Artiste |
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Date |
1503 – 1519
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Type |
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Dimensions (H × L) |
168 × 130 cm
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Mouvement |
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Localisation |
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Numéro d’inventaire |
INV 776
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La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne (Santa Anna Metterza), aussi appelée La Vierge à l’Enfant avec sainte Anne, est un tableau de Léonard de Vinci, une peinture à l’huile sur panneau de peuplier qui est conservée au musée du Louvre à Paris. Le début de la lente et complexe genèse du tableau remonterait à 1501, date de sa première mention dans la correspondance d’Isabelle d’Este. Léonard de Vinci ne cessa ensuite de perfectionner cette composition ambitieuse, qu’il laissa inachevée à sa mort en 1519.
Histoire
Comme souvent pour Léonard de Vinci, l’interprétation, la genèse et le commanditaire de l’œuvre sont sujets à caution. La genèse de l’œuvre est particulièrement longue. Un premier dessin représente la « sainte Anne trinitaire », avec, en plus, Saint Jean-Baptiste enfant au côté de Jésus. Sa datation est incertaine, comprise entre 1499 et 1510, la commande pouvant émaner du roi de France Louis XII ou des Servites de la Santissima Annunziata de Florence[1]. Un deuxième dessin, perdu, datant de 1501, a été décrit par l’un des disciples de Léonard. Il existe, au total, une quinzaine de dessins connus, préparatoires sur les têtes des personnages. Léonard parla à propos de ces expérimentations de « componimento inculto » (« esquisse informe »)[2]. Il existe également plusieurs copies contemporaines du tableau, faites par son atelier et permettant ainsi de voir l’évolution de ce dernier. Il est possible que l’œuvre reste inachevée, le paysage étant moins « fini » que les portraits (confirmation par la restauration en 2010 qui révèle plusieurs zones inachevées) mais cet « inachèvement » est peut-être volontaire[3].
Léonard rejoint la cour de François Ier en apportant avec lui quelques chefs-d’œuvre peints durant ses années d’errance, comme ce tableau, la Joconde et le saint Jean-Baptiste.
Quelques mois avant la mort de l’artiste en 1519, cette œuvre, qui avait alors probablement servi de retable dans une chapelle royale d’un château dans le Val de Loire, a été acquise par François Ier auprès de Salai, l’élève de Léonard de Vinci. Sortie des collections royales à une date inconnue, elle est achetée par le cardinal de Richelieu[4] puis donnée par celui-ci à Louis XIII en 1636 et passe à la Couronne de France qui la fait entrer au Louvre en 1797 sans que son auteur soit véritablement établi. Elle rejoint les chefs-d’œuvre comme La Joconde dans le Salon Carré du Louvre au milieu du XIXe siècle, date à laquelle elle est attribuée à Léonard de Vinci malgré les controverses[5].
En effet, dans le recueil biographique Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes, son auteur le père de l’histoire de l’art Giorgio Vasari affirme en 1550 que Léonard de Vinci n’a jamais peint de sainte Anne et qu’il en serait resté aux cartons préparatoires. Ce tableau est dès lors considéré comme une copie ancienne d’atelier, Léonard de Vinci étant juste à l’origine du concept[Quoi ?]. Cependant plusieurs témoignages confirment progressivement au XIXe siècle l’existence d’un tableau autographe[6].
C’est une œuvre souvent reproduite en gravure, y compris les dessins préparatoires de Léonard : le carton préparatoire pour la Vierge, sainte Anne, l’enfant et le petit saint Jean[7] est conservé à la National Gallery de Londres, il a été ensuite gravé par Laugier, par Cantini, par Landon.
À l’occasion de l’inauguration du musée Louvre-Lens en décembre 2012, le tableau est prêté pour une période de trois mois et est exposé dans l’exposition temporaire « Renaissance » de ce musée[8].
Œuvres qui annoncent des aspects formels et expressifs
de La Vierge, l’Enfant Jésus et sainte Anne.
Le thème
C’est celui de la « Sainte Anne trinitaire » où voisinent Sainte Anne, la Vierge Marie et l’enfant Jésus. D’après la tradition, Sainte Anne meurt avant la naissance de Jésus et le thème est donc plus symbolique, réunion de trois générations. Ce thème pictural apparaît au XIIIe siècle et connaît son apogée au XVe siècle[9].
L’agneau symbolise le sacrifice, Jésus le tenant dans ses bras signifie qu’il accepte son destin; Marie, en tant que mère veut le prendre dans ses bras pour l’éloigner de ce destin de souffrance. Les premières esquisses de l’œuvre montrent Sainte Anne tentant de retenir le geste de la Vierge vis-à-vis de son fils. Le tableau terminé montre, au contraire, une attitude retenue de Sainte Anne, acceptant symboliquement le destin de son petit-fils[9].
Composition
Un groupe de quatre personnages grandeur nature formant une pyramide avec une idée de spirale, composition géométrique dynamique chère à de Vinci : au centre, la Vierge assise sur les genoux de sainte Anne, sa mère. À ses pieds, sur la droite en bas du groupe, l’Enfant Jésus qui enlace et enjambe un agneau sacré, semble s’échapper des mains de sa mère[10].
Les têtes des quatre personnages sont alignées en une diagonale tombant vers la droite, trois différents sfumati moulant les visages des trois personnes. Leurs pieds sont dans l’eau, évoquant peut-être le baptême.
Jeux de regards entre les protagonistes de la scène : Anne regarde Marie qui regarde Jésus qui la regarde à son tour, comme l’agneau qui le regarde.
Si sainte Anne est statique, hiératique, assise, campée sur ses jambes, un bras en appui sur la hanche, Marie adopte une pose plus dynamique, tendue vers Jésus l’enlaçant de ses bras.
Le décor proche est austère, composé de roches, d’un arbre feuillu (symbole de l’infécondité d’Anne ? Élément du paysage fleuri initial[11] qui figurait sur certaines épreuves avant d’être remplacé par un sol rocheux parcouru de filets d’eau ?) un peu plus loin sur la droite, d’une arête nette découvrant un paysage de pics rocheux et montagneux (paysage issu d’une étude géologique et graphique de rochers [12]) disparaissant progressivement dans un ciel d’azur (blanc à l’horizon, bleu au-dessus) dans un sfumato, (comme pour le tableau de la Joconde) une sorte de grisaille, qui laisse à penser un inachevé cher à Vinci[10].
Technique
Le tableau est fait sur plusieurs planches de peuplier chevillées. La préparation est à base de colle animale et de sulfate de calcium. Il existe des traces de report d’un dessin préparatoire (technique du spolvero), fines perforations esquissant quelques points du dessin, et des traces de repentirs. Les couleurs utilisées sont le bleu de lapis-lazuli, le blanc de plomb, le brun des terres, le rouge de kermès, le vert de cuivre, le jaune de plomb et d’étain[13].
L’œuvre comporte de très nombreuses couches de glacis. Les coups de pinceaux sont quasi invisibles, peut-être fondues par le doigt de l’artiste, comme l’atteste la présence de traces digitales.
Interprétation freudienne
Le « vautour » dont la queue touche la bouche de l’enfant, identifié par Freud.
Freud, analysant notamment l’ambigüité androgyne des sourires de ses figures de femmes, y voit la preuve de l’homosexualité de Léonard dans son livre Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci.
Angèle Paoli en dit : « Tout cela conduit Freud à établir une relation directe entre l’homosexualité de Leonardo et le mystère crypté des femmes qui sont au centre de sa toile. Homosexualité construite autour de la figure privilégiée de la mère (représentée ici par la Vierge mais aussi par sainte Anne). À partir du souvenir fétichiste du « vautour », évoqué par Vinci dans ses Carnets (en réalité la traduction du mot italien dans les carnets est erronée, il s’agirait en fait d’un épervier, ou d’un milan, et non d’un vautour) [14]. En effet, pour Freud, Oskar Pfister aurait fait une singulière découverte : « Il a décelé dans le drapé, bizarrement arrangé et malaisé à comprendre, de Marie, le contour du vautour et l’interprète comme image-devinette inconsciente[15]. »
Redécouverte de l’œuvre à l’occasion de la restauration du tableau
Un constat d’état de l’œuvre révèle des soulèvements inquiétants de la matière picturale, causés par le vieillissement des couches de vernis, qui, en se rétractant, ont tiré la peinture originale. Une restauration fondamentale du tableau a été envisagée dès les années 1990, époque à laquelle sont effectués quelques tests de nettoyage assez concluants[16].
Le 18 décembre 2008, à l’occasion d’un décrochage de l’œuvre, Sylvain Laveissière, conservateur au département des Peintures, a découvert trois dessins au revers vraisemblablement de Léonard de Vinci, représentant une tête de cheval (proche de celles conçues par Léonard pour La Bataille d’Anghiari, la moitié d’un crâne ressemblant à l’une de ses études conservées à Windsor, et un enfant tenant un agneau qui rappelle trois dessins préparatoires[17].
Cette découverte a été l’occasion pour le musée du Louvre d’organiser le 17 juin 2009 une journée d’étude consacrée à la Vierge à l’Enfant avec sainte Anne. Sous la direction de Vincent Delieuvin du département des peintures, cette journée a été l’occasion d’un examen attentif de l’œuvre et a permis l’intervention d’historiens d’art et de divers spécialistes de l’investigation matérielle pour présenter au public les principaux résultats, enjeux et découvertes de cette enquête[18].
En février 2010, le musée du Louvre a annoncé qu’il allait décrocher le tableau pour qu’il puisse subir une méticuleuse restauration. Cette restauration annoncée sous haute surveillance répond à une urgence en termes de sauvegarde de l’œuvre a précisé Vincent Pomarède, le chef du département. Vincent Delieuvin a précisé qu’« il s’agit d’alléger et uniformiser le vernis, afin qu’il cesse de tirer sur la couche picturale, faire de même avec les paquets formés par des repeints[19], et enfin retoucher ceux dont la couleur a viré, provoquant ce phénomène de tache[20] ».
La restauration, dirigée par Cinzia Pasquali, restauratrice d’origine romaine choisie à l’issue d’un appel d’offres, débute fin 2010 au Centre de recherche et de restauration des musées de France, grâce au mécénat de Barry Lam(en), et duré 15 mois[5]. La restauratrice a enlevé des repeints[21] désaccordés dont certains résultaient de très anciennes et épaisses superpositions de retouches. À l’aide de solvants éprouvés et de cotons tiges, elle a allégé des vernis de restauration oxydés (couches de 50 μm sur ce tableau et qui jaunissent avec le temps) et chancis (le chanci est un vernis qui se craquelle de microfissures et devient opaque) par trop de nettoyages partiels, de véhiculages, de retouches et de refixages au cours des siècles. Enfin, elle a procédé à une réintégration des lacunes (les fentes les plus importantes étant bouchées par du mastic, les retouches étant réalisées avec de la peinture acrylique posées en glacis)[16].
En mars 2012, le conservateur au département des peintures du musée du Louvre, Vincent Delieuvin, a placé ce chef-d’œuvre de Léonard de Vinci, restauré avec le concours du Centre de recherche et de restauration des musées de France, au cœur d’une exposition exceptionnelle, intitulée « La sainte-Anne, l’ultime chef-d’œuvre de Léonard de Vinci », rassemblant pour la première fois l’ensemble des documents liés à ce panneau. Esquisses de composition, dessins préparatoires, études de paysage et le magnifique carton (dit de Burlington House) de la National Gallery de Londres – jamais présenté à côté du tableau depuis la mort de Léonard – illustrent, entre autres, cette longue méditation et rendent compte des différentes solutions successivement envisagées par le maître. La présentation d’autres œuvres peintes de Léonard de Vinci permet par ailleurs de montrer en quoi la Sainte Anne est le véritable aboutissement des multiples et diverses recherches de l’artiste sur la nature et l’art. Afin de donner toute sa dimension au caractère novateur de cette œuvre, l’exposition l’a replacée dans la tradition iconographique liée à son sujet et s’intéresse à l’influence considérable qu’elle exerça, sur l’art italien du début du XVIe siècle[12] et jusqu’à nos jours, en présentant des œuvres de Delacroix, Degas, Max Ernst. L’œuvre restaurée permet de retrouver la fraîcheur de la peinture. « On croyait le paysage de montagnes primitif et désertique, on le découvre habité. Ici et là, de minuscules cités apparaissent. Au sol, la vilaine masse terreuse dévoile la finesse cristalline de l’eau qui effleure maintenant le pied de sainte Anne. De subtils repentirs se devinent autour du manteau bleu de la Vierge. Elle portait une belle étoffe de soie bouffante. Le nettoyage dévoile la finesse du drapé sur ses jambes[22]. »
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Carton préparatoire avec saint Jean