Souvent dédaigné par rapport à l’époque classique, l’art hellénistique est pourtant d’une richesse de mieux en mieux appréhendée de nos jours. La multiplication des royaumes hellénistiques, et du mécénat afférent, permet la diffusion de pratiques et de techniques artistiques dans les domaines de l’architecture, avec souvent des proportions tirant vers le gigantisme, de la sculpture ou encore de la peinture murale.
L’innovation artistique n’est désormais plus le fait de la Grèce continentale : c’est ainsi à Pergameque naît le « baroque hellénistique », caractérisé par la violence des expressions et des mouvements représentés, dont les groupes de Gaulois ou encore le Grand Autel sont les meilleures illustrations. Des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des chefs-d’œuvre de peinture murale ou de toreutique à Vergina (ancienne Aigéai) en Macédoine, ou encore à Panagyurichté, en Bulgarie.
La période est également marquée par la disparition de la peinture sur vase et par l’essor des arts dits « mineurs » : travail des métaux, de l’ivoire ou encore du verre, mosaïque, etc. La figurine en terre cuite s’émancipe du cadre religieux pour prendre son autonomie : elle représente un témoignage majeur sur la vie quotidienne de l’époque mais aussi, avec les « grotesques » de Smyrne ou d’Alexandrie, une remise en cause de la « beauté grecque » classique.
La fin du monde hellénistique
La disparition du royaume lagide d’Égypte en 30 av. J.-C., avec le suicide de sa dernière souveraine Cléopâtre, marque l’achèvement de la conquête par Rome du monde méditerranéen et clôt la période hellénistique. Les Romains ont l’habileté de récupérer et d’utiliser à leur profit l’héritage hellénistique. Ainsi, le modèle de la cité continue son évolution, même si l’indépendance politique n’est plus possible, tandis que la langue grecque reste la langue dominante dans la partie orientale de l’Empire et cela jusqu’à l’émergence du monde musulman et de l’arabe. La culture grecque quant à elle imprègne les élites romaines à tel point qu’une culture commune, issue du monde hellénistique avec des apports romains, s’impose dans l’Empire. Il n’en est pas de même au-delà des limites orientales de l’Empire romain. En effet, la conquête par les Parthes de la Mésopotamie au ier siècle av. J.-C., l’effondrement des royaumes grecs de Bactriane mettent fin à la domination politique, culturelle et économique du monde grec. Si l’héritage hellénistique perdure dans l’art, il ne s’agit plus que d’un aspect composite dans une culture où les éléments asiatiques et indiens redeviennent prépondérants.
Giacobbe Giusti, Époque hellénistique
Alexandre le Grand ne laisse pas de réels successeurs capables de régner, et surtout de s’imposer à ses principaux officiers, les diadoques, qui se déchirent pendant 40 ans. Les guerres auxquelles se livrent les Perdiccas, Ptolémée I er, Cassandre, Lysimaque, Antigone le Borgne et Séleucos, pour ne citer que les plus importants, jusque vers 281 av. J.-C., font ainsi disparaître toute la parentèle d’Alexandre et éclater l’empire. Il s’en faut de peu cependant pour qu’Antigone le Borgne, vieil officier vaguement apparenté à la dynastie royale macédonienne, ne réussisse à le reconstituer, mais une coalition de ses rivaux l’emporte à la bataille d’Ipsos en 301 av. J.-C.5
La Grèce, la Macédoine, l’Asie Mineure sont profondément bouleversées par les campagnes militaires incessantes des diadoques, cependant que la partie orientale de l’empire est rapidement perdue par eux du fait de l’émergence des royaumes grecs de Bactriane et de l’Empire Maurya en Inde. Peu importe à ces généraux la partie de l’empire qu’ils gouvernent, l’essentiel est de régner. Ainsi Démétrios Poliorcète dirige d’abord avec son père Antigone le Borgne l’essentiel de l’Asie puis, après la défaite et la mort de ce dernier, s’empare en 294 de la Macédoine, la perd six ans plus tard avant de finir sa vie en captivité6. De même, Ptolémée Kéraunos, chassé d’Égypte en 284 par son père Ptolémée Ier, se réfugie auprès de son beau-frère Lysimaque en Thrace, prend le contrôle de son royaume, puis de la Macédoine après avoir assassiné Séleucos. Le Moyen-Orient est ainsi totalement dominé par les ambitions de ces généraux, qui disposent de troupes essentiellement constituées de mercenaires grecs et macédoniens ; Antigone Ier est le premier d’entre eux à prendre le titre de roi (basileus), en 306, les autres diadoques faisant de même peu de temps après.
On peut considérer Ptolémée Ier, l’un des compagnons d’enfance d’Alexandre, comme étant le souverain le plus lucide. Il s’empare rapidement de l’Égypte et s’attache à y créer un État durable, renonçant ainsi à récréer l’empire à son profit. Cela fait sans doute de lui l’un des fossoyeurs de l’idée impériale voulue par Alexandre, mais aussi l’un des fondateurs du monde hellénistique.
L’équilibre du iiie siècle
Au iiie siècle av. J.-C. un équilibre précaire s’installe entre trois dynasties issues des diadoques. La Macédoine est gouvernée par les descendants d’Antigone le Borgne (Antigonides), l’Égypte par les Lagides, et l’empire le plus vaste mais le moins homogène (Asie Mineure, Syrie, Mésopotamie, Perside) par les Séleucides. Aux côtés de ces trois monarchies principales, existent des royaumes plus petits, tel celui des Attalidesautour de Pergame7 qui émerge autour de 270, ou encore ceux du Pont et de Bithynie.
Il existe également des confédérations de cités qui s’opposent, parfois avec succès, aux entreprises des royaumes hellénistiques. Les deux plus importantes sont sans doute la Ligue achéenne et la Ligue étolienne, qui jouent un rôle notable jusqu’à la conquête romaine. De même, certaines cités parviennent à préserver totalement leur indépendance et à entretenir des relations d’égal à égal avec les royaumes ; la cité de Rhodes en est probablement le meilleur exemple.
La règle diplomatique qui domine est la suivante : le plus proche voisin est naturellement un ennemi8. C’est ainsi que le iiie siècle av. J.-C. est marqué par les rivalités entre les Séleucides et les Lagides, qui se concrétisent pendant les guerres de Syrie9, guerres ayant en particulier pour enjeux la possession de la Cœlé-Syrie. Celle-ci passe finalement sous contrôle séleucide à la fin du iiie siècle av. J.-C.. De même les rivalités sont fortes entre Séleucides et Attalides en Asie mineure, tout comme entre Rhodes, le royaume de Pergame, et les Antigonides de Macédoine pour le contrôle des détroits.
La Macédoine dispute de la même façon le contrôle des cités grecques aux ligues achéennes et étoliennes. Celles-ci représentent les principales forces politiques et militaires de la Grèce continentale du iiie siècle av. J.-C., dans la mesure où la puissance militaire d’Athèness’effondre définitivement après la guerre de Chrémonidès (268/262), la cité passant sous un contrôle antigonide direct jusqu’en 229. Les deux ligues s’allient contre la Macédoine à la fin du iiie siècle av. J.-C. (« guerre démétriaque ») et remportent quelques succès. Mais la ligue achéenne se rapproche de la Macédoine (vers 229) face à la menace que représente les réformes du roi de Sparte, Cléomène III. Le roi de Macédoine, Antigone Dôsôn, reconstitue une lointaine héritière de la ligue de Corinthe, appelée l’« Alliance hellénique »10, dont il est l’hègémôn, et par sa victoire de Sellasie en 222 sur Sparte, réaffirme la domination macédonienne sur une large partie de la Grèce continentale. Cette domination est renforcée par la victoire de son successeur, Philippe V de Macédoine sur la ligue étolienne lors de la «guerre des alliés» entre 220et 217.
L’intervention romaine et la disparition politique du monde hellénistique
Carte de la Macédoine et du monde égéen vers 200
av. J.-C.
À la fin du iiie siècle av. J.-C., la Grande-Grèce — c’est-à-dire l’Italie du sud et la Sicile — tombe sous la domination romaine après un siècle d’affrontement, que ce soit avec Pyrrhus11 ou dans le cadre des guerres puniques. Mais il faut attendre le début du iie siècle av. J.-C. pour que Rome intervienne réellement en Orient. Dans un premier temps, elle dompte militairement les Antigonides et surtout Antiochos III, la dernière grande figure politique des souverains hellénistiques avant Mithridate et Cléopâtre. Puis, dans un lent et complexe processus de grignotage qui s’étale sur près de deux siècles, avec la complicité de cités et du royaume de Pergame, elle s’assure la domination complète de la Méditerranée orientale. En effet, Rome préfère dans un premier temps ne pas annexer de territoires (première moitié du iie siècle av. J.-C.). Toutefois, avec la conquête définitive de la Macédoine et de la Grèce (saccage de Corinthe) en 148/146, transformées en provinces romaines, le processus impérialiste est enclenché12. En 133le royaume de Pergame devient romain ; il forme la province d’Asie en 128/26. En 102 c’est la Cilicie qui passe sous le contrôle de Rome puis en 96 la Cyrénaïque.
Parallèlement, l’influence politique des Séleucidess’effondre brutalement en Asie centrale, en Persepuis en Mésopotamie après le règne d’Antiochos III (223–187 av. J.-C.). Alors que ce dernier possède encore les moyens de diriger une expédition jusqu’aux limites de l’Inde, son fils Antiochos IVÉpiphane (-175 à -163) est incapable de vaincre l’insurrection des Maccabées en Palestine. L’irruption des Parthes à partir du milieu du iiie siècle av. J.-C. accélère cette décomposition politique. Aux débuts du ier siècle av. J.-C. les souverains séleucides ne gouvernent ainsi plus que la Syrie. Celle-ci est conquise par Tigrane II d’Arménie qui constitue un empire de courte durée allant de la mer Caspienne à la mer Méditerranée, à son tour annexé par Pompée en 64/63.
Cependant, cette pénétration romaine dans l’Orient hellénistique ne va pas sans résistance et il ne faut pas moins de trois guerres aux Romains pour abattre le roi du Pont, Mithridate VI, qui meurt en 63. Pompée réorganise alors l’Orient sous l’ordre romain.
Dans la seconde moitié du ier siècle av. J.-C., le monde hellénistique n’est plus qu’un arc de provinces romaines bordées de petits royaumes vassaux. À la fin de la République romaine, il devient le champ d’affrontement des ambitions des divers généraux (bataille de Pharsale, bataille de Philippes, bataille d’Actium), jusqu’à la victoire finale d’Octave. Le dernier acte de cette conquête est la lutte qui oppose Octave à Marc Antoine, allié de la dernière souveraine lagide d’Égypte, Cléopâtre VII, qui s’achève par la défaite puis le suicide de cette dernière en 30 av. J.-C.
Les cadres politiques permanents : royaumes et cités
Le déclin somme toute relativement rapide de ces royaumes amène à s’interroger sur la fragilité apparente et la nature des monarchies hellénistiques ainsi que sur la permanence de l’autre grande structure politique héritée du monde grec, la cité.
Le royaume hellénistique, une monarchie absolue
Giacobbe Giusti, Époque hellénistique
La monarchie hellénistique est personnelle. Cela signifie qu’est souverain celui qui par son mérite individuel, ses actions, le plus souvent militaires, sa conduite peut aspirer au titre de basileus(« roi »). Par conséquent la victoire militaire est le plus souvent l’acte qui légitime l’accession au trône et qui permet de régner sur une province ou un état. Les Séleucides utilisent la prise de Babylone par Séleucos Ier en 312 pour légitimer leur présence en Mésopotamie, ou sa victoire de 281 sur Lysimaque pour justifier leurs revendications sur la région des détroits et sur la Thrace. Les rois de Bithynie tirent également profit de la pseudo-victoire en 277 de leur ancêtre Nicomède Ier (qui en réalité cède des territoires et s’allie avec eux) sur les Galates pour affirmer leurs prétentions territoriales13.
« Le roi a trois fonctions : commander l’armée, rendre la justice et honorer les dieux. »
— Stobée, Florilège, VII, 61
Cette monarchie personnelle ne possède pas de règles de succession précises, d’où les querelles incessantes et les assassinats nombreux lorsqu’il y a plusieurs héritiers, ni de lois fondamentales, ni de textes réglementant les pouvoirs du souverain. Tout procède du roi et en particulier les lois. Ce caractère absolu et personnel est à la fois la force et la faiblesse de ces monarchies hellénistiques en fonction du caractère et de la personnalité du souverain. Il est par conséquent nécessaire, en dehors de la Macédoine où la monarchie est une institution ancienne, de créer des idéologies justifiant la domination de dynasties d’origine macédonienne et de culture grecque sur des populations totalement étrangères à cette civilisation. Les Lagides deviennent ainsi pharaons aux yeux des Égyptiens et ont l’adresse de s’allier le clergé autochtone par de larges dons aux temples.
Mais ces souverains gouvernent aussi des populations d’origine grecque et macédonienne auprès desquelles ils doivent montrer l’image d’un roi justicier, assurant la paix et qui se comporte en bienfaiteur. C’est la notion d’évergétisme, qui fait du monarque hellénistique le bienfaiteur de ses sujets. La conséquence de ce fait, déjà initié par Alexandre le Grand, est la divinisation de leur vivant d’un grand nombre de souverains ainsi que les honneurs cultuels qui leur sont rendus par leurs sujets14, ou par des cités autonomes ou indépendantes à qui ils ont rendu service. Cela permet de renforcer la cohésion du royaume autour de la dynastie.
La fragilité du pouvoir des souverains hellénistiques oblige ceux-ci à une incessante activité. Il est d’abord nécessaire de vaincre militairement ses adversaires et cette période est constituée d’une suite de conflits entre souverains ou contre des adversaires extérieurs : Parthes, Romains, etc. C’est ainsi que ces souverains sont contraints de voyager énormément afin d’installer des garnisons, de construire des cités pour quadriller leurs États. Antiochos III est sans conteste celui qui se déplace le plus entre la Syrie, l’Égypte, la Mésopotamie, la Perse, les frontières de l’Inde, l’Asie Mineure, la Grèce avant de mourir près de la cité de Suse en 187 av. J.-C.Afin d’entretenir ces armées et de financer la construction de ces cités, il est indispensable aux souverains de bâtir des administrations solides et avant tout fiscales15. Les royaumes hellénistiques sont ainsi tout d’abord de gigantesques structures d’exploitation fiscale et se posent donc en héritiers directs de l’empire achéménide. Ainsi Ptolémée II en 269/268 enlève t-il la perception de l’apomoira (un impôt ecclésiastique (entre 1/10 et 1/6 des récoltes) versé aux temples) au clergé au profit de l’administration royale16. Certes l’apomoira bénéficie toujours au clergé mais il arrive, dans les successeurs de Ptolémée II, que confrontés à des difficultés financières ceux-ci détournent le produit de l’impôt.
Ce travail du roi, épuisant, auxquelles s’ajoutent les incessantes doléances et récriminations — car le roi est aussi un roi justicier, font dire à Séleucos Ier :
« Si les gens savaient quelle corvée ce peut être d’écrire seulement et de lire tant de lettres, on ne voudrait pas ramasser un diadème même s’il traînait par terre. »
— Plutarque, Moralia, « Si la politique est l’affaire des vieillards », 11.
Autour de ces souverains gravite une cour où le rôle des favoris du monarque devient rapidement prépondérant. En règle générale ce sont des Grecs ou des Macédoniens qui souvent portent le titre d’amis du roi (philoi). Le désir d’Alexandre le Grand d’associer les élites asiatiques au pouvoir est abandonné et cette domination politique gréco-macédonienne par bien des aspects s’apparente à une domination coloniale. Pour s’attacher des collaborateurs efficaces et fidèles le roi doit les enrichir par des dons, des domaines pris sur le domaine royal. Cela n’empêche pas certains favoris d’avoir une fidélité douteuse et parfois, surtout dans le cas d’une minorité royale, d’exercer réellement le pouvoir tel Hermias, dont Antiochos III a toutes les peines à se défaire17, ou Sosibios en Égypte à qui Polybe fait une réputation sinistre18.
Ces rois disposent donc d’un pouvoir absolu mais sont soumis à de multiples contraintes, s’attacher leur entourage, vaincre leurs ennemis, prouver leur nature royale par leurs comportements, légitimer leur fonction par une divinisation de leur personne. À l’époque classique, le modèle de la monarchie, rejeté par les philosophes grecs, est asiatique ; à l’époque hellénistique, il est grec.
Certaines villes sont de taille importante dès leur origine (Antioche, Alexandrie, Pergame, Séleucie du Tigre ou même Aï Khanoum en Asie centrale), mais beaucoup ne sont à l’origine que de simples forts militaires et ne se transforment en villes qu’au iie siècle av. J.-C. : ainsi de Doura Europos ou de Zeugma-Séleucie sur l’Euphrate. Quelques fondations sont d’ailleurs des échecs et les cités abandonnées, telle Apamée de l’Euphrate.
Dans ces cités, le modèle civique connaît une vitalité toujours aussi affirmée. Les rois ne fondent pas que de simples villes mais bien des poleis sur le modèle grec classique. Ce modèle va s’étendre sur les communautés qui s’hellénisent, ainsi en Asie Centrale et en Phénicie. La vie civique, connue par une documentation plus importante que pour la période antérieure, est riche. Il semble que le régime oligarchique soit en perte de vitesse et que la démocratie, selon les critères de l’époque, devienne la norme la plus répandue dans le monde hellénistique. Un consensus global se met en place, parfois rompu par quelques guerres civiles fréquentes dans des communautés fragiles et instables, afin que les notables conduisent la politique de la cité, mais sous le contrôle souverain du reste des citoyens. L’attachement à sa cité, à sa patrie, est toujours aussi fort et les exemples sont nombreux de citoyens prenant les armes pour défendre leur indépendance menacée.
Les relations complexes entre souverains et cités
Les relations entre les rois hellénistiques et les cités qu’ils dominent, ou cherchent à dominer, sont complexes. Dans l’absolu, les cités grecques refusent de se soumettre à l’autorité sans partage des souverains. Mais la réalité est plus fluctuante et dépend du rapport de force qui s’installe. En règle générale, un souverain qui s’empare d’une cité est en droit de la supprimer, mais le plus souvent un accord est trouvé et la cité devient ainsi une alliée (contrainte). En fait, on distingue une gamme infinie de nuances entre les cités sujettes, sur lesquelles le contrôle royal est étroit (présence de troupes royales, de fonctionnaires royaux, paiement d’un tribut, etc.) et qui peuvent être parfois cédées comme simple part du domaine royal, et les cités subordonnées qui sont nominalement libres et conservent une large autonomie. Ce cas est fréquent pour les cités du monde égéen, souvent fondées bien avant la création des royaumes hellénistiques.
Les rapports entre ces deux entités politiques sont dominés par un modèle politique que l’on nomme l’échange évergétique : bienfaits contre honneurs. S’inspirant du modèle habituel de relations entre les cités et les citoyens bienfaiteurs, il devient la norme pour les relations entre cités et monarques. Le roi est ainsi présenté comme un souverain puissant, bienveillant envers la cité (par ses dons ou par ses exemptions d’impôts), protecteur (contre une éventuelle attaque extérieure) et garant de la prospérité. En échange, la cité proclame son dévouement (ce qui est un moyen pour le roi d’asseoir sa légitimité), lui assure les honneurs par l’érection de statues ou, le cas échéant, les honneurs cultuels. L’évergétisme est ainsi le principal cadre idéologique des rapports politiques entre souverains et cités. Il est même fréquent que l’évergétisme se manifeste envers des cités n’appartenant pas à la zone d’influence des souverains. C’est ainsi que Rhodes est soutenue par l’ensemble des monarques hellénistiques après le terrible séisme de 227 av. J.-C. Les Attalides financent de nombreux monuments d’Athènes20 dont la fameuse stoa d’Attale, reconstruite au xxe siècle par l’École archéologique américaine d’Athènes.
Dans l’ensemble, les cités ont rarement été les acteurs de premier plan de la période mais elles maintiennent dans le monde hellénistique — ce qui est un facteur supplémentaire d’unité — leurs identités, leurs traditions et leurs modes de fonctionnement face aux souverains. Cette relative unité s’explique par les interactions et les échanges internes à l’espace hellénistique.
La période hellénistique correspond à un accroissement des échanges humains et commerciaux sur une échelle sans doute inégalée dans cette région du monde.
Cela concerne d’abord les soldats qui se déplacent sur des milliers de kilomètres. Cette époque correspond aussi à un fort développement du mercenariat. Ainsi les habitants de Sagalassos, en Pisidie, fournissent pendant longtemps des mercenaires réputés, surtout aux Lagides. Les artistes aussi se déplacent sur de longues distances, tout comme les philosophes — Cléarque de Soles par exemple, un élève d’Aristote, dont la présence est attestée à Aï Khanoum, voire peut-être jusqu’en Inde. Les échanges entre cités, déjà réguliers lors de l’époque classique, sont plus nombreux. Les enfants des familles de notables sont fréquemment envoyés dans de grandes cités (Athènes, Delphes, etc.) pour y poursuivre un enseignement réputé en rhétorique, laquelle est indispensable pour entamer une carrière politique ou diplomatique. Ainsi, le personnage de Moschiôn, citoyen de Priène, représente sa cité aux concours organisés dans les villes situées à proximité puis devient ambassadeur auprès des Séleucides, puis en Égypte et enfin à Rome. Il semble être allé jusqu’à Pétra en Arabie26. Des carrières identiques à celle-ci sont nombreuses et n’ont rien d’exceptionnelles. Ces ambassades sont motivées par des considérations politiques bien sûr, mais aussi économiques (obtenir par exemple des exemptions ou des allègements de taxes), religieuses et culturelles (concours).
Ces échanges concernent aussi les médecins, les artistes ou parfois des magistrats. En effet, certaines cités préfèrent confier leurs procès à des citoyens d’autres cités, jugés plus impartiaux et moins soumis aux pressions. Cette habitude a sans doute pu permettre un rapprochement des pratiques juridiques entre les cités. Quels que soient les motifs de la présence d’un Grec dans une cité autre que la sienne, en cas de succès la ville d’accueil honore par un décret cette présence. Ces décrets sont aussi transmis à la cité d’origine par une ambassade, ce qui resserre encore plus les liens. Souvent ces relations diplomatiques sont renforcées par une parenté mythique. Chaque cité prétendant descendre d’un héros mythologique il est relativement facile, du fait de la complexité de la mythologie grecque et de l’extrême diversité des légendes et des traditions, de trouver des ancêtres communs. Ainsi, quand la modeste cité de Kyténion (en Doride) envoie une ambassade à la principale cité de Lycie, Xanthe, elle prend soin de démontrer une parenté commune (Apollon serait né à Xanthos et se trouve être l’ancêtre mythique des Kyténiens)26. Ces pratiques courantes sont prises très au sérieux à une époque où le mythe ne se dégage guère de l’Histoire et où il est primordial de montrer que l’on descend de héros homériques. Le geste d’Alexandre le Grand qui, à peine en Asie, rend hommage à Achille et Patrocle, est révélateur de cet état d’esprit. Cela démontre l’existence d’une communauté de pratiques et de valeurs. Les divisions politiques du monde hellénistique sont ainsi partiellement contrebalancées par cette circulation des hommes et des pratiques culturelles et sociales.
Les échanges économiques
Dans le domaine économique, la période hellénistique se distingue par une forte extension de l’utilisation de la monnaie, essentiellement de la monnaie d’argentpour les échanges importants27 et de bronze pour les achats quotidiens de faible valeur à l’échelle locale28. La plupart des diadoques, en effet, reprennent la monnaie d’argent mise en place par Alexandre (une monnaie d’argent reprenant le poids des monnaies athéniennes) et en font l’étalon monétaire du monde hellénistique. Ainsi, chaque souverain frappe sa monnaie mais elles possèdent toutes un poids identique et circulent assez aisément d’un territoire à l’autre sans qu’il y ait la contrainte d’un change. Cette ouverture facilite les échanges économiques entre les États. Cependant, cet indéniable développement de l’étalon attique et le processus d’unification monétaire qu’il permet doit être relativisé. Ainsi, la puissante cité commerciale qu’est Rhodesconserve son propre étalon (étalon « chiote »)27. Les Lagides et les Attalides au iie siècle av. J.-C.exigent pour leur part sur leur territoire l’usage exclusif de leur monnaie. Le change leur permet de faire d’importants bénéfices car leur monnaie est échangée à égalité (une pièce d’argent contre une pièce d’argent) alors qu’elle est d’un poids inférieur à l’étalon international de l’époque29.
Le commerce international connaît quelques évolutions importantes. Ainsi, si les produits échangés n’évoluent guère (esclaves, blé, vin, huile)30, les distances augmentent considérablement avec la nécessité d’approvisionner les communautés grecques, ou hellénisées, dispersées jusqu’aux portes de l’Inde. L’Égypte ainsi importe du vin de Gaza, Chios, Thasos ou Cnide avant d’ailleurs de développer sa propre viticulture. Il faut transporter de l’huile d’olive jusqu’en Asie centrale, qui n’en produit pas, car elle est indispensable pour le gymnase).
Les centres principaux du commerce hellénistique se modifient considérablement31. Alexandrie est ainsi un énorme entrepôt pour les productions et l’artisanat égyptien, mais aussi la porte d’entrée pour les autres états du marché égyptien. Elle sert ainsi d’interface entre l’Égypte et le monde méditerranéen. Jusqu’en 168 av. J.-C., Rhodesest le principal port du commerce égéen et un important centre de redistribution du blé. Totalement indépendante politiquement, Rhodes n’hésite pas à défendre par les armes la liberté de commerce et de circulation maritime. Elle lutte ainsi contre la piraterie et, en 220 av. J.-C., déclenche même un conflit avec Byzance32. C’est pour punir Rhodes de sa neutralité dans son conflit contre la Macédoine que Rome fait de Délos un port franc. Délos devient ainsi le principal centre de redistribution du commerce égéen et le principal marché aux esclaves de la région jusqu’à sa destruction par Mithridate en 88 av. J.-C.. La Grèce continentale, après une brève renaissance dans les années qui suivent la conquête d’Alexandre, connaît une grave crise économique à l’exception du monde égéen. Les divers royaumes hellénistiques fabriquent eux-mêmes leurs produits nécessaires. La Grèce conserve d’importants besoins en céréales, dont les prix ne cessent de grimper après une baisse au début du iiie siècle, et n’exporte guère que du vin et de l’huile, dont les prix restent stables, et des produits de luxe qui assurent le maintien de l’artisanat en particulier à Athènes et Corinthe. Il s’ensuit une paupérisation croissante de la population (les salaires diminuent en Grèce tout au long de la période) accentuée par l’essor de l’esclavage du fait des guerres incessantes. Pour beaucoup d’hommes libres, il est difficile de trouver du travail. La seule solution est alors le mercenariat33.
La réalité de ce commerce international nous échappe, faute de documents, en ce qui concerne le golfe Persique, la mer Rouge ou l’Asie centrale. De même, il est impossible d’en mesurer l’ampleur réelle et les volumes. Les historiens contemporains ont tendance à minorer le grand commerce international et à insister sur la fragmentation des marchés (Délos commerce ainsi essentiellement avec le reste de la mer Égée et relativement peu avec l’Orient méditerranéen) et sur l’importance du commerce régional. En résumé, il est difficile d’appréhender la réalité de ces échanges. Il est plausible d’affirmer qu’ils ont progressé mais que la majeure partie reste cantonnée à une échelle locale. Par contre, les pratiques commerciales identiques (utilisation de la monnaie d’argent, types de contrats commerciaux, etc.) renforcent dans ce monde hellénistique une identité commune34.
L’art à l’époque hellénistique
Souvent dédaigné par rapport à l’époque classique, l’art hellénistique est pourtant d’une richesse de mieux en mieux appréhendée de nos jours. La multiplication des royaumes hellénistiques, et du mécénat afférent, permet la diffusion de pratiques et de techniques artistiques dans les domaines de l’architecture, avec souvent des proportions tirant vers le gigantisme, de la sculpture ou encore de la peinture murale.
L’innovation artistique n’est désormais plus le fait de la Grèce continentale : c’est ainsi à Pergameque naît le « baroque hellénistique », caractérisé par la violence des expressions et des mouvements représentés, dont les groupes de Gaulois ou encore le Grand Autel sont les meilleures illustrations. Des découvertes archéologiques récentes ont mis au jour des chefs-d’œuvre de peinture murale ou de toreutique à Vergina (ancienne Aigéai) en Macédoine, ou encore à Panagyurichté, en Bulgarie.
La période est également marquée par la disparition de la peinture sur vase et par l’essor des arts dits « mineurs » : travail des métaux, de l’ivoire ou encore du verre, mosaïque, etc. La figurine en terre cuite s’émancipe du cadre religieux pour prendre son autonomie : elle représente un témoignage majeur sur la vie quotidienne de l’époque mais aussi, avec les « grotesques » de Smyrne ou d’Alexandrie, une remise en cause de la « beauté grecque » classique.
La fin du monde hellénistique
La disparition du royaume lagide d’Égypte en 30 av. J.-C., avec le suicide de sa dernière souveraine Cléopâtre, marque l’achèvement de la conquête par Rome du monde méditerranéen et clôt la période hellénistique. Les Romains ont l’habileté de récupérer et d’utiliser à leur profit l’héritage hellénistique. Ainsi, le modèle de la cité continue son évolution, même si l’indépendance politique n’est plus possible, tandis que la langue grecque reste la langue dominante dans la partie orientale de l’Empire et cela jusqu’à l’émergence du monde musulman et de l’arabe. La culture grecque quant à elle imprègne les élites romaines à tel point qu’une culture commune, issue du monde hellénistique avec des apports romains, s’impose dans l’Empire. Il n’en est pas de même au-delà des limites orientales de l’Empire romain. En effet, la conquête par les Parthes de la Mésopotamie au ier siècle av. J.-C., l’effondrement des royaumes grecs de Bactriane mettent fin à la domination politique, culturelle et économique du monde grec. Si l’héritage hellénistique perdure dans l’art, il ne s’agit plus que d’un aspect composite dans une culture où les éléments asiatiques et indiens redeviennent prépondérants.
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https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89poque_hell%C3%A9nistique