5 à 10 mètres au-dessus du niveau de la mer (3 à 8 mètres par rapport au Tibre), contre 13 à 20 mètres aujourd’hui. Les auteurs antiques relèvent quelques points naturels remarquables comme un bois de chêne au nord de l’Île tibérine (Aesculetum), le Lucus Petelinus et une étendue marécageuse au centre de la région, le Palus Caprae, essentiellement alimentée par le cours d’eau Petronia Amnis qui prend sa source sur le Quirinal (Cati fons)3.
Dès le ve siècle av. J.-C., la partie sud de la plaine est baptisée Prata Flaminiaa 1 ou Campus Flaminiusa 2, une zone plus tard occupée par le Circus Flaminius qui sert de référence topographique pour localiser les monuments construits aux alentours (in Circo)4. Le nom de Campus Martius sert alors à désigner la région qui s’étend plus au nord5. Au début du ier siècle, Augusteentreprend une réorganisation administrative de la ville de Rome qui est découpée en quatorze nouvelles régions. Le Champ de Mars est annexé à la ville à cette occasion, constituant deux régions, la Regio IX à l’ouest et la Regio VII à l’est6. Le nom de Campus Martius n’est alors plus utilisé que pour désigner la partie de la Regio IX Circus Flaminius qui s’étend à l’ouest de la Via Flaminia. Cette zone est elle-même découpée en deux parties distinctes dont les limites sont repérées par un cippea 3 : la partie méridionale qui est couverte de monuments et la partie septentrionale où la densité des constructions est plus faible et où il y a encore quelques espaces libres qui constituent sous l’Empire le « Champ de Mars » proprement dit7.
La partie sud du Champ de Mars, dite Prata Flaminia ou Campus Flaminius.
Le Campus Martius (littéralement « Champ de Mars ») doit son nom à la présence d’un autel dédié à Mars dès la plus haute antiquité, selon Festus l’autel est mentionné dans une loi de Numa Pompilius, ou plus simplement au fait que cette région est entièrement consacrée à Mars. Durant la royauté romaine, la plaine est utilisée comme pâture pour les moutons et les chevaux, comme zone de culture et comme espace pour l’entrainement athlétique et militaire des jeunes Romainsa 4. Selon une version de la tradition antique rapportée par Tite-Livea 5, la région a appartenu aux rois étrusques de la dynastie des Tarquins et c’est seulement après leur expulsion qu’elle est retombée dans le domaine public et a été dédié par la même occasion à Mars. Selon Denys d’Halicarnasse, la consécration de la région à Mars est antérieure aux règnes des Tarquins et leur appropriation du domainea 6.
Le Champ de Mars demeure un domaine public pendant toute la République et ce n’est qu’au début du ier siècle av. J.-C. que les premières parcelles sont vendues à des propriétaires privés afin de financer la guerre menée par Sylla contre Mithridate VI8. Les habitations privées ne commencent à apparaître que sous l’Empire mais se multiplient rapidement et les Régionnaires donnent pour le ive siècle un total de 2 777 insulae et 140 domus pour la Regio IX9.
La plupart des évènements qui se déroulent sur le Champ de Mars est étroitement associée à la guerre dont Mars est la divinité principale. C’est en effet dans cette région que le peuple romain en armes se rassemble et que sont célébrés les évènements à caractère militaire. Les troupes y sont entrainées et les généraux victorieux y exposent le butin rapporté des territoires conquis. De manière générale, le Champ de Mars est utilisé pour les évènements qui ne peuvent pas, pour des raisons religieuses, se dérouler dans les limites du pomerium. Les citoyens s’y rassemblent pour voter au sein des comices centuriates et des comices tributes, pour élire les magistrats et lors du census10,6. C’est dans cette zone que sont reçus les ambassadeurs étrangers qui ne peuvent pas pénétrer dans la ville. C’est également dans un édifice du Champ de Mars que se réunit le Sénat lorsqu’il s’agit de traiter d’affaires liées à la guerre comme décerner un triomphe à un général victorieux et de traiter d’affaires liées à la politique étrangère.
La région tient une place importante dans la religion romaine. Le Champ de Mars abrite principalement des cultes qui sont exclus des limites sacrées de la ville comme les cultes étrangers (celui d’Apollon Medicus par exemple) et les cultes liés aux divinités guerrières et infernales (ceux de Mars, Bellone et Dis Pater par exemple). Aux ides d’octobre (le 15 octobre) s’y déroule la principale fête religieuse célébrée en l’honneur de Mars, October equus. Selon la tradition, cette fête est instaurée durant le vie siècle av. J.-C. et est censée protéger les prochaines récoltes et les soldats qui sont revenus à Rome après une campagne militaire. Les festivités comprennent des courses de chars et le sacrifice d’un cheval11.
Monuments
Époque républicaine
Bien que n’étant pas intégré officiellement dans la ville de Rome sous la République, le Champ de Mars est considéré comme le quatrième quartier de la ville avec le Palatin, le Forum et le Capitole, comme l’atteste la construction de nombreux édifices publics (civils comme religieux) dans la partie méridionale dès l’époque républicaine (le Forum Holitorium et la zone du Circus Flaminius)6.
Fin de la République et principat d’Auguste
Au début de l’Empire, le Champ de Mars perd son rôle politique avec la disparition de la censure et la perte de pouvoirs puis la suppression des comices, mais la région n’est pas délaissée pour autant étant donné le potentiel en matière d’urbanisme qu’offre l’espace encore disponible au nord du Campus Flaminius12. Cet espace est déjà convoité et utilisé dès la fin de la République par Pompée qui construit un grand complexe comprenant un théâtre, un temple, des portiques et une curie et par César qui projette de construire de grandes Saepta monumentales13. C’est sous l’impulsion conjointe d’Auguste et d’Agrippaque l’espace libre se couvre véritablement de monuments publics avec le Panthéon, les thermes d’Agrippa, le temple de Bonus Eventus, les Saepta Iulia, le Diribitorium ou encore le portique Vipsania. Auguste choisit le nord du Champ de Mars pour établir l’autel de la Paix et son mausolée13.
Les monuments augustéens sont régulièrement restaurés et reconstruits par les différents empereurs. Le Panthéon notamment est transformé par Hadrien pour adopter la forme qu’on lui connaît aujourd’hui. Mais les successeurs d’Auguste ne se contentent pas seulement de maintenir en état ou de faire évoluer les monuments existants, ils en construisent de nouveaux14, le Champ de Mars restant la seule région où l’urbanisme impérial peut encore librement s’exprimer12. Les empereurs érigent de nombreux arcs de triomphe, Néron fait construire de vastes thermes, Domitien, un stade et un odéon, Antonin le Pieux un temple dédié à Hadrien divinisé et une colonne sur le modèle de la colonne Trajane à l’instar de Marc-Aurèle quelques années plus tôt15. Tous ces monuments dédiés aux loisirs ou abritant des activités commerciales sont construits en parallèle avec de grands jardins qui transforment la région en un « quartier de plaisance » qui occupe une place importante dans la vie quotidienne des citoyens romains16. L’empereur Valentinien III fut assassiné sur le Champ de Mars le 16 mars 455[réf. nécessaire].
Giacobbe Giusti, Champ de Mars (Rome)
La Piazza Navona a conservé la forme du stade antique.
Contrairement à d’autres quartiers de la Rome antique, le Champ de Mars n’a pas été abandonné au Moyen Âge. Le tracé des rues antiques a donc survécu, notamment celui de la Via Flaminia dont la portion à l’intérieur du mur d’Aurélien devient la Via Lata qui correspond à l’actuelle Via del Corso.
La région antique est aujourd’hui en partie incluse dans le rione Campo Marzio, un des 22 rioni de la ville moderne de Rome. Il est désigné dans la nomenclature administrative par le code R.IV.
La famille Borghèse y construisit un très important palais au début du xviie siècle.
Localisation du rione Campo Marziosur une carte du Municipio I de Rome.
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Casque celte et gaulois d’apparat dit casque d’Agris; à coque en fer, recouverte de bronze décoré de feuilles d’or repoussées, rivetées (rivets en argent à tête sertie d’un fleuron d’or), argent et éléments décoratifs de corail sertis dans les alvéoles de certains motifs. il a été découvert à Agris, en Charente dans la grotte des Perrats en 1981 ; probablement fabriqué par des artisans de l’ouest de la gaule. C’est l’une des œuvres majeures de tout l’art gaulois. Il est conservé au musée d’Angoulême. Il est daté du second âge du fer, vers 5ème siècle avant Jésus-Christ. L’or provenait sans doute du Limousin ou du Périgord. Des motifs réalisés avec du fil d’or bouleté ornent la pièce mobile qui protégeaient la joue. Le motif principal du pare-joue représente un serpent cornu à longue tête, le monstre des enfers, attribut du dieu gaulois Cernunos. Ce casque n’a probablement eu qu’un usage cérémoniel ou est simplement une offrande. Il n’a pas été trouvé dans une sépulture mais dans une grotte-sanctuaire, brisé volontairement (plusieurs parties ont été arrachée et le timbre a été enfoncé par un coup violent).
Meule à grains en basalte de la culture de La Tène.
Les fouilles de La Tène ont débuté en 1857, avant la correction des eaux du Jura qui a abaissé le niveau du lac de Neuchâtel de près de 3 mètres. Menées par Hans Kopp, pêcheur et collecteur d’objets, et conduites par le colonel Friedrich Schwab, elles ont permis la découverte de nombreuses armes (épées) et parures.
L’archéologue suisse Ferdinand Keller interprète en 1863 les vestiges comme ceux d’un village celtique sur pilotis (influence des travaux de Pierre Jean Édouard Desor sur la « civilisation lacustre »), publiant ses conclusions en 1868 dans son premier rapport sur les palafittes suisses (Pfahlbaubericht)1. Édouard Desor, un géologue de Neuchâtel, considère le site comme une manufacture d’armes construite sur pilotis puis détruite par un ennemi. Émile Vouga met au jour quantité d’objets dans un paléochenal et publie en 1885Les Helvètes à La Tène, synthèse suivie de La Tène, un oppidum helvète de Victor Gross en 1886. Les recherches officielles de la Commission des fouilles (1907-1917), dirigées par William Wavre, puis par Paul Vouga à partir de 1909, s’achèvent avec la publication en 1923 de La Tène : monographie de la station qui propose les hypothèses d’entrepôt, de poste de contrôle ou de douane2. En 2007 un bilan documentaire financé par le Fonds de recherche suisse est réalisé et aboutit à la publication La Tène : la recherche – les questions – les réponses3.
Le musée archéologique Laténium, inauguré en 2001, a des « réserves ouvertes » pour voir les vestiges de La Tène1.
Le site a livré une importante quantité d’objets et plusieurs habitats protohistoriques. Il a donné son nom au second âge du fer en 1872, lorsque l’archéologue suédois B. E. Hildebrand élabora une chronologie de la Protohistoire européenne, tandis que l’âge du fer ancien était nommé Hallstatt.
L’interprétation qui prévaut toujours aujourd’hui est qu’il s’agit d’un site de sacrifices : deux ponts qui passaient sur l’antique rivière Thielle sont les points d’offrandes jetées directement dans l’eau d’un vaste sanctuaire de plein air, ou bien le culte fut pratiqué à partir de plates-formes sacrificielles sur les ponts et sur lesquelles ont été immolés des guerriers3.
Systèmes chronologiques
Système de Tischler
En 1881, Otto Tischler proposa de subdiviser la période de La Tène en trois phases en fonction de la forme des épées et des fibules :
phase ancienne -400 à -300 : fibule à pied libre (Duchkov) et épée à pointe effilée avec fourreau à bouterolle circulaire ;
phase moyenne -300 à -100 : fibule à pied rattaché au sommet de l’arc, épée plus longue et fourreau à bouterolle pointue ou légèrement arrondie ;
phase récente -100 à l’apogée de la République romaine préemptant du futur empire romain : fibule avec cadre en guise de porte ardillon, épée à bout arrondi, de taille uniquement.
Ce système a servi par la suite de base pour les chronologies régionales.
Systèmes allemand (Reinecke) et français (Déchelette)
La période a néanmoins été découpée à nouveau en quatre phases par Paul Reineckeen 1902 pour l’Allemagne, et par Joseph Déchelette qui corrige la chronologie de Tischler en 1914 pour la France. Déchelette ajoute notamment une phase « la Tène IV » pour les îles Britanniques :
En 1944, Paul Jacobsthal publie sa chronologie dans Early Celtic Art. Elle est fondée sur l’observation de quatre styles artistiques propres à l’espace celtique :
460 av. J.-C. – 400 av. J.-C. : La Tène A ou La Tène I précoce
400 av. J.-C. – 320 av. J.-C. : La Tène B1 ou La Tène I moyenne
320 av. J.-C. – 260 av. J.-C. : La Tène B2 ou La Tène I tardive
260 av. J.-C. – 150 av. J.-C. : La Tène C ou La Tène II
150 av. J.-C. – 30 av. J.-C. : La Tène D ou La Tène III
avec La Tène D1 : 150 – 70 av. J.-C. ; La Tène D2 : 70 – 30 av. J.-C.
La Tène D1a : 150 – 120 av. J.-C. ; La Tène D2a : 70 – 50 av. J.-C.
La Tène D1b : 120 – 70 av. J.-C. ; La Tène D2b : 50 – 30 av. J.-C.
Civilisation
Giacobbe Giusti, La Tène culture
Statue de barde datant de La Tène, découverte lors de fouilles de la forteresse de Paule.
La civilisation celtique de La Tène atteint la Gauletout entière (entre la Garonne et la Seine, v. -500), l’Espagne (Celtibères, v. -500), les Balkans, la Grèce (prise de Delphes en -279), l’Asie Mineure (Galates en -275).
Conséquence d’une crise interne, de la réorganisation des circuits commerciaux ou des luttes entre Grecs et Étrusques pour le contrôle des échanges, les citadelles des Celtes du premier âge du fer, poumon des relations commerciales sont abandonnées les unes après les autres vers -500 au profit d’un mode de vie plus rural dominé par une chefferie guerrière. Des régions se distinguent comme les nouveaux centres de la civilisation celtique au ve siècle : la Rhénanie (culture du Hunsrück–Eifel), la Bohême, la Champagne et les Ardennes. Une lente évolution se produit dans les coutumes et les productions. On trouve le stamnos étrusque (vase contenant le vin pur) dans les tombes riches du ve siècle, à la Motte-Saint-Valentin(Haute-Marne) ou à Altrier (Luxembourg). Le miroir importé d’Étrurie, ou son imitation, est fréquent dans les sépultures féminines (Uetliberg, près de Zurich, la Motte-Saint-Valentin). Les mobiliers funéraires laissent entrevoir une moindre disparité sociale entre les puissants et le reste du peuple. Les importations méditerranéennes baissent, les bijoux sont moins somptueux. Les sépultures des chefs perdent de leur monumentalité, en conservant leur mobilier type : le poignard de parade fait place à la panoplie guerrière complète, le char à deux roues, plus léger et rapide, remplace le char de parade.
Giacobbe Giusti, La Tène culture
œnochoés étrusques découverts dans des tombes du nord de la Gaule
Giacobbe Giusti, La Tène culture
Le Héros celtique de Bohème ou Tête de Mšecké Žehrovice
En Champagne, les vastes cimetières du second âge du fer comportent, signe d’un peuplement dense, des tombes plates sans tumulus, creusées dans le sol crayeux. Les tessons de céramique retrouvés présentent des caractères régionaux « marniens » (vase de la Cheppe). Des œnochoés étrusques (Somme-Bionne, Somme-Tourbe, Eigenbilzen et Sept-Saulx) attestent des relations avec l’Étrurie. Les hommes les plus importants (150 tombes) sont inhumés sur leur char à deux roues, généralement armés, et portent un casque pointu en bronze. Plus nombreux, les fantassins ne gardent que leurs armes : épées, lances et javelots. Les femmes ont des agrafes de ceinture, des fibules, des bijoux comme le torque, qui, porté dès l’adolescence, paraît investi d’une signification sacrée. Le ve siècle et le début du ive siècle jouissent d’une grande stabilité, sensible dans les productions. La société semble assez égalitaire. La prédominance nette des tombes féminines marque cependant le départ progressif des hommes. Des oppida remontant à la Tène, ont été identifiés en Belgique, en Ardenne, à Canteleux, près de Chièvres, au lieu-dit Chession, près de Han-sur-Lesse, à Belvaux, Flobecq, Gilly-Ransart, Gougnies, Orchimont, Sinsin et à la Montagne Saint-Pierre. Le centre des hauts plateaux schisteux de l’Ardenne est densément occupé vers 480/470 avant notre ère par des Celtes. Leur civilisation nous y est essentiellement connue par les vestiges funéraires (les tombelles) qui constellent l’Ardenne. Quelque 150 sites totalisant près de 600 tertres ont été repérés. Venant de la moyenne vallée du Rhin et de la rive droite au nord du Main, les Belges arrivent dans la région vers -300. Ils y supplantent les Gaulois.
La fin de la période de La Tène est marquée par le début du principat d’Auguste en 29 av. J.-C.En effet, si la guerre des Gaules (entre 58 et 51 av. J.-C.) marque le basculement des peuples de Gaule interne dans l’orbite romaine, les archéologues considèrent généralement que les véritables changements culturels n’auront lieu qu’une génération plus tard à partir du règne d’Auguste et de la réorganisation administrative des Gaules. Dans les îles Britanniques, les archéologues font même descendre la civilisation laténienne au moins jusqu’en 43 apr. J.-C., date du début de la conquête de l’île.
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: document utilisé comme source pour la rédaction de cet article.
Gianna Reginelli Servais et Arnold Béat, La Tène, un site, un mythe, Hauterive : Laténium – Parc et musée d’archéologie de Neuchâtel, 2007, Cahiers d’archéologie romande de la Bibliothèque historique vaudoise, 3 vols (ISBN9782940347353).
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Bronze fitting from France in the « vegetal » style
Giacobbe Giusti, La Tène culture
Overview of the Hallstatt and La Tène cultures. The core Hallstatt territory (800 BCE) is shown in solid yellow, the area of influence by 500 BCE (HaD) in light yellow. The core territory of the La Tène culture (450 BCE) is shown in solid green, the eventual area of La Tène influence by 50 BCE in light green. The territories of some major Celtic tribes are labelled. Map drawn after Atlas of the Celtic World, by John Haywood (2001: 30–37).
La Tène is the type site and the term archaeologists use for the later period of the culture and art of the ancient Celts, a term that is firmly entrenched in the popular understanding, but presents numerous problems for historians and archaeologists.[2] The culture became very widespread, and encompasses a wide variety of local differences. It is often distinguished from earlier and neighbouring cultures mainly by the La Tène style of Celtic art, characterized by curving « swirly » decoration, especially of metalwork.[3]
La Tène culture developed out of the early Iron Age Hallstatt culturewithout any definite cultural break, under the impetus of considerable Mediterranean influence from the Greeks in pre-Roman Gaul, the Etruscans,[4] and Golasecca culture.[5]Barry Cunliffe notes localization of La Tène culture during the 5th century when there arose « two zones of power and innovation: a Marne – Moselle zone in the west with trading links to the Po Valley via the central Alpine passes and the Golasecca culture, and a Bohemian zone in the east with separate links to the Adriatic via the eastern Alpine routes and the Venetic culture ».[6] A shift of settlement centres took place in the 4th century.
La Tène cultural material appeared over a large area, including parts of Ireland and Great Britain, northern Spain, northern-central Italy,[7]Burgundy, and Austria. Elaborate burials also reveal a wide network of trade. In Vix, France, an elite woman of the 6th century BCE was buried with a very large bronze « wine-mixer »made in Greece. Exports from La Tène cultural areas to the Mediterranean cultures were based on salt, tin, copper, amber, wool, leather, furs and gold. Although the La Tène culture had no writing of its own (rare examples of it using Greek inscriptions exist, and late Celtic coinage often uses Latin) there are several accounts of the culture and aspects of its history from classical authors, most very hostile and tending to stereotype.
History
The preceding « Halstatt D » culture, of about 650-475, was also very widespread across Europe, and the transition over this area was gradual, and is mainly detected through La Tène style elite artefacts, which first appear in the western end of the old Hallstatt region.
The establishment of a Greek colony, soon very successful, at Massalia (modern Marseilles) on the Mediterranean coast of France led to great trade with the Hallstatt areas up the Rhone and Saone river systems, and early La Tène elite burials like the Vix Grave in Burgundy contain imported luxury goods along with artifacts produced locally. Most areas were probably controlled by tribal chiefs living in hilltop forts, while the bulk of the population lived in small villages or farmsteads in the countryside.[8]
By 500 the Etruscans expanded to border Celts in north Italy, and trade across the Alps began to overhaul trade with the Greeks, and the Rhone route declined. Booming areas included the middle Rhine, with large iron ore deposits, the Marneand Champagne regions, and also Bohemia, although here trade with the Mediterranean area was much less important. Trading connections and wealth no doubt played a part in the origin of the La Tène style, though how large a part remains much discussed; specific Mediterranean-derived motifs are evident, but the new style does not depend on them.[9]
By about 400 the evidence for Mediterranean trade become sparse; this may have been because the expanding Celtic populations began to migrate south and west, coming into violent conflict with the established populations, including the Etruscans and Romans. The settled life in much of the La Tène homelands also seems to have become much more unstable and prone to wars. In about 387 the Celts under Brennusdefeated the Romans and then sacked Rome, establishing themselves as the most prominent threats to the Roman homeland, a status they would retain through a series of Roman-Gallic wars until Julius Caesar‘s final conquest of Gaul in 58-50 BCE. The Romans prevented the Celts from reaching very far south of Rome, but on the other side of the Adriatic Sea groups passed through the Balkans to reach Greece, where Delphi was attacked in 279, and Asia, where Galatia was established as a Celtic area of Anatolia. By this time the La Tène style was spreading to the British Isles, though apparently without any significant movements in population.[10]
After about 275 the relentless Roman expansion into the area occupied by La Tène culture began; it would never be complete, but lasted until the 1st century CE in Britain, leaving only the approximate areas of the modern Celtic nations(excluding Brittany) unoccupied. The Romans never attempted to invade Irelandand eventually decided that expansion into north Scotland was not worth the trouble, retreating from the line of the Antonine Wall to Hadrian’s Wall in 162 CE.[11]
Though there is no agreement on the precise region in which La Tène culture first developed, there is a broad consensus that the center of the culture lay on the northwest edges of Hallstatt culture, north of the Alps, within the region between in the West the valleys of the Marne and Moselle, and the part of the Rhineland nearby. In the east the western end of the old Hallstatt core area in modern Bavaria, Austria and Switzerland formed a somewhat separate « eastern style Province » in the early La Tène, joining with the western area in Alsace.[12]
In 1994 a prototypical ensemble of elite grave sites of the early 5th century BCE was excavated at Glauberg in Hesse, northeast of Frankfurt-am-Main, in a region that had formerly been considered peripheral to the La Tène sphere.[13] The site at La Tène itself was therefore near the southern edge of the original « core » area (as is also the case for the Hallstatt site for its core).
From their homeland, La Tène culture expanded in the 4th century to more of modern France, Germany, and Central Europe, and beyond to Hispania, northern and central Italy, the Balkans, and even as far as Asia Minor, in the course of several major migrations. La Tène style artefacts start to appear in Britain around the same time,[14] and Ireland rather later. The style of « Insular La Tène » art is somewhat different and the artefacts are initially found in some parts of the islands but not others. Migratory movements seem at best only partly responsible for the diffusion of La Tène culture there, and perhaps other parts of Europe.[15]
Extensive contacts through trade are recognized in foreign objects deposited in elite burials; stylistic influences on La Tène material culture can be recognized in Etruscan, Italic, Greek, Dacian and Scythian sources. Dateable Greek pottery and analysis employing scientific techniques such as dendrochronology and thermoluminescence help provide date ranges for an absolute chronology at some La Tène sites.
As with many archaeological periods, La Tène history was originally divided into « early » (6th century BCE), « middle » (c. 450–100 BCE), and « late » (1st century BCE) stages, with the Roman occupation greatly disrupting the culture, although many elements remain in Gallo-Romanand Romano-British culture.[16] A broad cultural unity was not paralleled by overarching social-political unifying structures, and the extent to which the material culture can be linguistically linked is debated. The art history of La Tène culture has various schemes of periodization.[17]
Ethnology
Our knowledge of this cultural area derives from three sources: from archaeological evidence, from Greek and Latin literary evidence, and more controversially, from ethnographical evidence suggesting some La Tène artistic and cultural survivals in traditionally Celtic regions of far western Europe. Some of the societies that are archaeologically identified with La Tène material culture were identified by Greek and Roman authors from the 5th century onwards as Keltoi(« Celts« ) and Galli (« Gauls« ). Herodotus (iv.49) correctly placed Keltoi at the source of the Ister/Danube, in the heartland of La Tène material culture: « The Ister flows right across Europe, rising in the country of the Celts », however, apparently misunderstanding his source,[18] he also misplaced them as « farthest to the west of any people of Europe »[19]
Whether the usage of classical sources means that the whole of La Tène culture can be attributed to a unified Celtic people is difficult to assess; archaeologists have repeatedly concluded that language, material culture, and political affiliation do not necessarily run parallel. Frey notes (Frey 2004) that in the 5th century, « burial customs in the Celtic world were not uniform; rather, localised groups had their own beliefs, which, in consequence, also gave rise to distinct artistic expressions ».
The spread of the Celtic languages before and during the period is also uncertain. In the 19th century it used to be thought that these only reached Ireland and Britain in the 1st millennium BCE, but it is now thought likely that they were dominant before the arrival of cultural styles associated with Celts, perhaps long before.[20]
La Tène metalwork in bronze, iron and gold, developing technologically out of Hallstatt culture, is stylistically characterized by inscribed and inlaid intricate spirals and interlace, on fine bronze vessels, helmets and shields, horse trappings and elite jewelry, especially the neck rings called torcs and elaborate clasps called fibulae. It is characterized by elegant, stylized curvilinear animal and vegetal forms, allied with the Hallstatt traditions of geometric patterning.
The Early Style of La Tène art and culture mainly featured static, geometric decoration, while the transition to the Developed Style constituted a shift to movement-based forms, such as triskeles. Some subsets within the Developed Style contain more specific design trends, such as the recurrent serpentine scroll of the Waldalgesheim Style [21]
Initially La Tène people lived in open settlements that were dominated by the chieftains’ hill forts. The development of towns—oppida—appears in mid-La Tène culture. La Tène dwellings were carpenter-built rather than of masonry. La Tène peoples also dug ritual shafts, in which votive offerings and even human sacrifices were cast. Severed heads appear to have held great power and were often represented in carvings. Burial sites included weapons, carts, and both elite and household goods, evoking a strong continuity with an afterlife.[22]
Site of La Tène
Giacobbe Giusti, La Tène culture
Reconstruction of one of the bridges at the La Tène site
La Tène is a village on the northern shore of Lake Neuchâtel, Switzerland, where the small river Thielle, connecting to another lake, enters the Lake Neuchâtel. It is an archaeological site and the eponymous type site for the late Iron Age La Tène culture. In 1857, prolonged droughtlowered the waters of the lake by about 2 m. On the northernmost tip of the lake, between the river and a point south of the village of Marin-Epagnier, Hansli Kopp, looking for antiquities for Colonel Frédéric Schwab, discovered several rows of wooden piles that still reached up about 50 cm into the water. From among these, Kopp collected about forty iron swords.
The Swiss archaeologist Ferdinand Keller published his findings in 1868 in his influential first report on the Swiss pile dwellings (Pfahlbaubericht). In 1863 he interpreted the remains as a Celtic village built on piles. Eduard Desor, a geologistfrom Neuchâtel, started excavations on the lakeshore soon afterwards. He interpreted the site as an armory, erected on platforms on piles over the lake and later destroyed by enemy action. Another interpretation accounting for the presence of cast iron swords that had not been sharpened, was of a site for ritual depositions.
With the first systematic lowering of the Swiss lakes from 1868 to 1883, the site fell completely dry. In 1880, Emile Vouga, a teacher from Marin-Epagnier, uncovered the wooden remains of two bridges (designated « Pont Desor » and « Pont Vouga ») originally over 100 m long, that crossed the little Thielle River (today a nature reserve) and the remains of five houses on the shore. After Vouga had finished, F. Borel, curator of the Marin museum, began to excavate as well. In 1885 the cantonasked the Société d’Histoire of Neuchâtel to continue the excavations, the results of which were published by Vouga in the same year.
All in all, over 2500 objects, mainly made from metal, have been excavated in La Tène. Weapons predominate, there being 166 swords (most without traces of wear), 270 lanceheads, and 22 shield bosses, along with 385 brooches, tools, and parts of chariots. Numerous human and animal bones were found as well. The site was used from the 3rd century, with a peak of activity around 200 BCE and abandonment by about 60 BCE.[23] Interpretations of the site vary. Some scholars believe the bridge was destroyed by high water, while others see it as a place of sacrifice after a successful battle (there are almost no female ornaments).
An exhibition marking the 150th anniversary of the discovery of the La Tène site opened in 2007 at the Musée Schwab in Biel/Bienne, Switzerland, moving to move to Zürich in 2008 and Mont Beuvray in Burgundy in 2009.
Sites
Reconstruction of a late La Tène period (1st century BCE) settlement in Altburg near Bundenbach.
Reconstruction of a late La Tène period (2nd/1st century BCE) settlement in Havranok, Slovakia.
Jump up^Or just « La Tene » in English. More rarely also spelt « Latène » (especially in French adjectival forms) or « La-Tène ». In German Latènezeit or La-Tène-Zeit equate to « La Tène culture »
Jump up^Venceslas Kruta, La grande storia dei Celti. La nascita, l’affermazione, la decadenza, (Newton & Compton), Roma, 2003 ISBN978-88-8289-851-9, a translation of Les Celtes, histoire et dictionnaire. Des origines à la romanisation et au christianisme, Robert Laffont, Paris, 2000, without the dictionary
Jump up^Lionel Pearson, « Herodotus on the Source of the Danube », Classical Philology29.4 (October 1934:328–337).
Jump up^In another place (ii.33.) Herodotus mentions the Ister, which « rising in the country of the Celts, beginning from the city of Pyrene, cuts Europe in half », which would have made it intersect with the Rhone; Pyrene is not mentioned aside from this context.
Jump up^Harding, D. W. The Archaeology of Celtic Art. New York: Routledge, 2007; other schemes of classification are available, indeed more popular; see Vincent Megaw in Garrow
Cunliffe, Barry. The Ancient Celts. Oxford: Oxford University Press. 1997
Collis, John. The Celts: Origins, Myths, Invention. London: Tempus, 2003.
Kruta, Venceslas, La grande storia dei Celti. La nascita, l’affermazione, la decadenza, Newton & Compton, Roma, 2003 ISBN978-88-8289-851-9 (492 pp. – a translation of Les Celtes, histoire et dictionnaire. Des origines à la romanisation et au christianisme, Robert Laffont, Paris, 2000, without the dictionary)
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Reginelli Servais Gianna and Béat Arnold, La Tène, un site, un mythe, Hauterive : Laténium – Parc et musée d’archéologie de Neuchâtel, 2007, Cahiers d’archéologie romande de la Bibliothèque historique vaudoise, 3 vols, ISBN9782940347353
Persée est le fils de Danaé, fille du roi d’Argos, Acrisios2. Ce dernier, averti par un oracle que son petit-fils le tuera, enferme sa fille dans une tour d’airain, ce qui n’empêche pas Zeus de la séduire sous la forme d’une pluie d’or3. Persée naît ainsi dans le secret. Révélé à son grand-père par ses cris, il est enfermé dans un coffre avec sa mère et jeté dans les flots, qui les portent jusqu’à l’île de Sériphos. Tous deux sont recueillis par un pêcheur nommé Dictys, qui élève le garçon comme son fils. Devenu adulte, Persée se voit confier par Polydecte, le roi de l’île, la mission de tuer la GorgoneMéduse, dont le regard pétrifie ceux qu’il atteint. Vainqueur grâce aux armes magiques remises par Hermès et Athéna, il passe sur le chemin du retour par l’Éthiopie où il rencontre la princesse Andromède, qui doit être livrée à un monstre marin en punition des paroles imprudentes de sa mère Cassiopée. Persée la délivre et l’épouse. De retour à Sériphos, il se venge de Polydecte, qui a tenté de violer sa mère Danaé. Il rejoint ensuite sa patrie, Argos, qu’Acrisios a fui par peur de l’oracle pour se réfugier à Larissa. Or le roi de cette cité organise des jeux funéraires auxquels Persée prend part. En lançant le disque, il tue accidentellement Acrisios, qui assiste aux épreuves comme spectateur. Par égard pour son défunt grand-père, Persée échange sa royauté d’Argos contre celle de Tirynthe et donne l’île de Sériphos au pêcheur.
La légende de Persée a connu une grande fortune après l’Antiquité, en particulier les épisodes de Méduse et d’Andromède. Il est probable qu’elle ait influencé les légendes chrétiennes des saints pourfendeurs de dragon, comme celle de saint Georges4. Nombre des épisodes de la légende se retrouvent, plus ou moins déformés, dans les contes traditionnels du folklore international, et ses motifs ont fait l’objet d’une codification par Stith Thompson.
Étymologie
Selon Pierre Chantraine, le nom de Persée est d’origine obscure5. Les auteurs antiques le rapprochent de πέρθω / pérthô, « détruire, mettre à sac, piller ». Selon Thalia Feldman, le radical perth- serait issu de l’indo-européen *bher-, « couper »6.
Persée est déjà mentionné chez Homère, qui le nomme le fils de Zeus et de Danaé, sans autre précision7. Le Catalogue des femmes ajoute que Danaé est jetée à la mer dans un coffre8,9, mais il faut attendre Phérécyde d’Athènes, au ve siècle av. J.-C., pour que le récit soit complet : Acrisios, roi d’Argos, et son épouse Eurydiceengendrent une fille, Danaé. L’oracle de Delphes, interrogé, lui annonce qu’il n’aura pas de fils, mais que le petit-fils que lui donnera Danaé le tuera10. De retour chez lui, Acrisios fait bâtir une chambre de bronze souterraine où il enferme Danaé et sa nourrice. Zeus aperçoit pourtant la jeune fille et la séduit après s’être transformé en pluie d’or2. Danaé donne naissance à Persée et l’élève en secret, jusqu’à ce que les cris du jeune enfant, âgé de trois ou quatre ans, trahissent son existence. Acrisios fait exécuter la nourrice et exige de savoir qui est le père de Persée. Refusant de croire les déclarations de Danaé, il la fait jeter à la mer dans un coffre, avec son fils. Le coffre est emporté par les flots jusqu’à l’île de Sériphos, où Danaé et Persée sont secourus par un pêcheur généreux, Dictys (« filet »), qui élève le garçon comme son fils.
Une scholie de l’Iliade fait de Proétos, frère d’Acrisios, le véritable père de Persée, ce qui aurait été le motif de la querelle entre les deux frères11. Cette variante, que le scholiaste attribue à Pindare, est également citée par le pseudo-Apollodore12. Pindare mentionne pourtant l’histoire de la pluie d’or par ailleurs13. Il est possible que dans la source du scholiaste et d’Apollodore, Danaé ait été séduite par Proétos et emprisonnée par son père en punition, laissant ainsi le champ libre à Zeus14. La variante suivant laquelle Danaé est enfermée dans une tour plutôt que dans une chambre souterraine remonte à Horace15, suivi par Ovide16.
À Sériphos
Toujours selon Phérécyde, Dictys est le frère du roi de l’île, Polydecte17. Alors que Persée a atteint l’âge adulte, Polydecte aperçoit Danaé et s’éprend d’elle. Il organise un eranos, c’est-à-dire un banquet où chacun apporte sa contribution, auquel il convie le jeune homme. Polydecte feint d’avoir besoin de présents pour les noces d’Hippodamie, fille d’Œnomaos. À la demande de Persée, Polydecte précise qu’il veut des chevaux ; le jeune homme répond alors qu’il apportera la tête de la Gorgone – pour fanfaronner, précise Apollodore18. Polydecte le prend au mot et quand Persée apporte un cheval le lendemain, il refuse et insiste pour obtenir la tête de la Gorgone, menaçant de s’emparer de Danaé si le jeune homme ne s’exécute pas.
Le récit de Phérécyde n’est pas très clair : on ne comprend pas bien quelle était l’intention initiale de Polydecte en organisant le banquet, car il ne pouvait pas prévoir que Persée évoquerait Méduse. Des auteurs modernes expliquent que Polydecte réclame un cheval à Persée en sachant très bien que celui-ci n’en possède pas19, mais cet élément ne se retrouve dans aucune source ancienne20.
La décapitation de Méduse par Persée ne figure pas chez Homère, mais elle apparaît dès la Théogonie d’Hésiode : Méduse, fille de Céto et Phorcys, est la seule des trois Gorgones à être mortelle et à être séduite par Poséidon ; elle est décapitée par Persée sur les bords d’Océan, et de son sang naissent le cheval ailé Pégase et le géant Chrysaor à l’épée d’or21. Le Bouclier d’Héraclès montre Persée équipé du casque d’Hadès, poursuivi par les Gorgones après avoir décapité Méduse, dont la tête est enfermée dans un sac à franges d’or qu’il porte sur son dos22.
Un récit plus complet se trouve chez Phérécyde. Persée, à qui Polydecte, roi amoureux de sa mère, a réclamé la tête de Méduse afin de l’éloigner, se retire pour se lamenter. Hermès lui apparaît et, après avoir appris la cause de son chagrin, le mène chez les Grées, en compagnie d’Athéna. Sur les conseils divins, Persée vole l’unique œil et l’unique dent dont les trois sœurs sont pourvues, et qu’elles se passent de l’une à l’autre. Les Grées sont contraintes d’aider Persée pour récupérer leur bien et lui indiquent l’endroit où il pourra trouver les nymphes qui détiennent trois objets magiques : la kunée ou casque d’Hadès, qui rend invisible son porteur, une paire de sandales ailées qui permet de voler dans les airs et une besace (en grec ancien, kibisis) destinée à recueillir la tête de Méduse. Persée leur rend alors œil et dent et part trouver les nymphes pour obtenir les trois objets. Grâce aux sandales, Persée gagne les bords d’Océan où résident les Gorgones, toujours accompagné par Hermès et Athéna qui lui recommandent de ne pas rencontrer le regard de Méduse. Persée coiffé du casque d’Hadès s’approche des Gorgones endormies, tranche la tête de Méduse23, qu’il met dans la besace et s’enfuit, talonné par les deux autres Gorgones réveillées, qui suivent son odeur.
Le récit est simplifié chez Eschyle, qui ne mentionne pas les nymphes : Persée y reçoit une épée d’Héphaïstos24 et Hermès fournit lui-même les sandales ailées et le casque d’Hadès. Les Grées y sont les gardiennes des Gorgones, ce qui pousse Persée à jeter leur œil dans le lac Triton, pour les empêcher de prévenir leurs sœurs de son approche25. Apollodore ajoute au récit de Phérécyde quelques détails : Hermès donne à Persée une épée courbe et Athéna aide Persée à décapiter Méduse en tendant un bouclier poli comme un miroir18, idée qu’on trouve pour la première fois chez Ovide26.
Dans la version d’Ovide27, Persée revient en Grèce en passant par le pays d’Atlas. Celui-ci apprend que Persée est un fils de Zeus et tente de l’éloigner par la force, car Thémis lui a prédit qu’un fils de Zeus volerait un jour les pommes d’or du jardin des Hespérides. Persée, en colère, pétrifie Atlas en lui montrant la tête de Méduse, et le transforme en une chaîne de montagnes sur laquelle repose le ciel. Cette légende, probablement assez tardive28, s’oppose à la version plus connue de la quête des pommes d’or entreprise par Héraclès dans laquelle Atlas est toujours vivant après plusieurs générations.
Isabelle Turcan29 interprète la légende de Persée, victorieux de la gorgone Méduse comme un mythe cosmologique, celui d’un génie solaire vainqueur du règne de l’hiver. Les Grées comme les Gorgones sont liées au monde noir d’Ouranos, respectivement les premières sont du pays de la nuit et les Gorgones résident à l’extrême occident là où chaque jour disparaît le soleil. Le pouvoir pétrifiant du regard de Méduse est celui du gel.
Persée et Andromède. Fresque de Pompei (Musée archéologique de Naples)
Le Catalogue des femmes mentionne le mariage de Persée et d’Andromède8 et l’épisode d’Andromède apparaît pour la première fois sur un vase corinthien à figures noires de 575–570 av. J.-C. environ, c’est-à-dire avant les premières traces de l’histoire de Méduse30. Le premier récit développé semble être celui de Phérécyde, préservé chez Apollodore, puis Sophocle et Euripide consacrent à la légende des tragédies intitulées Andromède, dont il ne subsiste plus que des fragments.
Cassiopée, mère d’Andromède, s’est vantée d’être aussi belle que les Néréides. En punition, Poséidon envoie un monstre marin qui ravage le pays. Après avoir interrogé l’oracle d’Ammon, Céphée, roi d’Éthiopie et mari de Cassiopée, doit offrir sa fille en sacrifice. Persée arrive et, après avoir débattu avec Céphée, libère la jeune fille. Des amphores corinthiennes du vie siècle av. J.-C.montrent Persée tenant Andromède par la main et repoussant le monstre marin à coups de pierre. Chez Ovide et les peintres sur vase postérieurs, Persée le tue à coup d’épée31. Le recours à la tête de Méduse pour pétrifier le monstre n’apparaît pas avant Lucien de Samosate32,33(iie siècle).
Persée épouse Andromède bien qu’elle ait été promise à Phinée, le frère de Céphée. Une querelle éclate lors des noces entre les deux hommes et Persée change Phinée en pierre grâce à la tête de la Gorgone34. Chez Hygin, Agénor et non Phinée est le prétendant malheureux d’Andromède ; il est difficile de déterminer s’il s’agit d’une véritable variante ou d’une confusion de l’auteur31. Andromède donne à Persée plusieurs enfants. Homère35 et le Catalogue des femmes8 citent seulement Sthénélos. La tradition ultérieure, notamment Apollodore, nomment également Persès, que Persée confie à Céphée35, Alcée, Héléos, Mestor, Électryon, et une fille, Gorgophoné (« la tueuse de Gorgone »)36.
Le retour
À Sériphos, il délivra sa mère de Polydecte en se servant de nouveau de la tête de Méduse, changeant ainsi en pierre le roi et ses partisans. Persée laissa à Dictys le pouvoir sur Sériphos et se rendit avec Andromède à Argos, royaume d’Acrisios. Celui-ci, apprenant la venue de son petit-fils, s’enfuit à Larissa en Thessalie, par crainte que la prophétie ne se réalise. De retour en Grèce, Persée participa à des jeux funèbres que le roi thessalien Teutamidès donnait en l’honneur de son père et auxquels assistait Acrisios. Dépassant sa cible au lancer du disque, il frappa et tua accidentellement le vieillard, accomplissant ainsi la prophétie.
Ovide rapporte que revenant à Argos, Persée découvrit que Proétos, le frère jumeau d’Acrisios, et selon certains, le père véritable de Persée, avait usurpé le trône de son frère. Le héros le tua en le transformant en rocher et monta sur le trône de la ville. Mais il préféra ne pas régner sur Argos, ayant tué le roi précédent. Il échangea donc son royaume contre celui de Tirynthe dont le roi était Mégapenthès et il y fonda les villes de Mycènes et de Midée.
Comme la tâche de Persée était accomplie, Athéna lui recommanda de remettre les objets magiques à Hermès, qui les rendrait à leurs propriétaires respectifs. Selon certaines traditions, Athéna conserva le bouclier sur lequel elle plaça la tête de la Gorgone. Persée se rendit en Asie, où son fils Persès devint le fondateur légendaire de l’empire des Perses, à qui il donna son nom ; Platon dit que les Perses descendent de lui37,38et Xénophon rapporte dans sa Cyropédie39 que Cyrus II descend de lui.
Hygin donne toutefois une version très différente de ces événements mythiques. Pour lui, Polydecte fut un roi paisible qui épousa Danaé et mit Persée au service d’Athéna. D’autre part, Acrisios fut tué accidentellement par le jeune homme à Sériphos, pendant les jeux funèbres en l’honneur de Polydecte. Hygin indiqua aussi, rejoignant la version d’Ovide, que Persée fut tué par Mégapenthès, qui vengeait la mort de son père Proétos.
On raconte que Persée se querella avec les suivantes de Dionysos, dont le culte fut introduit en Argolide à la même époque. Persée a également lancé une statue dans le lac de Lerne et a livré combat contre une certaine « Femme de la Mer ». Athéna place Andromède et Céphée au nombre des constellations du ciel et Zeus fait de même avec Persée et le monstre marin40,41.
Représentations littéraires
Portrait de l’acteur grec Euiaon jouant Persée, muni d’un chapeau ailé et de bottes, identifié par une inscription sur le vase. Cratère à calice attique à fond blanc, autour de 430 av. J.-C.
Si le mythe de Persée n’est attesté dans des textes conservés qu’à partir du ve siècle av. J.-C., il est probablement plus ancien. Au ive siècle av. J.-C., un personnage de la Samienne de Ménandres’exclame ainsi : « N’as-tu pas entendu ce qu’ils racontent, ça, dis-moi, Nicératos, les poètes tragiques, comment, après s’être changé en or, Zeus s’est laissé couler à travers un toit jusqu’à une recluse, toute jeunette, pour la séduire ? »42
Persée est en effet un sujet très fréquent à l’époque classique. Simonide de Céos chante dans l’un de ses poèmes la lamentation de Danaé, enfermée dans le coffre, et son appel à Zeus43. Eschyle consacre à Danaé et Persée une trilogie complète. On ne connaît des tragédiesque deux titres, Les Phorcydes et Polydecte, et quelques fragments14. Le drame satyrique qui complétait la trilogie est mieux conservé ; intitulé Les Satyres tireurs de filets, il évoque le sauvetage de Danaé et Persée par Dictys. Sophocle compose également un Acrisios, une Danaé et Les Gens de Larisa, qui forment probablement une trilogie et qui ne survivent qu’à l’état de fragments. Les deux premières pièces portent probablement sur la décision respectivement d’enfermer Danaé puis de tuer Persée, tandis que la dernière évoque la mort d’Acrisios, tué involontairement par Persée. LaDanaé d’Euripide raconte la séduction de la jeune fille par Zeus et sa punition.[réf. nécessaire]
Légende et folklore international
Dans The Folktale (voir Bibliographie), Stith Thompson signale une étude de Hartland44 sur la légende de Persée, dans laquelle l’auteur compare des contes traditionnels du monde entier sur ce thème ; il met notamment la légende en relation avec les contes-types du Tueur de dragons (AT 300) et des Deux Frères (AT 303), même s’il n’est pas possible de garantir que ces contes dérivent directement de la légende. Thompson mentionne divers motifs que l’on retrouve aussi bien dans la légende grecque que dans de nombreux contes populaires, ainsi : T511 (naissance surnaturelle du héros), S301 (le héros persécuté et abandonné en compagnie de sa mère)45, K333.2 (l’œil unique dérobé aux Phorcydes), D581 (la victoire sur Méduse au regard pétrifiant), T68.1 (la libération de l’héroïne livrée au monstre marin). Des motifs tels que la jeune fille enfermée dans la tour, les sandales ailées ou le casque d’invisibilité trouvent également écho dans les contes.
Les diverses aventures de Persée ont fourni des sujets à la peinture et à la sculpture de la Renaissance au néo-classisisme et même jusqu’à l’époque contemporaine. Parmi les principaux artistes qui lui ont consacré des ouvrages, il faut citer :
Le thème de Persée combattant le monstre marin et délivrant Andromède se distingue de légendes similaires par des accessoires évoquant les autres aventures du héros: tête de Méduse, sandales d’Hermès, casque de Hadès. Dans certains cas, Persée est monté sur le cheval ailé Pégase, né de la mort de Méduse. Bien qu’Andromède soit éthiopienne, elle est presque toujours représentée extrêmement blanche de teint.[réf. nécessaire]
Au cinéma, les aventures de Persée ont été adaptées librement par plusieurs péplums. En 1963, Persée l’invincible (Perseo l’invincibile), film italo-espagnol de Alberto De Martino, montre Persée affrontant Acrisios et son acolyte Galeron ainsi qu’une Méduse aux allures de plante à tentacules dotée d’un œil unique, qui peut animer et contrôler les hommes qu’elle a changées en statues ; Persée affronte aussi un monstrueux dragon. Un péplum américain inspiré de l’histoire de Persée est Le Choc des Titans, réalisé en 1981. Le Choc des titans donne lieu à un remake américain dirigé par Louis Leterrier et portant le même titre. Ce remake donne lieu à son tour à une suite, La Colère des Titans, réalisée par Jonathan Liebesman et sortie en 2012.
Les premiers tomes de la série américaine de romans Percy Jackson de Rick Riordan, parue dans les années 2000, donnent lieu à des adaptations au cinéma dont la première est Percy Jackson : Le Voleur de foudre réalisé par Chris Columbus en 2010, suivi du second: Percy Jackson : La mer des monstres réalisé en 2013 par Thor Freudenthal46. Dans ces fictions, Percy tient son nom de Persée car, selon sa mère, c’est le seul héros à avoir eu une fin heureuse. Le troisième film n’est pas sorti.
Jeux vidéo
Persée est le héros du jeu d’aventure en mode texte Perseus and Andromeda développé en 1983 par Digital Fantasia, qui est une adaptation du mythe grec illustrée par des images composées de lettres et de lignes et qui est diffusé sur la plupart des ordinateurs personnels disponibles à l’époque (ZX Spectrum, Atari 8-bit, BBC Micro, Commodore 64, Commodore 16 et Oric-1).
Dans le jeu vidéo God of War II, un jeu vidéo américain d’action-aventure sorti sur consoles en 2007 et qui s’inspire très librement de la mythologie grecque, Persée est l’un des « boss » que Kratos, le héros du jeu, doit affronter. Persée est armé d’une épée, un bouclier, une fronde et un casque lui permettant de devenir invisible.
↑Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1999 (édition mise à jour), 1447 p.(ISBN978-2-25203-277-0) à l’article « Περσεύς ».
↑(en) Thalia Feldman, « Gorgo and the origins of Fear », dans Arion, vol. 4, no 3, Autumn 1965, p. 492.
↑Isabelle Turcan, « Persée, vainqueur de la « nuit hivernale » ou le meurtre de Méduse et la naissance des jumeaux solaires Chrysaor et Pégase », Études Indo-européennes, 1989.
(en) Timothy Gantz, Early Greek Myth. A Guide to Literature and Artistic Sources, vol. I, Baltimore, Johns Hopkins University Press, (ISBN0-8018-5360-5), p. 299-311.
Pierre Grimal, Dictionnaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Grands dictionnaires », (1reéd. 1951) (ISBN2-13-050359-4), p. 361-363.
(en) Daniel Ogden, Perseus, Londres et New York, Routledge, (ISBN978-0-415-42725-8).
Carte de l’extension de la culture rubanée au début du néolithique.
Giacobbe Giusti, Culture rubanée
Carte des cultures du néolithique moyen.
La culture rubanée, à céramique linéaire ou la civilisation rubanée ou plus simplement le Rubané(allemand Linienbandkeramische Kultur ou Linearbandkeramik, abbr. LBK)désigne le Néolithique le plus ancien d’Europe centrale. Il date de 5500 à 4700 ans av. J.-C. et est présent en Europe centrale (Hongrie, République tchèque, Allemagne occidentale, France septentrionale et en Belgique en Hesbaye liégeoise) de même qu’en Moldavie, en Ukraine et en Roumanie. Il succède au Beuronien.
Selon certains archéologues, cette culture serait la principale manifestation du courant danubien, une migration en Europe continentalede peuples néolithiques suivant le Danube et pratiquant l’agriculture sur brûlis qu’ils introduisent en Europe. À la même époque, un autre courant de néolithisation, dit courant méditerranéen, suit les côtes nord de la Méditerranée et est à l’origine de la culture de la céramique imprimée.
Le rubané doit son nom aux rubans décorant fréquemment les poteries qui le caractérisent.
Les premiers agro-pasteurs
Les nouveaux venus sèment, cultivent et moissonnent des céréales — le blé et l’orge — dans de petits champs dont ils remuent la terre à l’abri des forêts, élèvent des moutons, des porcset des bœufs, façonnent des poteries et construisent des maisons qui vont se grouper en villages.
Les caractéristiques de la civilisation rubanée
Compte tenu de l’absence d’informations écrites pour les sociétés préhistoriques, on ne peut associer des régions à la même culture qu’à partir de la similitude constatée entre objets et vestiges archéologiques. Ces cultures peuvent être définies à partir d’objets caractéristiques (céramique, industrie lithique, statuettes…), de l’habitat (maison, village, territoire) et des pratiques funéraires (sépulture, objets, position du corps…).
La céramique
Rien ne sert de produire légumes et céréales si on ne peut les conserver pour les périodes les plus difficiles. Pour la conservation des réserves alimentaires et pour le transport de l’eau, les agriculteurs sédentaires fabriquent de remarquables poteries de terre cuite qu’ils décorent en y dessinant des rubans, d’où le qualificatif de « rubanée » donné à cette civilisation.
Deux types de céramiques sont présents dans la culture du rubané : la céramique grossière (gros vases avec peu de détails sans doute modelés rapidement) et la céramique fine (petits vases bien lissés avec une bonne finition et portant des décors incisés). Le motif en ruban incisé peut porter un remplissage d’incisions au poinçon. Certaines céramiques présentent des représentations anthropomorphes modelées en relief.
Giacobbe Giusti, Culture rubanée
Il existe dans les régions à Rubané des céramiques qui bien que contemporaines du LBK(civilisation rubanée), sont qualifiées d’étrangères, ou non-rubanés. On a défini deux styles particuliers : le style de la Hoguette(céramique de forme ovulaire que l’on trouve surtout en Allemagne actuelle) et le style de Limbourg, plus récent (céramique de forme plus plate, présente en Belgique, aux Pays-Bas et dans le bassin parisien). Il pourrait s’agir de vases fabriqués par d’autres groupes, notamment les chasseurs-cueilleurs qui auraient été en contact avec les sociétés agricoles, mais ceci reste à démontrer.
Le matériel lithique
Les Rubanés ont fabriqué une partie de leur outillage en pierre : soit en silex pour les outils taillés, soit en roches volcaniques ou métamorphiques pour les outils polis. Les types d’outils et leur méthode de fabrication se retrouvent dans tout le Rubané Européen, avec néanmoins quelques variantes selon les régions.
La méthode de fabrication des outils taillés repose sur le débitage laminaire : un bloc de silex brut est mis en forme pour pouvoir en extraire des lames, à l’aide d’un percuteur. La majorité de l’outillage se présente donc sous forme de lames en silex, retouchées afin d’obtenir le type d’outil souhaité. En général, on retrouve sur les sites rubanés une grande quantité de grattoirs sur lame, ainsi que des perçoirs, des racloirs, et des fragments de lames non retouchées, utilisés emmanchés comme éléments de lames de faucille. Ces lames présentent parfois sur leur partie active un lustré qui résulte de l’action de fauchage de céréales, les brins de céréales contenant de la silice qui se dépose sur la lame. Les rubanés fabriquaient également des pointes de flèches en silex, de forme triangulaire ou trapézoïdale. Il existe aussi des outils fabriqués à partir d’éclats de silex ou de gros blocs, mais ceux-ci sont en général plus rares.
Lors de la fouille d’une occupation rubanée, on retrouve, en plus des outils en silex, un grand nombre de déchets de taille. Ils se présentent sous forme d’éclats, de blocs, mais aussi de déchets typiques liés à la méthode de débitage utilisée (flancs, tablettes et lames à crêtes). Les fouilles d’ateliers de débitage et le remontage des déchets, tel un puzzle, ont permis de comprendre exactement comment procédaient les tailleurs de silex rubanés.
Les variétés de silex utilisées permettent aux archéologues de comprendre où les rubanés se sont approvisionnés en matières premières, s’ils ont échangé des objets avec des groupes différents et donc s’il existe des réseaux de communication à longue distance entre les régions d’implantations néolithiques en Europe.
L’habitat
L’habitat rubané est souvent situé sur des grandes terres agricoles d’Europe centrale(environ 12 000 sites), sur des terrains plats, des lœss et près des cours d’eau. Les rubanés ne s’installent jamais en hauteur ; les sites se trouvent à 400 mètres d’altitude au maximum. Ces populations choisissent de s’installer dans des zones non-inondables avec un environnement varié. Ils iront par la suite bâtir un autre village quelques kilomètres plus loin, et les relations entre villages resteront actives. La plupart des sites se trouvent juste en dessous de la terre végétale ce qui les rend archéologiquement faciles à trouver.
Les maisons de ces agriculteurs sédentaires sont bien connues par les fouilles de sites tels que celui de Cuiry-lès-Chaudardes dans le département français de l’Aisne, l’un des seuls qui ait été entièrement fouillé, le site de Bylanyen République tchèque et le site de Langweiler (commune de Aldenhoven) en Allemagne.
Elles sont rectangulaires ou trapézoïdales1 et ont une longueur comprise entre 10 et 47 mètres ; la taille dépend de la fonction du bâtiment. Les maisons sont bâties à partir de cinq rangées intérieures de trois poteaux de vingt à cinquante centimètres de diamètre appelés « tierces » allant d’un long côté à l’autre, alignés sur trois files allant d’un petit côté à l’autre, soit quatre nefs. Systématiquement deux tierces resserrées appelées « couloir » sont présentes vers le milieu de la maison. Leur utilité est inconnue mais il pourrait s’agir d’une séparation symbolique arrière/avant de la maison, comme on en trouve dans de nombreuses cultures.
Il existe parfois un doublement des poteaux dans la partie frontale des maisons : il pourrait s’agir d’un renforcement des poteaux porteurs pour soutenir un étage servant de grenier. Les maisons comportent plusieurs pièces. Elles ont des murs en clayonnage recouverts de torchis et sont recouvertes par un toit pentu de paille. Plusieurs familles pouvaient y habiter. L’orientation des maisons n’est pas aléatoire : en Europe de l’Est, elles sont orientés nord-sud, et plus on va vers l’ouest plus les maisons s’orientent progressivement est-ouest. Cette orientation est peut être due à la direction des vents ; il pourrait même s’agir d’une orientation symbolique car il est dans le sens exact de la colonisation néolithique (et les sépultures sont orientés de la même façon).
Dans les villages rubanés, de nombreuses fosses sont présentes et relèvent de deux systèmes : les fosses latérales qui longent les bâtiments (en France notamment) et les fosses isolées à environ 25 mètres des maisons (surtout en Allemagne). La fonction primaire de ces fosses est l’utilisation de la terre creusée en torchis pour construire les murs des maisons, puis les fosses sont utilisées comme dépotoir pour les déchets alimentaires (os), les silex dont on n’a plus besoin et les céramiques inutilisables (ce qui a permis de nous renseigner sur l’alimentation et la culture céramique des habitants). Les concentrations d’objets à des endroits particuliers des fosses nous permet aussi de nous renseigner sur les ouvertures éventuelles des maisons, des différentes fonctions de chaque parties des maisons. Des foyers culinaires étaient probablement présents à l’entrée des maisons, comme en témoigne la concentration d’os brûlés trouvés dans les fosses à ce niveau. Les fosses renseignent également sur les règles de voisinages : lorsqu’il y a deux maisons côte-à-côte, les déchets sont rejetés de l’autre côté.
Les superficies des villages peuvent aller de 1 à 30 hectares ; leur taille dépend de la durée d’occupation du site et de l’environnement, donc des ressources disponibles. La plupart des villages importants comportent plusieurs phases d’habitats définis par la contemporanéité des constructions et l’évolution du décor céramique. Ces phases d’habitats sont souvent séparées par les phases d’abandons du site qui durent en général plus longtemps. À titre d’exemple, le site de Bylany qui a été habité de 5500 à 5000 ans av. J.-C. environ s’étend sur 10 hectares, avec approximativement 140 maisons pour chacune des 20 phases d’habitats (chaque phase d’habitat dure environ 15 ans pour ce site particulier).
L’alimentation
L’étude archéozoologique des restes d’ossements animaux contenus dans les fosses permet d’obtenir des informations relatives à l’alimentation des populations rubanées : 82 % des animaux consommés sont des animaux domestiques. Les rubanés privilégiaient les bovins, puis le mouton, la chèvre et le porc. Pour les 18 % restants, il s’agit d’animaux sauvages chassés, en particulier le sanglier, puis le cerf, le chevreuil et l’aurochs. Les autres animaux chassés sont beaucoup plus rares : il s’agissait peut-être de chasses de prestige ou destinées à l’acquisition de fourrure.
Des informations sur l’agriculture des rubanés sont également fournies par l’étude des graines calcinées trouvées sur les sites. On trouve deux variantes de blé, l’orge, des petits pois et des lentilles.
Pratiques funéraires
Le site d’Alterhofen en Bavière a livré un cimetière du Rubané. On y a pratiqué l’incinération mais l’inhumation y est beaucoup plus fréquente. Les sépultures sont presque toutes individuelles et peu profondes et les corps sont placés en position fœtale le plus souvent. La tête est orientée à l’est avec le regard vers le sud. Les défunts étaient sans doute enterrés avec leurs vêtements ; on y trouve des objets de parure, quelques outils en pierre et en os, de la céramique, des lames d’herminettes et des petites flèches en silex chez les hommes. Les sépultures de femmes contiennent des objets de parure en coquillage (de Méditerranée, et particulièrement de la mer Égée, ce qui témoigne de contacts et relations d’échanges lointains).
Les pointes de flèches et les lames sont présentes uniquement dans les sépultures masculines. Les activités de chasses et de coupe de bois étaient donc sûrement réservées aux hommes. Si ce n’est cette différence entre les sépultures de sexes opposés, rien n’indique de grandes différences de richesse entre individus. Il s’agissait donc d’une société plus ou moins égalitaire sans hiérarchisation nette.
En France septentrionale, les sépultures se trouvent surtout dans les villages. Certaines sont proches des fosses des maisons, en particulier les sépultures d’enfants, alors que d’autres, bien que dans les villages, ne sont pas particulièrement associées à une maison. On trouve parfois des regroupements de sépultures. Compte tenu du faible nombre de sépultures mises au jour en rapport à la population estimée, il se peut que les défunts n’aient pas été systématiquement enterrés et qu’une certaine sélection ait pu s’opérer.
Cannibalisme
Le site néolithique rubané d’Herxheim, proche de Spire, en Allemagne, a livré plusieurs dizaines de milliers de fragments d’ossements humains, correspondant à environ un millier d’individus décédés sur une cinquantaine d’années, autour de 5 000 ans avant notre ère. En 2008, Bruno Boulestin2, du laboratoire d’anthropologie des populations du passé de l’université Bordeaux 1, a examiné les fragments provenant de l’une des fosses constituant le fossé d’enceinte : « Les preuves directes de cannibalisme sont impossibles à établir. Mais, ici, nous avons des gestes répétitifs, systématiques, qui concourent à faire penser que les cadavres ont été consommés, […]. Les traces de cassures, d’incisions, de raclage, de mâchement, indiquent que les corps ont été démembrés, les tendons et les ligaments sectionnés, les chairs arrachées, les os rompus. Les vertèbres ont été découpées pour détacher les côtes, comme on le pratique en boucherie pour la « levée d’échine ». Les calottes crâniennes ont été découpées pour en extraire la cervelle. […] Les ossements les plus riches en tissus spongieux et en moelle, vertèbres et os courts, sont sous-représentés, signe qu’ils ont été prélevés »3.
À ce stade des recherches, deux hypothèses sont avancées pour expliquer cette pratique : soit il s’agit d’un cannibalisme guerrier, supposant la possibilité de raids sur des distances de plus de 400 km (les céramiques accompagnant les dépôts humains ont des origines diverses et parfois très lointaines), soit « des populations rubanées seraient venues volontairement de toute la région, avec des prisonniers et leurs céramiques, pour participer à des cérémonies sacrificielles, des bacchanalessanglantes ». Cette hypothèse reste néanmoins à confirmer, car si l’origine des consommés a pu être établie, puisque leurs restes sont disponibles à l’identification, l’identité des consommateurs n’a pas pu l’être. À cette époque, la culture des Rubanés connaît une crise profonde, qui va entraîner sa disparition, observe Mme Zeeb-Lanz. Peut-être espéraient-ils conjurer la fin de leur monde par un cérémonial dont le cannibalisme n’était qu’un élément3.
Les origines ethniques des Rubanés
La culture de la céramique rubanée présente à la fois de nombreux éléments qui la relient aux cultures néolithiques plus anciennes des Balkans (notamment la culture de Starčevo) et d’Anatolie, une très forte discontinuité vis-à-vis des cultures de chasseurs-cueilleurs qui la précédaient, mais aussi un certain nombre de singularités propres, de ce fait ses origines ont longtemps été débattues et ont fait l’objet de multiples théories. Depuis longtemps il est considéré que l’essentiel des techniques néolithiques propres à la culture rubanée est originaire du Proche-Orient en passant par les Balkans, mais la question de savoir s’il y a eu migration de population ou simple diffusion culturelle a toujours été l’objet d’âpres débats. Les développements récents de la génétique ont permis de résoudre enfin en grande partie la question, tout en apportant une toute nouvelle compréhension de l’histoire du peuplement de l’Europe.
Génétique
Les études fondées sur l’ADN ancien, issu de restes humains datant du Néolithique, se sont développées à partir des années 2000, grâce à d’importants progrès dans l’extraction, le séquençage et l’analyse de l’ADN ancien très fragmenté et altéré. C’est d’abord l’ADN mitochondrial qui est le plus souvent étudié dans un premier temps, et plus rarement l’ADN du chromosome Y qui sera ensuite extrait, le but dans les deux cas est de déterminer les haplogroupes d’un certain nombre d’individus anciens de diverses cultures archéologiques pour les comparer entre elles et aux populations actuelles, et ainsi tenter de déterminer l’histoire du peuplement de l’Europe. Mais ces portions infimes de l’ADN étant relativement isolées du reste du génome et sujettes à la dérive génétique et aux effets fondateurs, l’interprétation reste délicate, chaque marqueur ayant sa propre histoire généalogique. Les études génétiques de ces années apportent des interprétations diverses et souvent contradictoires entre elles4. La synthèse de ces données 5,6 permettait alors de mettre en évidence l’existence d’une importante discontinuité génétique entre le Mésolithique et le Néolithique dans l’ensemble de l’Europe, interprétée comme l’effet d’importants mouvements de population lors de la néolithisation de l’Europe, probablement en provenance d’une ancienne population du Proche-Orient, mais il y a aussi une importante discontinuité génétique entre la population du Néolithique et la population européenne actuelle. Pour la culture rubanée c’est Wolfgang Haak qui a mené deux études sur l’ADN mitochondrial en 2005 et 2010: sur les 24 individus étudiés en 2005, 18 avaient des haplogroupes mitochondriaux encore fréquents aujourd’hui en Europe (H ou V, T, K, J et U3) et 6 avaient un haplogroupe aujourd’hui rare (N1a), l’étude de 2010 a apporté 3 haplogroupes du chromosome Y (deux exemplaires de G2a et un de F).
Les années 2010 connaissent une révolution des études génétiques sur l’ADN ancien, puisque le séquençage de l’ADN autosomal est désormais accessible pour l’archéologie. L’ADN autosomal(c’est-à-dire la quasi totalité du génome humain) permet enfin de mesurer précisément le degré de parenté génétique des populations entre elles, anciennes ou actuelles, ce qui permet de déterminer l’histoire des migrations humaines. La principale limite pour l’interprétation est cependant le manque de référentiel du fait du nombre encore limité de génomes anciens séquencés et les grandes lacunes qui persistent alors, mais qui se comblent peu à peu par l’apport de nouveaux échantillons.
Entre 2010 et 2012 le génome d’Ötzi, l' »Homme des glaces » découvert congelé dans un glacier des Alpes, vieux de 5300 ans c’est-à-dire de la fin du Néolithique européen, est le premier génome ancien d’Europe entièrement séquencé, il a alors révélé pour la première fois la grande parenté entre la population européenne ancienne du Néolithique et les populations actuelles du sud-ouest de l’Europe et en particulier la Sardaigne, qui semble être restée un refuge actuel où l’ancienne population du Néolithique européen a perduré jusqu’à nos jours. Son haplogroupe Y G2a confirme également cette parenté, cet haplogroupe aujourd’hui minoritaire en Europe avait déjà été précédemment trouvé comme le plus fréquent à l’époque du Néolithique européen, il est de nos jours encore fréquent en Corse et en Sardaigne7,4.
Ensuite d’autres génomes anciens de diverses cultures archéologiques, issus de nombreuses régions d’Europe et de périodes différentes, seront peu à peu séquencés, permettant d’avoir un entr’aperçu de plus en plus affiné de l’histoire du peuplement de l’Europe au Néolithique. La principale découverte en ce qui concerne le mouvement de néolithisation est alors que tous les échantillons issus de fermiers européens du Néolithique ancien et moyen, que ce soit en Hongrie (culture de Starčevo), en Allemagne (culture rubanée), en Espagne (culture cardialeet dérivés) ou encore en Suède (culture des vases à entonnoir), entre autres, semblent tous être très semblables génétiquement entre eux et très semblables à Ötzi, et forment une seule et même population génétique (cluster) baptisée EEF (pour Early Europeans Farmers)8,9, qui est étonnamment semblable à la population de la Sardaigne actuelle, et dans une moindre mesure très proche de toute l’Europe du Sud-ouest actuelle. Cette population est bien distincte des anciens chasseurs-cueilleurs mésolithiques, ces derniers ont d’ailleurs persisté un moment à leurs côtés. Dans un premier temps cette population EEF était perçue comme étant issue d’un mélange éventuellement complexe entre les anciens chasseurs-cueilleurs mésolithiques autochtones, divers, et une ancienne population d’agriculteurs initiaux originaires du Proche-Orient, mais la principale faiblesse de cette interprétation résidait dans l’absence totale d’ADN ancien issu du Néolithique du Proche-Orient lui-même, afin de comparer.
De même il existe une discontinuité partielle entre cette population du Néolithique et la population actuelle de l’Europe, attribuée principalement à l’arrivée des Indo-européensvenus des steppes d’Europe de l’Est, durant les âges des métaux, et qui se sont mélangés à cette population du Néolithique pour donner les Européens actuels. Le mélange indo-européen est beaucoup plus important en Europe du Nord tandis que l’Europe du Sud, surtout du sud-ouest, est restée plus proche de l’ancienne population du Néolithique.
En 2015, grâce à l’augmentation du nombre d’échantillons disponibles permettant de plus fines comparaisons, Olalde et al.10 ont pu déterminer que les anciens fermiers néolithiques européens étaient en réalité une population très homogène, et que, comme cela avait déjà été seulement supposé auparavant, les deux grands courants de néolithisation de l’Europe, le courant danubien (la culture rubanée) et le courant méditerranéen (la culture cardiale), sont en réalité le fait d’une seule et unique population colonisatrice issue d’une seule et même source commune qui à conquis la majeure partie de l’Europe presque sans mélange avec les chasseurs-cueilleurs rencontrés sur le chemin, même longtemps après la séparation des deux courants. On a pu ainsi déterminer que, si mélange conséquent il y aurait eu avec les anciens chasseurs-cueilleurs, celui-ci aurait alors plutôt eu lieu dans les Balkans, en amont de la séparation des deux grands courants, de sorte que les deux courants sont issus du même mélange génétique de départ.
Cependant il manquait encore une pièce majeure au dossier: des échantillons du Proche-Orient ancien pour vérifier l’origine des agriculteurs initiaux arrivés dans les Balkans et pour comparer et estimer la proportion de leur mélange avec les chasseurs-cueilleurs européens s’il a eu lieu. Ce n’est qu’en fin 2015 que les premiers échantillons du Néolithique du Proche-orient sont enfin disponibles11,12, plus précisément d’Anatolie. Avec surprise ceux-ci montrent une différence génétique très marquée vis-à-vis de la population actuelle du Proche-Orient, cette dernière est donc issue de migrations et d’importants remplacements de population plus récents dans cette région du monde. La population ancienne du Néolithique d’Anatolie était en revanche plus proche des Européens actuels, elle était surtout très étroitement apparentée aux anciens fermiers européens du Néolithique (les EEF, notamment l’échantillon « Stuttgart » de la culture rubanée qui sert de référence) qui étaient très semblables aux actuels Sardes. Cela confirme par ailleurs l’origine orientale des EEF. À leur entrée en Europe ces premiers agriculteurs n’ont connu en fait qu’un mélange très limité (7 à 11 %) avec les chasseurs-cueilleurs européens avant de coloniser une grande partie de l’Europe.
Un document publié en 2007 par Burger et al.13indiquait que la variance génétique qui provoque la persistance de la lactase chez la plupart des Européens (-13,910*T) était rare ou absente chez les premiers agriculteurs d’Europe centrale. Une étude publiée par Yuval Itan et collègues en 201014 démontre clairement ce fait. Une étude publiée en 2009, aussi par Itan et al.15, suggère que la culture rubanée, qui précède la culture des vases à entonnoir de quelque 1 500 ans, était la culture dans laquelle ce trait a commencé à coévoluer avec la culture de production laitière.
Notes et références
↑Marcel Otte et al., La Protohistoire, De Boeck, 2008, p. 82.
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↑(en) J. Burger, M. Kirchner, B. Bramanti, W. Haak, M. G. Thomas (2007) Absence of the Lactase-Persistence associated allele in early Neolithic Europeans. Proceedings of the National Academy of Science États-Unis 104: p. 3736-3741,[1] [archive]
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Milon était probablement issu d’une très bonne famille de Crotone1.
Milon obtint son premier titre olympique de lutteen 540 av. J.-C. dans l’épreuve réservée aux jeunes garçons lors des 60ejeux olympiques. Il fut à nouveau couronné, cinq ou six fois de suite dans les épreuves des adultes de 536 à 520 voire 516 av. J.-C.1. Il fut quatre fois consécutives « periodonikès » : vainqueur aux quatre concours pentétériques lors des quatre ans d’une même olympiade2. Il arriva que lors d’une compétition, aucun adversaire ne se présentât pour lutter contre lui : il était alors proclamé vainqueur par défaut2.
Il fut finalement vaincu par son compatriote Timasithéos de Crotone lors des 67e jeux en 512 av. J.-C. Ce dernier réussit à l’épuiser en refusant le contact3.
Sa force légendaire servit à sa cité dans son affrontement contre sa rivale Sybaris. Milon aurait mené à la victoire une troupe pourtant trois fois moins nombreuse, vêtu d’une peau de lion et armé d’un gourdin pour rappeler Héraclès1.
Il est considéré par certains auteurs comme disciple de Pythagore dont il aurait épousé la fille Myia. Le médecin Démocédès serait son gendre1.
Légende
Milon est devenu légendaire en raison de sa force extraordinaire.
Lors d’une de ses victoires olympiques par défaut, Milon, en allant chercher sa couronne, aurait glissé et serait tombé. Des spectateurs auraient crié qu’il avait dès lors perdu. Milon se serait tourné vers la foule pour rappeler que le règlement précisait que les deux épaules devaient toucher trois fois le sol et qu’elles n’avaient touché qu’une fois. Il invitait donc n’importe quel spectateur à venir lui mettre les épaules à terre deux fois supplémentaires. Le public se serait alors tu2.
Il aurait mangé en une seule fois vingt livres (ou vingt mines) de viande, autant de pain et quinze pintes de vin suffisaient à peine à le rassasier. Un jour, ayant parcouru toute la longueur d’un stade, portant sur ses épaules un taureau de trois (ou quatre ans), il l’assomma d’un coup de poing, et le mangea tout entier dans la journée1. Cependant, sa gloutonnerie devint aussi un des aspects récurrents dans ses biographies, servant à justifier sa déchéance finale1.
Il aurait régulièrement apporté lui-même sur l’Altis, sur son dos, la statue commémorant sa victoire olympique1.
Il aurait commencé sa carrière en portant sur ses épaules chaque jour un jeune veau. Le veau étant devenu adulte, il continuait à le soulever aisément, cet entraînement légendaire étant à l’origine du proverbe grec « qui l’a bien porté veau peut le porter taureau »4.
D’après Pline l’Ancien, il aurait toujours emporté avec lui des gastrolithes de coq (cailloux que l’animal conserve dans son gésier pour faciliter la digestion) : il aurait considéré que cela lui portait chance1,2.
Il aurait tenu une grenade dans sa main, et, par la seule application de ses doigts, sans écraser ni presser ce fruit, il la tenait si bien que personne ne pouvait la lui arracher2,5.
Il aurait mis le pied sur un disque graissé d’huile, et par conséquent très glissant ; cependant, quelque effort que l’on fît, il n’était pas possible de l’ébranler, ni de lui faire lâcher pied2.
Il se serait ceint la tête d’une corde, en guise de ruban ; puis retenait sa respiration : dans cet état violent, le sang se portant au front lui enflait tellement les veines, que la corde rompait2,5.
Il se serait tenu le bras droit dans le dos, la main ouverte, le pouce levé, les doigts joints, et alors nul homme n’eût pu lui séparer le petit doigt d’avec les autres ; ou à l’inverse, le petit doigt écarté, il demandait qu’on essayât de le rapprocher des autres, sans succès2.
Il eut une occasion de faire un usage de ses forces. Un jour qu’il écoutait les leçons de Pythagore, le plafond de la salle où l’auditoire était assemblé menaçant de s’effondrer, il le soutint lui seul, donna aux auditeurs le temps de se retirer et se sauva après eux. La confiance qu’il avait en ses forces finit par lui être fatale.
La postérité le tient pour le meilleur athlète (au sens de combattant) de l’Antiquité, devançant, dans le quatuor canonique des champions : Théagène de Thasos, le premier à s’être imposé dans deux disciplines différentes (pugilat et pancrace) ; Glaucos de Carystos, le gigantesque boxeur ; et Polydamas de Scotoussa, le pancratiaste, appelé « l’homme le plus grand ayant jamais vécu » par l’auteur Pausanias le Périégète.
Mort
Selon la légende, Milon, parvenu à un âge avancé, traversait l’Italie et, ayant trouvé en chemin un vieux chêne abattu et entrouvert, il entreprit d’achever de le fendre avec ses mains ; mais l’arbre retrouva son état d’origine, et l’athlète n’ayant pas eu le temps de retirer ses doigts, resta finalement prisonnier de l’arbre, ses mains étant prises comme dans un étau : il ne put se dégager, et, incapable de se défendre, il fut dévoré par des loups6,1.
En réalité, il est probablement mort dans l’incendie criminel de sa maison où les principaux chefs du parti pythagoricien étaient alors réunis, lors d’une guerre civile à Crotone, dominée par l’hétairie des Pythagoriciens7.
Dans un tableau réalisé vers 1535 par le Pordenone (Milon dévoré par le lion, University of Chicago), l’artiste a remplacé les loups par des fauves africains. Cette fantaisie artistique se retrouve, un siècle et demi plus tard, dans le célèbre groupe de marbre de Pierre Pugetconservé au Louvre : Milon de Crotone (1682).
Philippe Malgouyres, Le bouclier avec Milon de Crotone d’Antonio del Pollaiuolo, Éditions du Louvre, coll. « SOLO », (ISBN978-2-7572-1026-0).
(en) David Matz, Greek and Roman Sport : A Dictionnary of Athletes and Events from the Eighth Century B. C. to the Third Century A. D., Jefferson et Londres, McFarland & Company, , 169 p. (ISBN0-89950-558-9).
(it) Luigi Moretti, « Olympionikai, i vincitori negli antichi agoni olimpici », Atti della Accademia Nazionale dei Lincei, vol. VIII, , p. 55-199.
Milo of Croton (/ˈmaɪloʊ/; Greek: Μίλων, Mílōn; gen.: Μίλωνος, Mílōnos) was a 6th-century BC wrestler from the Magna Graecian city of Croton, who enjoyed a brilliant wrestling career and won many victories in the most important athletic festivals of ancient Greece.[1][2][3] In addition to his athletic victories, Milo is credited by the ancient commentator Diodorus Siculuswith leading his fellow citizens to military triumph over neighboring Sybaris in 510 BC.
Milo was also said to have carried a bull on his shoulders, and to have burst a band about his brow by simply inflating the veins of his temples.
Milo was a six-time Olympic victor. He won the boys’ wrestling (probably in 540 BC),[4] and thereafter five men’s wrestling titles between 536 and 520 BCE.[1][2][3] He also won seven crowns at the Pythian Games at Delphi (one as a boy), ten at the Isthmian Games, and nine at the Nemean Games.[2] Milo was a five-time Periodonikēs, a « grand slam » sort of title bestowed on the winner of all four festivals in the same cycle.[3] Milo’s career at the highest level of competition must have spanned 24 years.[2]
Milo was defeated (or tied) in his attempt at a seventh Olympic title in 516 BCE by a young wrestler from Croton who practiced the technique of akrocheirismos—literally, ‘highhandedness’ or wrestling at arm’s length—and by doing so, avoided Milo’s crushing embrace. Simple fatigue took its toll on Milo.[1][2][3]
Milo’s hometown had a reputation for producing excellent athletes. In the Olympiad of 576 BC, for example, the first seven finishers in the stade—a 200 yards (180 m) sprint—were all men of Croton. After Milo’s career, Croton apparently produced no other athletes of renown.[3]
Military experience
Giacobbe Giusti, MILON de Crotone
Heracles wearing a hero’s wreath, a lion-skin, and carrying a club. Milon appeared in similar dress at the battle between Croton and Sybaris in 510 BC. Detail of Herakles from Side A of the vase, « Herakles and the gathering of the Argonauts (aka « Herakles in Marathon »), Attic red-figure calyx-krater, 460–50 BCE, Louvre.
About 510 BC, hostilities arose between Croton and nearby Sybaris when Telys, a Sybarite tyrant, banished the 500 wealthiest citizens of Sybaris after seizing their property. When the displaced Sybarites sought refuge at Croton and Telys demanded their return, an opportunity for the Crotoniates to destroy a powerful neighbor presented itself.[5] In an account that appeared five hundred years after the event, Diodorus Siculus wrote that the philosopher Pythagoras, who spent much of his life at Croton, urged the Croton assembly to protect the banished citizens of Sybaris. When the decision to do so was made, the dispute between the two cities was aggravated, each took up arms, and Milo led the charge against Sybaris.[3][6]
According to Diodorus (XII, 9):
« One hundred thousand men of Croton were stationed with three hundred thousand Sybarite troops ranged against them. Milo the athlete led them and through his tremendous physical strength first turned the troops lined up against him. »
Diodorus indicates Milo led the charge against the Sybarites wearing his Olympic crowns, draped in a lionskin and brandishing a club in a manner similar to the mythic hero Heracles (see adjacent image).[1][2][3]
Personal life
According to Pausanias he was the son of Diotimus.[7] Ancient commentators mention an association between Milo and the philosopher Pythagoras, who lived at or near Croton for many years.[2] Commentators may have confused the philosopher with an athletic trainer, Pythagoras of Samos, but it is also possible the trainer and the philosopher were the same person.[8]
It was said Milo saved Pythagoras’s life when a pillar collapsed in a banquet hall and he supported the roof until Pythagoras could reach safety.[2] He may have married Myia, a Pythagorean herself or possibly Pythagoras’ daughter.[2][3]Diogenes Laertius(VIII, 39) says Pythagoras died in a fire in Milo’s house,[2] but Dicaearchus (as cited by Diogenes Laertius, VIII, 40) says Pythagoras died in the temple of the Muses at Metapontum of self-imposed starvation. Porphyry (Vita Pythagorae, 55) says Milo’s house at Croton was burned and the Pythagoreans within stoned.[9]
Herodotus (III, 137-38), who lived some years after Milo’s death, says the wrestler accepted a large sum of money from the distinguished physician Democedes for the privilege of marrying Milo’s daughter. If Herodotus is indeed correct, then Milo was probably not a member of Croton’s nobility for such an arrangement with a wage-earning physician would have been beneath the dignity of a Greek noble.[2]Democedes was a native of Croton and enjoyed a successful career as a physician at Croton, Aegina, Athens, and Samos. He was captured by Darius in the defeat of the Samian tyrant Polycrates and taken to the Persian capital of Susa as a slave. There, he carefully tended both the king and queen and was eventually permitted to revisit Croton, but under guard. He escaped his Persian guards and made his way to Croton, where he married Milo’s daughter. The physician sent a message regarding his marriage to Darius, who was an admirer of the wrestler and can only have learned of him through Democedes during his slavery at Susa.[10]
Cultural representations
Place of champions in Greek culture
Like the tragic protagonists of Greek drama, the Greek athlete had a « larger than life » quality. At Olympia, for example, they were set apart from the general population for lengthy training periods and the observation of a complex series of prohibitions that included abstinence from intercourse. Once training was completed and the athletes were brought before their fellow citizens trim, fit, nude and shimmering with oil, they must have appeared semi-divine.[11]
The reverential awe in which athletes were held in Greece led to exaggeration in the tales surrounding their lives. In Milo’s case, Aristotle (Ethica Nichomachea, II, 6 = 1106b) began the myth-making process with reports likening Milo unto Heracles in his enormous appetite, and Athenaeus (X, 412e-f) continued the process with the story of Milo carrying a bull—a feat also associated with Heracles. It is Milo’s sudden death which makes him most akin to the heroes: there is a hint of hubris in his attempt to rend the tree asunder, and striking contrast between his glorious athletic achievements and his sudden ignoble death.[11]
Feats of strength
Anecdotes about Milo’s almost superhuman strength and lifestyle abound. His daily diet allegedly consisted of 9 kg (20 lbs) of meat, 9 kg (20 lbs) of bread, and 10 litres (18 pt) of wine.[3]Pliny the Elder (XXXVII, 54 = 144) and Solinus (De mirabilibus mundi, 77) both attribute Milo’s invincibility in competition to the wrestler’s consumption of alectoriae, the gizzard stones of roosters.[2][12] Legends say he carried his own bronze statue to its place at Olympia, and once carried a four-year-old bull on his shoulders before slaughtering, roasting, and devouring it in one day.[2][3] He was said to have achieved the feat of lifting the bull by starting in childhood, lifting and carrying a newborn calf and repeating the feat daily as it grew to maturity.[13][14]
One report says the wrestler was able to hold a pomegranate without damaging it while challengers tried to pry his fingers from it, and another report says he could burst a band fastened around his brow by inhaling air and causing the temple veins to swell. He was said to maintain his footing on an oiled discus while others tried to push him from it.[2][3][15] These feats have been attributed to misinterpretations of statues depicting Milo with his head bound in victor’s ribbons, his hand holding the apple of victory, and his feet positioned on a round disc that would have been fitted into a pedestal or base.[3]
When he participated in the Olympics for the seventh time and collided against a fellow, the eighteen year Timasiteo, who admired him as a child and where he also learned many moves, the final, his opponent bowed before they had even started fighting, in a sign of respect. This was the only case in the history of Greece when we remember the name of the man who finished second in a race / competition. For his exploits as a supporter of the Dameas erected a statue in the stadium of Olympia, where he was represented standing on a disc with their feet united.[citation needed]
While one report says Milo held his arm outstretched and challengers were unable to bend his fingers, another anecdote recorded by Claudius Aelianus (Varia historia, XII, 12) disputes Milo’s reputation for enormous strength. Apparently, Milo challenged a peasant named Titormus to a trial of strength. Titormus proclaimed he had little strength, but lifted a boulder to his shoulders, carried it several meters and dropped it. Milo was unable to lift it.[16]
Death
The Ancient Greeks typically attributed remarkable deaths to famous persons in keeping with their characters.[2] The date of Milo’s death is unknown, but according to Strabo (VI, 1, 12) and Pausanias (VI, 14, 8), Milo was walking in a forest when he came upon a tree-trunk split with wedges. In what was probably intended as a display of strength, Milo inserted his hands into the cleft to rend the tree. The wedges fell from the cleft, and the tree closed upon his hands, trapping him. Unable to free himself, the wrestler was devoured by wolves.[1][2][3] A modern historian has suggested it is more likely that Milo was traveling alone when attacked by wolves. Unable to escape, he was devoured and his remains found at the foot of a tree.[3]
Modern art and literature
Giacobbe Giusti, MILON de Crotone
Milo of Croton, Attempting to Test His Strength, Is Caught and Devoured by a Lion by Charles Meynier (1795). In art of this period he is often depicted being killed by a lion rather than wolves.
Milo’s legendary strength and death have become the subjects of modern art and literature. His death was a popular subject in 18th-century art. In many images of this period his killer is portrayed as a lion rather than wolves. In Pierre Puget‘s sculpture Milo of Croton (1682), the work’s themes are the loss of strength with age, and the ephemerality of glory as symbolized by an Olympic trophy lying in the dust.[17]
Étienne-Maurice Falconet‘s marble Milo of Croton(1754) secured his admission to the Académie des beaux-arts, but was later criticized for lack of nobility. The work clashed with the classical ideal requiring a dying hero to express stoic restraint.[18]
His death is also depicted in paintings. It is the subject of an eighteenth-century oil on canvas by Joseph-Benoît Suvée and a work by the eighteenth-century Irish painter James Barry.
In literature, François Rabelais compares Gargantua’s strength to that of Milo’s in Gargantua and Pantagruel, and Shakespeare refers anachronistically to « bull-bearing Milo » in Act 2 of Troilus and Cressida. In Emily Brontë‘s Wuthering Heights, character Catherine Earnshaw refers to the circumstances of Milo’s demise when she says, « Who is to separate us, pray? They’ll meet the fate of Milo! » In Johann Wyss‘ novel Swiss Family Robinson, the youngest son Franz is entrusted with a bull buffalo to raise, and from which gains comparison to Milo. Alexandre Dumas has the strongest of the Three Musketeers, Porthos, mention « Milo of Crotona » saying that he had replicated a list of his feats of strength – all except breaking a cord tied around the head, whereupon d’Artagnan tells Porthos that it is because his strength is not in his head (a joke about Porthos being a bit dim-witted).
Milon
Milon (auch Milon von Kroton, griechischΜίλωνMílōn, lateinisch Milo; * um 555 v. Chr.; † nach 510 v. Chr.) war ein griechischer Ringkämpfer und gehörte zu den berühmtesten Athleten der Antike. Er lebte in seiner Heimatstadt Kroton (heute Crotone in Kalabrien, Süditalien) und war ein Zeitgenosse und Anhänger des Philosophen Pythagoras von Samos. Außerdem war er ein erfolgreicher Heerführer.
Leben
Über Milons Herkunft ist nur der Name seines ansonsten unbekannten Vaters Diotimos überliefert. Er errang seinen ersten olympischen Sieg in seiner Disziplin, dem Ringkampf, unter den Knaben an den 60. Olympischen Spielen im Jahr 540 v. Chr.; daher ist seine Geburt um 555 v. Chr. anzusetzen. Sein erster olympischer Sieg unter den Männern war derjenige an den 62. Spielen (532 v. Chr.); im Zeitraum 532–516 v. Chr. siegte er fünfmal hintereinander. Somit war er insgesamt sechsfacher Sieger. Bei den Pythischen Spielen in Delphi, die ebenso wie die Olympischen Spiele alle vier Jahre veranstaltet wurden, siegte er siebenmal (das erste Mal als Knabe).[1] Bei den Isthmischen Spielen, die alle zwei Jahre abgehalten wurden, war er zehnmal siegreich und bei den ebenfalls alle zwei Jahre stattfindenden Nemeischen Spielen neunmal. Damit erhielt er sechsmal den Titel des Periodoniken, welcher einem Sportler verliehen wurde, wenn er in einem Vierjahreszyklus in allen vier Panhellenischen Spielen gesiegt hatte. Milon war der erste Periodonike, dessen Name überliefert ist, und der einzige sechsfache in der gesamten Antike. Zum siebenfachen Periodoniken fehlte ihm nur noch ein olympischer Sieg, doch als er im Jahre 512 v. Chr. zum siebten Mal in Olympia antrat, gelang es ihm nicht, den jüngeren Gegner Timasitheos von Kroton, der ihm geschickt auswich, zu fassen und zu werfen. Der Kampf scheint unentschieden geendet zu haben.[2]
Im Jahre 510 v. Chr. brach zwischen Kroton und Sybaris ein Krieg aus, nachdem die Krotoniaten sich geweigert hatten, Flüchtlinge aus Sybaris auszuliefern. Pythagoras, zu dessen Anhängern – den Pythagoreern – Milon zählte, lebte damals in Kroton und trat für eine harte Haltung gegenüber Sybaris ein. Die Krotoniaten übertrugen Milon das Amt des Feldherrn, woraus ersichtlich ist, dass er eine prominente politische Rolle spielte. Er errang einen entscheidenden Sieg, Sybaris wurde eingenommen und geplündert. Dies ist die letzte überlieferte Nachricht aus Milons Leben; wann er starb, ist unbekannt.
Noch lange nach Milons Tod war sein Haus die Versammlungsstätte der Pythagoreer von Kroton. Bei den antipythagoreischen Unruhen, die um die Mitte oder in der zweiten Hälfte des 5. Jahrhunderts ausbrachen, wurde das Haus niedergebrannt.[3]
Milon soll mit einer Tochter des Pythagoras namens Myia verheiratet gewesen sein. Er hatte eine Tochter, die den berühmten Arzt Demokedes heiratete, der Leibarzt des PerserkönigsDareios I.gewesen war und sich dann in Kroton niedergelassen hatte.
Legende und Wirklichkeit
Die Angaben der antiken Quellen über Milons Persönlichkeit gehen weit auseinander, und demgemäß ist auch das Milon-Bild in der Moderne widersprüchlich und teilweise von klischeehaften Vorstellungen geprägt. Aus glaubwürdigen Berichten geht hervor, dass er philosophische Interessen hatte und den führenden Kreisen seiner Heimatstadt angehörte; daraus lässt sich folgern, dass er vornehmer Herkunft war. Eine gegenteilige, legendenhafte Überlieferung lässt ihn als dummen Kraftprotz und Vielfraß erscheinen, der schließlich seiner Torheit und Maßlosigkeit zum Opfer fiel; dazu passt die Vorstellung, dass er ein Emporkömmling war. In einem Teil der zahlreichen Anekdoten der Milon-Legende und in späten Quellen wird er zum Muster eines negativ bewerteten Schwerathleten, dessen einseitige Entwicklung und Betonung körperlicher Fähigkeiten ihn zu einer staunenswerten, aber im Grunde lächerlichen Gestalt macht.[4]
Ein Bericht, wonach sich Milon den legendären Helden Herakles zum Vorbild nahm und demgemäß mit Löwenfell und Keule in die Schlacht zog, spiegelt wohl sein tatsächliches Selbstbild. Erst in später, verzerrender Darstellung wurde daraus das Klischee eines rein körperorientierten Kraftmenschen ohne geistige Gaben. Die Anekdoten um Milon entsprangen wohl ursprünglich dem Staunen über seine einzigartigen Erfolge und wurden später maßlos übersteigert, phantasievoll ausgeschmückt und ins Negative gewendet. Hintergrund war eine generell negative Beurteilung des Leistungssports in Philosophen- und Ärztekreisen.[5] Unter anderem wurden folgende Geschichten erzählt:[6]
Er pflegte regelmäßig ein Kalb auf seinen Schultern zu tragen und konnte es dank dieses Trainings noch stemmen, als es zum Stier herangewachsen war.[7]
Er hob einen vierjährigen Stier auf seine Schultern und trug ihn durch das Stadion von Olympia. Anschließend schlachtete und verzehrte er ihn an einem einzigen Tag.
Einen Granatapfel, den er in der Hand hielt, konnte ihm niemand entwinden, und die Frucht blieb dabei unbeschädigt.
Wenn er sich auf einen eingeölten Diskos stellte, konnte niemand ihn hinunterstoßen.
Er brachte eine um seinen Kopf gebundene Darmsaite zum Platzen, indem er den Atem anhielt und die Stirnadern anschwellen ließ.
Als während einer gemeinsamen Mahlzeit eine der Säulen des Hauses brach, stützte er die stürzenden Balken, bis alle Anwesenden sich gerettet hatten.
Er aß täglich 17 Pfund Fleisch, 17 Pfund Brot und trank rund 10 Liter Wein.
Er trug seine eigene Siegerstatue in die Altis, den heiligen Hain von Olympia.
Er verlor sein Leben beim Versuch, im Wald einen gespaltenen Baumstamm, der mit Keilen auseinandergespreizt war, auseinanderzureißen. Nachdem er die Keile entfernt hatte, wurde er eingeklemmt, konnte sich nicht mehr befreien und wurde dann von Wölfen gefressen.
Gegen die Annahme niederer Herkunft, mangelnder Bildung und geringer Intelligenz sprechen folgende Argumente:
Einer von Herodot erzählten Legende zufolge rühmte sich Demokedes gegenüber dem Perserkönig seiner Heirat mit Milons Tochter. Das wäre sinnlos gewesen, wenn Milon aus niederen Verhältnissen gestammt hätte, denn sportlicher Erfolg hätte einen solchen Makel nicht kompensiert und die Mitteilung hätte den König nicht beeindrucken können. Auch wenn diese Nachricht historisch nicht stimmt, lässt sie doch erkennen, dass die Heirat mit Milons Tochter für den berühmten Arzt einen sozialen Aufstieg bedeutete.[8]
Die Pythagoreer, zu denen Milon gehörte, standen den führenden Familien Krotons nahe; sie pflegten religiös-philosophische Bildung und hätten einen ungebildeten Menschen ohne entsprechende Neigungen und Fähigkeiten kaum aufgenommen.
Der Umstand, dass die Krotoniaten in einem überlebenswichtigen Krieg Milon das Kommando anvertrauten, lässt erkennen, dass seine Mitbürger seine geistigen Fähigkeiten hoch einschätzten.[9]
Soweit die Quellen Rückschlüsse auf die soziale Herkunft der Athleten im 6. Jahrhundert ermöglichen, zeigt sich, dass die Teilnahme an den Olympischen Spielen auf die Aristokratie beschränkt war.[10]
Im Jahre 1682 schuf der französische Bildhauer Pierre Pugeteine Darstellung der Legende von Milons Tod im Wald („Milon mit dem Löwen kämpfend“, heute im Louvre). Im 18. Jahrhundert entstand eine Milon-Statue von Johann Gottfried Knöffler im Großen Garten in Dresden und eine von Etienne-Maurice Falconet (heute im Louvre). 1777 fertigte Johann Heinrich Dannecker einen sterbenden Milon aus Gips an, 1784 gestaltete Alexander Trippel dasselbe Thema. Goethe kritisierte solche bildhauerischen Bemühungen heftig, da er das Thema abstoßend fand.[11]
Literatur
Valérie Visa-Ondarçuhu: Milon de Crotone, personnage exemplaire. In: Alain Billault (Hrsg.): Héros et voyageurs grecs dans l’Occident romain. Éditions de Boccard, Paris 1997, ISBN 2-904-974-14-8, S. 33–62.
Anmerkungen
Hochspringen↑Eine andere Überlieferung gibt sechs Siege an, doch waren es wahrscheinlich sieben; siehe Joachim Ebert: Griechische Epigramme auf Sieger an gymnischen und hippischen Agonen, Berlin 1972, S. 182.
Hochspringen↑Joachim Ebert: Griechische Epigramme auf Sieger an gymnischen und hippischen Agonen, Berlin 1972, S. 182 f.; Wolfgang Decker: Sport in der griechischen Antike, München 1995, S. 132.
Hochspringen↑Kurt von Fritz: Pythagorean Politics in Southern Italy, New York 1940, S. 88. Anders urteilt Domenico Musti: Le rivolte antipitagoriche e la concezione pitagorica del tempo, in: Quaderni Urbinati di cultura classica, Nuova Serie, Bd. 36 Nr. 3, 1990, S. 35–65, hier: 43 ff., 60. Musti meint, die Erwähnung von Milons Haus deute auf eine gewaltsame Auseinandersetzung noch zu dessen Lebzeiten.
Hochspringen↑Augusta Hönle: Olympia in der Politik der griechischen Staatenwelt, Bebenhausen 1972, S. 82–84; Valérie Visa-Ondarçuhu: Milon de Crotone, personnage exemplaire. In: Alain Billault (Hrsg.): Héros et voyageurs grecs dans l’Occident romain, Paris 1997, S. 33–62, hier: 50–52, 56–62.
Hochspringen↑Christian Mann: Athlet und Polis im archaischen und frühklassischen Griechenland, Göttingen 2001, S. 176 f.; Michael Poliakoff: Kampfsport in der Antike, Zürich 1989, S. 128 ff., 243.
Hochspringen↑Die Belege sind zusammengestellt und ins Französische übersetzt bei Valérie Visa-Ondarçuhu: Milon de Crotone, personnage exemplaire. In: Alain Billault (Hrsg.): Héros et voyageurs grecs dans l’Occident romain, Paris 1997, S. 33–62, hier: 45–62 .
Hochspringen↑Christian Mann: Athlet und Polis im archaischen und frühklassischen Griechenland, Göttingen 2001, S. 175; Domenico Musti: Le rivolte antipitagoriche e la concezione pitagorica del tempo, in: Quaderni Urbinati di cultura classica, Nuova Serie, Bd. 36 Nr. 3, 1990, S. 35–65, hier: 44.
Hochspringen↑Joachim Ebert: Griechische Epigramme auf Sieger an gymnischen und hippischen Agonen, Berlin 1972, S. 183.
Hochspringen↑Christian Mann: Athlet und Polis im archaischen und frühklassischen Griechenland, Göttingen 2001, S. 36 f., 175.
Hochspringen↑Martin Dönike: Pathos, Ausdruck und Bewegung, Berlin 2005, S. 114.
Bust of Antinoüs (117–138 CE) known as the Antinoüs of Ecouen. Marble, 18th century copy from an original coming from the villa Adriana, now in the Prado Museum
Antinous as Osiris, wearing the nemes and the uraeus; the nose, mouth, left part of the face and major part of the bust are modern restorations. From the villa of Hadrian in Tivoli.
Hadrian was born Publius Aelius Hadrianus into a Hispano-Romanfamily. Although Italica near Santiponce(in modern-day Spain) is often considered his birthplace, [1] his actual place of birth remains uncertain. It is generally accepted that he came from a family with centuries-old roots in Hispania.[2] His predecessor, Trajan, was a maternal cousin of Hadrian’s father.[3] Trajan did not officially designate an heir during his lifetime, but his friend and adviser Licinius Surawas well disposed towards Hadrian; Trajan’s wife, Pompeia Plotina, claimed that her husband nominated Hadrian as emperor immediately before his death.[4] Soon after his succession, four leading senators who had opposed Hadrian were unlawfully put to death. The senate never forgave Hadrian for this.
On his accession to the throne, Hadrian withdrew from Trajan’s conquests in Mesopotamia, Assyriaand Armenia, and may have considered abandoning Dacia. During his reign, Hadrian travelled to nearly every province of the Empire. An ardent admirer of Greece, he sought to make Athens the cultural capital of the Empire and ordered the construction of many opulent temples in the city. He used his relationship with his Greek lover Antinous to underline his philhellenism, and this led to the establishment of one of the most popular cults of ancient times. Hadrian spent a great deal of time with the military; he usually wore military attire and even dined and slept among the soldiers. He ordered rigorous military training and drilling and made use of false reports of attacks to keep the army on alert. Late in his reign he suppressed the Bar Kokhba revolt in Judaea, and renamed the province Syria Palaestina.
Hadrian’s last years were marred by illness, his disappointment in his failed Imperial panhellenic ideal, and his further executions of leading senators suspected of plotting against him. In 138 he adopted Antoninus Pius on the condition that Antoninus adopt Marcus Aurelius and Lucius Verus as his own heirs. They would eventually succeed Antoninus as co-emperors. Hadrian died the same year at Baiae.[5] Antoninus had him deified, despite opposition from the Senate.
Early life
Hadrian was born Publius Aelius Hadrianus in either Italica (near modern Seville) in the province of Hispania Baetica[6] or Rome,[7] to a well-established Roman family with centuries-old roots in Italica. His biography in the Historia Augusta states that he was born in Rome on 24January 76 to an ethnically Hispanic family with vague paternal links to Italy, though this may be a complimentary fiction coined to make Hadrian appear a natural-born Roman instead of a provincial whose parents, grandparents, and great-grandparents were born and raised in Hispania.[8] It was general knowledge that Hadrian and his predecessor Trajan were – in the words of Aurelius Victor – « aliens », people « from the outside » (advenae).[9]
Hadrian’s father was Publius Aelius Hadrianus Afer, who as a senator of praetorianrank would have spent much of his time in Rome.[10] Hadrian’s known paternal ancestry can be partly linked to a family from Hadria (modern Atri), an ancient town in Picenum, Italy. This family had settled in Italica soon after its founding by Scipio Africanus several centuries before Hadrian’s birth. Hadrian’s father, Afer, and his paternal cousin, the Emperor Trajan, were both born and raised in Hispania. Hadrian’s mother was Domitia Paulina, daughter of a distinguished Hispano-Roman senatorial family from Gades (Cádiz).[11]
Hadrian’s first official post was as a judge at Rome’s Inheritance court, one among many vigintivirate offices at the lowest level of the cursus honorum (« course of honours ») that could lead to higher office and a senatorial career. He then served as a military tribune, first with the LegioII Adiutrix in 95, then with the Legio V Macedonica. During Hadrian’s second stint as tribune, the frail and aged reigning emperor Nerva adopted Trajan as his heir; Hadrian was dispatched to give Trajan the news— or most probably was one of many emissaries charged with this same commission.[13] Then he was transferred to Legio XXII Primigenia and a third tribunate.[14] Hadrian’s three tribunates gave him some career advantage. Most scions of the older senatorial families might serve one, or at most two military tribunates as a prerequisite to higher office.[15][16] When Nerva died in 98, Hadrian is said to have hastened to Trajan, to inform him ahead of the official envoy sent by the governor, Hadrian’s brother-in-law and rival Lucius Julius Ursus Servianus.[17]
In 101, Hadrian was back in Rome, and stood for higher public office; he was elected quaestor, then quaestor imperatoris Traiani, liaison officer between Emperor and the assembled Senate, to whom he read the Emperor’s communiqués and speeches – which he possibly composed on the emperor’s behalf. In his role as imperial ghostwriter, Hadrian took the place of the recently deceased Licinius Sura, Trajan’s all-powerful friend and kingmaker.[18] His next post was as ab actis senatus, keeping the Senate’s records.[19] During the First Dacian War, Hadrian took the field as a member of Trajan’s personal entourage, but was excused from his military post to take office in Rome as Tribune of the Plebs, in 105. After the war, he was probably elected praetor.[20] During the Second Dacian War, Hadrian was in Trajan’s personal service again, but was released to serve as legate of Legio I Minervia, then as governor of Lower Pannonia in 107, tasked with « holding back the Sarmatians« .[21][22]
Now in his mid-thirties, Hadrian travelled to Greece; he was granted Athenian citizenship and was appointed eponymous archon of Athens for a brief time (in 112).[23] The Athenians awarded him a statue with an inscription in the Theater of Dionysus ( IG II2 3286) offering a detailed account of his cursus honorum thus far.[24][25] Thereafter no more is heard of him until Trajan’s Parthian War. It is possible that he remained in Greece until his recall to the imperial retinue.[21]
Hadrian joined Trajan’s expedition against Parthia as a legate.[26] He seems to have achieved nothing of note in the post but when the governor of Syria was sent to deal with renewed troubles in Dacia, Hadrian was appointed his replacement, with independent command.[27] Trajan became seriously ill, and took ship for Rome, while Hadrian remained in Syria, de facto general commander of the Eastern Roman army.[28] Trajan got as far as the coastal city of Selinus, in Cilicia; he was too ill to travel any further. He died there, on 8 August, and was later deified; he would be regarded as one of Rome’s most admired, popular and best emperors.
Relationship with Trajan and his family
Hadrian’s connections to Trajan’s female relatives offered him advantage as a potential successor to Trajan. Around the time of his quaestorship, he had married Trajan’s grandniece, Vibia Sabina, perhaps at the suggestion of the empress Plotina. Plotina’s investment in Hadrian’s future career might have been motivated by her wish to avoid the political oblivion that befell her older contemporary, former empress Domitia Longina.[29] Plotina was a highly cultured woman with philosophical leanings; she and Hadrian shared political and intellectual interests, including the idea of the Roman Empire as a commonwealth with an underlying Hellenic culture.[30] If Hadrian was appointed successor, Trajan’s extended family would retain a degree of power and influence; Hadrian also counted on the support of his mother in law, Trajan’s niece Salonina Matidia, [31] the daughter of Trajan’s sister Ulpia Marciana.[32] When Ulpia Marciana died, in 112, Trajan had her deified, and her daughter Salonina Matidia made an Augusta.[33] Even so, Trajan himself seems to have been less than enthusiastic about marrying his grandniece to Hadrian; with good reason, as it turned out. The couple’s relationship would prove itself scandalously poor, even for a marriage of convenience.[34]
Hadrian had tried to curry favor with Trajan by all means available, which included sharing in Trajan’s bouts of heavy drinking.[35]Nevertheless, sometime around his marriage to Sabina, he was involved in some unexplained quarrel over his relationships with Trajan’s boy favourites,[36]whom he had supposedly tried to groom.[37] All these circumstances might explain an apparent downturn in Hadrian’s fortunes late in Trajan’s reign; he failed to achieve a senior consulship, being only suffect consul for 108.[38] Hadrian thus achieved parity of status with other members of the senatorial nobility – but not much else;[39] he held no particular distinction befitting an heir designate.[40] Had Trajan wished it, he could have promoted his protege to patricianrank and its privileges, which included opportunities for a fast track to consulship without for prior experience as tribune; but he chose not to.[41] Although Hadrian was made Tribune of the Plebs a year earlier than was customary, and was promoted to praetorian rank, he was consistently excluded from Trajan’s innermost circle of advisers.[42] The Historia Augusta describes Trajan’s gift to Hadrian of a diamond ring that Trajan himself had received from Nerva, « and by this gift he [Hadrian] was encouraged in his hopes of succeeding to the throne ».[43][44] While Trajan actively promoted Hadrian’s advancement, he did so with caution.[45]
While Trajan lived, Hadrian’s status as emperor-in-waiting would have been far from certain. Trajan might have deferred any clear nomination of a successor because there were so many potential claimants. On the one hand, failure to nominate an heir could invite chaotic, destructive wresting of power by a succession of competing claimants – a civil war. On the other hand, the definite choice of an heir could be seen as an abdication, and reduce the chance for an orderly transmission of power.[46] As Trajan lay dying, nursed by his wife, Plotina, and closely watched by Prefect Attianus, he could have lawfully adopted Hadrian as heir, by means of a simple deathbed wish, expressed before witnesses;[47] but when an adoption document was eventually presented, it was signed not by Trajan but by Plotina, and was dated the day after Trajan’s death.[48] Hadrian was still in Syria; this represented a further irregularity, as Roman adoption law required the presence of both parties at the adoption ceremony. Rumours, doubts, and speculation attended Hadrian’s adoption and succession. It has been suggested that Trajan’s young manservant Phaedimus, who died very soon after Trajan, was killed (or killed himself) rather than face awkward questions.[49] Ancient sources are divided on the legitimacy of Hadrian’s adoption: Dio Cassius saw it as bogus and the Historia Augusta writer as genuine.[50] An aureus minted early in Hadrian’s reign represents the official position; it presents Hadrian as a « Caesar » (meaning an heir designate).[51]
Emperor (117)
Securing power
Giacobbe Giusti, Hadrian
The Roman Empire in 125, under the rule of Hadrian
This famous statue of Hadrian in Greek dress was revealed in 2008 to have been forged in the Victorian era by cobbling together a head of Hadrian and an unknown body. For years, the statue had been used by historians as proof of Hadrian’s love of Hellenic culture.[52]
Official recognition of Hadrian as legitimate heir came too late to dissuade other potential claimants.[53] Hadrian’s greatest rivals were Trajan’s closest friends, the most experienced and senior members of the imperial council, compared to whom Hadrian was an equestrian upstart.[54] According to the Historia Augusta, Hadrian informed the Senate of his accession in a letter as a fait accompli, claiming that « the unseemly haste of the troops in acclaiming him emperor was due to the belief that the state could not be without an emperor ».[55] The Senate endorsed the acclamation. Various public ceremonies were organized on Hadrian’s behalf, celebrating his « divine election » by all the gods, whose community included the now deified Trajan.[56]
Giacobbe Giusti, Hadrian
Statue of Hadrian unearthed at Tel Shalem commemorating Roman military victory over Bar Kochba, displayed at the Israel Museum
Hadrian remained in the east for a while, suppressing the Jewish revolt that had broken out under Trajan. He sheared Judea’s governor, the outstanding Moorish general and potential rival Lusius Quietus, of his personal guard of Moorish auxiliaries;[57][58] then he moved on to quell disturbances along the Danubefrontier. In Rome, Attianus, Hadrian’s former guardian, took charge on Hadrian’s behalf. He claimed to have uncovered a conspiracy involving four leading senators, including Lusius Quietus; he demanded their deaths.[59]There was no public trial – they were hunted down and killed out of hand.[59]The executions of such high ranking senators without due process of law soured Hadrian’s relations with the Senate for his entire reign.[60]
Modern sources point out that those executed may have been seen as « Trajan’s men »;[59] any one of whom might be a prospective candidate for the imperial office (capaces imperii);[61] or they may have been leading figures of a senatorial faction committed to Trajan’s expansionist policies, which Hadrian intended to change;[62] one of their number was Aulus Cornelius Palma who as a former conqueror of Arabia Nabatea would have retained a stake in Trajan’s expansionist Eastern policy.[63] Hadrian’s consistent refusal to expand Rome’s frontiers was to remain a bone of contention between him and the Senate throughout his reign.[64] The Historia Augusta describes Palma and a third executed senator, Lucius Publilius Celsus (consul for the second time in 113), as Hadrian’s personal enemies, who had spoken in public against him.[65] The fourth was Gaius Avidius Nigrinus, an ex-consul, intellectual, friend of Pliny the Younger and (briefly) Governor of Dacia at the start of Hadrian’s reign.[66] Hadrian claimed that Attianus had acted on his own initiative, then rewarded him with senatorial status and consular rank; but later discarded him, finding his ambition suspect.[67]
In 125, Hadrian appointed his close friend Marcius Turbo as his Praetorian Prefect. Whenever Hadrian was away from the city of Rome, Turbo represented by his interests there.[68] Turbo was a leading figure of the equestrian order, a senior court judge and a procurator.[69][70] Hadrian forbade equestrians to try cases against senators,[71] so the Senate retained full legal authority over its members, and remained the highest court of appeal. Formal appeals to the emperor regarding its decisions were forbidden.[72] Some sources describe Hadrian’s occasional recourse to a secret police force, the frumentarii[73] to discretely investigate persons of high social standing, including senators and his close friends.[74]
Hadrian was to spend more than half his reign outside Italy. Whereas previous emperors had, for the most part, relied on the reports of their imperial representatives around the Empire, Hadrian wished to see things for himself. Previous emperors had often left Rome for long periods, but mostly to go to war, returning once the conflict was settled. Hadrian’s near-incessant travels may represent a calculated break with traditions and attitudes in which the empire was a purely Roman hegemony. Hadrian sought to include provincials in a commonwealth of civilized peoples and a common Hellenic culture under Roman supervision.[75] He supported the creation of provincial towns (municipia), semi-autonomous urban communities with their own customs and laws, rather than the imposition of new Roman colonies with Roman constitutions.[76]
The cosmopolitan, ecumenical intent of Hadrian’s travels is evident in coin issues of his later reign, showing the emperor « raising up » the personifications of various provinces.[77] The Greek rhetorician Aelius Aristides later wrote that Hadrian « extended over his subjects a protecting hand, raising them as one helps fallen men on their feet ».[78]. All this did not go well with Roman traditionalists. The self-indulgent emperor Nero had enjoyed a prolonged and peaceful tour of Greece, and had been criticised by the Roman elite for abandoning his fundamental responsibilities as emperor. In the Historia Augusta, Hadrian is described as « a little too much Greek », too cosmopolitan for a Roman emperor.[79] In the eastern provinces, and to some extent in the west, Nero had enjoyed popular support; claims of his imminent return or rebirth emerged almost immediately after his death. Hadrian may have consciously exploited these positive, popular connections during his own travels.[80]
Hadrian’s Gate, in Antalya, southern Turkey was built to honour Hadrian who visited the city in 130.
Prior to Hadrian’s arrival in Britannia, the province had suffered a major rebellion, from 119 to 121.[81] Inscriptions tell of an expeditio Britannica that involved major troop movements, including the dispatch of a detachment (vexillatio), comprising some 3,000 soldiers. Fronto writes about military losses in Britannia at the time.[82] Coin legends of 119-120 attest that Pompeius Falco was sent to restore order. In 122 Hadrian initiated the construction of a wall, « to separate Romans from barbarians ».[83]This deterred attacks on Roman territory at a lower cost than a massed border army,[84]and controlled cross-border trade and immigration.[85] A shrine was erected in York to Brittania as the divine personification of Britain; Coins were struck, bearing her image, identified as BRITANNIA.[86] By the end of 122, Hadrian had concluded his visit to Britannia. He never saw the finished wall that bears his name.
Hadrian appears to have continued through southern Gaul. At Nemausus, he may have overseen the building of a basilica dedicated to his patroness Plotina, who had recently died in Rome and had been deified at Hadrian’s request.[87] At around this time, Hadrian dismissed his secretary ab epistulis,[88] the historian Suetonius, for « excessive familiarity » towards the empress.[89] Marcius Turbo’s colleague as Praetorian Prefect, Gaius Septicius Claruswas dismissed for the same alleged reason, perhaps a pretext to remove him from office.[90] Hadrian spent the winter of 122/123 at Tarraco, in Spain, where he restored the Temple of Augustus.[91]
In 123, Hadrian crossed the Mediterranean to Mauretania, where he personally led a minor campaign against local rebels.[92] The visit was cut short by reports of war preparations by Parthia; Hadrian quickly headed eastwards. At some point, he visited Cyrene, where he personally funded the training of young men from well-bred families for the Roman military. Cyrene had benefited earlier (in 119) from his restoration of public buildings destroyed during the earlier Jewish revolt.[93][94]
When Hadrian arrived on the Euphrates, he personally negotiated a settlement with the Parthian King Osroes I, inspected the Roman defences, then set off westwards, along the Black Sea coast.[95] He probably wintered in Nicomedia, the main city of Bithynia. Nicomedia had been hit by an earthquake only shortly before his stay; Hadrian provided funds for its rebuilding, and was acclaimed as restorer of the province.[96]
It is possible that Hadrian visited Claudiopolis and saw the beautiful Antinous, a young man of humble birth who became Hadrian’s beloved. Literary and epigraphic sources say nothing on when or where they met; depictions of Antinous show him aged 20 or so, shortly before his death in 130. In 123 he would most likely have been a youth of 13 or 14.[96] It is also possible that Antinous was sent to Rome to be trained as a page to serve the emperor and only gradually rose to the status of imperial favourite.[97] The actual history of their relationship is mostly unknown.[98]
With or without Antinous, Hadrian travelled through Anatolia. His route is unknown. Various traditions suggest his presence at particular locations; he is said to have founded a city within Mysia, Hadrianutherae, after a successful boar hunt, but this is debated. At about this time, plans to complete the Temple of Zeus in Cyzicus, begun by the kings of Pergamon, were put into practice. The temple received a colossal statue of Hadrian, and Cyzicus was made a regional centre for the Imperial cult(neocoros), sharing it with Pergamon, Smyrna, Ephesus and Sardes[99] – something that offered the benefits of Imperial sponsorship of sacred games, attracting tourism, and stimulating private expenditure, as well as channelling intercity rivalry into a common acceptance of Roman rule.[100]
Hadrian arrived in Greece during the autumn of 124, and participated in the Eleusinian Mysteries. He had a particular commitment to Athens, which had previously granted him citizenship and an archonate; at the Athenians’ request, he revised their constitution – among other things, he added a new phyle (tribe), which was named after him.[101] Hadrian combined active, hands-on interventions with cautious restraint. He refused to intervene in a local dispute between producers of olive oil and the Athenian Assembly and Council, who had imposed production quotas on oil producers;[102] yet he granted an imperial subsidy for the Athenian grain supply.[103] Hadrian created two foundations, to fund Athens’ public games, festivals and competitions if no citizen proved wealthy or willing enough to sponsor them as a Gymnasiarch or Agonothetes.[104] Generally Hadrian preferred that Greek notables, including priests of the Imperial cult, focus on more durable provisions, such as aqueducts and public fountains (nymphaea).[105] Athens was given two such fountains; another was given to Argos.[106]
During the winter he toured the Peloponnese. His exact route is uncertain, but Pausanias describes temples built by Hadrian, and his statue – in heroic nudity – erected by the grateful citizens of Epidaurus[107] in thanks to their « restorer ». He was especially generous to Mantinea, where he restored the Temple of Poseidon Hippios; this supports the theory that Antinous was in fact already Hadrian’s lover because of the strong link between Mantinea and Antinous’s home in Bithynia.[108] As this kinship between Mantinea and Bythinia was itself a mythological fiction of the kind used at the time for encouraging political alliances between polities, a more serious reason might exist for Hadrian’s particular generosity.[109] Hadrian’s buildings in Greece were no mere whims, as they followed a pattern of favoring old religious centers. Besides the temple at Mantinea, Hadrian restored other ancient shrines in Abae, Argos – where he restored the Heraion – and Megara.[110] This was a way of gathering legitimacy to Roman imperial rule by associating it with the glories of classical Greece – something well in line with contemporary antiquarian taste in cultural matters.[111] Pausanias credits Hadrian with restoring to Mantinea its ancient, classical name. It had been named Antigoneia since Hellenistic times, in honour of the Macedonian King Antigonus III Doson.[112]
This same idea of resurrecting the classical past under Roman overlordship was behind the possibility that, during his tour of the Peloponnese, Hadrian persuaded the Spartan grandee Eurycles Herculanus – the contemporary leader of the Euryclidfamily that had ruled Sparta since Augustus’ day – to enter the Senate, alongside the Athenian grandee Herodes Atticus the Elder. The two aristocrats would be the first Greeks from Old Greece to enter the Roman Senate, as « representatives » of the two « great powers » of the Classical Age.[113] This was an important step in overcoming Greek notables’ reluctance to take part in Roman political life.[114] In March 125, Hadrian presided at the Athenian festival of Dionysia, wearing Athenian dress. He initiated a substantial public building program in and around Athens. The Temple of Olympian Zeus had been under construction for more than five centuries; Hadrian committed the vast resources at his command to ensure that the job would be finished. He also organised the planning and construction of a particularly challenging and ambitious aqueduct to bring water to the Athenian agora.[115]
On his return to Italy, Hadrian made a detour to Sicily. Coins celebrate him as the restorer of the island.[116] Back in Rome, he saw the rebuilt Pantheon, and his completed villa at nearby Tibur, among the Sabine Hills. In early March 127 Hadrian set off on a tour of Italy; his route has been reconstructed through the evidence of his gifts and donations.[116] He restored the shrine of Cupra in Cupra Maritima, and improved the drainage of the Fucine lake. Less welcome than such largesse was his decision in 127 to divide Italy into four regions under imperial legates with consular rank, acting as governors. They were given jurisdiction over all of Italy, excluding Rome itself, therefore shifting cases from the courts of Rome.[117]Having Italy effectively reduced to the status of a group of mere provinces did not go down well with the Roman Senate;[118] and the innovation did not long outlive Hadrian’s reign.[116]
Hadrian fell ill around this time; whatever the nature of his illness, it did not stop him from setting off in the spring of 128 to visit Africa. His arrival began with the good omen of rain ending a drought. Along with his usual role as benefactor and restorer, he found time to inspect the troops; his speech to them survives.[119] Hadrian returned to Italy in the summer of 128 but his stay was brief, as he set off on another tour that would last three years.[120]
Greece, Asia, and Egypt (128–130); Antinous’s death
Giacobbe Giusti, Hadrian
Hadrian and Antinous – busts in the British Museum
In September 128, Hadrian attended the Eleusinian mysteries again. This time his visit to Greece seems to have concentrated on Athens and Sparta – the two ancient rivals for dominance of Greece. Hadrian had played with the idea of focusing his Greek revival around the Amphictyonic Leaguebased in Delphi, but by now he had decided on something far grander. His new Panhellenion was going to be a council that would bring Greek cities together. Having set in motion the preparations – deciding whose claim to be a Greek city was genuine would take time – Hadrian set off for Ephesus.[121]From Greece, Hadrian proceeded by way of Asia to Egypt. It is known from an inscription that he was probably conveyed across the Aegean with his entourage by an Ephesian merchant, Lucius Erastus. Hadrian later sent a letter on Erastus’ behalf to the Council of Ephesus, supporting his request to become a town councillor. Hadrian offered to pay the requisite fee for Erastus’ council membership, as long as the Ephesians considered him worthy (as a merchant, he may well have been thought unworthy).[122]
In Egypt, Hadrian opened his stay by restoring Pompey the Great‘s tomb at Pelusium.[123] Hadrian also offered sacrifice to Pompey as a hero and composed an epigraph for the tomb. As Pompey was universally acknowledged as the conqueror of the Roman East, this restoration was probably linked to a need to reaffirm Roman Eastern hegemony after the recent disturbances there during Trajan’s late reign.[124]Also in Egypt, a poem about a lion hunt in the Libyan desert by the Greek Pankrates witnesses for the first time that Antinous travelled alongside Hadrian.[125]
In October 130, while Hadrian and his entourage were sailing on the Nile, Antinous drowned. The exact circumstances surrounding his death are unknown, and accident, suicide, murder and religious sacrifice have all been postulated. Historia Augusta offers the following account:
During a journey on the Nile he lost Antinous, his favourite, and for this youth he wept like a woman. Concerning this incident there are varying rumours; for some claim that he had devoted himself to death for Hadrian, and others – what both his beauty and Hadrian’s sensuality suggest. But however this may be, the Greeks deified him at Hadrian’s request, and declared that oracles were given through his agency, but these, it is commonly asserted, were composed by Hadrian himself.[126]
Hadrian had Antinous deified as Osiris-Antinous by an Egyptian priest at the ancient Temple of Ramesses II, very near the place of his death. Hadrian dedicated a new temple-city complex there, built in a Graeco-Roman style, and named it Antinopolis.[127] It was a proper Greek polis; it was granted an Imperially subsidised alimentary scheme similar to Trajan’s alimenta,[128] and its citizens were allowed intermarriage with members of the native population, without loss of citizen-status. Hadrian thus identified an existing native cult (to Osiris) with Roman rule.[129]
Hadrian’s movements after the founding of Antinopolis on 30 October 130 are uncertain. Whether or not he returned to Rome, he travelled in the East during 130/131, to organise and inaugurate his new Panhellenion, which was to be focussed on the Athenian Temple to Olympian Zeus. Successful applications for membership involved mythologised or fabricated claims to Greek origins, and affirmations of loyalty to Imperial Rome, to satisfy Hadrian’s personal, idealised notions of Hellenism.[130][131]Hadrian saw himself as protector of Greek culture and the « liberties » of Greece – in this case, urban self-government. It allowed Hadrian to appear as the fictive heir to Pericles, who supposedly had convened a previous Panhellenic Congress – such a Congress is mentioned only in Pericles’ biography by Plutarch, whose sympathies to the Imperial order are well-known.[132]
Epigraphical evidence suggests that the prospect of applying to the Panhellenion held little attraction to the wealthier, Hellenised cities of Asia Minor, which were jealous of Athenian and European Greek preeminence within Hadrian’s scheme.[133]Hadrian’s notion of Hellenism was narrow and deliberately archaising; he defined « Greekness » in terms of classical roots, rather than a broader, Hellenistic culture.[134]The German sociologist Georg Simmel remarked that the Panhellenion was based on « games, commemorations, preservation of an ideal, an entirely non-political Hellenism ».[135]
This third and last trip to the Greek East produced much religious enthusiasm in the region centred around Hadrian, who received a personal cult as a deity and many monuments and civic homages, according to the religious syncretism at the time.[136]Around the same time, Hadrian bestowed honorific titles on many regional centres.[137]Palmyra received a state visit and was given the civic name Hadriana Palmyra.[138]Hadrian also bestowed honours on various Palmyrene magnates, among them one Soados, who had done much to protect Palmyrene trade between the Roman Empire and Parthia.[139]
Hadrian and spent the winter of 131–32 in Athens, where he dedicated the now-completed Temple of Olympian Zeus,[140] At some time in 132, he headed East, to Judaea.
Porphyry statue of Hadrian discovered in Caesarea, Israel
In Roman Judaea Hadrian visited Jerusalem, which was still ruinous after the First Roman–Jewish War of 66–73. He may have planned to rebuild Jerusalem as a Roman colony – as Vespasian had done with Caesarea Maritima – with various honorific and fiscal privileges. The non-Roman population would have no obligation to participate in Roman religious rituals, but were expected to support the Roman imperial order; this is attested in Caesarea, where some Jews served in the Roman army during both the 66 and 132 rebellions.[141] It has been speculated that Hadrian intended to assimilate the Jewish Temple to the traditional Roman civic-religious Imperial cult; such assimilations had long been commonplace practise in Greece and in other provinces, and on the whole, had been successful.[142][143] The neighbouring Samaritans had already integrated their religious rites with Hellenistic ones.[144] Strict Jewish monotheismn proved more resistant to Imperial cajoling, and then to Imperial demands.[145] A massive anti-Hellenistic and anti-Roman Jewish uprising broke out, led by Simon bar Kokhba. The Roman governor Tineius (Tynius) Rufus asked for an army to crush the resistance; bar Kokhba punished any Jew who refused to join his ranks.[146] According to Justin Martyr and Eusebius, that had to do mostly with Christian converts, who opposed bar Kokhba’s messianic claims.[147]
A tradition based on the Historia Augusta suggests that the revolt was spurred by Hadrian’s abolition of circumcision (brit milah);[148] which as a Hellenist he viewed as mutilation.[149] The scholar Peter Schäfer maintains that there is no evidence for this claim, given the notoriously problematical nature of the Historia Augusta as a source, the « tomfoolery » shown by the writer in the relevant passage, and the fact that contemporary Roman legislation on « genital mutilation » seems to address the general issue of castration of slaves by their masters.[150][151][152] Other issues could have contributed to the outbreak; a heavy-handed, culturally insensitive Roman administration; tensions between the landless poor and incoming Roman colonists privileged with land-grants; and a strong undercurrent of messianism, predicated on Jeremiah’s prophecy that the Temple would be rebuilt seventy years after its destruction, as the First Temple had been after the Babylonian exile.[153]
Giacobbe Giusti, Hadrian
Relief from an honorary monument of Hadrian (detail), showing the emperor being greeted by the goddess Roma and the Genii of the Senate and the Roman People; marble, Roman artwork, 2nd century AD, Capitoline Museums, Vatican City
The Romans were overwhelmed by the organised ferocity of the uprising.[154]Hadrian called his general Sextus Julius Severus from Britain, and brought troops in from as far as the Danube. Roman losses were heavy; an entire legion or its numeric equivalent of around 4,000.[155] Hadrian’s report on the war to the Roman Senateomitted the customary salutation, « If you and your children are in health, it is well; I and the legions are in health. »[156] The rebellion was quashed by 135. According to Cassius Dio, Roman war operations in Judea left some 580,000 Jews dead, and 50 fortified towns and 985 villages razed. An unknown proportion of the population was enslaved. Beitar, a fortified city 10 kilometres (6.2 mi) southwest of Jerusalem, fell after a three and a half year siege. The extent of punitive measures against the Jewish population remains a matter of debate.[157]
Hadrian erased the province’s name from the Roman map, renaming it Syria Palaestina. He renamed Jerusalem Aelia Capitolina after himself and Jupiter Capitolinus, and had it rebuilt in Greek style. According to Epiphanius, Hadrian appointed Aquila from Sinope in Pontus as « overseer of the work of building the city », since he was related to him by marriage.[158] Hadrian is said to have placed the city’s main Forum at the junction of the main Cardo and Decumanus Maximus, now the location for the (smaller) Muristan. After the suppression of the Jewish revolt, Hadrian provided the Samaritans with a temple, dedicated to Zeus Hypsistos (« Highest Zeus »)[159] on Mount Gerizim.[160] The bloody repression of the revolt ended Jewish political independence from the Roman Imperial order.[161]
Inscriptions make it clear that in 133 Hadrian took to the field with his armies, against the rebels. He then returned to Rome, probably in that year and almost certainly – judging from inscriptions – via Illyricum.[162]
Hadrian spent the final years of his life at Rome. In 134, he took an Imperial salutationfor the end of the Second Jewish War (which was not actually concluded until the following year). Commemorations and achievement awards were kept to a minimum, as Hadrian came to see the war « as a cruel and sudden disappointment to his aspirations » towards a cosmopolitan empire.[163] In 136, he dedicated a new Temple of Venus and Roma on the former site of Nero’s Golden House. The temple was the largest in Rome, and was built in an Hellenising style, more Greek than Roman. The temple’s dedication and statuary associated the worship of the traditional Roman goddess Venus, divine ancestress and protector of the Roman people, with the worship of the goddess Roma – herself a Greek invention, hitherto worshiped only in the provinces – to emphasise the universal nature of the empire.[164]
The Empress Sabina died probably in 136, after an unhappy marriage with which Hadrian had coped as a political necessity. The Historia Augusta biography states that Hadrian himself declared that his wife’s « ill-temper and irritability » would be reason enough for a divorce, were he a private citizen.[165] That gave credence, after Sabina’s death, to the common belief that Hadrian had her poisoned.[166] As befitted Hadrian’s dynastic legitimacy, Sabina – who had been made an Augusta sometime around 128[167] – was deified not long after her death.[168]
Arranging the succession
Hadrian’s marriage to Sabina had been childless. Suffering from poor health, Hadrian turned to the problem of the succession. In 136 he adopted one of the ordinary consuls of that year, Lucius Ceionius Commodus, who as an emperor-in waiting took the name Lucius Aelius Caesar. He was the son-in-law of Gaius Avidius Nigrinus, one of the « four consulars » executed in 118, but was himself in delicate health, apparently with a reputation more « of a voluptuous, well educated great lord than that of a leader ».[169] Various modern attempts have been made to explain Hadrian’s choice: Jerome Carcopino proposes that Aelius was Hadrian’s natural son.[170] It has also been speculated that his adoption was Hadrian’s belated attempt to reconcile with one of the most important of the four senatorial families whose leading members had been executed soon after Hadrian’s succession.[78] Aelius’ father-in-law Avidius Nigrinus had been Hadrian’s chief rival for the throne; a senator of highest rank, breeding, and connections; according to the Historia Augusta, Hadrian had considered making Nigrinus his heir apparent, before deciding to get rid of him.[171] Aelius acquitted himself honourably as joint governor of Pannonia Superior and Pannonia Inferior;[172] he held a further consulship in 137, but died on 1 January 138.[173]
Hadrian next adopted Titus Aurelius Fulvus Boionius Arrius Antoninus (the future emperor Antoninus Pius), who had served Hadrian as one of the five imperial legates of Italy, and as proconsul of Asia. In the interests of dynastic stability, Hadrian required that Antoninus adopt both Lucius Ceionius Commodus (son of the deceased Aelius Caesar) and Marcus Annius Verus (grandson of an influential senator of the same name who had been Hadrian’s close friend; Annius was already betrothed to Aelius Caesar’s daughter Ceionia Fabia;[174][175] It may not have been Hadrian, but rather Antoninus Pius – Annius Verus’s uncle – who supported Annius Verus’ advancement; the latter’s divorce of Ceionia Fabia and subsequent marriage to Antoninus’ daughter Annia Faustina points in the same direction. When he eventually became Emperor, Marcus Aurelius would co-opt Ceionius Commodus as his co-Emperor, under the name of Lucius Verus, on his own initiative.[174]
Hadrian’s last few years were marked by conflict and unhappiness. His adoption of Aelius Caesar proved unpopular, not least with Hadrian’s brother-in-law Lucius Julius Ursus Servianus and Servianus’s grandson Gnaeus Pedanius Fuscus Salinator. Servianus, though now far too old, had stood in the line of succession at the beginning of Hadrian’s reign; Fuscus is said to have had designs on the imperial power for himself. In 137 he may have attempted a coup in which his grandfather was implicated; Hadrian ordered that both be put to death.[176] Servianus is reported to have prayed before his execution that Hadrian would « long for death but be unable to die ».[177] During his final, protracted illness, Hadrian was prevented from suicide on several occasions.[178]
Death
Giacobbe Giusti, Hadrian
Posthumous portrait of Hadrian; bronze, Roman artwork, c. 140 AD, perhaps from Roman Egypt, Louvre, Paris
Hadrian died in the year 138 on the 10th of July, in his villa at Baiae at the age of 62. The cause of death is believed to have been heart failure. Dio Cassius and the Historia Augusta record details of his failing health. He had reigned for 21 years, the longest since Tiberius, and the fourth longest in the Principate, after Augustus, Hadrian’s successor Antoninus Pius, and Tiberius.
He was buried first at Puteoli, near Baiae, on an estate that had once belonged to Cicero. Soon after, his remains were transferred to Rome and buried in the Gardens of Domitia, close by the almost-complete mausoleum. Upon completion of the Tomb of Hadrian in Rome in 139 by his successor Antoninus Pius, his body was cremated, and his ashes were placed there together with those of his wife Vibia Sabina and his first adopted son, Lucius Aelius, who also died in 138. After threatening the Senate – which toyed with refusing Hadrian’s divine honours – by refusing to assume power himself,[179] Antoninus eventually succeeded in having his predecessor deified[180] in 139 and given a temple on the Campus Martius, ornamented with reliefs representing the provinces.[181] The Senate awarded Antoninus the title of « Pius », in recognition of his filial piety in pressing for the deification of his adoptive father.[179] At the same time, perhaps in reflection of the senate’s ill will towards Hadrian, commemorative coinage honouring his consecrationwas kept to a minimum.[182]
Military
Giacobbe Giusti, Hadrian
Bust of Emperor Hadrian. Roman 117–138 CE. Probably from Rome, Italy. Formerly in the Townley Collection. Now housed in the British Museum, London
Most of Hadrian’s military activities were consistent with his ideology of Empire as a community of mutual interest and support. He focussed on protection from external and internal threats; on « raising up » existing provinces, rather than the aggressive acquisition of wealth and territory through subjugation of « foreign » peoples that had characterised the early Empire.[183] While the empire as a whole benefited from this, military careerists resented the loss of opportunities.
Hadrian sought to surround the empire with stable, sustainable borders, and employed a variety of means to deal with potential and actual threats to the Empire’s integrity. The 4th-century historian Aurelius Victor charged him with jealous belittlement of Trajan’s achievements (Traiani gloriae invidens), abandoning the latter’s conquests in Mesopotamia.[184] More likely, an expansionist policy was no longer realistic; the Empire had lost two legions, the Legio XXII Deiotariana and the « lost legion » IX Hispania, possibly destroyed in a late Trajanic uprising by the Brigantes in Britain.[185] Trajan himself may have thought his gains in Mesopotamian indefensible, and abandoned them shortly before his death.[186]. Hadrian granted parts of Dacia to the Roxolani Sarmatians; their king Rasparaganus received Roman citizenship, client king status, and possibly an increased subsidy.[187] Hadrian’s presence on the Dacian front at this time is mere conjecture; but Dacia was included in his coin series with allegories of the provinces.[188] A controlled, partial withdrawal from the Dacian plains would have been less costly than maintaining several Roman several cavalry units and a supporting network of fortifications.[189]
Hadrian retained control over Osroene through the client king Parthamaspates, who had once served as Trajan’s client king of Parthia;[190] and around 121, Hadrian negotiated a peace treaty with the now-independent Parthia. Late in his reign (135), the Alani attacked Roman Cappadocia with the covert support of Pharasmanes, king of Caucasian Iberia. The attack was repulsed by Hadrian’s governor, the historian Arrian,[191] who subsequently installed a Roman « adviser » in Iberia.[192] Arrian kept Hadrian well-informed On all questions related to the Black Sea and the Caucasus. Between 131 and 132 he sent Hadrian a lengthy letter (Periplus of the Euxine) on a maritime trip around the Black Sea, intended to offer relevant information in case a Roman intervention was needed.[193]
Hadrian also developed permanent fortifications and military posts along the empire’s borders (limites, sl.limes) to support his policy of stability, peace and preparedness. This helped keep the military usefully occupied in times of peace; his Wall across Britania was built by ordinary troops. A series of mostly wooden fortifications, forts, outposts and watchtowers strengthened the Danube and Rhine borders. Troops practised intensive, regular drill routines. Although his coins showed military images almost as often as peaceful ones, Hadrian’s policy was peace through strength, even threat,[194] with an emphasis on disciplina (discipline), which was the subject of two monetary series. Cassius Dio praised Hadrian’s emphasis on « spit and polish » as cause for the generally peaceful character of his reign.[195] Fronto expressed other opinions on the subject. In his view, Hadrian preferred war games to actual war, and enjoyed « giving eloquent speeches to the armies » – like the inscribed series of addresses he made while on an inspection tour, during 128, at the new headquarters of Legio III Augusta in Lambaesis[196]
Faced with a shortage of legionary recruits from Italy and other Romanised provinces, Hadrian systematised the use of less costly numeri – ethnic non-citizen troops with special weapons, such as Eastern mounted archers – in low-intensity, mobile defensive tasks such as dealing with border infiltrators and skirmishers.[197][198] Hadrian is also credited with introducing units of heavy cavalry (cataphracts) into the Roman army.[199] Fronto later blamed Hadrian for declining standards in the Roman army of his own time.[200]
Legal and social
Hadrian enacted, through the jurist Salvius Julianus, the first attempt to codify Roman law. This was the Perpetual Edict, according to which the legal actions of praetorsbecame fixed statutes, and as such could no longer be subjected to personal interpretation or change by any magistrate other than the Emperor.[201][202] At the same time, following a procedure initiated by Domitian, Hadrian made the Emperor’s legal advisory board, the consilia principis (« council of the princeps« ) into a permanent body, staffed by salaried legal aides.[203] Its members were mostly drawn from the equestrian class, replacing the earlier freedmen of the Imperial household.[204][205] This innovation marked the superseding of surviving Republican institutions by an openly autocratic political system.[206] The reformed bureaucracy was supposed to exercise administrative functions independently of traditional magistracies; objectively it did not detract from the Senate’s position. The new civil servants were free men and as such supposed to act on behalf of the interests of the « Crown », not of the Emperor as an individual.[204] However, the Senate never accepted the loss of its prestige caused by the emergence of a new aristocracy alongside it, placing more strain on the already troubled relationship between the Senate and the Emperor.[207]
Hadrian codified the customary legal privileges of the wealthiest, most influential or highest status citizens (described as splendidiores personae or honestiores), who held a traditional right to pay fines when found guilty of relatively minor, non-treasonous offences. Low ranking persons – alii (« the others »), including low-ranking citizens – were humiliores who for the same offences could be subject to extreme physical punishments, including forced labour in the mines or in public works, as a form of fixed-term servitude. While Republican citizenship had carried at least notional equality under law, and the right to justice, offences in Imperial courts were judged and punished according to the relative prestige, rank, reputation and moral worth of both parties; senatorial courts were apt to be lenient when trying one of their peers, and to deal very harshly with offences committed against one of their number by low ranking citizens or non-citizens. For treason (maiestas) beheading was the worst punishment that the law could inflict on honestiores; the humiliores might suffer crucifixion, burning, or condemnation to the beasts in the arena.[208]
A great number of Roman citizens maintained a precarious social and economic advantage at the lower end of the hierarchy. Hadrian found it necessary to clarify that decurions, the usually middle-class, elected local officials responsible for running the ordinary, everyday official business of the provinces, counted as honestiores; so did soldiers, veterans and their families, as far as civil law was concerned; by implication, all others, including freedmen and slaves, counted as humliores. Like most Romans, Hadrian seems to have accepted slavery as morally correct, an expression of the same natural order that rewarded « the best men » with wealth, power and respect. When confronted by a crowd demanding the freeing of a popular slave charioteer, Hadrian replied that he could not free a slave belonging to another person.[209]However, he limited the punishments that slaves could suffer; they could be lawfully tortured to provide evidence, but they could not be lawfully killed unless guilty of a capital offence.[210] Masters were also forbidden to sell slaves to a gladiator trainer (lanista) or to a procurer, except as legally justified punishment.[211] Hadrian also forbade torture of free defendants and witnesses.[212][213] He abolished ergastula, private prisons for slaves in which kidnapped free men had sometimes been illegally detained.[214]
Hadrian issued a general rescript, imposing a ban on castration, performed on freeman or slave, voluntarily or not, on pain of death for both the performer and the patient.[215] Under the Lex Cornelia de Sicaris et Veneficis, castration was place on a par with conspiracy to murder, and punished accordingly.[216] Notwithstanding his philhellenism, Hadrian was also a traditionalist. He enforced dress-standards among the honestiores; senators and knights were expected to wear the toga when in public. He imposed strict separation between the sexes in theaters and public baths; to discourage idleness, the latter were not allowed to open until 2.00 in the afternoon, « except for medical reasons ».[217]
Religious
Imperial cult
One of Hadrian’s immediate duties on accession was to seek senatorial consent for the apotheosis of his predecessor, Trajan, and any members of Trajan’s family to whom he owed a debt of gratitude. During his return from Brittania, Hadrian may have stopped at Nemausus, to oversee the completion of foundation of a basilicadedicated to his patroness Plotina, who had recently died in Rome and had been deified at Hadrian’s request.[218] Shortly before her death, Hadrian had granted Plotina’s wish that the leadership of the Epicurean School in Athens be granted to a non-Roman candidate.[219] Matidia Augusta, Hadrian’s mother-in-law, had died earlier, in December 119, and had also been deified.[220]
As Emperor, Hadrian was also Rome’s pontifex maximus, responsible for all religious affairs and the proper functioning of official religious institutions throughout the empire. His Hispano-Roman origins and marked pro-Hellenism shifted the focus of the official imperial cult, from Rome to the Provinces. While his standard coin issues still identified him with the traditional genius populi Romani, other issues stressed his personal identification with Hercules Gaditanus (Hercules of Gades), and Rome’s imperial protection of Greek civilisation.[221] He promoted Sagalassos in Greek Pisidia as the Empire’s leading Imperial cult centre and in 131–2 AD he sponsored the exclusively Greek Panhellenion, which extolled Athens as the spiritual centre of Greek culture.[222]
Antinous
Hadrian was criticized for the intensity of his grief at Antinous’s death, particularly as he had delayed the apotheosis of his own sister Paulina after her death.[223] But his attempt at turning the deceased youth into a cult-figure found little opposition.[224]The cult of Antinous was to become very popular in the Greek-speaking world, and also found support in the West. In Hadrian’s villa, statues of the Tyrannicides, with a bearded Aristogeiton and a clean-shaven Harmodios, linked the imperial favourite to the classical tradition of Greek love[225] Antinous was also compared to the Celtic sun-god Belenos.[226]
Medals were struck with Antinous’s effigy, and statues erected to him in all parts of the empire, in all kinds of garb, including Egyptian dress.[227] Temples were built for his worship in Bithynia and Mantineia in Arcadia. In Athens, festivals were celebrated in his honour and oracles delivered in his name. Antinous was not part of the state-sponsored, official Roman imperial cult, but provided a common focus for the emperor and his subjects, emphasizing their sense of community.[228] As an « international » cult figure, Antinous had an enduring fame, far outlasting Hadrian’s reign.[229] Local coins with his effigy were still being struck during Caracalla’s reign, and he was invoked in a poem to celebrate the accession of Diocletian.[230]
Hadrian continued Trajan’s policy on Christians; they should not be sought out, and should only be prosecuted for specific offences, such as refusal to swear oaths.[231]In a rescript addressed to the proconsul of Asia Minutius Fundanus and preserved by Justin Martyr, Hadrian laid down that accusers of Christians had to bear the burden of proof for their denunciations[232] or be punished for calumnia (defamation).[233]
Hadrian liked to demonstrate his knowledge of all intellectual and artistic fields. Above all, he patronized the arts: Hadrian’s Villa at Tibur (Tivoli) was the greatest Roman example of an Alexandrian garden, recreating a sacred landscape.[234]) In Rome, the Pantheon, originally built by Agrippa and destroyed by fire in 80, was completed under Hadrian in the domed form it retains to this day. It was highly influential to many of the great architects of the Italian Renaissance and Baroque periods.
From well before his reign, Hadrian displayed a keen interest in architecture and public works, but it seems that his eagerness was not always well received. For example, Apollodorus of Damascus, famed architect of the Forum of Trajan, dismissed his designs. When Hadrian’s predecessor, Trajan, consulted Apollodorus about an architectural problem, Hadrian interrupted to give advice, to which Apollodorus replied, « Go away and draw your pumpkins. You know nothing about these problems. » « Pumpkins » refers to Hadrian’s drawings of domes like the Serapeum in his villa. The historian Cassius Dio wrote that, once Hadrian succeeded Trajan and became emperor, he had Apollodorus exiled and later put to death. The story is problematic; brickstamps with consular dates show that the Pantheon’s dome was late in Trajan’s reign (115), probably under Apollodorus’s supervision.[235]
Hadrian wrote poetry in both Latin and Greek; one of the few surviving examples is a Latin poem he reportedly composed on his deathbed (see below). Some of his Greek productions found their way into the Palatine Anthology.[236][237] He also wrote an autobiography, which Historia Augusta says was published under the name of Hadrian’s freedman Phlegon of Tralles. It was not, apparently, a work of great length or revelation, but designed to scotch various rumours or explain Hadrian’s most controversial actions.[238] It is possible that this autobiography had the form of a series of open letters to Antoninus Pius.[239]
According to one source, Hadrian was a passionate hunter from a young age.[240] In northwest Asia, he founded and dedicated a city to commemorate a she-bear he killed.[241] It is documented that in Egypt he and his beloved Antinous killed a lion.[241] In Rome, eight reliefs featuring Hadrian in different stages of hunting decorate a building that began as a monument celebrating a kill.[241]
Hadrian’s philhellenism may have been one reason for his adoption, like Nero before him, of the beard as suited to Roman imperial dignity; Dio of Prusa had equated the growth of the beard with the Hellenic ethos.[242]. Hadrian’s beard may also have served to conceal his natural facial blemishes.[243] Most emperors before him had been clean-shaven; most who came after him were bearded, at least until Constantine the Great.[citation needed]
Hadrian was familiar with the Stoic philosophers Epictetus, and Favorinus, and with their works. During his first stay in Greece, before he became emperor, he attended lectures by Epictetus at Nicopolis.[244]
During Hadrian’s time as Tribune of the Plebs, omens and portents supposedly announced his future imperial condition.[245] According to the Historia Augusta, Hadrian had a great interest in astrology and divination and had been told of his future accession to the Empire by a grand-uncle who was himself a skilled astrologer.[246]
Poem by Hadrian
According to the Historia Augusta, Hadrian composed the following poem shortly before his death:[247]
Animula, vagula, blandula
Hospes comesque corporis
Quae nunc abibis in loca
Pallidula, rigida, nudula,
Nec, ut soles, dabis iocos…
P. Aelius Hadrianus Imp.
Roving amiable little soul,
Body’s companion and guest,
Now descending for parts
Colourless, unbending, and bare
Your usual distractions no more shall be there…
The poem has enjoyed remarkable popularity,[248][249] but uneven critical acclaim.[250] According to Aelius Spartianus, the alleged author of Hadrian’s biography in the Historia Augusta, Hadrian « wrote also similar poems in Greek, not much better than this one ».[251]T. S. Eliot‘s poem « Animula » may have been inspired by Hadrian’s, though the relationship is not unambiguous.[252]
Appraisals
Hadrian has been described as the most versatile of all Roman emperors.[253]Schiller called Hadrian « the Empire’s first servant ». Edward Gibbon admired his « vast and active genius » and his « equity and moderation ». In 1776, he stated that Hadrian’s era was part of the « happiest era of human history ». In his Meditations, written during his reign as emperor, Marcus Aurelius lists those to whom he owes a debt of gratitude; Hadrian is conspicuously absent.[254] Hadrian’s tense, authoritarian relationship with his senate was acknowledged a generation after his death by Fronto, himself a senator, who wrote in one of his letters to Marcus Aurelius that « I praised the deified Hadrian, your grandfather, in the senate on a number of occasions with great enthusiasm, and I did this willingly, too […] But, if it can be said – respectfully acknowledging your devotion towards your grandfather – I wanted to appease and assuage Hadrian as I would Mars Gradivus or Dis Pater, rather than to love him. »[255] Fronto adds, in another letter, that he kept some friendships, during Hadrian’s reign, « under the risk of my life » (cum periculo capitis).[256] The veiled antagonism between Hadrian and the Senate never grew to overt confrontation as had happened during the reigns of overtly « bad » emperors, because Hadrian knew how to remain aloof and avoid an open clash.[257]
The Senate’s political role was effaced behind Hadrian’s personal rule (in Ronald Syme’s view. Hadrian « was a Führer, a Duce, a Caudillo« ).[258] The fact that Hadrian spent half of his reign away from Rome in constant travel undoubtedly helped the management of this strained relationship.[259] Hadrian underscored the autocratic character of his reign by counting his dies imperii from the day of his acclamation by the armies, rather than the senate, and legislating by frequent use of imperial decrees to bypass the Senate’s approval.[260] According to Syme, Tacitus‘ description of the rise and accession of Tiberius is a disguised account of Hadrian’s authoritarian Principate.[261] According, again, to Syme, Tacitus’ Annals would be a work of contemporary history, written « during Hadrian’s reign and hating it ».[262]
Sources and historiography
In Hadrian’s time, there was already a well established convention that one could not write a contemporary Roman imperial history for fear of contradicting what the emperors wanted to say, read or hear about themselves.[263][264] Political histories of Hadrian’s reign come mostly from later sources, some of them written centuries after the reign itself. Book69 of the early 3rd-century Roman History by Cassius Dio gives a general account of Hadrian’s reign, but the original is lost; what survives is a brief, Byzantine-era abridgment by the 11th-century monk Xiphilinius, focussed on Hadrian’s religious interests and the Bar Kokhba war, and little else. Hadrian’s is the first in the series of probably late 4th-century imperial biographies known as Historia Augusta. The collection as a whole is notorious for its unreliability (« a mish mash of actual fact, cloak and dagger, sword and sandal, with a sprinkling of Ubu Roi« ),[265]but most modern historians consider its account of Hadrian to be relatively free of outright fictions, and probably based on sound historical sources.[266] Its principal source is generally assumed, on the basis of indirect evidence, to be one of a lost series of imperial biographies by the prominent 3rd-century senator Marius Maximus, covering the reigns of Nerva through to Elagabalus.[267] Greek authors such as Philostratus and Pausanias, who wrote shortly after Hadrian’s reign, confined their scope to the general historical framework that shaped Hadrian’s decisions, especially those relating to Greece. Fronto left Latin correspondence and works attesting to Hadrian’s character and his reign’s internal politics.[268]
In modern scholarship, these accounts are supplemented by epigraphical, numismatic, archaeological, and other non-literary sources, without which no detailed, chronological account would be possible; the first modern historian to attempt such an account was the German 19th-century medievalist Ferdinand Gregorovius.[269][270]
German historian Wilhelm Weber produced a 1907 biography of Hadrian.[269] Weber was an extreme German nationalist and later a Nazi Party supporter. In keeping with his general view on Roman history, his views on Hadrian, and especially the Bar Kokhba war, are ideologically loaded.[271][272] The 1923 Hadrian English biography by B.W. Henderson is more readable in the way of a summing-up and interpretation of the written sources, but Henderson’s anti-German bias made him completely ignore Weber’s study of the non-literary sources.[269]
Only after the development of epigraphical studies in the post-war period could an alternate historiography of Hadrian develop, that leaned less on the ancient literary tradition. The ancient tradition had as its leitmotif a comparison between Hadrian and Trajan- mostly to the former’s disadvantage. On the other hand, modern historiography on Hadrian sought to explore the meaning (as in the title of a recent summing-up work by the German historian Susanne Mortensen)[273] attached by Hadrian to his policies on various fields, as well as the particular aspects of these policies. According to historians such as the Italian M.A. Levi, a summing-up of Hadrian’s policies should stress the ecumenical character of the Empire, his development of an alternate bureaucracy disconnected from the Senate and adapted to the needs of an « enlightened » autocracy, as well as his overall defensive grand strategy. According to Levi, that would be enough to allow us to consider Hadrian as a grand Roman political reformer, the creator of an absolute monarchy in the place of a senatorial republic – even a sham one.[274] British historian Robin Lane Fox, in his book about the Classical World, credits Hadrian with the creation of a unified Greco-Roman cultural tradition, but at the same time he considers Hadrian to be the end of this same tradition, as Hadrian’s « restoration » of the Classical Age into the framework of an undemocratic Empire simply emptied it of substantive meaning, or, in Fox’s words, « kill[ed] it with kindness ».[275] The latest (1997) English biography by Anthony Birley sums up and reflect these developments in Hadrian historiography.
Jump up^Lover of Hadrian: Lambert (1984), p. 99 and passim; deification: Lamber (1984), pp. 2-5, etc.
Jump up^Julia Balbilla a possible lover of Sabina: A. R. Birley (1997), Hadrian, the Restless Emperor, p. 251, cited in Levick (2014), p. 30, who is sceptical of this suggestion.
Jump up^Husband of Rupilia Faustina: Levick (2014), p. 163.
Jump up^The epitomator of Cassius Dio (72.22) gives the story that Faustina the Elder promised to marry Avidius Cassius. This is also echoed in HA« Marcus Aurelius » 24.
Jump up^Husband of Ceionia Fabia: Levick (2014), p. 164.
Giacosa, Giorgio (1977). Women of the Caesars: Their Lives and Portraits on Coins. Translated by R. Ross Holloway. Milan: Edizioni Arte e Moneta. ISBN0-8390-0193-2.
Lambert, Royston (1984). Beloved and God: The Story of Hadrian and Antinous. New York: Viking. ISBN0-670-15708-2.
Levick, Barbara (2014). Faustina I and II: Imperial Women of the Golden Age. Oxford University Press. ISBN978-0-19-537941-9.
Jump up^Mary T. Boatwright (2008). « From Domitian to Hadrian ». In Barrett, Anthony. Lives of the Caesars. Wiley-Blackwell. p. 159. ISBN978-1-4051-2755-4.
Jump up^Eutr. VIII. 6: « … nam eum (Hadrianum) Traianus, quamquam consobrinae suae filium … » and SHA, Vita Hadr. I, 2: …pater Aelius Hadrianus cognomento Afer fuit, consobrinus Traiani imperatoris.
Jump up^After A. M. Canto, in La dinastía Ulpio-Aelia (98-192 dC): Ni tan «Buenos», ni tan «Adoptivos», ni tan «Antoninos», Gerión 21/1, 2003, 305-347, specifically pp.322, 328, 341 and footnote 124, where she stands out SHA, Vita Hadr. 1.2: pro filio habitus(years 93); 3.2: ad bellum Dacicum Traianum familiarius prosecutus est (year 101) or, principally, 3.7: quare adamante gemma quam Traianus a Nerva acceperat donatus ad spem successionis erectus est (year 107).
Jump up^Alicia M. Canto, « Itálica, patria y ciudad natal de Adriano (31 textos históricos y argumentos contra Vita Hadr). His father died in AD 86 when Hadrian was at the age of 10. 1, 3″, Athenaeum vol.92.2, 2004, pp.367–408 UNIPV.itArchived 15 October 2007 at the Wayback Machine.
Jump up^Ronald Syme, in his paper « Hadrian and Italica » (Journal of Roman Studies, LIV, 1964; pp.142–149) supported the position that Rome was Hadrian’s birthplace. Canto, however, argues that only one extant ancient source gives Hadrian’s birthplace as Rome (SHA, Vita Hadr 2,4, probably interpolated), as opposed to 25 other sources affirming that he was born in Italica. Among these alternative sources is Hadrian’s own imperial horoscope, included in the surviving fragments of an astrological compendium attributed to Antigonus of Nicaea, written during the late 2nd century:cf. Stephan Heiler, « The Emperor Hadrian in the Horoscopes of Antigonus of Nicaea », in Günther Oestmann, H. Darrel Rutkin, Kocku von Stuckrad, eds.,Horoscopes and Public Spheres: Essays on the History of Astrology. Berlim: Walter de Gruyter, 2005, ISBN978-3-11-018545-4, page 49. This horoscope was well studied by prominent authors such as F.H. Cramer, Astrology in Roman Law and Politics, Mem.Amer.Philos.Soc. nr. 37, Philadelphia, 1954 (repr. 1996), see for Hadrian pp.162–178, fn. 121b and 122, etc.: « … Hadrian – whose horoscope is absolutely certain – surely was born in southern Spain … (in) SHA, Hadrian, 2, 4, the birth was erroneously assigned to Rome instead of Italica, the actual birthplace of Hadrian… », or O.Neugebauer and H.B. Van Hoesen in their magisterial compilation Greek Horoscopes, Mem.Amer.Philos.Soc. nr. 48, Philadelphia, 1959, nr.L76, see now here, ed. 1987 pp.80, 90–1, and his footnote 19. They came also to the conclusion that the astronomic parallel of the Hadrian’s birth is situated in the Baetica, today Andalusia: « …L40 agrees exactly with the geographical latitude of southern Spain, the place of origin of Hadrian and his family…« .. « since Hadrian was born in Italica (southern Spain, near Seville, latitude about 37° 30)… ».
Jump up^Historia Augusta, ‘Hadrian’, I-II, here explicitly citing the autobiography. This is one of the passages in the Historia Augusta where there is no reason to suspect invention. But see now the Canto’s 31 contrary arguments in the op.cit. supra; among them, in the same Historia Augusta and, from the same author, Aelius Spartianus, Vita Sev. 21: Falsus est etiam ipse Traianus in suo municipe ac nepote diligendo, see also es:Adriano#cite note-nacimiento-0, and, characterizing him as a man of provinces (Canto, ibid.): Vita Hadr. 1,3: Quaesturam gessit Traiano quater et Articuleio consulibus, in qua cum orationem imperatoris in senatu agrestius pronuntians risus esset, usque ad summam peritiam et facundiam Latinis operam dedit
Jump up^Alicia M. Canto, « La dinastía Ulpio-Aelia (96–192 d.C.): ni tan Buenos, ni tan Adoptivos ni tan Antoninos ». Gerión (21.1): 263–305. 2003
Jump up^On the numerous senatorial families from Spain residing at Rome and its vicinity around the time of Hadrian’s birth see R. Syme, ‘Spaniards at Tivoli’, in Roman Papers IV (Oxford, 1988), pp.96–114. Tivoli (Tibur) was of course the site of Hadrian’s own imperial villa.
^ Jump up to:abRoyston Lambert, Beloved And God, pp.31–32.
Jump up^Aulus Gellius, Noct.Att. XVI, 13, 4, and some inscriptions in the city with C(olonia) A(elia) A(ugusta) I(talica)
Jump up^John D. Grainger, Nerva and the Roman Succession Crisis of AD 96–99. Abingdon: Routledge, 2004, ISBN0-415-34958-3, p. 109
Jump up^Thorsten Opper, The Emperor Hadrian. British Museum Press, 2008, p. – 39
Jump up^Jörg Fündling, Kommentar zur Vita Hadriani der Historia Augusta (= Antiquitas. Reihe 4: Beiträge zur Historia-Augusta-Forschung, Serie 3: Kommentare, Bände 4.1 und 4.2). Habelt, Bonn 2006, ISBN3-7749-3390-1, p. 351.
Jump up^John D. Grainger, Nerva and the Roman Succession Crisis, p. 109; Alan K. Bowman, Peter Garnsey, Dominic Rathbone, eds. The Cambridge Ancient History – XI. Cambridge U. P.: 2000, ISBN0-521-26335-2, p. 133.
Jump up^The text of Historia Augusta (Vita Hadriani, 3.8) is garbled, stating that Hadrian’s election to the praetorship was contemporary « to the second consulate of Suburanus and Servianus » – two characters that had non-simultaneous second consulships – so Hadrian’s election could be dated to 102 or 104, the later date being the most accepted
Jump up^The Athenian inscription confirms and expands the one in Historia Augusta; see John Bodel, ed., Epigraphic Evidence: Ancient History From Inscriptions. Abingdon: Routledge, 2006, ISBN0-415-11623-6, p. 89
Jump up^His career in office up to 112/113 is attested by the Athens inscription, 112 AD: CIL III, 550 = InscrAtt 3 = IG II, 3286 = Dessau 308 = IDRE 2, 365: decemvir stlitibus iudicandis/ sevir turmae equitum Romanorum/ praefectus Urbi feriarum Latinarum/ tribunus militum legionis II Adiutricis Piae Fidelis (95, in Pannonia Inferior)/ tribunus militum legionis V Macedonicae (96, in Moesia Inferior)/ tribunus militum legionis XXII Primigeniae Piae Fidelis (97, in Germania Superior)/ quaestor (101)/ ab actis senatus/ tribunus plebis (105)/ praetor (106)/ legatus legionis I Minerviae Piae Fidelis (106, in Germania Inferior)/ legatus Augusti pro praetore Pannoniae Inferioris (107)/ consul suffectus (108)/ septemvir epulonum (before 112)/ sodalis Augustalis (before 112)/ archon Athenis (112/13). He also held office as legatus Syriae (117): see H.W. Benario in Roman-emperors.org
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Jump up^This made Hadrian the first senator in history to have an Augusta as his mother-in-law, something that his contemporaries could not fail to notice: see Christer Brun, « Matidia die Jüngere », IN Anne Kolb, ed., Augustae. Machtbewusste Frauen am römischen Kaiserhof?: Herrschaftsstrukturen und Herrschaftspraxis II. Akten der Tagung in Zürich 18.-20. 9. 2008. Berlin: Akademie Verlag, 2010, ISBN978-3-05-004898-7, p.230
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